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Full text of "Le Magasin universel"

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LE  MAGASIN 


UNIVERSEL 


TOME  DEUXIÈME. 


(  1854-1855.  ) 


PARIS. 

AU  BUREAU  CENTRAL,  RUE  DE  SEINE  SAINT-GERMAIN,  9, 

ET  CHEZ  TOUS  LES  LIBRAIRES  DE  FRANCE  ET  DE  L'ÉTRANGER. 


Broché.  ...    5  f.  50  c. 
^^^^''   ^  Cartonné.  .  .    T      « 


Il 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/leniagasinunivers02pariuoft 


LE    MAGASIN 


UNIVERSEL 


TOME  DEUXIEME. 


CONDITIONS  DE  LA  SOUSCRIPTIOX  AU  MAGASIN  UNIVERSEL. 


livraisons  envoyées  une  fois  par  mois  avec  table  alphabétique  des  matières  f  et  une  couverture  imprimée  tous  les 

mois  (  4  et  S  livraisons  par  cahier.  ) 
PARIS.  DÉPARTEMENS. 

Pour  un  demi-volume  ou  26  livraisons.    .    .    .    2  fr.  60  c.  I  Pour  nu  demi-volume  ou  26  livraisoHS.     .    .    3fr.  80  c. 

Pour  un  volume  ou  52  livraisons 5      20     j  Pour  un  volume  ou  52  livraisons T      50 

Livraisons  timbrées  envoyées  séparément  tous  les  jeudis.  (  Une  livraison  par  semaine.  ) 


PARIS. 

Pour  26  livraisons :    .    .    .    5fr.60c. 

Pour  52  livraisons.    <.    .    . 7      20 


DEPARTEMEISS. 
Pour  26  livraisons.    .........    4  fr.  80  c 

Pour  52  livraisons. .9      20 


Broché  chaque  volume  .  .  5  fr.    50  c.     |        c^g    .^  ^^née  peut  s'acheler 

Franco  par  la  poste, 7  fr.    70  c.  séparément. 

Cartonne  à  1  anglaise ,   .  .  7  fr ; 


Prix  des  deux  premières  années. 

N.  B.  L'administratioa  des  postes  ne  se  charge  pas  des  volumes  carlonnés 


A   NOS   LECTEURS. 


Au  moment  d'entrer  dans  notre  troisième  année ,  nous  éprouvons  le 
besoin  de  remercier  le  Public  du  favorable  accueil  qu'il  a  constamment 
fait  à  notre  publication.  Si  nous  ne  consultions  que  le  cbiftre  toujours 
croissant  de  notre  abonnement,  nous  pourrions  peut-être  nous  flatter 
d'avoir  répondu  à  l'attente  de  nos  lecteurs,  mais  nous  sommes  loin  de 
nous  faire  illusion  sur  le  mérite  de  notre  œuvre. 

Sajis  doute,  parmi  les  articles  que  nous  avons  donnés  sur  les  chroniques 
de  notre  pays,  sur  les  sciences  physiques,  l'histoire  naturelle,  l'hygiène, 
les  voyages,  les  moeurs  des  divers  peuples,  etc.,  nos  abonnés  auront  trouvé 
plus  d'un  fait  curieux  et  dont  l'exposition  n'était  dénuée  ni  de  clarté,  ni 
d'élégance;  sans  doute  aussi,  parmi  la  foule  des  gravures  qui  accompagnent 
la  plupart  de  nos  articles,  et  qui  peuvent  soutenir  la  comparaison  avec 
celles  des  autres  publications  à  deux  sols,  il  en  est  beaucoup  qui  offrent 
de  l'intérêt,  soit  par  la  nature  même  du  sujet,  soit  par  la  manière  dont  le 
burin  de  l'artiste  les  a  rendues;  mais  plusieurs  d'entre  elles  sont  de  beau- 
coup au-dessous  de  celles  que  nous  donnerons  désormais.  Tnous  avouerons 
même  que  nous  n'ignorions  pas  cette  infériorité  avant  de  les  confier  à  la 
presse,  et  cependant  nous  n'avons  pu  les  rejeter. 

Nous  craindrons  d'autant  moins  de  nous  expliquer  franchement  sur 
ce  sujet  avec  nos  lecteurs  que  nous  les  considérons  comme  associés  avec 
nous  pour  le  succès  de  notre  oeuvre. 

Ces  gravures,  nous  les  tenions  des  premiers  Directeurs  du  Magasin  uni- 
versel qui  avaient  été  les  chercher  en  Angleterre;  et  les  sacrifier,  c'eût  été 
imposer  à  notre  entreprise  une  dépense  trop  lourde,  dépense  qui  eût,  non 

F  as  compromis  son  existence,  mais  nui  à  son  développement;  car,  rnalgré 
état  de  prospérité  auquel  il  est  parvenu,  le  Magasin  universel  ne  vir 
que  par  ses  abonnes  et  n'est  pas ,  comme  la  plupart  des  entreprises  de  la 
librairie ,  soutenu  par  des  spéculateurs. 

Le  Magasin  universel  est,  en  effet,  un  livre  de  conscience.  Rédigé  dans 
un  esprit  de  foi  et  d'amour  de  l'humanité,  il  est  destiné  à  répandre,  avec 
le  goût  du  vraietdu  beau,  les  notions  utiles  de  sciences,  d'hygiène,  d'his- 
toire ,  de  technologie ,  que  le  progrès  des  siècles  a  rendus  nécessaires  à 
toutes  les  personnes  qui  s'élèvent  au-dessus  des  derniers  rangs  de  la 
société. 

Telle  a  été  l'honorable  mission  qu'ont  voulu  remplir  les  fondateurs 
du  Magasin  universel.  L'Intérêt  des  familles  a  été  leur  suprême  loi;  ils 
ont  voulu  leur  offrir  un  livre  composé  avec  assez  de  discernement  pour 
qu'on  pût  le  mettre  de  confiance  dans  les  mains  des  enfans  eux-mêmes, 
et  fait  avec  assez  de  goût  et  de  science  pour  qu'il  offrît  à  tous  ses  lecteurs , 
et  jeunes  et  vieux,  plaisir  et  utilité  tout  à  la  fois.  Tel  est  aussi  le  but  des 
Éditeurs  qui  tiendront  désormais  la  place  des  premiers  Directeurs  du  Ma- 
gasin universel.  L'atteindront-ils?  c'est  là  ce  qui  leur  est  permis  d'espe'rcr 
quand  ils  contemplent ,  d'un  côté ,  les  ressources  matérielles  qui  sont  à 
leur  disposition,  de  l'autre  les  artistes  habiles,  les  savans  et  les^ens  de 
lettres  dont  ils  se  sont  assuré  le  concours. 


MAGASIN   UNIVERSEL. 


N°  i. 


2  Octobre  4854 


Prix: 

DEUX    SOUS. 


PUBLIÉ  SOUS  LA  DIKEGTION  D'UNE  SOCïÉTl^:  DE  SA  VANS  ET  D'ARTISTES. 


DUGUESCLIN.  —  BATAILLE  DE  COCHEREL. 


(  Daguesclin  chargeant  les  Anglais  à  la  bataille  de  Cochcrel.  ) 


Nous  empnmlons  aux  Mémoires  snr  l'Histoire  de  France 
les  détails  que  l'on  va  lire  sur  la  bataille  de  Coclierel  : 

Les  valets  et  les  enfans  perdus  des  deux  camps  eu  vinrent 
les  premiers  aux  mains,  et  s'acharnèrent  les  uns  sur  les 
autres  avec  tant  de  rage  et  de  furie  que  le  sang  en  coulait 
de  toute  part.  Cependant  les  goujats  français  eurent  de  l'a- 
vantage sur  ceus  des  anglais  ,  ce  (jui  fut  un  heureux  augure 
pour  Bertrand ,  qui  se  flatta  de  la  victoire,  voyant  de  si 
beaux  préliminaires.  Après  que  les  enfans  perdus  se  furent 
séparés,  il  y  eut  un  chevalier  anglais  qui  se  détacha  de  son 
escadron  pour  demander  à  faire  le  coup  de  lance  contre 
celui  des  Français  qui  serait  assez  brave  pour  vouloir  entrer 
en  lice  avec  luij  Roulant  Dubois  se  présenta  pour  lui  i):  êter 
collet  sous  le  bon  plaisir  de  Bertrand  :  le  Français  eut  en- 
core l'avantage  sur  l'Anglais,  car  non-seulement  il  perça 
les  armes  et  la  cuirasse  de  celui-ci ,  mais  le  coup  ayant  porté 
bien  avant  dans  la  chair ,  le  ciievalier  anglais  fut  renvei^sé 
de  son  cheval  à  la  vue  des  deux  camps,  ce  qui  fut  une 
grande  confusion  pour  ceux  de  son  parti ,  qui ,  de  tous  ces 
sinistres  évènemens,  ne  devaient  rien  présumer  que  de 
fatal  pour  eux. 

Cependant  le  captai  de  Bue  voulant  toujours  faire  bonne 
mine ,  s'avisa ,  pour  braver  les  Français ,  de  faire  apporter 
sa  table  ,  au  milieu  du  pré ,  toute  chargée  de  viande  et  de 
vin ,  comme  voulant  se  moquer  de  Bertrand  qui  jeûnait 
depuis  long-temps  avec  ses  troupes.  Les  archers  et  les  ar- 
balétriers commencèrent  la  journée  par  une  grêle  de  flèches, 
qu'ils  se  tirèrent  les  uns  les  autres ,  mais  qui  ne  firent  pas 
grand  effet  des  deux  côtés.  Il  en  fallut  venir  aux  approches  : 
TOMB  II. 


les  gendarmes  se  mêlèrent  et  combattirent  à  grands  coups 
de  haches  et  d'épées  ;  l'action  fut  fort  meurtrière  de  part  et 
d'autre;  Gnesclin  s'y  fesait  distinguer  par  les  Anglais  qui 
tombaient  à  ses  pieds  et  qu'il  couchait  par  terre,  partout  où 
il  paraissait.  Ce  foudre  de  guerre  éclaircissait  les  rangs  des 
ennemis  par  le  fracas  qu'il  y  fesait  ;  il  fut  fort  bien  secondé 
du  vicomte  de  Jeaumont,  de  messire  Jaudoin,  d'Eunequin 
et  de  Thibaut  du  Pont,  qui  se  signalèrent  beaucoup  dans 
celte  i)ataille. 

Les  exploits  de  Thibaut  Dupont  méritent  surtout  une 
meulion  particulière:  ce  chevalier  tenait  à  deux  mains  une 
cpée,  et  frappait  sur  les  ennemis  comme  un  forcené.  Son 
épée  se  rompit  ;  mais  un  breton ,  son  serviteur  ,  qui  était 
auprès  de  lui,  lui  ayant  donné  une  hache  grande ,  pesante 
et  dure,  il  eu  donna  un  si  furieux  coup  à  un  chevalier  an- 
glais ,  qu'il  lui  coupa  et  abattit  la  tête  jtis.  Duguesclin 
animait  les  siens  par  son  exemple  et  par  ses  discours ,  en 
criant:  GuescUn:  puis  il  leur  disait:  «  Or,  avant  mes 
«  amis ,  la  journée  est  à  nous  ;  pour  dieu ,  souvenez^ous 
«  que  nous  avons  un  nouveau  roi  de  France  ;  qu'au- 
a  jourd'hui  sa  couronne  soit  honorée  par  nous.  » 

Les  Anglais ,  aussi  de  leur  côté ,  disputèrent  long-temps 
le  champ  de  bataille ,  et  tuèrent  beaucoup  de  chevaliers 
français  d'une  illustre  naissance.  L'on  dit  que  le  baron  de 
Mareuil ,  qui  tenait  pour  les  Anglais,  tout  lier  de  ce  petit 
succès ,  criait  à  tue  tête  :  Ou  êtes-vous ,  Duguesclin? comme 
pour  l'affronter ,  et  lui  faire  sentir  que  les  choses  prenaient 
un  autre  train  qu'il  ne  s'était  imaginé;  mais  Bertrand,  pour 
lui  faire  rentrer  ces  paroles  en  la  bouche ,  et  le  punir  de  sa 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


témérité ,  revint  siir  lui  tout  en  colère ,  et  lui  déchargea  sur 
la  têle  un  coup  si  violent  qu'il  l'abattit  à  ses  pieds,  et 
Guesclin  l'allait  achever  s'il  n'eût  été  promptement  relevé 
par  les  siens,  qui  coururent  à  lui  pour  le  secourir.  La  mêlée 
recommença  pour  lors  avec  plus  de  chaleur,  mais  les  An- 
glais succombèrent  à  la  fln ,  quelques  efforLs  que  lissent  !e 
caplal  de  Bue  et  le  baron  de  Mareuil  pour  leur  inspirer  du 
courage  et  leur  faire  reprendre  leurs  rangs;  et,  connue  l'a- 
vait dit  Guesclin,  on  pût  donner  au  nouveau  Roi,  Charles  V, 
pour  son  joyeux  avènement ,  la  nouvelle  d'une  victoire  com- 
plète. Le  fameux  captai  de  Bue  y  fut  fait  prisonnier, 


REPAS  TURC. 

H  y  a  ordinairement  dans  chaque  maison  turque  un  peu 
aisée,  trois  tables  séparées,  savoir  :  celle  du  chef  de  la  famille, 
qui  prend  habituellement  son  repas  seulj  la  table  des  en- 
tans  qui,  par  respect  ponr  leur  père  -,  ne  mangent  point  avec 
lui;  et  celle  de  la  femme,  qui  vit  isolée  dans  son  apparte- 
ment. Quand  il  y  a  plusieurs  femmes ,  chacune  a  son  couvert 
particulier ,  et  tontes  ces  tables  ne  peuvent  recevoir  plus  de 
quatre  ou  cinq  personnes. 

Le  turc  divise  sa  nourriture  en  deux  repas ,  et  l'homme 
puissant,  qui  vil  dans  Fa  noblesse,  y  ajoute,  dès  le  matin, 
un  léger  goûter.  Comme  tous  sont  dans  l'habitude  de  se  lever 
dès  l'aurore  ,  celui-ci ,  nonchalamment  étendu  dans  l'angle 
d'un  sopha ,  après  son  court  namaz,  ou  prière ,  frappe  dans 
ses  mains  pour  appeler  l'esclave  qui  lui  apporte  sa  pipe.  Il 
savoure  à  longs  traits  la  fumée  du  tabac,  qu'il  brûle 
avec  des  parcelles  d'aloès ,  et  reste  sans  parler ,  absorbé 
dans  une  profonde  nullité;  on  l'arrache  à  cet  état  pour  lui 
présenter  \ine  légère  infusion  de  café  moka  bouillant,  dans 
lequel  le  marc  poiphyrisé  reste  suspendu ,  et  il  le  boit  en 

aspirant  doucement  sur  le  bord  de  la  tasse ;  ses  jambes 

croisées,  sur  lesquelles  il  est  assis,  lui  refusent  presque  leur 
secours;  il  invoque  les  bras  de  deux" domestiques  pour  se 

soulever Il  dit  comme   l'asiatique  son  voisin: 

ne  rien  faire  est  bien  doux;  mais,  mourir  pour  se  reposer, 
c'est  le  bonheur  suprême. 

La  matinée  de  l'homme  opulent  s'écoule  de  cette  ma- 
nière, ou  en  roulant  machinalement  son  tchespi {\).\ers  le 
milieu  du  jour,  on  apporte  le  dîné.  La  plus  grande  simpli- 
cité règne  dans  le  senice  ;  on  ne  voit  sur  la  table  ni  nappe , 
ni  fourchettes,  ni  assiettes,  ni  couteaux;  une  salière,  des 
cuillères  de  bols,  d'écaillé  ou  de  cuivre,  et  une  grande  ser- 
viette d'une  seule  pièce ,  qui  fait  le  tour  de  la  salle  forment 
l'appareil. 

On  distribue  le  pain  coupé  par  bouchées,  et  on  garnit  le 
plateau  de  cinq  ou  six  plats  de  salades  d'olives ,  de  corni- 
chons, de  céleri,  de  végétaux  confits  au  vinaigre,  et  de 
confitures  liquides.  On  apporte  ensuite  les  sauces  et  les 
divers  ragoûts,  et-  le  repas  se  termine  par  le  pi!aw. 
En  aucune  circonstance  on  ne  fait  usage  de  dessert  ; 
les  différentes  saisons  tiennent  lieu  de  hors-d'œuvres ,  et 
diacun  mange  à  son  gré  pendant  le  dîner.  Quinze  uiinutes 
suQiseat  pour  se  rassassier,  et  le  repas  est  un  travail  pour 
l'indolent ,  qui  semble  l'avoir  fait  en  cédant  à  la  nécessité 
plutôt  que  par  plaisir. 

Les  boissons,  dont  on  ne  fait  usage  qu'après  avoir 
mangé)  sout  l'eau  et  le  scherbet,  qu'on  présente  à  la  ronde 
dans  un  verre  de  cristal ,  qui  est  commun  à  tous  les  con- 
Tiveg  ;  le  vin  proscrit  en  apparence ,  ne  se  boit  que  dans  les 
Uvernes.  Ce  n'est  pas  qu'on  ne  fasse  mention,  dans  l'histoire 
turque ,  de  plusieurs  sultans  qui  ont  doimé  l'exemple  public 
de  cette  violattonéu  Koran  ;  mais,  depuis  les  édits  sévères 
de  Mourad  IV,  ses  successeurs  ont  au  moins  sauvé  les  ap- 
parences. Il  n'y  a  que  les  derviches  ou  moines ,  les  soldats , 
1«8  marins ,  une  partie  de  la  bourgeoisie  et  du  bas  peuple 
qui  donnent  le  scandale  de  l'ivrognerie. 

L'aprèB-midi ,  le  turc  riche  passe  son  temps  dant  un 

(i)  Sorte  dt  chapelet. 


kiosk  bien  acre.  Celui  qui  habite  les  rives  du  Bospiiore  aiaie 
que  sa  vue  plane  sur  les  sites  agréables  de  l'Asie ,  où  repo- 
sent ses  pères.  U  contemple  cette  terre ,  comme  celle  qui 
doit  un  jour  servir  d'asile  aux  musulmans,  lorsqu'une  na- 
tion d'hommes  blancs  les  auront  chassés  d'Europe.  Il 
s'enivre  d'odeurs,  des  vapeurs  de  la  pipe,  et  se  rafraîchit 
avec  le  scherbet  parfumé  de  musc ,  que  ses  esclaves  lui  ver- 
sent. Eloigné  ensuite  de  toute  société,  il  appelle  ses  femmes; 
et ,  sans  déposer  rien  de  sa  gravité ,  il  leur  commande  de 
danser  en  sa  présence  ! 

Le  souper  qui  est  servi  sur  les  tables ,  au  coucher  du  so- 
leil ,  est  composé  avec  plus  de  soin  que  le  dîner,  mais  il  se 
passe  avec  autant  de  célérité.  La  pipe  termine  la  journée , 
dont  le  cercle  monotone  n'admet  presque  jamais  de  variété, 
ni  de  ces  accessoires  qui  font  le  plaisir  de  la  vie,  par  la 
nouveauté. 


POMPÉI  (4)  ET  HERCULANUM. 

Il  y  a  plus  de  dix  huit  cents  ans,  deux  villes  d'Italie 
furent  à  demi  renversées  par  un  tremblement  de  terre , 
Pompeï  et  Herculanum,  et  enfouies  dans  les  cendres  du 
Vésuve.En  i  74  5,  un  liasard  ayant  fait  trouver,  à  trente  pieds 
sous  terre ,  des  colonnes  et  des  statues ,  on  commença  des 
fouilles  dont  le  résultat  fut  la  découverte  des  deux  villes  sou- 
terraines. Depuis  cette  époque ,  les  travaux  ont  été  abandon- 
nés et  repris  à  différentes  époques.  Murât ,  pendant  la  courte 
durée  de  son  règne,  y  employa  une  légion  de  soldats,  et 
fît  plus ,  en  peu  de  temps ,  que  tous  les  prmces  qui  avaient, 
avant  lui ,  occupé  le  trône  de  Naples. 

La  ville  de  Pompeï  est  maintenant  révélée  à  la  vue  ;  non 
plus  cachée  sous  une  voûte  de  cendres  et  de  vignes ,  et  im- 
parfaitement découverte ,  mais  éclairée  par  ce  même  soleil 
qui  brillait  sur  elle,  un  moment  avant  le  mouvement  con- 
vulsif  qui  porta  la  destruction  dans  ses  murs.  Parmi  tous  les 
grands  monumens  de  l'antiquité ,  on  ne  voit  rien  de  com- 
parable à  cet  exemple  d'architecture  domestique ,  du  bien 
être  intérieur ,  de  l'existence  civile  des  anciens.  La  ville  de 
Pompeï,  après  environ  dix  huit  cents  ans  d'inhumation, 
est  ouverte  et  déblayée,  et  on  y  entre  comme  dans  toute 
autre  ville  de  l'Italie. 

On  entre  à  Pompeï  par  une  longue  avenue  pavée,  bordée, 
des  deux  côtés ,  de  tombes  très-serrées;  ses  rues  sont  des 
passages  étroits;  si  étroits,  qu'aucune  voiture  moderne  ne 
pourrait  y  passer,  quoi  qu'elles  portent  les  marques  de 
roues  ;  elles  sont  bordées  par  des  façades  de  petits  bàtimens 
très-simples ,  exactement  semblables  aux  maisons  italiennes 
du  moyen-âge.  Quand  on  a  passé  la  porte  qui  donne  sur  la 
rue ,  ou  voit  une  petite  cour  (le  moderne  cortile  de  Florence 
et  de  Rome  )  ;  elle  est  entourée  par  une  rangée  d'édifices 
divisés  en  petites  chambres  séparées,  généralement  moins 
grandes  que  les  cellules  d'un  couvent.  Les  murs  de  ces  petits 
cabinets  sont  très-souvent  peints  à  fresques ,  et  les  oiseaux, 
les  quadrupèdes,  les  fleurs,  y  sont  par  fois  très-bien 
exécutés.  Le  pavé  des  plus  grandes  et  des  plus  belles  maisons 
est  en  mosaïque  de  plusieurs  couleurs  ;  mais ,  à  l'excejjtion 
du  bâtiment  remarquable ,  appelé  maison  de  Salluste ,  jious 
n'avons  vu,  dans  aucune,  des  chambres  assez  grandes  pour 
contenir  un  lit  anglais.  Oji  voit  presque  toujours ,  au  mi- 
lieu de  la  cour ,  une  fontaine  de  marbre  ou  une  citerne. 
Plusieurs  des  maisons  ont  des  boutiques  sur  la  rue ,  dont 
l'enseigne  est  taillée  dans  la  pierre  au-dessus  de  la  porte; 
dans  une  boutique  de  laitage,  le  comptoir  et  les  places  des 
terrines  étaient  restées  ;  une  boutique  d'apothicaire  était 
autrefois  désignée  par  ses  conteims ,  qui  ont  été  transportés 
au  nmsée,  et  un  lieu  de  rafraichissement  public  nous  fut 
montré  et  désigné  par  l'un  des  gardes,  sous  le  nom  de 
café.  La  conséquence  qu'on  doit  tirer  de  la  petitesse  et 
de  l'incommodité  des  maisons  particulières ,  c'est  que  les 

(i)  Le  prochain  naméro  contiendra  an  article  spécial  sur  le 
VésaTe  et  Bur  Téraption  actuelle. 


Magasin  universel. 


anciens ,  ainsi  que  les  habitans  de  Rome  et  de  Naples ,  vi-  | 
vaient  beancoup  hors  de  chez  eux,  et  que  le  Forum,  le 
Temple  et  le  Cirque ,  les  dispensaient  d'avoir  un-  logis 
agréable.  L'existence  des  Italiens  de  nos  jours  se  compose 
également  du  cours,  de  l'église  et  de  l'opéra. 

Les  lieux  publics  de  Pompe  ï  forment  un  contraste  frap- 
pant avec  la  pelilesse  et  la  simplicité  des  éditices  privés  ; 
phisieurs  nionuniens  de  la  première  classe,  quoique  dila- 
pidés et  privés  de  leur  toit,  donnent  une  idée  parfaite  de 
leur  état  et  de  leur  arrangement  priuîit  if.  Dans  le  temple 
d'Isis,  le  sacrilice  semble  venir  de  s'achever  à  l'instant 
même. 

Si  l'autel  n'est  pas  taché  du  sang  des  victimes ,  si  les 
instrumens  du  sacrifice  ne  sont  pas  encore  épars  sur  ses 
marches,  si  les  dieux  ne  remplissent  plus  leurs  niches,  si 
le  candélabre  et  la  lampe  ne  brillent  plus  sur  les  superbes 
colonnes  doriques ,  ce  changement  n'est  point  l'ouvrage  du 
temps  ;  le  temps  les  avait  laissés  comme  ils  ont  été  trouvés, 
scellés  hermétiquement  et  parfait  ement  conservés  ;  même 
les  prêtres  étaient  à  côté  de  l'autel  en  habits  pontificaux; 
mais  les  meubles  de  la  maison  m  agistrale ,  les  ustensiles 
sacrés  des  temples,  même  les  pavés  du  Forum,  ont  été 
enlevés  de  cette  grande  et  parfaite  relique ,  que  le  temps 
et  la  nature  avaient  léguée  à  la  postérité.  Si  l'on  eût  laissé 
une  seule  maison  meublée ,  un  seul  temple  fourni  de  ses 
accessoires ,  une  illusion  qui  aurait  valu  mille  réalités  eût 
été  conservée;  l'imagination  aurait  pu  se  transporter  à  des 
siècles  qui  ont  passé  comme  ceux  qui  précédaient  le  dé- 
luge, et  l'on  aurait  pu  effectivement  occuper  le  siège  sur 
lequel  Pline  s'était  reposé ,  ou  se  regarder  dans  ce  miroir 
qui  avait  réfléchi  les  visages  des  dames  de  Pompeï. 

Les  enthousiastes  des  arts  et  de  l'antiquité,  ont  peu 
d'occasions  d'éprouver  des  sensations  plus  agréables  (pie 
celles  que  produit  après  une  visite  à  Pompeï,  l'entrée  du 
Musée  Borbonico ,  de  cette  suite  de  pièces  spécialement 
consacrées  aux  reliques  des  cités,  englouties  par  le 
Vésuve. 

Cette  collection  présente  des  séries  d'objets  dans  lesquels 
l'histoire  est  enseignée  par  des  formes  matérielles ,  et  le 
degré  précis  de  civilisation  auquel  les  anciens  étaient 
parvenus,  indiqué  avec  bien  plus  de  précision  par  les  dé- 
tails de  leur  cuisine,  de  leur  salle  de  festin  et  de  leur  toi- 
lette ,  que  par  les  lettres  familières  de  Cicéron  et  de  Pline, 
et  par  toutes  les  ruines  et  tous  les  gravois  de  Rome  ;  là , 
rien  ne  manque  à  [la  suite  des  renseignemens  laissés  à  la 
postérité ,  excepté  la  génération  qui  jouissait  de  ces  objets 
élégans  et  utiles;  une  convulsion  de  la  nature,  telle  que 
celle  dont  les  malheureux  habitans  de  Pompeï  et  d'Hercu- 
lanum  ont  été  victimes ,  pouvait  seule  préserver  des  souve- 
nirs, aussi  complets ,  de  leurs  mœurs  et  de  leurs  habitudes, 
à  travers  les  dix  huit  cents  ans  qui  les  séparent  de  nous. 

La  première  pièce  de  la  galerie  contient  des  ustensiles 
qui  paraissent  avoir  appartenu  a  des  maisons  bien  montées  ; 
la  batterie  de  cuisine  française  ne  semble  pas  avoir  ajouté 
une  casserole  à  ce  magasin  gastronomique  de  l'antiquité. 
Depuis  l'élégante  saucière  de  l'amphitryon  parisien ,  jusqu'à 
la  vaste  turbotière  de  l'alderman  anglais ,  tous  les  articles 
culinaires  se  retrouvent  dans  ces  débris  des  cuisines  de 
Pompeï.  La  destination  spéciale  de  ces  vaisseauxest  évidente, 
et  leur  travail  laisse  bien  loin  en  arrière  les  efforts  du  luxe 
moderne;  les  passoires ,  les  tamis,  les  marmites,  les  chau- 
drons ,  les  poêles ,  sont  presque  tous  en  bronze  et  en  métal 
fin;  plusieurs  paraissent  avoir  été  argentés  en  dedans ,  et 
les  anses  avaient  des  formes  si  parfaites ,  que  chacune  d'elles 
pouvait  fournir,  à  des  hommes  de  goût,  la  matière  d'une 
dissertation;  à  la  cuisine,  succèdent  les  ustensiles  du  buffet, 
les  couteaux,  les  fourchettes,  les  cuillères,  etc.;  l'urne 
qui  contenait  l'eau ,  et  dans  laquelle  une  place  était  ménagée 
pour  la  chauffer ,  était  d'une  beauté  inexprimable ,  et  aurait 
pu  embellir  la  table  à  thé  la  pins  recherchée;  un  poêle, 
véritable  anticipation  des  découvertes  de  Rumfort,  com- 
bine la  grâce  de  la  forme  a\  ec  rc'conomia  ,  et  sa  construcUon 


est  infiniment  supérieure  au  brasier  italien  moderne;  il 
était  probablement  placé  comme  ce  dernier ,  au  milieu  de 
la  pièce  ;  la  sonnette  de  la  maison  est  non-seulement  d'un 
travail  exquis,  mais  le  son  en  est  clair  et  argentin;  les 
balances  sont  précieusement  travaillées,  et  les  poids  sont 
des  bustes  très -beaux;  plusieurs  plats  de  bronze,  argen- 
tés, parfaitement  modelés,  avec  des  anses  qui  s'adap- 
taient à  des  ustensiles  avec  lesquels  on  pouvait  les  tirer  à 
soi  ou  les  éloigner ,  prouvaient  l'heureuse  organisation  d'un 
peuple  qui ,  jusque  dans  les  détails  les  plus  minutieux  de  la 
vie ,  cherciiait  à  satisfaire  sa  vive  et  brillante  imagination. 
La  chambre  adjacente  offrait  des  objets   encore   plus 
somptueux  et  plus  ingénieux ,  tirés  des  plus  beaux  appar- 
temens  privé?  ou  des  temp/es.  Ceux  qui  se  distinguent , 
entre  les  autres ,  sont  des  lampes ,  dont  les  formes  et  les 
ornemens  varient  à  l'infini,  quelques-unes,  ainsi  que 
d'autres  jouets ,  devaient  appartenir  à  la  chambre  de  poupée 
d'une  jeune  Pompéienne;  la  plupart  étaient  suspendues 
par  des  chaînes  délicatement  travaillées;  d'autres  étaient 
posées  sur  leurs  bases  ou  accompagnées  de  branches  ;  plu- 
sieurs  étaient  placées  sur  de  beaux   trépieds ,   comme 
quand  elles  éclairaient  un  vestibule  ou  une  chambre  à  cou- 
cher ,  et  l'un  et  l'autre  étaient  si  délicats  et  si  petits ,  qu'une 
belle  dame  française  aurait  pu ,  après  avoir  cacheté  un  billet 
doux  à  la  flamme  de  la  lampe ,  mettre  la  lampe  et  le  trépied 
dans  son  ridicule;  le  plus  p  ^ud  nombre  des  trépieds  est 
fait  pour  tenir  très-peu  de     ace ,  la  plupart  sont  portatifs  ; 
les  vases  de  bronze  et  d'albâtre  sont  dans  une  quantité  pro- 
digieuse, et  rien,  dans  les  inventions  modernes,  ne  peut  les 
égaler ,  soit  pour  la  forme ,  soit  pour  les  ornemens  ;  des 
sièges  du  plus  beau  bronze  se  démontent  comme  des  chaises 
de  jardins  ;  les  tables  à  écrire  pouvaient  également  convenir 
à  un  Pline  ou  à  une  Aspasie. 

Viennent  ensuite  les  preuves  de  la  dissipation  et  de  la 
vanité  des  anciens  :  les  des,  les  billets  pour  les  théâtres  , 
dont  quelques-uns  sans  doute  avaient  appartenu  à  la  beauté 
à  la  mode ,  des  boites  de  toilette  dignes  du  trousseau  d'une 
fiancée  royale  de  notre  temps,  de  petits  miroita  portatifs  en 
métal  poli,  des  poinçons,  des  bracelets,  des  peignes  de 
toutes  les  dimensions  et  de  toutes  les  formes ,  les  uns  d'une 
matière  précieuse  travaillés  pour  les  tresses  des  beautés 
patriciennes,  d'autres,  en  corne  et  plus  grands ,  destinés  à 
relever  les  boucles  négligées  des  plébéiennes. 

Le  nombre  des  vases  appelés,  indistinctement  et  vulgaire- 
ment étrusques ,  est  immense  ;  plusieurs  en  terre  très-fine, 
qui  présentent  de  beaux  groupes  sur  leur  surface  polie, 
paraissent  avoir  été  la  porcelaine  de  l'antiquité ,  et  d'après 
les  coupes  faites  de  la  même  matière,  on  serait  tenté  d'a- 
dopter l'opinion  des  Cicérone  de  Pompeï ,  et  de  supposer 
que  les  dames  romaines  prenaient  le  café  dans  leurs  villas , 
sur  les  côtes  de  Portici  et  de  Pausilippe.  Une  élégante  petite 
couche  de  bronze  donne  une  idée  parfaite  du  lit  domestiqut 
des  anciens,  et  l'on  conçoit  qu'il  appartenait  à  leurs  petites 
chambres;  il  diffère  peu  de  ce  qu'on  appelle  canapé  grec 
dans  l'ameublement  moderne. 

Une  collection  de  vases  et  de  figures  égyptiennes  qui 
étaient  les  antiquités  des  anciens ,  donne  l'idée  du  cabinet 
de  leurs  antiquaires ,  et  termine  convenablement  la  collec- 
tion la  plus  intéressante  et  la  plus  curieuse  de  l'univers. 
J 


LE  PUTOIS. 

Le  putois ,  de  la  famille  des  martes ,  est  ainsi  que  la 
fouine  , ,  le  fléau  de  toutes  les  basses  -  cours.  C'est  un 
animal  mince,  cylindrique,  alongé,  bas  sur  jambes, dont 
le  cou  est  presque  aussi  gros  que  la  tête.  Il  est  doué  d'une 
incroyable  souplesse,  et  d'une  rapidité  plus  incroyable 
encore.  Son  pelage  dont  on  fait  des  fourrures ,  peu  estimée* 
à  cause  de  leur  mauvaise  odeur ,  est  blanc  ou  roussâtre  su» 
la  tête ,  le  dos ,  les  flancs ,  et  noir  sur  les  autres  parties. 

Il  s'introduit  iwr  les  ouvertures  les  plus  étroites,  mon- 
tant aux  arbres  à  l'aide  de  ses  ongles  acérés,  marchant  lur 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


rextréniilé  de  ses  doiglsj  c'est  plutôt  le  sang  que  la  cliair 
qu'il  recherche.  Quand  par  inlile  ruses  il  a  pénétré  dans  la 
demeure  de  ses  victimes. ,  il  est  rare  qu'il  en  échappe  une 

lin 


(Le  Putois.) 

seule;  il  les  égorge  toutes  impitoyaWement,  suce  iear  re-r- 
velle  et  leur  sang,  dévore  les  œais.  Jl  liesl  pas  moins  rer 
doutable  pour  les  lapins,  les  lièvres  et  les  oiseaux  (jai ,  tels 
que  la  grive  el  la  l)écasse,  font  leurs  nids  dans  les  broussail- 
les. Un  seul  suffit  pour  détruire  une  garenne,  el  soii  exis- 
tence est  prescpie  un  bienf,.,ê,rlans  les  endroits  on  les  la[»ins 
sont  trop  nombreux.  Dès  qi.  ».  .-jpen'oit  un  lièvre ,  il  fond  sur 
hu  avec  la  vitesse  qui  lui  e.si  i-,-.>pre,  s'attache  à  soii  cou, 
lui  perce  la  panse  de  ses  dents  algues,  et  malgré  sa  fuite,  ne 
l'abandonne  qu'après  s'être  repu  de  son  sang.  On  le  dii 
aussi  très  friand  de  miel  ;  il  chasse  les  abeilles  de  leurs  ruches 
et  s'empare  du  fruit  de  leurs  travaux. 

Son  existence  est  solitaire ,  et  pour  ses  expéditions  il  pré- 
fère la  nuit  au  jourj  il  est  commun  dans  toute  l'Europe, 
dans  l'Asie  et  l'A  mérique  septentrionale.  Il  établit  tantôt  son 
habitation  dans  les  greniers,  et  la  partie  la  plus  reculée  des 
granges ,  taytôt  sur  le  bord  de  l'eau ,  et  la  lisière  des  forêts  ; 
la  voix  du  putois  est  sourde  ,  il  ne  la  fait  entendre  que  dans 
le  combat,  et  c'est  alors  qu'il  répand  une  odeur  infecte  qui 
lui  a  valu  son  nom  de  putois.  Les  pièges  sont  assez  inutiles 
contre  ces  animaux.  Mais  en  revanche,  nous  avons  eu  oc- 
casion de  voir  plusieurs  fois  que  le  cadavre  d'un  des  leurs 
suspendu  en  holocauste ,  à  l'entrée  des  basses-cours ,  les 
en  éloignait  aussitôt  (I). 


LE  BOULEAU. 
On  compte  environ  vingt  espèces  de  Bouleaux ,  dont  près 
de  la  moitié  sont  originaires  de  l'Amérique  septentrionale  ; 

(i)  Noas  empruntons  à  un  voyageur  le  récit  suivant: 

—  Dans  un  voyage  que  je  fis  de  Louisville  à  Hunderson  dans 
leKentucky,  j'eus  le  plaisir  d'avoir  pour  compagnon  de  route 
M.  Tliownlcy,  ministre  anglais.  Un  jour  nous  rencontrâmes  un 
putois  connu  par  les  naturalistes ,  sous  le  nom  de  méphicés  ainé- 
ricana.  —  Ah!  le  superbe  écureuil  s'écria  M.  Thownley ,  et  il  se 
hâta  de  descendre  de  cheval ,  pour  s'en  emparer  ;  mais  à  peine 
fut-il  près  de  lui ,  que  le  prétendu  écureuil  lui  lacba  ce  liquide 
odorant ,  que  la  nature  lui  a  donné  pour  sa  défense.  Puis  il 
s'échappa  en   renouvelant  ses  émissions  de  distance  en  distance. 

L'odeur  dont  le  putois,  car  c'en  était  un,  avait  imprégné 
M.Thownley,  était  tellement  infecte ,  que  moi  et  mon  cheval  nous 
BC  pûmes  soutenir  son  approche ,  et  que  lui  même  eut  grand 
peine  à  dompter  sa  monture. 

Lorsque  nous  arrivâmes  à  l'auberge ,  ce  ne  fut  qu'un  cri  d'hor- 
fcur  et  nous  ne  trouvâmes  qn'un  pauvre  nègre  qui  voulut  bien  nous 
servir.  Plus  tard  je  rencontrai  mon  compagnon  à  Milan  ;  il  m'.issnra 
que  le  méphitisme  de  ses  vêieraens  n'avait  jamais  pu  disparaître, 
que  le  chaud  ou  le  froid  le  faisait  ressortir  d'une  manière  éponva^i- 
table,el  qne  ne  pouvant  plus  s'en  servir, il  en  avait  fait  cadeau  à 
pu  moine  Il.ilien. 


les  antres  croissent  en  Europe  ou  en  Asie.  Le  plus  remar- 
quable de  tous  est  le  Bouleau  blanc  que  l'on  trouve  dans 
toute  l'Europe  ;  son  tronc  est  couvert  d'une  écorce  qui 
s'enlève  par  feuillets  blancs  et  nacrés ,  ses  rameaux  sont 
grêles  et  pendans  à  la  manière  du  saule  pleureur ,  et  ses 
feuilles,  un  peu  visqueuses,  .sont  dentées  à  leur  pourtour. 
Cet  arbre  est  d'une  grande  utilité;  il  croît  dans  les 
terrains  les  plus  maigres ,  les  plus  sablonneux ,  et  là  oii  peu 
d'autres  arbres  pourraient  végéter  ;  son  bois  blanc ,  tendre, 
léger ,  sert  pour  le  chauffage  des  fours ,  et  de  ses  jeunes  ra- 
meaux on  fait  des  balais;  il  est  surtout  précieux  aux  lin- 
bitans  du  nord  de  l'Europe  et  de  l'Asie;  il  est  le  seul  en 
effet  qu'on  rencontre  dans  les  montagnes  et  les  plaines 
glacées  de  la  Laponie,  du  Groenland  et  du  Kamtschalka; 
son  écorce,  inaltérable  par  la  pluie,  .se  transforme  en  toi- 
tures, en  sandales  et  en  brodequins  ;  on  l'emploie  aussi , 
dans  les  bains  russes,  en  manière  d'épongé,  pour  frottei 
et  savonner  le  corps  des  baigneurs;  l'écorce  intérieine  qui, 
pendant  le  mouvement  de  la  sève,  est  à  la  fois  lenthe 
et  sticrée,  .sert  de  nourriture  aux  Kamstchadales,  et  cette 
sève ,  que  l'on  rel ire  par  des  trous  pratiqués  dans  la  lige 
de  l'arbre,  donne  tme  liqueur  fermentée  que  les  Rus.ses, 
les  Suédois  et  les  autres  peuples  du  nord  ,  consomment  en 
alx>ndance.  Le  Bouleau  noir  de  l'Amérique  septentrionale 
a  une  écorce  mince ,  légère  el  résistante ,  dont  les  sauvages 
font  des  pirogues  qu'ils  peuvent  transporter  sur  leurs 
éiiaules. 


(  Le  Bouleau.  ] 


LES  PRECIEUSES  RIDICULES. 

Lorsque  Molière  fit  jouer  sa  comédie  des  Précieuses  Jii- 
(licules  (en  46o9) ,  l'épidémie  du  bel  esprit  avait  infesté  la 
France;  toutes  les  femmes  du  monde  voulaient  juger  la  prose 
et  les  vers,  donner  le  ton  aux  auteurs,  et  faire  les  répu- 
tations; on  cojifondait  et  la  langue  parlée,  etla  'angue  écrite, 
et  le  langage  des  poètes ,  et  le  discours  familier.  La  con- 
versation perdit  bientôt  son  ton  natm-el ,  et  c'est  à  grand 
peine  si  les  gens  simples  et  vrais  pouvaient  comprendre  les 
esprits  à  la  mode  ;  de  là  ce  déluge  de  romans  sans  fin ,  de 
portraits  de  fantaisie ,  et  d'autres  frivolités  dont  la  France 
fut  inondée  à  celte  époque  ;  les  précieuses  s'envoyaient  visiter 
par  un  rondeau  ou  une  énigme ,  et  c'est  par  là  que  commen- 
çaient toutes  les  conversations. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


L'amour,  dans  tout  ce  qu'il  a  d'exagéré ,  de  maniéré ,  fut 
le  Uiême  favori  de  tous  ces  faiseurs  d'œuvres  nuisquées  ; 
et  des  ouvrages,  tels  que  le  Hunuume  de  Jeudi e,  qui  se- 
raient aujourd'hui  universellement  conspués 
alors  le  plus  grand  succès. 


obtiiu'ciit 


(Les  Précieuses  Ridicules.) 

On  appelait  alors  le  l)onnet  de  nuit,  le  Complice  inno- 
cent du  mensonge;  le  chapelet,  une  Chaîne  sphilueUe: 
l'eau,  le  miroir  céleste;  les  iiloux,  les  Braves  incommodes  ; 
un  sourire  dédaigneux  était  un  Bouillon  d'orqueil;  et 
l'action  de  tuer  plusieurs  personnes ,  un  Me^irtre  épais. 

On  aurait  tort  de  croire  cependant  que  toutes  les  pré- 
cieuses fussent  aussi  ridicules  que  celles  que  Molière  a  mises 
en  scène.  Le  beau  parler  ,  les  grâces  de  l'esprit,  la  politesse 
des  manières ,  furent  toujours  admirées  dans  les  femmes 
qui  méritaient  de  donner  le  ton.  Mesdames  de  Lafayette, 
de  Sévigné,  Deshoulières ,  de  Longiieville ,  de  L'Enclos , 
'•-^  étaient  des  précieuses  de  bon  ton  ,  et  comme  disaient  alors 
les  gens  de  goût ,  de  vraies  précieuses.  La  crili(iue  de  Mo- 
lière ne  tombait  que  sur  les  femmes  que  leur  affectation  ou- 
trée et  leur  pédantisme  rendaient  insupportables,  sur  ces 
petites  protectrices  d'ouvrages  nouveaux ,  qui  croyaient  du 
i)on  ton  de  parler  un  langage  énigmatique ,  langage  inconnu 
au  vulgaire ,  et  pensaient  pouvoir  donner  des  lois  à  ce  que 
notre  littérature  comptait  de  plus  habiles  écrivains. 

Le  succès  des  Précieuses  ridicules  fut  immense  ;  il  y  eût, 
dès  le  début ,  une  telle  aflluence  de  monde ,  que  les  co- 
médiens augmentèrent  de  moitié  le  prix  des  places ,  on  ne 
payait  alors  que  dix  sols  au  parterre.  Un  vieillard  s'écria  au 
milieu  d'une  scène  :  Bravo  Molière ,  voila  la  bonne  comédie  '. 
L'ouvrage  eût  autant  de  succès  au  théâtre  de  la  cour  qu'à 
celui  de  Paris ,  et  Molière  qui,  jusqu'alors  avait  travaillé 
sur  les  modèles  de  Plante  et  de  Téreuce ,  chercha  les  sujets 
de  ses  drames  dans  l'observation  du  monde.  La  comédie 
des  Précieuses  Ridicules  est  la  première  pièce  en  un  acte 
et  en  prose  qu'ait  donnée  cet  auteur. 


i 


PAUVRES  EN  ANGLETERRE. 

En  Angleterre,  la  misère  apparaît  sous  an  autre  acpect, 

mais  avec  des  accessoires  qui  la  rendent  plus  accablante 

pour  ceux  qui  la  souffrent ,  plus  affligeante  pour  ceux  qui 

l'observent ,  que  dans  toute  autre  partie  de  l'Europe.  Soumis 


recevoir.  Dans  beaucoup  de  paroisses ,  ils  sont  l'objet  d'une 
étrange  spéculation.  Au  moyen  d'une  somme  beaucoup 
plus  forte  que  celle  qui  suflirait  à  une  charité  intelligente, 
un  entrepreneur  se  charge,  sinon  de  pourvoir  aux  besoins, 
au  moins  d'arrêter  les  plaintes  des  Indigens.  Peu  importe 
qu'ils  soient  soulagés,  pourvu  qu'ils  se  taisent!  C'est  le 
parti  qu'ils  sont  obligés  de  prendre ,  sous  peine  de  trouver 
dans  le  spéculateur,  entre  les  mains  du(iuel  l'amélioration 
de  leur  sort  est  tombée  au  rabais  ;  un  redoublement  de  ~ 
rigueur  et  de  dureté  ,  que  ne  compenserait  pas  l'interven- 
tion du  magistrat  auquel  leurs  réclamations  s'adresseraient. 
Dans  les  lieux  où  les  secours  s'administrent  sans  l'intermé- 
diaire d'un  entrepreneur,  ils  sont  réduits  en  qualité  et  en 
efficacité  par  les  prélévemens  que  les  distributeurs  n'ont 
pas  honte  de  se  réserver  en  forme  d'émolumens;  et  par  le 
vice  de  leur  répartition;  la  paresse  y  trouve  sa  part  comme 
l'activité,  le  simple  malaise  comme  la  pauvreté.  On  compte 
les  individus  dont  se  compose  la  famille ,  et  on  jelte  de  l'ar- 
gent, sans  s'inquiéter  si  parmi  eux  il  n'en  est  pas  qui  peu- 
vent pourvoir  à  leur  subsistance  et  à  celle  de  leurs  parens. 
Ce  n'est  pas  une  honte  pour  un  artisan  de  faire  inscrire  !<• 
nom  de  son  père  infirme  sur  la  liste  des  habilans  secourus 
par  la  paroisse ,  lorsqu'il  pourrait  le  nourrir.  Aussi  ces  listes 
sont-elles  dans  une  proportion  presque  double  de  celles  (pii 
existent  ailleurs. 

En  France ,  une  cotisation  de  \  franc  50  centmies  par 
individu,  non  paiticipanlaux  secours,  suffirait  au  soulage- 
ment des  indigens.  En  Angleterre,  cette  cotisation  devrait 
s'élever  à  plus  de  douze  franchi.  Et  cependant  le  sort  des 
pauvres  dans  le  pays  où  l'on  donne  le  moins ,  n'est  pas  aussi 
mafiieureux  que  celui  de  la  même  classe  dans  le  pays  où  l'on 
donne  le  plus.  La  misère  même  s'y  révèle  d'une  manière 
moins  pénible ,  parce  qu'elle  a  une  livrée  qui  lui  est  propre , 
et  qu'en  général  cette  livrée  soignée ,  entretenue  avec  intel- 
ligence par  les  personnes  qui  la  distribuent,  ne  présente 
rien  de  rebutant.  En  Angleterre,  au  contraire,  la  misère 
court  les  rues  et  les  chenùi  s  en  haillons  de  soie.  Les  déchi- 
rures d'un  schall  des  Indes  laissent  appercevoir  la  dégoû- 
tante nudité  qu'il  était  destiné  à  couvrir  j  et  l'hermine  qui 
ornait  une  pelisse  élégante,  est  traînée  dans  la  boue  des 
trottoirs  par  une  malheureuse  créature  sans  bas,  sans  sou- 
liers, soutenant  d'un  bras  décharné  un  enfant  suspendu  à 
un  sein  flétri ,  et  de  l'autre  présentant  un  paciuet  d'allumet- 
tes qu'elle  est  censée  offrir  en  échange  d'une  aumône  : 
moyen  employé  pour  éluder  la  lettre  des  lois  qui  interdisent 
la  mendicité,  en  se  plaçant  sous  la  protection  de  celles  qui 
favorisent  le  commerce.  Ce  contraste  entre  les  habits  qui  ont 
appartenu  à  l'opulence ,  et  la  jjrofcssion  qui  indi([ue  le  der- 
nier degré  de  l'abaisseinent  et  du  malheur  ,  fait  naître  d'af- 
fiigeantes  pensées. 

J.a  misère  est  rendue  plus  accablante  encore  par  les  pri- 
vations qu'entraîne  le  prix  excessif  de  certains  objets  qui , 
dans  d'autres  pays  se  rapprochent  davantage  des  facultés 
les  plus  restreintes.  Le  pauvre  est  dans  l'impossibilité  de  se 
procurer  de  la  viande ,  de  la  bierre ,  du  charbon  ;  heureux 
si  le  salaire  qu'il  obtient  par  son  travail ,  si  les  secours  des- 
tinés à  suppléer  à  l'insuflisancede  ce  salaire,  lui  donnent  les 
moyens  d'acheter  du  pain  pour  lui,  et  des  pommes  de 
terre  pour  sa  famille!  Pour  les  commodités  de  logemens , 
pour  ce  que  l'on  pourrait  appeler  le  confortable  de  la  misère^ 
on  ne  le  trouve  nulle  part,  pas  plus  dans  la  cabane  de  l'ou- 
vrier de  campagne ,  que  dans  les  caves  et  les  greniers  des 
villes,  où  des  familles  qui  n'ont  aucun  rapport  entre  elles, 
viennent,  pour  une  nuit,  jnettre  en  commun  leur  dénue- 
ment, leurs  larmes ,  et  plus  probablement  leur  haine,  leurs 
imprécations ,  et  leurs  menaces  contre  les  classes  plus  heu- 
reuses. 

Quelquefois  l'excès  de  la  misère  porte  une  famille  à  aller 
chercher  dans  une  autre  paroisse ,  des  moyens  d'industrie 
ou  d'existence  que  lui  refuse  celle  où  elle  souffre.  Elle  en 


à  un  ordre  méthodique ,  les  secours  sont  plus  lents  à  passer,  1  est  repoussée  ;  il  lui  est  défendu  de  s'y  établir ,  ne  fut-ce  que 
de  la  main  qui  les  distribue,  dans  celle  qui  s'ouvre  pour  les  1  pour  un  jour.  On  ne  lui  accorde  pas  même  le  temps  néces- 


!StAÔÀSI^  Tf^tVERSfeL 


saires  pour  un  indispensable  repos.  Il  faut  qu'elle  aille  | 
reprendre  ses  privations  auxquelles  elle  a  voulu  se  sous- 
traire. Il  faut  qu'elle  revienne  là  où  elle  a  enduré  tant  de 
maux,  subir  le  reste  de  celte  condamnation,  qu'en  créant  ses 
membres,  et  les  réunissant,  la  Providence  semble  avoir 
choisi  contre  elle.  Ainsi  l'Angleterre  libre  et  riche  du 
XIX' siècle ,  a ,  comme,  l'Angleterre  féodale  et  pauvre  du 
moyen-âge,  son  esclavage,  sa  glèbe  et  ses  serfs.  Elle  les 
fixe  sur  le  sol ,  lein"  laissant  à  peine  la  perspective  incer- 
taine d'un  tardif  affranchissement. 

I.a  taxe  payée  en  Angleterre  pour  les  pauvres  excède 
la  somme  énorme  de  deux  cents  millions  de  France.  Connue 
elle  ne  frappe  que  sur  les  propriétaires  fonciers,  elle  de- 
vient ponr  cette  classe  d'hommes  une  charge  accablante  ;  et 
cependant  on  ne  cherche  pas  à  l'alléger,  en  donnant  à  son 
produit  une  meilleure  direction  et  un  emploi  plus  écono- 
mi(jue  et  plus  rationel. 

Les  secours  distribués  aux  pauvres ,  ne  compriment  cepen- 
dant pas  la  meiidicité  d'une  manière  absolue.  Elle  se  fait 
moins  remarquer  que  dans  les  autres  pays  de  l'Europe; 
mais  elle  existe  partout  et  pour  tous  les  âges.  Sur  les  gran- 
des routes ,  dans  les  campagnes ,  comme  dans  les  rues  de 
Londres ,  on  rencontre  des  gens  souvent  très  vaiides  qui 
cherchent  à  exciter  la  pitié  par  le  spectacle  do  leur  misère 
ou  de  leurs  infirmités ,  ou  par  leur  chant  monotone  et 
criard ,  ou  par  le  soin  de  balayer  les  intervalles  qui  séparent 
les  trottoirs  ;  et  qui  tous  exploitent  i'importunité  comme 
le  genre  d'industrie  le  plus  facile  et  celui  qui  leur  rapporte 
le  plus. 

Les  pauvres  des  campagnes  trouvent ,  dans  les  travaux 
des  routes,  l'emploi  le  plus  ordinaire  de  leurs  bras.  Leur 
position  serait  rendue  moins  pénible ,  si  l'on  consentait  à 
leur  délivrer ,  pour  être  cultivées ,  quelques  unes  de  ces 
nombreuses  portions  de  terre  incultes  que  possèdent  les 
paroisses ,  et  qui  dans  leur  état  actuel  sont  sans  valeur  et 
sans  utilité. 

Ce  qtii  ne  saurait  être  contesté ,  c'est  qu'en  Angleterre 
une  somme  très  considérable  affectée  au  soulagement  des 
pauvres,  et  à  l'extinction  de  la  mendicité ,  ne  produit  pas 
l'effi't  que  l'on  .s'en  était  promis  ;  tandis  qu'en  France  avec 
nue  moindre  dépense ,  et  im  mode  de  secours  moins  métho- 
di(iue,  on  fait  plus  et  mieux. 


ru  THEATRE  CHINOIS. 

Le  drame  chinois  ne  se  borne  pas  à  une  seule  action , 
il  embrasse  la  vie  entière  du  hér.>s  depuis  le  berceau  jus- 
qu'.i  sa  mort  C'est  une  sorte  de  biographie  dialoguée,  divi- 
.sée  en  plus  ou  moins  de  parties.  Chaque  partie  est  précédée 
d'un  prologue,  et  tout  acteur  a  soin ,  la  première  fois  (pi'il 
se  présente  au  public,  de  décliner  le  nom  qu'il  porte  dans 
la  pièce,  et  le  caractère  qu'il  doit  représenter.  Un  acteur 
remplit  souvent  plusieurs  rôles  dans  la  même  pièce,  chose 
peu  faite  pour  entretenir  l'ilhision.  Dans  les  mouvemens 
passionnés,  l'acteur  cesse  de  déclamer,  et  exprime  ses  senli- 
mens  par  le  chant.  Un  orchestre  fort  bruyant  accompagne 
ces  morceaux  lyriques  qui  sont  écrits  en  vers  ,  et  la  tragé- 
die chinoise  acquiert  par  là  quelque  ressemblance  avec 
notre  opéra. 

Il  n'y  a  de  théâtres  réguliers  que  dans  la  capitale  et  dans 
quelques  villes  considérables  de  l'empire.  Les  comédiens 
voyagent  de  contrée  en  contrée  et  gagnent  leur  vie  à  jouer 
aux  fêtes  et  aux  banquets.  Quand  la  société  est  prête  à 
se  mettre  à  table ,  tiois  ou  quatre  comédiens  richement 
vêtus  entrent  dans  la  salle.  Après  quatre  saints  des  plus 
humbles",  l'imd'entr'eux  remet  au  plus  distingué  des  cou- 
-vives,  Un  livre  où  sont  écrits  en  lettres  d'or,  les  titres  de 
cinquante  ou  soixante  pièces  (jui  forment  le  répertoire  de 
la  troupe.  Ce  livre  fait  le  tour  de  la  société ,  et  le  chef  du 
banquet  dtisigne  enfin  Ui  pièce  (|(ti  a  été  choisie. 
{    La  représentation  a  lieu  dans  la  salle  même  du  repas.  Les 


acteurs  occupent  l'espace  compris  entre  les  tables  ordinaire- 
ment disposées  sur  deux  rangs. 

Aux  grandes  fêtes  et  aux  processions  publiques  on  élève 
des  théâtres  dans  les  rues ,  et  l'on  donne  alors  des  repré- 
sentations scéniques  du  matin  au  soir. 

Un  auteur  chinois  qui  jouit  d'une  certaine  réputation 
n'écrit  point  pour  le  théâtre.  L'empereur  Jnuschden  défen- 
dit sévèrement  aux  mandarins  de  fréquenter  le  spectacle. 
Celte  défense  a  été  renouvelée  récemment,  et  l'ofiicier 
manschou  qui  veut  aller  au  théâtre  doit  auparavant  ôter  de 
son  bonnet  les  petits  grelots  en  couleur  qui  sont  la  marque 
distinctive  de  son  rang  : 

Les  journaux  chinois  recueillent  avec  empressement , 
tous  les  traits  qui  peuvent  honorer  les  mœurs,  le  caractère 
de  la  nation,  mais  un  journaliste  s'exposerait  à  des  peines 
sévères  s'il  osait  donner  la  description  d'une  représentation 
dramatique,  ou  faire  la  moindre  allusion  à  l'accueil  d'une 
pièce  nouvelle. 


CAGLIOSTRO. 
Le  comte  Alexandre  Cagliostro ,  célèbre  thaumaturge , 
dont  le  véritable  nom  était  Joseph  Balsamo ,  naquit  à  Paler- 
me,  le8juin<743,  de  parens  qui  vivaient  dans  l'indigence. 
Voué  de  très  bonne  heure  à  l'élat  ecclésiastique ,  il  fut  placé 
au  séminaire  de  Saint- Roch  ,  à  Palerme,  d'où  il  s'évada. 
Cagliostro  se  sentait  appelé  à  une  autre  carrière  et  à  une 
autre  destinée.  Il  avait  alors  treize  ans.  Ses  tuteui-s ,  car  il 
n'avait  plus  de  père ,  le  confièrent  aux  soins  du  directeur 
des  frères  de  la  Miséricorde ,  qui  l'emmenèrent ,  non  sans 
difficulté ,  à  leur  monastère  de  Gartagirone.  Là ,  il  fut  mis 
sous  la  conduite  d'nn  apothicaire  qui  lui  enseigna  le  peu 
qu'il  savait  lui-même  de  physique  et  de  chimie ,  et  c'est 
probablement  à  celle  circonstance  de  sa  vie  que  Cagliostro 
fut  redevable  de  son  goîit  pour  l'élude  des  sciences  natu- 
relles ,  et  de  la  connaissance  d'une  partie  des  moyens  oc- 
cultes avec  lesquels  il  fascina  les  yeux  de  ses  contemporains. 
La  première  jeunesse  de  cet  homme  singulier  fut  extrême- 
ment orageuse.  L'ardeur  de  son  caractère  le  portail  aisémen 
à  tous  les  écarts  et  à  tous  les  excès  ;  et,  avant  de  devenir  un 
aventurier  illustre,  il  ne  fut  qu'un  vagabond  vulgaire. 
Chassé  pour  se?  déporlemens  du  monastère  de  Cartagirone, 
1  retourna  à  Palerme  où,  pendant  quelque  temps,  il  cul- 
tiva le  dessin.  Sa  turbulence  et  ses  démêlés  avec  les  ma- 
gistrats du  pays  auxquels  il  ne  craignait  pas  de  s'attaquer , 
enfin  des  vols  dont  il  se  rendit  coupable,  le  signalèrent 
conuiie  un  mauvais  sujet  achevé.  Mais  en  même  temps 
d'autres  aventures  révélaient  en  lui  un  extraordinaire  talent 
pour  l'intrigue,  et  l'art  précoce  de  faire  servir  les  passioiis 
et  les  faiblesses  des  hommes  à  ses  desseins.  Escroc,  faus- 
saire et  débauché,  plein  d'esprit ,  telle  est  la  renommée  qu'il 
s'était  faite  avant  d'avoir  atleintses  vingt-cinq  ans.  Contraint 
de  chercher  un  nouveau  théâtre,  après  avoir  trompé,  par  ses 
fripponneries,  son  pays  natal,  ce  fut  encore  par  une  frip- 
ponnerie  qu'il  se  procura  le  moyen  de  voyager.  Il  persuada 
à  un  orfèvre  nommé  Morano,  que  ses  relations  avec  les 
puissances  invisibles  lui  avaient  fait  connaître  l'existence 
d'un  trésor  considérable ,  dont  il  abandonnerait  la  moitié  à 
Morano  si  celui-ci  voulait  faire  les  avances  nécessaires  pour 
l'accomplissement  de  certaines  cérémonies  :  l'orfèvre  livra 
son  argent ,  et  Cagliostro  disparut.  C'est  à  cette  époque  de 
sa  vie  que  commencèrent  les  mystérieux  pèlerinages  de 
Cagliostro.  Accon^pagné  d'un  savant,  autre  personnage 
d'origine  inconnue ,  nonuné  Alhotas  ,  il  visita  la  Grèce ,  les 
pyramides  d'Egypte  et  une  partie  de  l'Asie  connue ,  pom* 
attacher  à  son  nom  le  prestige  des  choses  orientales  et  loin- 
taines. Mais  ce  nom  était  lui-même  un  problême ,  et  Joseph 
Balsamo  en  avait  changé  dix  fois  dans  le  cours  de  ses 
voyages,  lorsqu'à  son  retour  de  la  Turquie,  on  il  avait 
pendant  assez  long-temps  joué  le  rôle  de  médecin ,  il  se 
présenta  au  grand  maître  de  l'ordre  de  Malle  sous  le  nom 
et  le  titre  de  comte  de  Cagliostro.  De  Malte ,  le iuAdi  jon- 


MAGASIN  UlNIVEllSKL. 


glour  se  rendit  en  Italie,  iiuini  des  leconimamhilioiis  du 
graiul-niaîlie.  Il  rencontra  à  Venise  une  femme  que  le 
calcul,  plus  encore  que  l'amour,  lui  fit  attacher  ù  son  sort. 
C'était  la  belle  Lorenza  Féliciana,  qui  avait  sur  le  visage 
tous  les  charmes ,  et  dans  le  sang  tout  le  feu  des  personnes 
de  son  pays.  La  vivacité  d'esprit ,  l'adresse  et  la  grâce  des 
manières  de  Lorenza  devaient  puissamment  seconder  les 
plans  de  son  mari,  qui  n'avait  spéculé  en  Orient  que  sur 
la  grossière  ignorance  des  hommes ,  mais  qui ,  en  venant 
exercer  ses  talens  en  Europe ,  devait  spéculer  tout  à  la  fois 
sur  leur  crédulité  et  sur  leur  corruption.  Après  avoir  par- 
couru la  Russie,  la  Pologne  et  l'Allemagne,  après  avoir 
visité ,  dans  le  Holstein ,  ce  comte  de  Saint-Germain  si  fa- 
meux par  les  merveilleuses  histoires  débitées  sur  son 
compte ,  Cagliostro  et  sa  fenune  se  trouvaient  à  Strasbourg 
en  nSO.  Il  avait  eu  l'art  de  se  faire  précéder  dans  cette  ville 
par  le  bruit  de  ses  aventures ,  de  sa  grande  opulence  pré- 
tendue et  d«  ses  miracles.  Deux  ou  trois  cures  qu'il  en- 
treprit, et  dont  il  se  tira  avec  bonheur,  portèrent  à  son 
comble  l'enthousiasme  du  public  en  sa  faveur.  Il  est  incon- 
cevable jusqu'à  quel  point  ce  moderne  Apollonius  trouva 
de  partisans.  On  croyait  voir  se  réaliser  sous  sa  main  les 
prodiges  que  l'amour  du  merveilleux  attribua  dans  tous  les 
temps  à  des  êtres  privilégiés  de  Dieu  ou  en  communication 
avec  les  esprits.  Quand  Lorenza ,  secondant  les  artifices  de 
son  époux,  pariait  de  son  fils,  le  capitaine,  depuis  long- 
temps au  service  de  Hollande ,  la  fraîcheur  et  la  beauté  de 
la  première  jeunesse  qui  démentaient  en  elle  cette  vieille 
maternité ,  servaient  seulement  à  confirmer  l'idée  où  l'on 
était  que  ce  couple  extraordinaire  possédait  d'étonnans 
secrets.  Les  femmes  n'hésitaient  déjà  plus  à  croire  que 
l'heureuse  compagne  de  Cagliostro  portait  la  fontaine  de 
Jouvence  dans  sa  poche.  Mais  la  justice  veut  que  l'on  re- 
marque qu'à  travers  cette  suite  incroyable  d'intrigues  de 
déceptions  réprouvées  par  la  morale  et  de  fantasmagorie,', 
ridicules  ,  Cagliostro  et  sa  femme  se  signalerez.!  par  des 
actes  de  bienfaisance  et  de  générosité  qui  auraient  honoré 
les  i»lus  nobles  caractères.  On  le  vit  parcourir  les  hôpitaux, 
I)anser  lui-même  les  pauvres  et  leur  fournir  des  médicamens. 
Cette  conduite  lui  valut  de  puissans  prolecteurs,  et  à  la  suite 
d'une  affan-e  tacheuse  qui  lui  fut  suscitée  dans  la  ville  de 
Strasbourg  ,  le  ministère  français  crut  devoir  employer  sa 
haute  entremise  en  faveur  du  noble  étranger.  Cagliostro 
se  rendit  ensuite  à  Paris  ,  où  il  s'était  fait  annoncer  comme 
le  fondateur  de  la  franc-maçonnerie  égyptienne;  mais  ce 
qui  le  mit  surtout  à  la  mode,  ce  fut  la  fantasmagorie  dont 
les  procédés  et  les  effets  étaient  encore  inconnus.  Il  y  eut , 
et  en  grand  nombre,  des  gens  assex  crédules  pour  se  per- 
suader qu'il  avait  en  effet  le  pouvoir  d'évoquer  les  esprits  et 
de  faire  parier  les  ombres.  Cependant  telle  était  la  com- 
position de  ces  m>cturnes  assemblées  consacrées  aux  évoca- 
tions, que  l'on  était  fondé  à  croire  que  les  vivans  y  jouaient 
un  rôle  bien  plus  actif  que  les  morts.  En  1783 ,  époque  de 
son  second  voyage  à  Paris,  Cagliostro  s'y  trouvait  en  re- 
lation avec  les  personnages  les  plus  considérables  de  l'époque. 
Lié  avec  le  cardinal  de  llohan ,  il  se  vit  impliqué  dans  la 
fameuse  affaire  du  collier ,  et  bien  (pie  gravement  com- 
promis par  les  aveux  de  la  comtesse  de  La  Motte ,  ayant  re- 
fiisé  de  prendre  la  fuite  ,  il  fut  embastillé  en  1785.  Il  se  jus- 
tifia par  un  mémoire  d'avoir  participé  au  vol  du  collier , 
nomma  les  ban({uiers  de  diverses  places  de  l'Europe  des 
mains  desqucs  il  avait,  à  différentes  époques,  retiré  des 
sommes  considérables,  toutefois  sans  s'expliquer  sur  la 
source  première  de  ces  ricliesses.  Cagliostro  sortit  de  la 
Bastille  ,  mais  il  fut  exilé  ;  alors  il  passa  en  Angleterre  , 
d'où  sa  mauvaise  étoile  le  ramena  à  Home  au  bout  de  deux 
ans.  Parles  ordres  du  pape,  rîiilbrtiné  prestidigitateur  fut 
arrêté  et  enfermé  dans  le  château  Saiut-Ange ,  condamné  à 
mort  connue  franc-maçon;  puis,  en  vertu  d'une  commu- 
tation de  peine ,  transféré  dans  le  château  Saint-Léon  pour 
y  subir  une  prison  perpétuelle,  il  ne  revit  plus  la  lumière  du 
soleil.  Coupable  d'une  plus  excusable  et  plus  naturelle  magie, 


s:i  femme  ne  fut  pas  épargiice ,  elle  finit  ses  joiu-s  dans  un 
couvent.  On  peut  sans  doute ,  en  toute  sûreté  de  conscience, 
aflirmer  que  Cagliostro  fut  un  imposteur;  mais  recueillit-on 
dix  fois  plus  de  détails  sur  son  compte  que  nous  n'avons  pu 
en  présenter ,  il  resterait  toujours  sur  son  caractère  l'em- 
preinte de  la  plus  extraordinaire  singularité,  et  sur  plu- 
sieurs circonstances  de  sa  vie  le  voile  du  plus  profond 
mystère. 


Quelques  traits  sur  le  sort  des  habitansdes  grandes  villes. 

On  se  ferait  difficilement  de  loin  une  idée  exacte  de  ' 
l'ignorance  et  de  l'indifférence  où  les  habitans  des  grandes 
villes  sont  pour  leurs  monumeiis.  La  vie  entière  se  passe 
pour  le  plus  grand  nombre  d'entr'enx  sans  les  connaître. 
Ils  se  disent  qu'ils  auront  toujours  le  temps  de  les  voir ,  el 
ils  se  contentent  ainsi  de  l'espérance.  Une  cause  toujours 
existante  explique  celte  ignorance  volontaire ,  c'est  la  dis- 
tance qui  les  sépare  de  leurs  monumens.  Cet  espace  à  fran- 
chir est  une  trop  grande  épreuve  pour  pouvoir  la  tenter. 

Cette  cause  a  une  influence  funeste  sur  les  relations  de 
société  et  d'amitié.  Le  degré  de  leur  intimité  est  presque 
toujours  en  raison  inverse  de  la  distance.  Ces  distances  dans 
Paris  sont  devenues  hors  de  proportion  avec  les  facultés  de 
l'homme  et  avec  la  mesure  journalière  de  temps  que  dé- 
part le  soleil.  Aussi  tout  est  là  une  affaire,  parce  que,  pour 
les  choses  les  plus  simples ,  il  faut  aller  sur  tous  les  points  de 
l'horizon  pendant  des  heures  entières,  et  souvent  en  vain. 
Aussi  résulte-t-il  de  cette  disposition  des  lieux  que  pour  les 
relations  la  dislance  c'est  l'oubli. 

Les  Parisiens  ne  connaissent  pas  môme  les  tableaux  de  la 
nature.  Enfermés  sans  cesse  dans  ces  longs  rangs  de  murs 
(lui  forment  les  rues,  ils  ignorent  le  spectacle  majestueux 
du  lever  et  du  coucher  du  soleil ,  les  mouvemens  variés 
d'une  atmosphère  nuageuse.  Les  aimables  sentimens ,  les 
hautes  pensées  qui  naissent  dans  les  belles  campagnes,  sur 
le  [)eiichant  des  coteaux  ombragés  de  chênes  séculaires , 
ou  sur  les  sommets  éthérés  des  montagnes,  manquent  à  ces 
hommes  prisonniers  dans  un  dédale  de  rues  boueuses  et 
enfumées. 

Ces  traits  peuvent  s'appliquer  à  la  peinture  de  la  popula- 
tion de  presque  toutes  les  capitales.  Partout  dans  ces  im- 
menses agglomérations,  les  hommes,  comme  effrayés  de  la 
multitude  qui  les  environne  ou  irrités  des  obstacles  multi- 
pliés qu'ils  éprouvent  dans  leur  carrière,  se  replient  sur  eux- 
mêmes  comme  le  limaçon  dans  sa  coquille  et  vivent  d'é- 
goïsme.  Alors,  ils  placent  leur  bonheur  dans  les  plaisirs 
factices ,  vIa  ent  isolés  de  la  nature,  ignorent  les  jouissances 
paisibles  de  l'àme  et  la  volupté  profonde  de  la  méditation. 
Un  vaste  tourbillon  les  entraîne  dès  l'enfance  et  leur  vie 
tout  entière  se  dissiite  et  s'achève,  sans  qu'ils  aient  eu  un 
instant  le  senthnent  intime  de  leur  existence 


CALAIS. 

Le  joli  port  de  Calais,  aujourd'hui  si  fréquenté  parles 
étrangers  et  peuplé  d'environ  neuf  mille  âmes ,  n'était  qu'un 
village  au  xiii'=  siècle.  Philippe  de  France,  comte  de  Bou- 
logim ,  frappé  de  l'état  de  dénuement  et  d'impuissance  de 
celle  place ,  importante  d'ailleurs  par  sa  position,  et  voulant 
la  mettre  à  l'abri  d'un  coup  de  main  de  la  part  des  Anglais 
avec  lesquels  on  était  alors  continuellement  en  guerre ,  la 
fit  entourer  de  fortifications  considérables.  Ces  moyens  de 
défense ,  ne  l'empêchèrent  pourtant  pas  d'être  prise  en  1547; 
mais  ce  fut  par  la  famine  plulôt  que  par  la  force  des  armes , 
que  le  roi  d'Angleterre,  Edouard  III  parvint  à  s'en  rendre 
maître.  Il  eut  à  lutter,  pendant  un  siège  de  treize  mois, 
contre  l'habileté  et  le  courage  héroïque  de  Jean  de  Vienne, 
annial  de  France,  qui  se  couvrit  de  gloire  darjs  cette 
guerre  contre  les  Anglais. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Le  célèbre  chroniqueur  Froissard,  rapporte  que  Calais 
n'échappa  au  co(utoux  du  vainqueur  ,  irrité  par  une  résis- 
tance aussi  opiniâtre ,  que  par  le  dévouement  patriotique  de 
six  de  ses  habitans  les  plus  notables.  Voici  conuiient,  sur 
son  témoignage ,  ce  fait  est  rapporté  par  la  plupart  des  his- 
toriens. Le  roi  d'Angleterre  voulait  que  les  Caiaisiens ,  qui 
demandaient  à  capituler ,  se  rendissent  à  discrétion  ;  mais 
vaincu  par  les  sollicitations  de  ses  chevaliers ,  il  promit 
d'épargner  la  ville ,  pourvu  que  six  bourgeois  vinssent ,  la 
corde  au  cou  ,  et  les  pieds  nus ,  lui  apporter  les  clefs  de  la 
place,  et  payer  de  leur  sang  le  salut  de  leur  patrie.  Eusta- 
chede  Saint-Pierre  se  dévoua  le  premier;  cinq  autres  géné- 
reux citoyens  imitèrent  son  exemple ,  et  ils  se  rendirent 
tous  ensemble  au  camp  d'Edouard.  Déjà  leur  supplice  s'ap- 
|jrèta't,  lorsque  la  reine  d'Angleterre  se  jeta  aux  pieds  de 
son  époux  et  parvint  à  force  de  larmes  et  de  prières  à  fléchir 
sa  colère  et  à  obtenir  leur  grâce. 

Plusieurs  écrivains  modernes,  entr'autres  Voltaire  et 


Hume  ont  élevé  ([uelques  doutes  sur  le  dévouement  d'Eus- 
tache  de  saint  Pierre  ;  et  dans  ces  derniers  temps,  les 
recherches  laborieuses  de  Bréquigny ,  paraissent  donner  un 
démenti  formel  au  récit  de  Froissard.  Eustache  ua  nous  est 
plus  représenté  aujourd'hui  que  comme  unhonune  au  moins 
pusillanime,  qui  s'opposa  de  toute  son  influence  à  une  dernière 
tentative  pour  défendre  la  ville.  Il  se  présenta  en  effet  devant 
Edouard  ;  mais  on  ne  peut  se  refuser  de  croire  à  ses  intel- 
ligences avec  ce  prince ,  qui  le  délégua ,  comme  surveillant 
de  ses  intérêts ,  auprès  des  Caiaisiens  restés  fidèles  à  la 
France.  «  Eustache  ,  dit  l'auteur  que  nous  venons  de  citer, 
mourut  en  4371.  Des  lettres  du  29  juillet  de  la  même 
année  nous  apprennent  que  les  biens  ,  qu'il  avait  à  Calais , 
furent  confisqués  par  le  loi  d'Angleterre,  parce  que  ses 
héritiers  étaient  demeurés  attachés  à  leur  maître  légitime. 
Edouard,  en  les  dépouillant,  rendit  à  leur  nom  tout 
l'éclat ,  que  ces  mêmes  biens ,  reçus  par  Eustache  pour  prix 
de  sa  trahison ,  avaient  pu  lui  enlever.  »  Toutefois  l'au- 


(Vue  de  la  Place  d 

cienne  tradition  est  encore  généralement  accréditée ,  puis- 
qu'en  4819,  le  buste  d'Eustachede  saint  Pierre ,  par  Cortot . 
a  été  donné  à  la  ville  de  Calais,  eu  méifioire  de  son 
prétendu  dévouement. (4) 

Les  Anglais  gardèrent  Calais  pendant  plus  de  deux  cents 
ans  ;  et  ce  ne  fut  qu'en  4558 ,  que  le  duc  de  Guise  leur  reprit 
cette  ville.  A  la  fin  du  xvi=  siècle ,  assiégée  par  l'archiduc 
All)ert  d'Autriche ,  cette  ville  retomba  de  nouveau  au  pou- 
voir de  l'étranger  ;  n)ais  à  la  paix  suivante  ,  elle  fut  défini- 
tivement rendue  à  la  France. 

Calais  est  actuellement ,  une  place  de  guerre  de  première 
classe.  Sa  situation  sur  la  Manche,  et  à  la  jonction  de  plu- 
sieurs canaux ,  en  fait  le  centre  d'un  commerce  actif.  Les 
rues  sont  en  général  larges ,  bien  alignées ,  et  bordées  d'élé- 
gantes habitations ,  bâties  en  briques.  Les  remparts ,  plan- 
tés d'arbres ,  offrent  de  jolies  promenades.  Le  fiort  est 
commode ,  quoique  petit  et  peu  profond;  mais  il  a  l'incon- 

(i)  Le  récit  de  Froissard  a  fonmi  à  du  Belloy  le  sujet  de  sa 
trag;édi«  intitulée  ;  le  siège  de  Calais. 


armes  de  Calais.  ) 

vénient  de  s'encombrer  de  sables.  Deux  môles ,  de  chiq 
cents  toises  environ  de  longueur ,  en  forment  et  en  protè- 
gent l'entrée.  D'une  des  jetées ,  fréq«ientée  par  les  prome- 
neurs qui  viennent  y  contempler  le  spectacle  imposant 
de  l'Océan ,  on  dislingue,  quand  le  temps  est  clair,  les 
côtes  de  l'Angleterre  et  Jec'iàteau  de  Douvres,  qu'une  dis- 
tance de  sept  lieues  sépare  de  Calais. 

Parmi  les  monumens  les  plus  curieux  de  la  ville,  on  admire 
sur  la  place  d'armes  et  près  de  l'hotel-de-ville,  la  tour  de 
l'horloge  ou  beffroi ,  construction  remarquable  et  élégante 
d'architecture  gothique. 

Calais  doit  à  sa  proximité  de  l'Angleterre ,  sa  grande 
activité.  A  chaque  instant,  ce  sont  des  paquebots  qui  par- 
tent ou  qui  arrivent ,  et  l'on  dirait  que  la  moitié  de  la  popu- 
lation se  renouvelle  du  jour  au  lendemain.  Aussi  est-il  peu 
de  villes  qui  présentent  un  tableau  plus  varié  et  plus  atta- 
chant. 


Les  Bureaux  d'ABOM(£MKHT  et  de  Yeitte  sont  :  Quai  des  Aa- 
guslin» ,  II"  4i. 


2) 


5  octobre  t!3.i  ) 


MAGASIN  UNIVl^nSEL 


L'ALIIAMBRA.  —  Gl^ENADE.  —  LES  MAURES  EN  ESPAGNE. 


(  L'Alliambra.  —  Tue  de  la  Cour  des  Lions.  J 


11  brilla  peu  de  temps  sur  la  snène  du  monde,  ce  peuple 
guerrier  el  industrieux ,  fanatique  et  tolérant ,  qui  civilisa 
l'Europe,  en  sortant  lui-niênie  delà  barbarie,  et  qui  se 
replongea  dans  les  ténèbres,  sitôt  qu'il  eut  répandu  la 
lumière.  Le  désert  de  l'Afrique,  sa  première  pairie,  devint 
son  dernier  asile:  les  fds  de  Boabdil  allèrent  rejoindre  les 
descendans  d'Ismaël;  mais  dans  ce  pas  âge  rapide,  ils 
laissèrent  au  monde  des  souvenirs  et  des  monumens ,  qui 
captivent  encore  notre  admiration. 

L'Alhambra  est  une  des  plus  brillantes  traces  du  séjour 
des  Maures  en  Espagne.  Ce  somptueux  édifice,  qui  rem- 
plissait la  double  destination  de  palais  et  de  forteresse ,  est 
situé  sur  le  sommet  du  cô'.eau  esrarpé  (jui  domine  la  ville 
de  Grenade,  semblable  à  l'Acropolis  d'Atbènes  et  au  cliâ- 
tean  de  Sagonle.  Les  murs  suivent  exactement  le  contour 
du  plateau ,  et  leur  épaisseur  comme  leur  situation  devait 
faire  de  ce  lieu  un  asile  inaccessible.  Mais  si  l'aspect  ex(c- 
rieur  de  ces  tours  présente  l'image  de  la  guerre,  l'intérieur 
offre  tout  ce  que  le  plaisir,  l'art,  la  grâce  et  l'indiistrie 
peuvent  réunir  de  plus  agréable  et  de  plus  parfait.  On  se 
croit  transporté  au  pays  des  Fées ,  ou  dans  ces  belles  re- 
traites décrites  par  les  poètes  orientaux.  Que  de  richesses 
et  en  môme  temps  que  d'élégance  dans  cette  arclnlec- 
ture  fantastique!  Quelle  profusion  d'ornemens,  quelle 
finesse  de  dessins,  quelle  légèreté,  quelle  souplesse  jusques 
dans  les  moindres  détails! 

Ce  qui  ajoute  encore  à  l'effet  magique  de  cet  admirable 
monument,  c'est  la  solitude  qui  règne  sous  ses  voûtes, 
c'est  le  silence  poétique  qui  a  succédé  aux  fêtes  brillantes, 
c'est  la  mélancolie  rêveuse  qu'inspirent  ces  ruines,  en  un 
mot  c'est  le  contraste  de  tant  de  gloire  et  de  tant  d'abjec- 
tion. Et  puis,  comment  ne  pas  être  ému ,  quand ,  à  chaque 
pas,  ou  voit  les  ravages  du  temps  et  des  hommes?  Ici 
c'est  une  muraille  qui  s'écroule ,  là  un  portique  qui  s'af- 
faisse, plus  loin  une  colonne,  qui  ne  peut  plus  soutenir  une 
arcade  chancelante.  L'herbe  croît  au  milieu  de  ces  galeries 
magnifiques  :  elle  ronge  ces  pavés  de  marbre,  ers  murailles 
si  délicatement  sculptées.  El  l'Espagne  contem^de  froide- 
ment le  spectacle  de  ces  déva«».7t.ions,  et  elle  ne  songe  pas  à 
Tome  I. 


défendre  l'Alhambra  contre  toutes  ces  attatpies  !  Espéions 
pourtant  que  le  jour  viendra  bientôt,  on  sortant  de  son 
apathie ,  elle  apprendra  enfin  à  connaître  les  trésors  qu'elle 
possède,  et  saura  trouver  les  moyens  de  les  conserver  aux 
arts  et  aux  sciences. 

On  monte  par  une  pente  irrégulière  jusqu'à  la  porte  de 
l'Alhambra,  construite  en  fer-à-cheval  ou  plein-cinlre 
outrepassé,  comme  tous  les  arceaux  moresques.  Après 
avoir  passé  cette  porte,  on  arrive  à  deux  cours  oblongues, 
la  cour  des  Bains  et  la  cour  des  Lions  (Quarto  de  los 
Leones).  Cette  dernière  surtout  est  remarquable  par  sa 
magnificence.  Elle  est  entourée  d'un  péiistyle  de  colonnes 
légères,  el  ornée,  sur  deux  faces,  d'un  avant-corps,  ou 
sorte  de  portique,  semblable  au  portail  saillant  de  quelques 
églises  gothiques,  cX  enrichi  de  superbes  sculptures.  Au 
milieu  de  la  cour,  est  la  fontaine  des  Lions,  en  marbre 
noir,  d'où  coulait  autrefois  une  eau  limpide  et  abondante, 
qui,  reçue  dans  des  canaux,  portait  la  fraîcheur  dans 
plusieurs  appartemens.  Cette  fontaine  a  été  évidemment 
construite  à  l'imitation  de  la  piscine  de  Salomon;  ce  qui 
aura  sans  doute  autorisé  l'architecte  arabe  à  s'écarter  de 
la  loi  de  Mahomet,  qni  défend  de  représenter  des  êtres 
vivans. 

C'est  près  de  la  cour  des  Lions,  que  sont  distribués  au 
rez  de  chaussée,  tous  les  appartemens  du  palais,  les  uns, 
destinés  à  la  représentation  et  ayant  vue  sur  la  campagne, 
les  autres  plus  frais,  plus  retirés,  n'ayant  que  de  faibles 
ouvertures  sur  les  portiques  intérieurs. 

Parmi  ces  appartemens,  qui  tous  sont  célèbres  dans  l'his- 
toire des  Arabes,  il  en  est  un  surtout  où  l'on  ne  peut  s'ar- 
rêter, sans  être  vivement  ému  an  souvenir  de  l'événement 
terrible ,  dont  il  fut  le  théâtre  :  c'est  la  salle  où  le  féroce 
Boabdil  fit  massacrer  les  Abencerrages.  Elle  a  conservé  le 
nom  de  cette  tribu  vaillante,  et  est  contiguë  à  la  cour  des 
Lions. 

L'Alhambra  fut  bâti  par  Abu-Abdalla-Ben-Nasser,  plus 
connu  sous  le  nom  d'Elgaleb-Billah  (  ou  vainqueur  par  la 
faveur  de  Dieu),  prince  renniiuué  par  sa  valeur,  sa  droi- 
ture et  sa  bonté.  Il  régna  à  Grenade,  depuis  l'an  123^  jus- 

3. 


40 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


mu'en  1575,  et  consacra  k  cet  ouvrage  une  partie  de  ses  tré- 
sors. Ses  successeurs  embellirent  successivement  ce  snporlje 
édifice,  qui  leur  servit  de  résidence  jusqu'à  la  cUate  de  leur 
empire.  iJepuis  la  conquête  de  Grenade  par  les  Espagnols , 
rAlhambi  a  subit  plusieurs  changemens  notables.  Séduïi  par 
la  beauté  de  la  situation,  et  peut-être  encore  plus  par  l'idée 
de  surpasser  la  magnificence  des  souverains  arabes,  Gliailes- 
Quinl  fil  élever  un  palais  sur  les  ruines  de  quelques  parties 
de  cette  forteresse.  Mais  un  édifice  moderne  figure  mal  au 
milieu  de  ces  débris  séculaires,  qui  intéressent  bien  plus  que 
Ions  ces  mommiens  élevés  par  l'orgueil  des  conquérans 
heureux. 

On  ne  saurait  parler  de  l'Alhambra  sans  dire  quelques 
mots  (le  Grenade  et  du  séjour  qu'y  firent  les  Arabes.  (  Dans 
un  autre  numéro  nous  reviendrons  sur  l'bistoiie  des 
Maures  d'Espagne,  et  nous  examinerons,  sous  un  point  de 
vue  plus  général,  l'influence  qu'ils  ont  exercée  sur  ce  pays.) 
L'origine  de  Grenade  est  environnée  d'une  obscurité 
difficile  à  éclaiicir.  Tout  ce  qu'on  a  dit  pour  prouver  que  sa 
fondation  était  l'œuvre  des  Phéniciens  ou  des  Hébreux  est 
dénué  de  fondement  comme  de  vraisemblance.  Les  seids 
documens  authentiques  qui  restent  aujourd'hui  ne  permet- 
tent pas  de  faire  remonter  son  oiigine  au-delà  de  la  do- 
mination des  Marnes.  Les  nombreux  et  maguinqucs monu- 
mens  qu'ils  y  ont  laissés,  et  qui  en  font  encore  de  nos  jours 
le  plus  bel  ornement,  le  caractère  essentiellement  arabe 
des  plus  anciennes  consU-uctions  de  la  ville ,  donnent  à  celte 
opinion  le  poids  de  la  vérité,  et  les  conjectures  les  plus  pro- 
bables s'accordent  à  fixei'  l'établissement  de  Grenade  au 
X*  siècle,  oti  elle  fit  paitie  des  états  des  rois  de  Goidoue. 

Trois  siècles  après,  elle  devint  la  capitale  de  toute  la 
partie  de  l'Andalousie  qui  resta  aux  Maures ,  après  la  prise 
de  Cordoue  par  Ferdinand  II,  roi  de  Castille  et  de  Léon, 
et  la  mort  d'Aben-Hut.  Ce  fut  un  homme  tiré  de  la  char- 
rue, Mahomet-Aben-Alhamar,  qui  éleva  cette  nouvelle  ca- 
pitale à  l'état  de  force  et  de  prospérité  qui  en  firent  d'abord 
le  centre  des  grandeurs  et  des  plaisirs,  puis  le  refuge  et  le 
dernier  boulevard  de  la  puissance  moresque. 

Pendant  une  période  de  deux  cent  cinquante-six  ans,  non 
moins  glorieuse  qu'honorable  pour  les  possesseurs  de  cet 
empire,  les  arts,  les  sciences  et  la  civilisation  fleurirent 
parmi  e:ix.  La  férocité  des  fils  d'Omar  avait  fait  place  à  la 
courtoisie,  à  la  générosité,  à  tous  les  sentimens  chevaleres- 
ques des  guer  riers  de  l'Occident ,  et  Grenade  devint  un  sé- 
jour non  moins  renommé  par  la  galanterie  de  ses  souverains 
que  délicieux  par  toutes  les  recherches  du  luxe  le  plus  raf- 
finé. Une  multitude  de  pièces  authentiques ,  de  chioniques, 
de  cartels ,  de  romances ,  attestent  cette  teinte  générale  de 
l'esprit  et  des  mœurs  du  temps. 

Cette  noble  conduite  des  rois  maures ,  ce  système  glo- 
.rieux  d'administration,  qui  les  avaient  rendus  dignes  de 
leurs  succès  et  de  l'amour  des  peuples,  dura  jusqu'à  la  fin 
du  xV  siècle.  Ce  fut  alors  que  la  dynastie  régnante  à  Gre- 
nade, ayant  donné  des  signes  de  cette  faiblesse ,  qui  précède 
la  chute  des  souverains,  toutes  les  forces  de  l'Espagne, 
concentrées  par  l'union  de  Ferdinand  et  d'Isabelle,  pour- 
suivirent jusque  danscelle  capitale  toute  la  population  arabe, 
chrissée  successivement  des  autres  places  qu'elle  occupait 
en  Andalousie.  Le  moment  était  d'autant  phis  favorable 
pour  fiapper  le  coup  décisif,  que  des  dissentions  intestines 
divisaient  ceux  qui  auraient  dû  réunir  toutes  leurs  forces 
pour  soutenir  la  cause  commune.  Sans  ces  divisions  déplo- 
rables ,  nul  doute  que  les  Maures  n'eussent  réussi  à  repous- 
ser l'agression ,  puisque ,  malgré  cet  état  de  choses  si  désa- 
vantageux, ils  surent  défendre,  pendant  un  siège  de  plus 
d'un  an ,  le  dernitr  rem[)art  de  leur  puissance.  Ils  déployè- 
rent, en  cette  circonstance,  lecouiage  le  plus  héroïque,  tt 
toutes  les  ressources  de  l'art  milittuue ,  de  l'enthousiasme 
national ,  et  môme  du  fanatisme  religieux.  Enfin ,  il  fallut 
céder  Grenade  aux  armes  victorieuses  des  Espagnols..  Ban- 
nis ou  dispersés,  ceux  qui  éclu*[»pèicnt  à  la  mort,  rempor- 
Ureut  dans  les  montagnes  des  Alpu.\anas  et  dans  les  sables 


brûlans  de  l'Africpie,  les  regrets  d'une  patrie  adoptive, 
embellie  et  fertilisée  par  leurs  mains.  Ces  regrets  furent  si 
vils  qu'ils  se  sont  transmis  jusqu'-àee  jour  de  géuéiation  en 
génération ,  et  que  h  s  Maures  n'oublient  pas  Grenade,  les 
vendredis,  dans  leurs  prières  du  soir,  demandant  au  ciel 
de  s'y  voir  rétablis. 

Il  ne  faut,  en  effet,  qu'avoir  parcouru  cette  grande  ville, 
pour  comprendre  les  regrets  de  ceux  qui  l'occupaient  aux 
beaux  jours  de  sa  prospérité.  Air  pur,  sites  enchanteurs , 
climat  délicieux,  tout  ce  qui  séduit  les  sens  ou  l'imagina- 
tion, se  réunit  pour  en  rendre  le  séjour  aussi  agréable  qiie 
salutaire.  Bâtie  sur  deux  collines,  et  dans  le  vallon  qui  les 
sépare,  arrosée  par  lieux  rivières,  le  Dano  el  le  Genil  , 
voisme  de  la  Sierra  Nevada ,  qui  l'abrite  au  nord  et  à  l'est , 
dominant  une  plaine  riante  et  fertile ,  si  célèbre  sous  le  nom 
de  Véga  de  Grenade ,  on  chercherait  en  vain  une  position 
plus  belle  et  plus  avantageuse  sous  tous  les  rapports.  La 
proximité  des  campagnes  et  l'abondance  des  eaux  y  tempè- 
rent l'ardeur  du  ciel,  et  entretiennent  sur  le  sol  une  ver- 
duie  éternelle. 

Malgré  tant  d'avantages,  on  ne  peut  se  dissimuler  !a 
décadence  de  cette  belle  cité.  L'Alhambra  n'est  pas  le  seul 
monument  que  la  négligence  des  Espagnols  laisse  dépérir  : 
de  tous  côtés  on  voit  tomber  quelques  somptueux  édifices, 
nobles  reliques  des  temps  passés.  QueUpies  constructions 
piodernes,  assez  remarquables,  se  mêlent,  il  est  vrai ,  sans 
trop  de  désavantage,  à  celles  que  le  temps  a  dégradées; 
mais  elles  ne  peuvent  dédommager  Grenade  des  pertes 
énormes  qu'elle  a  faites. 


ESPAGNE. 

PHYSIONOMIE    DES  TROUPES. 

Les  traits  caraclérisques  qui  distinguent  le  Français  do 
l'Espagnol  sont  plus  saillans ,  plus  tranchés  peut-être 
encore  dans  les  mœurs  et  les  habitudes  militaires  dos  sol- 
dats de  ces  deux  nations.  Et  d'abord  parlons  du  cigaro. 
On  a  dit  bien  souvent,  sans  le  répéter  assez  peut-êire, 
quel  rôle  immense  jouait  le  cigare  dans  l'existence  es[)a- 
gnole.  C'est  une  partie  intégrante  du  bien-êlre  civil  et 
militaire;  pas  de  conversation  qu'il  ne  précède,  pas  de 
rapports,  de  liaisons  qu'il  ne  facilite,  pas  de  souffrances 
qu'il  n'aide  à  supporter.  Aussi  à  la  promenade  (  al  paseo  ) 
tout  comme  en  sentinelle  perdue ,  à  la  guerre,  vous  retrou- 
vez le  soldat  espagnol  savourant  avec  recueillement  et 
bonheur  ses  bouffées  de  tabac,  et  psalmodiant  ses  chansons 
nationales. 

Que  lui  importent  ensuite  la  faim ,  la  soif  et  les  intem- 
péries de  l'air?  Il  fume,  et  il  fredonne;  c'est  assez. 

Après  le  cigare ,  l'objet  le  plus  essentiel  sans  contredit 
pour  le  soldat  de  ce  pays,  est  cet  instrument,  qu'on  ren- 
contre dans  les  corps  de  garde  et  les  bivouacs,  comme  dans 
les  boutiques  de  barbiers:  la  guitare!  Ce  n'est,  le  plus 
souvent,  qu'une  mandoline  détestable  dont  l'existence  le- 
monte  au  troubadour  Geoffroi  Rudel,  mais  n'importe. 
S'il  est  placé  sous  les  ordres  d'un  officier,  rigide  observa- 
teur des  convenances  militaires,  le  soldat  trouve  encore 
le  secret  d'éluder  la  défense  et  de  faire  voyager  l'instru- 
ment favori  ;  sans  qu'on  sache  comment  elle  y  est  arrivée , 
la  guitare  reparaît  aux  haltes,  aux  exercices,  et  autour 
des  musiciens  se  forme  le  cercle  des  chanteurs.  Les  chefs 
se  montrent-ils  moins  ennemis  de  cette  harmonie  natio- 
nale, aussitôt  la  guitare  reprend  sa  place  d'honneur:  mise 
en  travers  et  en  évidence,  sur  le  sac  d'un  soLlat,  elle 
voyage  avec  la  compagnie.  Dans  les  corps  de  garde,  vous 
l'apercevez  toujours  à  côté  du  râtelier  d'armes.  C'est 
elle  qui  préside  aux  concerts  de  nuit,  aux  Sequedillas, 
Manchegas,  Polos  y  iiranas,  etc.,  sérénades  improvisées, 
empreintes  d'une  origine  et  d'un  charme  tout  moresque, 
et  qui,  dans  les  belles  soirées  d'été,  attirent  \asenora  sous 
la  lente  du  balcon.  De  là  vient  que  le  voisinage  d'un  cor|  s 
de  garde  q.ii  en  France  ne  séduit  personne,  est  quelqtie- 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


U 


fois  recherché  en  Espagne.  Mais  le  jour  a  hii;  jetez  les 
yeux  sur  celle  caserne,  sur  ce  même  corps  de  garde ,  lout 
est  rentré  dans  le  calme  et  le  silence.  Ici  des  cours  désertes  ; 
là  des  officiers  et  des  soldats  décolletés,  dormant  étendus 
à  l'ombre. 

Sans  doute  il  vous  est  arrivé  de  voir  les  soldats  français  à 
l'exercise,  pendani  rititervalle  de  repos  qui  sépare  les 
deux  pri.<es  d'armes?  Chacun  rit,  s'ébat  ou  s'escrime.  En 
Espagne ,  au  contraire ,  l'instant  où  l'on  fait  rompre  les 
rangs  n'ajoute  ni  au  bruit  ni  au  mouvement  du  tableau. 
La  foule  bourgeoise  envahit  le  terrain  de  manœuvres;  les 
ciijHritos  s'alliunent  silencieusement  après  un  simple 
échange  de  signes,  et  bientôt  tout  est  confondu,  femmes, 
enfans ,  moines ,  bourgeois  et  militaires. 

Et  qu'on  ne  vienne  pas  alléguer,  en  excuse  de  cette 
nonchalance,  la  chaleur  du  climat.  Nous  avons  vu  nos  soldats 
exposés  à  une  température  aussi  brûlante,  et  certes  ils 
n'avaient  rien  perdu  de  leur  caractère  ni  de  leur  bruyante 
gaîté.  Non ,  il  y  a  dans  ces  bataillons  espagnols ,  un  je  ne 
sais  quoi  qui  trahit  un  man(iue  d'habitude  et  comme  de 
souplesse  militaire.  Leur  aspect  national  a  disparu  ;  et  s'il 
nous  était  donné  de  rendre  ici  une  impression,  intraduisible 
peut-être  par  des  mots,  nous  dirions  que  ces  soldats  produi- 
sent moins  l'effet  de  conscrits,  que  de  bourgeois  jouant  gra- 
vement au  soldat. 

Ces  observations  critiques  portent  bien  plus  sur  la  forme 
que  sur  le  fond.  Le  mérite  d'une  armée  ne  consiste  pas, 
nous  le  savons ,  dans  l'élégance  de  ses  soldats  j  et  néan- 
moins il  est  encore  plusieurs  singularités  ([ue  nous  croyons 
devoir  signaler.  Nous  mettons  en  première  ligne  l'in- 
supportable monolo'.iie  de  la  marche  des  tambours.  Re- 
marquez qtie  marclie  est  ici  éciil  au  singulier,  atten- 
du qu'il  n'en  existe  en  effet  (in'ime  seule  pour  toutes  les 
ciiconstances  et  dans  toute  l'étendue  de  la  monarchie  espa- 
gnole. C'est  une  batterie  qui  ne  ressemble  pas  mal  à  celle 
qiù  s'exéoute  à  nos  convois  f(uièbres;  seulement  la  me- 
sure en  est  plus  ou  moins  précipitée,  selon  que  le  pas  est 
ordinaire  ou  accéléré.  Celte  marche,  m'a-ton  dit,  est  si 
ancienne,  si  nationale,  que  l'on  n'a  point  osé  y  tou- 
cher. Félicitons  les  Espagnols  de  faire  du  patriotisme  à  pro- 
pos d'un  roulement  de  tambour;  mais  toujours  est-il  que 
les  oreilles  profanes  des  étrangeis  en  sont  long-temps 
poursuivies. 

A  propos  de  tambours ,  ajoutons  un  mot  sur  les  tam- 
bours majors:  ils  sont  placés,  ainsi  que  les  nôtres,  à  la 
tête  des  régimens  ;  mais  que  sont  les  grâces  et  les  balan- 
cemens  atfeclés  de  ceux-ci,  à  côté  des  tambours  majors 
espagnols  dont  les  contorsions,  disons  le  mot,  les  gam- 
bades dépassent  tout  ce  que  l'imagination  peut  se  figurer? 
Les  hommes  choisis  pour  ce  rôle  mimique  ne  sont  pas 
d'ailleurs  d'une  taille  plus. élevée  que  les  autres. 

Il  faut  remarquer  qu'en  revanche  les  musiques  des  régi- 
mens espagnols  sont  incontestablement  meilleures  que  les 
très.  Le  choix  des  airs,  le  plus  souvent  tristes  et  langou- 
reux, manque  bien  un  peu  de  vivacité  militaire;  mais  l'har- 
monie en  est  pure  et  l'exécution  bien  sentie.  Avec  quels 
délices  on  retrouve  là,  dans  une  mélodie  accentuée,  les 
beaux  cantabile  de  Rossini  et  les  symphonies  d'Haydn! 

Paris  revient  bientôt  à  la  mémoire,  ou  s'oublie ;  lorsque 

tout  à  coup  ces  malheureux  tambours  reprenant ,  le  charme 
est  détruit  ! 

On  sait  qu'à  partir  du  grade  de  clief  de  bataillon  les 
épaulettes  disparaissent.  Les  galons  sur  la  manche  et  la 
canne  deviennent  les  seules  marques  disliuclives  du  grade 
des  officiers  supérieurs  et  des  généraux.  La  canne  que  por- 
tent en  bandoulière  les  officiers  supérieurs  n'indique  chez 
eux  que  le  grade  honoraire  dont  ils  ont  les  insignes. 

L'une  des  choses  qui  surprennent  le  plus  les  Français  qui 
assistent  aux  exercices  et  aux  manœuvres  en  Espagne,  c'est 
le  laisser-aller  des  officiers  et  des  soldats. 

Figurez -vous  un  chef  de  bataillon ,  par  exemple ,  fumant 
son  cigarilo  en  même  temps  qu'il  commande  l'exercice; 


l'Andalouse  sémillante ,  le  moine  franciscain  avec  son  grand 
chapeau  à  la  Basile ,  se  promenant  tonl  auprès  de  la  troupe, 
adressant,  Tune  un  gracieux  sourire  sous  son  éventail, 
l'autre  un  salut  clérical  à  tel  ou  tel  offi  ier  sous  les  armes. 
En  outre ,  presque  jamais  de  baïonnette  au  bout  du  fusil , 
même  lorsqu'on  commande  le  pas  de  charge  la  baïonnette 
croisée;  des  jalonneurs  se  portant  avec  une  extrême  non- 
chalance pour  tracer  les  lignes  Nous  craindrions  de  fatiguer 
nos  lecteurs  s'il  nous  fallait  rapporter  ici  tout  ce  qu'il  y  a  de 
mol  abandon,  de  camaraderie  dans  ces  manœuvres.  Nous 
pouvons  à  ce  sujet  raconter  nn  fait  dont  un  voyageur  a  été 
témoin  dans  une  petite  guerre  exécutée  aux  environs  de 
Madrid,  à  l'occasion  des  fêtes  du  couronnement  de  l'infante. 
Un  bataillon  se  repliant,  se  formait  en  colonne  d'attaque;  un 
capitaine  vint  s'arrêter  avec  sa  compagnie  précisément  à  la 
place  de  bataille  d'une  autre,  de  sorte  ([ue  cette  dernière 
survenant,  notre  officier  s'aperçoit  de  sa  bévue  :  seguid  me 
mnchachos  (suivez-moi,  enfans),  s'écrie-t-ii ,  en  s'adres- 
sant  à  son  peloton;  et  les  voilà  courant  à  travers  les  divi- 
sions qui  se  forment  successivement,  renversant,  bouscu- 
lant les  autres  soldats.  C'était  une  véritable  mêlée.  Quant 
au  chef  de  bataillon ,  au  lieu  de  chercher  à  faire  cesser  la 
coîîfusion  par  un  commandement  calme  et  îévère ,  il  s'était 

pris  d'un  fou-rire  à  la  vue  de  ce  désordre Il  était  h;;rs 

d'état  de  commander.  Hâtons-nous  de  dire  que  ce  sont  là 
des  excet;tions,  et  que  de  pareilles  scènes  ne  sauraient  se 
renouvelent  souvent. 

Les  linifonnes  des  officiers  de  la  garde  sont  d'une  coupe 
élégante  et  légère;  on  y  remarque  en  général  une  tendance 
plus  ou  moins  heureuse  à  imiter  les  lournures  françaises; 
mais  dans  toutes  les  importations  de  ce  genre,  il  est  rare  quele 
goût  national  ne  vienne  se  glisser.  Ain^i  l'usage,  on  pourrait 
piesiiuedire  le  bon  ton,  parmi  les  officiers  espagnols,  n'est 
pas  de  porter  les  épaulettes  carrément  sur  les  épaules, 
comme  on  le  voit  en  France.  Ils  les  rejettent  en  arrière,  à 
la  façon  des  voltigeurs  de  Louis  XIV.  Autre  chose  en- 
core ;  nous  voulons  parler  d'une  manière  fatale  de  porter  les 
collets  d'habits,  dont  la  hauteur  par  derrière  est  tellement 
exagérée,  que  l'on  dirait  une  lutte  établie  à  qui  sera  le  plus 
ridicule;  assurément  il  n'est  pas  un  homme,  fût-il  môme 
un  Antinous,  qui  ne  parut  gêné  et  voûté  en  étant  habillé  de 
la  sorte.  Cette  disposition  a  déplus  l'inconvénient  inévitable 
de  la  malpropreté,  ainsi  que  le  dénotent  d'ailleurs,  sans  y 
remédier,  ces  iloubles  collets  dont  tous  les  hal.its  sont  re- 
vêtus. 

Quant  au  caractère  de  l'armée  espagnole,  on  peut  dire 
qu'individuellement  le  soldat  de  cette  nation  est  brave.  Si 
chez  lui  on  ne  retrouve  ni  l'impétuosité  des  Fiançais,  ni 
cette  fermeté  de  réaction  des  Anglais,  il  est  bien  plus  sobre 
et  plus  patient  que  les  soldats  de  ces  deux  nations.  Possé- 
dant toutes  les  qualités  qui  constituent  le  guerrier,  il  est  dur 
aux  fatigues  et  susceptible  d'un  grand  élan,  lorsqii'il  est 
conduit  par  des  officiers  qui  ont  mérité  sa  confiance;  mais 
orgueilleux,  fanfaron,  même  dans  les  revers  les  plus  humi- 
lians,  et  rarement  généreux  dans  la  victoire. 


LE  VESUVE. 

Une  foule  de  curieux,  accourus  de  tons  les  points  du 
globe,  s'étaient  donné  rendez-vous  à  Naples,  pour  assister 
au  magnifique  spectacle  d'une  éruption  du  Vésuve,  que 
des  signes  certains  avaient  annoncée.  Ce  phénomène  a  eu 
lieu  à  deux  reprises  différentes  ;  d'abord  dans  le  mois  de 
juillet ,  et  enfin  dans  les  derniers  jours  d'août.  La  première 
éruption  a  été  peu  remarquable,  mais  la  seconde  est  une 
des  plus  violentes  et  des  plus  belles  qu'on  ait  jamais  vues. 

D'abord  le  nouveau  cône  disparut  derrière  un  nuage 
épais  de  fumée  noire;  puis,  trois  heures  après,  une  secousse 
eut  lieu ,  et  pendant  la  nuit  se  succédèrent  des  éjections  de 
sables  enflammés,  de  pierres  et  de  scories.  Alors  la  lave 
s'écoula  par  deux  ouvertures,  mais  elle  ne  parcournt  que 
six  à  sept  [tieds  par  minute. 


42 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Peu  après,  deux  nouvelles  bouches  s'ouvrirent,  annon- 
cées par  de  violentes  délonations  j  une  immense  colonne 
de  fumée  noire  et  épaisse  s'élança  dans  les  airs,  un  effroya- 
ble torrent  délave,  divisé  en  plusieurs  courans ,  envahit 
un  espace  immense  de  terrain ,  engloutit  plusieurs  villa- 
ges, et  couvrit  de  cendres  tout  le  pays  environnant.  Le 
courant  principal  avait  un  tiers  de  lieue  de  largeur  et  une 
profondeur  de  quinze  pieds  ;  il  parcourut  plus  d'une  Jieue  en 
longueur. 

Même  avant  d'êlre  attaqués  par  la  lave,  les  arbres  se 
desséchaient,  les  feuilles  se  raccoruissaient  avec  un  frémis- 
sement sonore ,  les  branches  s'incendiaient  avec  une  blanche 
et  vive  lumière ,  tandis  que  les  troncs  étaient  à  j)eine  réduits 
en  cen  Ires  vers  le  milieu. 

La  mer  élaitdans  une  épouvantable  agitation,  et  cepen- 
dant la  sécurité  de  l'air  n'était  pas  troublée.  Pendant  plu- 
sieurs nuits  on  voyait  s'élever  du  mont  Vésuve  comme  un 
pin  gigantesque,  dont  les  racines  resseinl)laient  à  du  corail 
et  dont  le  tronc  était  couleur  de  bronze;  le  reste  de  l'arbre, 
éclairé  par  la  lune  qui  se  trouvait  au-dessus,  avait  tout 
l'éclat  de  l'argent.  Des  ruisseaux  de  feu  serpentaient  au 
pied  de  cet  arbre  colossal  et  augmentaient  l'effet  pittoresque 
de  cette  scène  vraiment  admirable. 

Après  les  détails  que  nous  venons  de  donner  sur  la  der- 
nière éruption,  on  ne  lira  pas  sans  intérêt  une  description 
succincte  du  mont  Vésuve. 

On  monte  au  cratère  par  une  pente  assez  douce,  au  mi- 
lieu de  chrtmps  cultives  et  de  beaux  vignobles  traversés,  de 
loin  en  loin,  par  des  courans  de  laves  plus  ou  moins  anciens, 
noirs,  raboteux  et  stériles.  A  une  certaine  hauteur,  ou 
trouve  une  maison  habitée  par  trois  ermites  qui  fournissent 
aux  voyageurs  un  frugal  repas.  Trois  ormeaux  à  i'épais  feuil- 
lage se  trouvent  dans  ce  lieu  ;  ce  sont  les  derniers  arbres 
que  l'on  rencontre  sur  le  mont.  Plus  haut,  la  pente  devient 
très-rapide,  et  des  courans  de  lave  refroidie  la  sillonnent 
en  tous  sens.  Les  ânes  qui  servent  de  montures  mettent 
beancoup  d'adresse  pour  éviter  les  mauvais  pas;  dans  les 
endroits  les  plus  rapides ,  il  leur  faut  tout  à  la  fois  porter 
les  voyageurs  et  traîner  les  conducteurs  qui  s'attachent  à 
leur  queue. 

Le  cône ,  dont  le  pied  est  composé  de  cendres  ou  pluîôL 
d'ime  sorte  de  sable  volcanique,  forme  un  angle  tellcmenL 
prononcé,  qu'on  ne  peut  guère  y  grimper  qu'en  S3  servant 
de  ses  pieds  et  de  ses  mains.  Après  une  heure  de  marche , 
on  arrive  à  un  endroit  où  la  chaleur  du  sol  se  fait  sentir; 
des  vapeurs  brûlantes  sortent  d'un  grand  nombre  de  petites 
crevasses,  dont  les  parois  sont  couvertes  d'efflorescences  de 
soufre.  En  approchant  l'oreille,  on  enlciid  un  bruit  sem- 
blable à  celui  d'un  liquide  en  ébidlilion,  et  si  on  y  plouj^c 
du  bois  ou  du  papier,  ils  s'enllamment  proniptement  :  quel- 
ques pas  plus  haut,  on  trouve  le  bord  du  cratère  même. 

Ce  cratère  est  un  vaste  entonnoir  de  quatre  ou  cinq  cciits 
pieds  de  profondeur,  dont  la  pente  est  couverte  de  cendres 
graveleuses ,  et  dont  le  fond  présente  tantôt  une  surface 
solide,  semblable  à  celle  du  resie  du  Cône,  tantôt  une 
fournaise  d'où  s'ichappent  de  temps  à  aiiire  des  flammes  et 
des  éclairs  à  travers  des  nuages,  alors  môme  qtie  le  vole  m 
n'est  pas  en  éruption. 

Le  tour  du  cratère  a  une  demi-lieue  de  circonférence  et 
son  l)ord  a  peu  dç  largeur.  De  là,  l'œil  domine  la  mer  et 
une  grande  partie  du  royaume  de  Naples.  Le  ^yageur  aper- 
çoit sous  ses  pieds  les  villes  et  le»  villages  bâtis  stu*  les  ruines 
des  cités  antiques  que  le  volcan  a  ens:ivelies ,  et  il  ne  peut 
se  défendre  d'un  sentiment  de  frayeur  en  songeant  au  sort 
qui  menace  ces  modernes  demeures.  Des  signes  précurseurs 
annoncent,  il  est  vrai,  aux  habilans  les  éruptions  du  Vé- 
.suve;  des  conwnotions  intérieures  font  trembler  la  terre  et 
sont  accompagnées  de  bruits  sourds;  les  puits  tarissent  et  les 
animaux  sont  frappés  d'épouvante.  Aussi  le  Napolitain  se 
contente-t-il  de  placer  des  sentinelles  pendant  la  nuit,  et 
dort-il,  sans  crainte  d'être  sui^pris  [«r  l'éruption.  Les  mai- 


sons les  plus  exposées  sont  estimées  au  même  prix,  à  peu 
près,  que  toutes  les  autres. 

Ce  qui  attire  les  Napolitains  dans  ces  lieux,  tant  de  fois 
dé.solés,  c'est  l'extrême  fertilité  du  sol  qui  donne  trois 
recolles  dans  une  seule  année.  Les  fruits  y  sont  délicieux. 
La  vigne  y  produit  ce  vin  célèbre  connu  sous  le  nom  de 
Lacryma-Chrisli.  Une  population  nombreuse  se  presse  sur 
la  base  du  Vésuve.  Partagée  en  petites  propriétés  de  trois  à 
(|uatre  arpens,  cette  terre  pourrait  nourrir  trois  fois  autant 
d'habitans.  Les  produits  de  la  culture  ne  sont  pas  au  reste 
les  seules  richesses  que  procure  le  Vésuve.  La  lave  de  ce 
volcan  se  transforme  en  pavés,  en  murailles,  et  même  en 
élégans  joyaux  que  le  commerce  trans|)orte  au  loin.  ^ 


CHASSEURS  A  CHEVAL. 


4795. 

La  création  des  régimens  de  chasseurs  à  cheval  ne  re- 
monte guère  au-delà  d'un  demi-siècle.  Il  paraît  surprenant 
que  jusqu'en  4745,  la  France  n'ait  point  eu  de  troupes  lé- 
gères régulièrement  constituées.  Nous  lisons  en  effet  qu'à 
celte  époque  seulement,  fut  organisée  une  compagnie  de 
cent  hommes ,  sous  la  dénomination  de  chasseurs  de  Fis- 
cher. Ils  étaient  à  pied  ,  et  ce  ne  fut  que  quelques  années 
après,  lorsque  ce  cori>s  fut  porté  au  grand  complet  de  six 
cents  soldats ,  qu'on  lui  adjoignit  deux  cents  hommes  de 
cavalerie  légère.  Ce  mélange  de  deux  armes,  jus(|u'alors 
distinctes,  fit  donnera  ces  régimens  les  dénominations  suc- 
cessives de  dragons-chasseurs,  de  volontaires,  de  légions 
et  de  chasseurs.  Tantôt  à  pied,  tantôt  à  cheval,  des  ba-^ 
taillons  ou  des  escadrons  de  chasseurs  furent  alternative-' 
ment  réunis  aux  hussards  de  Berchiny,  de  Chamborant ,' 
enfin  aux  vingt-quatre  régimens  de  dragons  alors  existans. 
Mais  toutes  ces  institutions,  qui  faisaient  sentir  le  besoin  de 
corps  réguliers  de  troupes  légères,  étaient  trop  défectueuses 
pour  être  maintenues.  On  y  renonça  bientôt,  et,  en  4779, 
six  régimens  de  chasseurs  reçurent  une  organisation  et  des 
numéros  particuliers  à  leur  arme.  Ils  euient  des  couleurs 
dislinctives,  et  déjà  on  remarquait  le  cor  de  chasse  sur  leurs 
boutons.  Telle  est  l'origine  toute  récente  des  régiihens  de 
chasseurs  à  cheval ,  qui  devaient  bientôt  rivaliser  par  leur 
bravoure  et  leur  importance  avec  les  anciens  corps  de  ca- 
valerie de  vieille  inslilution. 

Ils  étaient  à  peine  organisés,  que  leur  brillante  conduite 
dans  la  guerre  de  l'indépendance  de  l'Amérique  leur  as- 
sura nn  rang  distingué  parmi  nos  troupes.  Ce  fut  leur  bap- 
tême de  gloire,  et  le  commencement  d'une  série  de  beaux 
faits  d'armes  que  nos  annales  militaires  ont  enregistrés. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


15 


Ail  commencement  de  la  révolution  de  i793  on  comptait 
douze  régimens  de  celte  arme  ;  c'étaient  les  chasseurs 
d^ Alsace,  de  Franche-Comté ,  de  Languedoc ,  de  Cham- 
pagne, etc.,  des  noms  des  provinces  auxquelles  ils  apparte- 
nai'jut.  Plus  tard  on  y  joignit  les  deux  régimens  de  chas- 
seurs normands  et  de  chasseurs  bretons-bourguignons. 

Lors  de  la  formation  de  la  garde  consulaire,  on  lit  entier 
dans  sa  composition  un  régiment  de  celte  arme.  La  compa- 
gnie des  guides,  qui  avait  suivi  Napoléon  dans  ses  campa- 
gnes d'Italie  et  d'Egypte  ,  devint  le  noyau  de  ce  nouveau 
corps.  On  sait  la  réputation  de  cette  garde,  connue  plus 
tard  sous  le  nom  de  garde  impériale,  et  dans  laquelle  les 
chasseurs  à  cheval  tinrent  un  rang  si  distingué  pendant  les 
guerres'du  consulat  et  de  l'empire.  A  cette  dernière  époque, 
en  1811 ,  il  y  eut  jusqu'à  vingt-neuf  régimens  de  chasseurs 
à  che\al ,  sans  y  comprendre  celui  de  la  garde  impériale. 
L'uniforme  des  chasseurs  de  la  garde  était  extrêmement  bril- 
lant. Ils  portaient  le  kolbac ,  le  dolman  à  la  manière  des 
hussards ,  auxquels  ils  avaient  emprunté  également  le  pan- 
talon collant  et  la  botte  à  la  russe. 

La  restauration,  imitatrice  des  institutions  de  l'ancien  ré- 
gime, par  une  ordonnance  de  I8IS,  créa  vingt-quatre  ré- 
gimens de  chasseurs  à  cheval,  auxquels  elle  donna,  aussi 
bien  qu'aux  quatre-vingt-trois  légions  à  pied ,  les  noms  des 
déparlemens  où  ces  corps  avaient  été  levés.  Ainsi,  il  y  eut 
les  chasseurs  des  Ardennes,  de  la  Somme,  de  Y  Orne,  de  la 
Charente,  etc. 

Ils  perdirent  ces  dénominations  en  -1819,  et  ils  reçurent 
celles  de  ]"',  2",  5",  etc.  rcgiuicns  de  chasseurs  à  cheval. 
En  4826,' on  remarqua  le  \"  régiment  de  celte  arme  qui 
avait  pris  le  nom  de  chasseurs  de  Nemours. 

Depuis  la  révolution  de  juillet  on  réduisit  à  quatorze  le 
nombre  de  ces  régimens;  cinq  d'entre  eux  ayant  été  incor- 
porés à  une  arme  de  nouvelle  ibrmation ,  celle  des  lanciers. 
J.eur  uniforme  est  ainsi  composé  aujourd'liui  :  — schako 
garance  avec  un  plumet  noir  et  tlotiant;  habit  vert;  panta- 
lon garance  par-dessus  la  bolle;  bufflelerie  blanche  el  épau- 
lettes  à  frange  garance.  Les  armes  dei  soldats  sont  le  sabre, 
la  carabine  et  un  seulpislolet. 

L'institution  des  chasseurs,  dont  le  service  est  celui  de  la 
c  jvalerie  légère,  ne  se  retrouve  que  chez  quelques  puis  ances 
(le  l'Europe,  et  il  est  à  remarfjuer  (jue  ce  sont  presque  toutes 
des  puissances  de  second  ordre.  Ainsi,  la  Russie,  l'Autri- 


-ia^tM. 


4830. 


gne,  deux  en  Belgique,  un  en  Suède,  un  dans  le  royaume 
des  Deux-Siciles,  etc. 


=»8|2. 

che,  la  Prusse,  rAagleterre,  la  Bavière  n'ont  point  de  ré^-l- 
mens  de  cette  arme,  tandis  qu'on  en  compte  huit  en  Espa- 


DESTRUCTION  DES  JANISSAIRES 

PAR  LE  SULTAN  MAHMOUD. 

Le  sultan  actuel  ressemble ,  sous  plusieurs  rapports ,  à 
Pierre-le-Grand  :  c'est  la  même  détermination  dans  les  cho- 
ses entreprises,  la  même  énergie  dans  l'exécution ,  et  la 
même  sévérité  dans  l'accomplissement  de  ses  arrêts.  Comme 
Pierre-le-Grand ,  il  n'a  pu  souffrir  l'arrogance  de  sa  garde 
prétorienne.  Pierre  se  délivra  de  ses  strélitz,  et  Mahmoud  a 
brisé  le  joug  que  lui  imposiient  les  janissaires.  Depuis  long- 
temps ,  le  gouvernement  formait  le  projet  d'introduire  la 
discipline  européenne  dans  l'armée  turque;  Sélim,  prédé- 
cesseur de  Mahmoud,  avait  tenté  de  le  mettre  à  exécution; 
mais  le  temps  n'était  pas  venu  ;  il  périt  victime  de  la  rage 
des  janissaires 

Le  sultan  Mahmoud  parvint  à  se  concilier  une  partie  des 
ofticiers  de  ce  corps  privilégié  ;  il  gagna  les  uns  avec  de 
l'argent  et  des  promesses  ;  il  effraya  les  autres  par  des  me- 
naces. Il  obSint  qu'ils  fourniraient  cent  cinquante  hommes 
par  rcgim'Mit ,  et  des  ofliciers  égyptiens,  qui  étaient  déjà  au 
fait  de  la  tactique  européenne,  furent  envoyés  pour  dresser 
et  discipliner  ces  nouvelles  troupes.  En  peu  de  temps,  elles 
firent  de  si  rapides  progrès ,  que  le  sultan  donna  l'ordre 
de  les  réunir  pour  une  revue  générale  sur  la  grande 
place  de  YEtmeidan,  qui  était  réservée  aux  janissaires,  et 
où  se  faisaient  à  ce  corps  les  distributions  de  vivres.  Les 
manœuvres  avaient  commencé  en  présence  des  ulémas,  des 
ministres  et  de  tous  les  premiers  dignitaires  de  l'empire , 
lorsque  plusieurs  janissaires  se  plaignirent  qu'on  leur  fit  exé- 
cuter les  manœuvres  des  Russes.  Un  officier  égyptien  eut 
l'imprudence  de  frapper  au  visage  l'un  des  mécontens;  ce 
fut  le  signal  de  la  révolte  :  les  troupes  se  dispersèrent  dans 
les  rues,  volant  et  insultant  tous  ceux  qu'elles  rencon- 
traient. Le  mécontentement  paraissait  si  général,  que  la 
police  ne  prit  aucun  moyen  pour  mettre  un  frein  à  leur  fu- 
reur. L'aga  des  janissaires  s*était  surtout  attiré  leur  cour- 
roux par  le  soin  qu'il  avait  mis  à  favoriser  le  nouveau  plan 
de  discipline.  Une  i)artie  des  révoltés  envahirent  sa  maison 
pour  l'assassiner ,  mais  il  avait  eu  le  temps  de  fuir  ;  ils  im- 
molèrent à  sa  place  son  kiaga  ou  lieutenant ,  brisèrent  tout 
ce  qu'ils  purent  ttouver  dans  la  maison,  et ,  dans  leur  rage, 
ils  se  portèrent  au  dernier  excès  que  puissent  commettre  des 
musulmans  :  ils  enfoncèrent  les  portes  de  son  harem,  et  in- 
sultèrent ses  femmes.  Le  palais  de  la  Porte,  qf 'vivait  aban- 
donné le  gouvernement,  fut  entouré  par  les  révoltés,  aux- 


/4 


MAGASIN  tlNlVERSEL. 


quels  s'était  jointe  la  populace.  Celle  mnliilude  effrénée 
offrait  l'aspect  lepliisdogoûtant;  les  jnnissairesavaienl  foulé 
aux  pieds  leiu-  uniforme ,  et  te  reste  de  leurs  vèleniens  élait 
déchiré;  Ils  commencèrent  par  démolir  le  palais,  qu'ils  pillè- 
rent, emportant  lout  ce  qui  leur  parut  avoir  quelque  valeur. 
Ils  détruisirent  aussi  les  archives,  dont  ils  supposaient 
qu'on  avait  tiré  leur  nouvelle  organisation. 

Les  janissaires  déployèrent  dans  cette  occasion  un  esprit 
de  résolution  qu'ils  n'avaient  jamais  manifesté  que  dans  les 
circonstances  exlrêmes.  «  Elant  venu  à  la  ville,  dit  un  voya- 
geur, la  première  chose  qui  frappa  mes  regards ,  ce  fut  un 
homme  exlraordinaireuient  gros,  ayant  une  veste  de  cuir 
avec  desornemens  d'étain,  et  agitant  un  fouet  fait  avec  des 
lanières  de  cuir.  Il  était  suivi  de  deux  hommes  aussi  bizar- 
rement accoutrés,  et  qui  portaient,  suspendue  à  un  bâton, 
une  grande  chauitière  de  cuivre.  Ils  parcouraient  les  prin- 
cipales mes  avec  un  air  d'autoiitc,  et  chacim  s'empressait 
de  se  ranger  pour  leur  laisser  un  libre  passage.  J'appris  que 
c'était  la  marmite  d'un  corps  de  janissaires  pour  iafiuelle 
on  conservait  toujours  le  plus  grand  respect.  »  En  effet,  la 
soupe  élait  un  caractère  si  distinclif  de  citte  troupe ,  que 
leur  colonel  s'appelait  Tchor-Badgéou  distributeur  de  soupe. 
Leur  marmite  élait  leur  étendard,,  et  lorsqu'ils  la  sortaient 
ds  leur  caserne,  c'éîait  le  signe  d'un  projet  désespéré.  Les 
marmites  des  différens  corps  furent  donc  portées  à  l'Etîuei- 
dam ,  renversées  au  milieu  de  la  place ,  et ,  dans  un  court 
espace  de  temps,  vin^^t  mille  hommes  armés  furent  rassem- 
bles dans  ce  lieu. 

Le  sultan  convoqua  un  conseil  nombreux,  auquel  il  pro- 
posa de  sortir  l'étendard  du  Prophète.  Son  avis  fut  adopté. 
On  ne  se  sert  de  cette  relique  sacrée,  qui,  dit-on,  est  faite  arec 
un  vêtement  de  Mahomet,  que  dans  les  occasions  les  plus 
solennelles;  il  y  avait  cinquante  ans  qu'on  ne  l'avait  vue  à 
Gonstantinople.  On  la  prit  au  trésor  impérial  et  on  la  porta 
à  la  mosquée  du  sultan  Achmet.  Les  ulémas  et  les  soflas 
marchaient  devant,  et  lesiiltan,  accompagné  de  su  cour, 
suivait  par  derrière ,  récitant  le  corau.  Ce  fut  un  grantl 
acte  de  politique  de  la  p:jrL  de  Mahmoud  ;  car  il  mil  en  jeu 
par  ce  moyen,  les  prt-jugés  et  le  fanatisuie  de  toute  la 
nation.  Aussitôt  que  le  peuple  fut  instruit  de  cet  événe- 
ment, des  milliers  d'hommes  accoururent  se  ranger  sous 
l'étendard,  endonnantdes  marques  du  plus  vifenthousiasiuc. 
Le  muphti  planta  le  sandjack-sheriff  sur  la  chaire  de  la 
magnifique  mosquée  d'Achmet,  et  le  sultan  prononça  l'a- 
natiième  contre  ceux  qui  refuseraient  de  s'y  rallier. 

Quatre  ofQciers  supérieurs,  envoyés  vers  les  janissaires 
pour  les  faire  rentrer  dans  le  devoir,  furent  massacrés  au 
milieu  de  l'Etméidam,  et  les  révoltés  demandèrent  qu'on 
leur  livrât  les  ministres  pour  les  égorger  à  leur  tour.  Le 
sultan  demanda  alors  au  sheik-islan  un  fetva  qui  l'autorisât 
à  exterminer  ses  sujets  rebelles  et  lit  marcher  contre  eux 
l'aga  pacha ,  à  la  tète  de  soixante  mille  hommes ,  sur  les- 
quels il  pouvail  cjuipter.  Cernés  de  toutes  paris  dans  l'El- 
raéidam,  où  ils  étaient  rassemblés  confusément,  ils  ne  purent 
résister;  le  carnage  fut  terrible;  il  en  resta  la  moitié  sur  la 
place  ;  les  autres  purent  à  peine  se  réfugier  dans  leurs  kis- 
las,  ou  casernes.  Après  leur  refus  de  se  rendre  à  quelque  con- 
dition que  ce  fût ,  l'aga  lit  mettre  le  feu  aux  kislas.  On  peut 
juger  quelle  fut  alors  leur  situation  :  ceux  qui  échappaient 
au  feu,  fiérissaient  par  le  fer.  Cependant  leur  désespoir  fut 
fital  à  l'aga  pacha,  qui  perdit  un  nombre  considérable 
d'hommes,  eut  quatre  chevaux  tués  sous  lui ,  et  reçut  plu- 
sieurs blessures.  Enfin,  la  résistance  cessa.  La  flamme  s'a- 
paisa ,  et  le  soleil  du  lendemain  vint  éclairer  un  tableau 
épouvantable  :  des  ruines  incendiées,  éteintes  dans  le  sang, 
tt  des  monceaux  de  corps  ensevelis  sous  la  cendre  fumante. 

Pendant  les  deux  jours  qui  suivirent,  les  ijortes  de  Con- 
stanlinople  restèrent  fermées,  à  l'exception  d'une  seule,  par 
où  purent  entrer  les  fidèles  musulmans  de  la  campagne , 
qui  vinrent  en  foule ,  guidés  par  l'esmaum  ou  prêtre,  de  la 
paroisse ,  pour  voir  le  sandjack-sheriff.  Ceux  des  Janissai- 
res qui  avaient  pu  échapper  au  carnage  de  l'Etméidam , 


f.irent  immolés  sans  quartier:  de  sorte  que  les  rues  comme 
les  casernes  étaient  jonchées  de  morts.  Pendant  tout  ce 
temps ,  aucun  chrétien  ne  put  entrer  dans  Constantinoole , 
sous  quelque  prétexte  que  ce  fùi;  e! ,  quoique  Péra  ne  soit 
séparé  de  la  ville  que  par  un  canal,  il  y  régna  la  plus  par- 
faite tranquillité.  Chacun  vaqua  sans  interruption  à  ses 
occupations  journalières  ;  et  peut-être  n'y  aurait-on  rien  su 
de  ce  qui  se  passait  à  Conslantinople ,  si  ce  n'eût  éié  parla 
vue  des  flammes  et  le  bruit  du  canon. 

L'exposition  du  Sandjack-sheriff  attira  beaucoup  de 
monde  à  Conslantinople  :  c'était  pour  les  musulmans  une 
chose  aussi  rare  que  sainte ,  et  beaucoup  d'entre  eux  regar- 
daient celle  visite  comme  un  pèlerinage  au  tombeau  du 
prophète. 

Le  lendemain,  le  sultan  anathéniatisa  publiquement  tout 
le  corps  des  janissaires,  et  défendit  (pie  leur  nom  fût  jamais 
prononcé.  Le  soir  même ,  les  fellas  proclamèrent  partout 
que  'a  tranquillité  était  rétablie. 

On  n'est  pas  d'accord  sur  le  nombre  des  janissaires  qui 
ont  péri  dans  celle  journée.  Outre  ceux  qui  trouvèrent  la 
mort  à  l'Etméidam ,  dans  les  casernes  et  dans  les  rues,  tme 
grande  quantité  furent  étranglés  dans  les  maisons  où  ils 
s'étaient  réfugiés.  On  croit  qu'il  n'est  pas  échappé  à|lamort 
un  seul  membre  de  ce  corps  immense  ;  tons  les  officiers ,  à 
l'exception  de  quelques-uns  d'un  haut  rang  qui  prirent  parti 
pour  le  sultan ,  périrent  les  armes  à  la  main.  On  pense 
généralement  qu'il  en  a  été  exterminé  vingt  mille.  Des 
acrubas  et  autres  voitures  furent  employées  pendant  plu- 
sieurs jours  à  transporter  les  corps  morts ,  qu'on  jeta  dans 
le  port  et  dans  le  Bosphore.  On  les  voyait  flotter  sur  la  mer 
de  Marmara  :  souvent  même  les  vents  les  jetaient  sur  le 
rivage. 

La  surface  des  eaux  était  couverte  de  ces  débris ,  qui 
entravaient  la  marche  des  bâlimens ,  et  l'on  a  pu  répéter 
avec  vérité  ce  qu'un  poète  a  dit  du  vaisseau  de  Xerxès  que 
les  corps  de  ses  soldats  empêchaient  d'avancer. 

COUTUMES  DU  MOYEN  AGE. 

LES   COMBATS   JPDICIAIKES. 

Ce  fut  sous  le  règne  de  Louis  VII  q::c  s'établit  la  c m- 
tume  des  combats  judiciaires,  jurisprudence  barbare,  qui 
mettait  au  rang  des  preuves  les  plus  certaines  et  les  plus 
propres  à  éclairer  la  conscience  des  juges ,  l'agilité  du  corps 
et  la  force  musculaire  des  plaideurs.  Lorsque  la  solution 
d'un  procès  offrait  quelques  difficultés ,  pour  savoir  de  quel 
côté  était  le  bon  droit,  on  faisait  battre  les  parties,  et  le 
vainqueur  avait  raison.  Ainsi  les  jugemens  étaient  unique- 
ment basés  sur  l'axiome  de  notre  immortel  fabuliste 

La  raison  du  plus  fort  est  toujours  la  meilleure 

On  donnait  à  cette  plaidoirie  brutale  le  nom  de  ckimp- 
clos,  de  duel  ou  combat  judiciaire ,  de  gage  de  bataille ,  et 
même  ûe  jugement  de  Dieu, 

Né  dans  les  forêts  de  la  Germanie ,  cet  usage ,  aussi  ri- 
dicule que  féroce,  fut,  à  la  fin  du  v  siècle,  introduit  par 
les  Bourguignons  dans  la  partie  orientale  de  la  Gaule.  Une 
loi  de  Gondebaud,  roi  de  celte  contrée  (501) ,  le  mit  en 
vigueur.  Vainement  Avitus ,  évoque  de  Vienne ,  et  dans  la 
suite  Agobard ,  évêque  de  Lyon,  dignes  ministres  d'une 
religion  de  paix  et  de  concorde ,  s'élevèrent-ils  avec  force 
contre  ces  prétendus  jugemens  de  Dieu.  Vers  la  fin  de  la 
deuxième  race,  cet  usage  pénétra  dans  le  reste  de  la  Gaule 
et  y  fut  généralement  établi  dans  le  commencement  de  la 
troisième,  c'est-à-dire  sous  Louis  le- Jeune,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit  plus  haut. 

Dans  le  principe ,  ce  n'étaient  que  les  hommes  d'armes 
qui  vidaient  ainsi  leurs  querelles;  mais  bientôt  toutes  les 
classes  de  la  société  furent  soumises  à  celle  procédure.  Les 
vieillards,  les  femmes,  les  riches  bénéficiers ,  trop. faibles 
ou  craignant  pour  leur  personne ,  prenaient  des  champions 


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m 


à  gage.  Ceux-ci ,  pour  quel([ue  argent ,  consentaient  à  courir 
le  risque  d'être  assomuiés,  et  môme  s'ils  étaient  vaincus, 
de  perdre  une  main,  un  pied,  ou  bien  d'être  pendus;  car 
c'était  là  le  sort  réservé  aux  avoués  ou  champions  :  ce  qui 
fut  introduit,  dit-on,  pour  empêcher  qu'ils  ne  se  laissassent 
gagnei-  et  vaincre  par  l'adversaire ,  et  pour  qu'ils  eussent  le 
plus  grand  intérêt  à  bien  défendre  leur  partie. 

Telle  était  la  barbarie  de  ces  temps  d'ignorance,  que  le 
c.mibat  était  ordonné  même  dans  les  procès  d'un  mince 
intérêt.  Ain*-i  on  trouve ,  à  la  date  de  41(Î8,  une  ordonnance 
qui  défend  d'autoriser  le  ihiel  pour  une  contestation  au- 
dessous  de  cinq  sous  :  ce  qui  suppose  qu'auparavant  on 
pouvait  se  battre  pour  une  plus  faible  somme. 

Saint  Louis  tenta  de  déi  .iciner  cette  vieille  coutume  ,  et 
ordonna  que  la  preuve  par  témoins  serait  substituée  aux 
combats  judiciaires;  mais  son  ordonnance,  observée  seule- 
ment dans  les  domaines  royaux,  resta  sans  effet  partoui 
ailleurs.  Les  barons  refusèrent  de  s'y  soumettre  dans  leurs 
seigneuries,  parce  qu'elle  les  privait  d'un  bénéfice  considé- 
rable. En  effet,  lorsqu'il  y  avait  gages  de  bataille,  l'amende 
du  vaincu  roturier  était  pour  eux  de  60  sous,  et  celle  du 
vaincu  gentilhomme  de  60  livres. 

Philippe-le-Bel  essaya  aussi  de  détruire  un  abus  si  révol- 
tant; mais  ne  pouvant  y  parvenir,  il  tâcha  du  moins  d'en 
régler  l'usage,  et  ses  ordonnances  rendirent  les  corabals 
beaucoup  plus  rares.  Ce  n'«st  <nie  vers  la  fin  du  xiV  siècle 
qu'ils  cessèrent  tout  à  fait   . 

Voici  quelques  détails  que  donne  Montesquieu,  dans 
VEsprit  desLois,  sur  les  règles  établies  dans  l'exercice  de 
celte  étrange  jurisprudence. 

On  ne  pouvait  demander  le  combat  que  pour  soi ,  ou  pou;- 
quelqu'un  de  son  lignage,  ou  pour  son  seigneur-lige. 
Lorsqu'il  y  avait  plusieurs  accusateurs,  il  fallait  qu'ils  s'ac- 
cordassent pour  que  l'affaire  fût  poursuivie  par  un  seul  ;  et 
s'ils  ne  pouvaient  en  convenir,  celui  devant  lequel  se  faisait 
le  plaid,  nommait  un  d'entre  eux  qui  poursuivait  la  que- 
relle. Quand  un  gentilhomme  appelait  un  vilaiu ,  il  devait 
se  présenter  à  pied  avec  l'écu  et  le  bâton;  et  s'il  venait  ^ 
cheval  et  avec  les  armes  d'un  gentilhomme,  on  lui  ôiail 
son  cheval  et  ses  armes  ;  il  restait  eu  chemise  et  était  obligé 
de  combattre  en  cet  état  contre  le  vilain.  Avant  le  combat, 
la  justice  faisait  publier  trois  bans  :  par  l'un,  il  était  or- 
donné aux  parens  des  parties  de  se  ri  tirer  ;  par  l'aulre,  on 
avertissait  le  peuple  de  garder  le  silence  ;  par  le  troisième , 
il  était  défendu  de  donner  du  secours  à  l'ime  des  parties, 
sous  de  fortes  peines,  et  même  sous  cel'e  de  mort,  si  par 
ce  secours  un  des  combattans  avait  été  vaincu.  Les  gens  de 
justice  gardaient  le  parc ,  et  dans  le  cas  où  l'ime  des  parties 
aurait  parlé  de  paix,  ils  avaient  giande  alienlion  à  l'état 
où  elles  se  trouvaient  toutes  les  ûeu\  dans  ce  moment, 
pour  qu'elles  fussent  remises  dans  la  même  situation,  si  la 
paix  ne  se  faisait  pas.  Quand  les  gages  étaieut  reçus  pour  1 
crime  ou  pour  faux  jugement ,  la  paix  ne  pouvait  se  faire 
sans  lecoiisentement  du  seigneur. 

Lorsque,  dans  un  crime  capital,  le  combat  se  faisait  par 
champions,  on  mettait  les  parties  dans  un  lieu  d'où  elles  ne 
pouvaient  voir  le  champ  de  bataille,  et  chacune  d'elles  était 
ceinte  de  la  corde  (pii  devait  servir  à  son  supplice ,  si  son 
champion  était  vaincu. 

On  ne  se  battait  pas  dans  toute  espèce  de  cause.  Si  le 
fait  était  notoire,  par  exemple,  si  un  homme  avait  été  as- 
sassiné en  plein  marché ,  on  n'accordait  ni  la  preuve  par 
témoins,  ni  la  preuve  par  le  combat;  le  juge  prononçait 
sur  la  publicité.  Quand  un  accusé  de  meurtre  avait  été  ab- 
sous par  un  parent  du  mort,  de  l'action  intentée  contre  lui , 
un  autre  parent  ne  pouvait  demander  le  combat.  Si  celui 
dont  les  parens  voulaient  venger  la  mort,  venait  à  reparaî- 
tre, il  n'était  plus  question  de  combat.  Il  en  était  de  même 
si ,  par  une  absence  notoire ,  le  fait  de  l'assassinat  se  trou- 
vait impossible.  Si  un  homme,  qui  avait  été  tué,  avait, 
avant  de  mourir,  disculpé  celui  qui  était  accusé,  et  qu'il 
eût  nommé  un  autre  meurtrier,  on  ne  procédait  pas  au 


combat;  mais  s'il  n'avait  nommé  personne,  on  ne  regardait 
sa  déclaration  (jue  comme  un  pardon  de  sa  mort  :  on  con- 
tinuait les  poursuites,  et  mêHie,  entre  geatîLJiuiiimmes,  on 
pouvait  faire  la  guerre. 

Quand  un  homme ,  appelé  en  champ-Clos  pour  un  crime, 
montrait  visiblement  que  c'était  l'appelant  même  qui  l'avait 
commis ,  il  n'y  avait  plus  de  gages  de  bataille  :  car  il  n'y 
aurait  point  eu  de  coupable  qui  n'eilt  préféré  un  combat 
douteux  à  une  punition  certaine. 

Beauînanoir  dit  qu'un  homme  qui  voyait  qu'an  témoin 
allait  déposer  contre  lui,  pouvait  éluder  sa  déposition  en 
disant  aux  juges  que  son  «adversairiC  produisait  un  témoin 
faux  et  calomnieux  ;  et  si  le  témoin  voulait  soutenir  la  que- 
relle, il  donnait  les  gages  de  bataille.  Si  ce  témoin  était 
vaincu,  la  partie,  qui  l'avait  produit,  perdait  son  procès. 
Le  témoin  pouvait  quelquefois  se  dispenser  de  combattre; 
mais  pour  cela  il  fallait  qu'il  dît  à  sa  partie,  avant  de  dépo 
ser  :  «  Je  ne  me  bée  pas  à  combattre  pour  votre  querelle, 
«  ne  à  entrer  au  plet  au  mien  ;  mais  se  vous  me  voulez 
«  défendre,  volontiers  dirai  la  vérité.  »  La  partie  se  trou- 
vait alors  obligée  de  combattre  pour  le  témoin. 

I^  nature  de  la  décision  par  le  combat,  étant  de  termi- 
nci'  l'affaire  pour  toujours ,  et  n'étant  pas  compatible  avec 
un  nouveau  jugement,  l'appel,  tel  qu'il  est  établi  par  les 
lois  canoniques,  c'est-à-dire  à  un  tiibunal  supérieur,  était 
iricouiiu  en  France.  Mais  on  pouvait  prendre  ses  juges  à 
partie,  et  fausser  la  cour,  comme  on  le  disait  à  cette  époque  : 
on  combattait  alors  contre  eux,  et  il  fallait  les  vaincre  tous, 
pour  prouver  que  le  jugement,  qu'ils  avaient  rendu,  était 
faux  et  inique.  Si  la  partie  était  vaincue,  elle  payait  une 
amende,  lorsqu'il  ne  s'agissait  que  d'une  affaire  ordinaire; 
mais  lorsque  l'affeire  était  capitale,  elle  étajt  punie  de 
mort. 

Telles  étaient  les  principales  règles  établies  pour  les 
combats  judiciaires  :  dans  un  prochain  numéro  nous  don- 
nerons à  nos  lecteurs  quelques  exemples  de  ces  sortes  de 
combats. 


LA  MAISON  DE  VOLTAIRE 

A  FERNET. 

On  ne  saurait  visiter  sans  éprouver  la  phis  vive  émotion 
le  séjour  de  cet  homme  extraordinaire  qui  donna  son  nom 
au  xviii''  siècle,  et  qui  le  remplit  tout  entier  par  son  âge  et 
ses  immortels  écrits.  C'est  à  Ferney  que,  fatigué  des  cours, 
rassasié  d'éloges,  il  vint  passer  les  vingt  dernières  années  de 
sa  vie.  A  la  place  du  misérable  hameau  qu'il  y  avait  trouvé, 
s'éleva  bientôt ,  par  ses  soins ,  une  jolie  petite  ville,  peuplée 
d'ouvriers  habiles,  de  commerçans  industrieux.  Un  théâtre 
qu'il  y  établit,  et  où  il  jouait  parfois  lui-même ,  des  bals  bri!- 
lans ,  auxquels  ses  courtes  apparitions  donnaient  plus  d'at- 
trait encore,  enfin  des  divertissemens  de  tous  genres,  firent 
de  ce  lieu  le  point  de  réunion  de  tout  ce  que  le  pays  de  Ge- 
nève comptait  de  plus  distingué.  L'affluence  des  étrangers, 
savai.s,  beaux-espits,  prélats,  grands-seigneurs  et  princes 
même,  répandit  à  Ferney  l'abondance  et  la  prospérité. 

Le  diâleau  appartient  aujourd'hui  à  la  famille  de  M.  de 
Budé,  qui  jadis  l'avait  vendu  à  Voltaire.  Elle  s'est  empres- 
sée de  le  racheter  après  sa  mort ,  et  elle  permet  aux  étran- 
gers de  visiter  ces  lieux  illustrés  par  l'auteur  de  Zaïre.  Sa 
chambre  est  encore  telle  qu'au  temps  où  il  l'habitait  ;  rien 
n'est  changé  :  son  lit,  sa  table,  ses  fauteuils,  ses  tableaux, 
chaque  chose  est  à  sa  place.  En  face  de  la  cheminée ,  on  voit 
le  petit  monument,  de  forme  pyramidale ,  que  la  marquise 
de  Villette,  dont  Voltaire  parle  si  souvent  sous  le  nom 
de  belle  et  bonne ,  avait  érigé  pour  renfermer  le  cœur  de 
son  père  adoptif.  On  y  lit  celte  inscription,  qui  subsiste  en 
core,  bien  que  le  cœur  de  Voltaire  n'y  soit  pas  : 

Son  esprit  est  partout ,  mais  son  cœur  est  ici. 


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(  La  Chairiljre  de  Voltaire  à  Ferney.) 


An-desstis  se  trouve  celte  autre  inscription  : 

Mes  mânes  sont  consolés,  puisque  mon  cœur  est  au  milieu  de 
>us. 

On  remarque  aussi  dans  la  même  chambre  un  grand 


grand  Frédéric,  de  Corneille,  de  Racine,  de  Milton,  d<; 
Newton,  de  Leibnilz,  du  duc  de  Choiseul ,  de  d'Alemberl, 
de  Franklin,  de  Diderot;  mais  ce  qui  attire  surtout  l'atten- 
tion, ce  sont  les  rideaux  hachés  et  déchirés  que  l'on  voit 
suspendus  an-dessus  du  lit.  C'est  le  fanatisme  des  visiteurs 


nombre  de  portraits,  entre  autres  ceux^e  Catherine  II  du  I  qui  les  a  mis  dans  cet  état  :  chacun  a  voulu  en  emporter  un 


morceau  comme  une  prcclense  relif[ue ,  et  i.  est  mutile  de 
dire  que  la  cupidité  du  cicérone  spécule  sur  ces  dépréda- 
tions continuelles,  et  supplée  avec  adresse  à  l'étoffe,  quand 
elle  vient  à  manquer. 

Voltaire  avait  ordonné  que  son  bureau  et  un  placard  ne 
seraient  ouverts  que  cinquante  ans  après  sa  mort.  Que  con- 
tenaient-ils? Quelques  personnes  pensent  qu'on  devait  y 
trouver  des  manuscrits  sur  plusieurs  familles  contemporai- 
nes, et  d'autres  des  prédictions  sur  la  marche  probable  des 
événemens  politiques.  Ces  deux  meubles  avaient  été  dépo- 
sés dans  un  petit  monument,  élevé  dans  le  parc  à  la  mé- 
moire de  Voltaire.  Des  brigands  y  pénétrèrent  au  mois  de 
novembre  4819;  ils  y  commirent  des  dégâts,  et  les  papiers 
disparurent;  on  n'a  pu  découvrir  les  auteurs  du  crime  ,  et 
l'on  en  est  réduit  à  des  conjectures  sur  un  sujet  aussi  inté- 
ressant. 

Le  resie  de  l'appartement  ne  présente  que  peu  d'intérêt, 
si  ce  n'est  le  salon,  où  l'on  a  conservé  quelques  vieux  meu- 
bles, et  ce  tableau  allégorique  dans  le(|uel  le  poète,  peu  mo- 
deste, avait  fait  repr'^spnler  «on  apnibéose  et  son  triomphe 


sur  ses  ennemis  terrassés.  Les  antres  pièces  ont  été  déna- 
turées, et  l'on  cire  les  souliers  dans  le  cabinet  de  travail  de 
Voltaire. 

On  voit  encore  chez  le  jardinier  du  parc  quelques  objets 
qui  ont  servi  à  Voltaire ,  et  parmi  lesquels  figure  un  petit 
cahier  de  sept  à  huit  feuillets,  renfermant  les  cachets  des 
individus  qui  lui  écrivaient.  Au-dessous  de  chaque  cachet, 
est  écrit,  de  sa  main,  le  nom  de  la  personne,  accompagné 
d'une  épithèle,  telle  que  celles-ci  :  homme  d'esprit ,  imbé- 
cile, fou  de  la  cour,  etc.  Ce  cahier  lui  servait  à  reconnaître, 
sans  les  décacheter,  les  lettres  ([u'il  ne  voulait  pas  recevoir. 

Auprès  du  château ,  se  trouve  la  chapelle  érigée  par  le 
phiIoso|)he  de  Ferney,  et  sur  laquelle  il  fit  placer  cette  or- 
gueilleuse inscription  :  Deo  erexit  Voltaire.  Elle  servit  long- 
temps de  paroisse  à  la  ville  ;  mais ,  depuis  quelques  années, 
elle  a  été  abandonnée  pour  une  église  nouvelle. 


Les  Bureaux  d'Abonnement  et  de  Vente  sont  :  Quai  des  Au4 
gustins,  41, 


3) 


(  i6ocioKr8i83<.) 


tt/lGASIN  UNIVERSEL. 


%1 


INAUGURATION  DE  LA  STATUE  DE  CORNEILLE,  A  ROUEN. 
NOTICE  BIOGRAPHIQUE  SUR  M.   DAVID,  STATUAUBTI- 


(  Stafoe  de  Corneill*.  ) 


Nous  ne  saurions  choisir  «n  à-propos  plus  heureux,  pour 
offt-ir  à  nos  lecteurs  un  dessin  exact  de  la  statue  du  grand 
Corneille,  exécutée  par  le  célèbre  statuaire  David ,  puisque 
c'est  dans  trois  jours  qu'elle  doit  être  inaugurée  à  Rouen . 
patrie  du  père  de  la  tragédie  française.  Elle  est  en  bronze , 
et  a  été  fondue  en  quatre  parties,  par  Honoré  Conon;  la 
fonte  s'est  faite  à  cire  perdue ,  ce  qui  rend  inutile  le  tra- 
vail du  ciseleur,  et  conserve  identiquement  la  forme  du 
modèle.  La  figure  a  douze  pieds  d'élévation  ;  le  piédestal , 
qui  est  de  granit  et  de  marbre  blanc,  en  a  un  peu  plus;  de 
sorte  que  l'ensemble  du  monument  doit  avoir  de  vingt-six 
à  vingt-sept  pieds.  Le  poids  du  bro  nze  est  d'environ  cinq 
mille  kilogrammes. 

C'est  sur  le  terre-plain  du  poiM  d'Orléans,  que  celte 

TOMG  II. 


statue  doit  êlre  placée.  Regardée  de  son  point  de  vue  na- 
turel ,  c'est-à-dire  du  milieu  du  pont,  elle  se  dessinera  en- 
tièrement sur  le  ciel,  et  produira  ainsi  l'effet  le  plus  agréable. 
Le  roi ,  qui  a  souscrit  a  ce  beau  monument ,  en  a  posé  la 
première  pierre ,  lors  de  son  dernier  voyage  au  mois  de 
septembre  <833.  La  direction  des  travaux  a  été  confiée 
d'abord  à  M.  Alavoine ,  et  ensuite  à  M.  Grégoire ,  archi- 
tectes ,  tous  deux  membres  de  la  société  libre  d'émulation 
de  Rouen ,  au  zèle  de  laquelle  on  doit  l'érection  de  la  statue. 
Les  descendans  de  la  famille  de  Corneille,  ont  été  invites 
à  assister  à  la  cérémonie. 

Un  exemplaire  des  œuvres  de  ce  grand  poète ,  et  une 
médaille  exécutée  par  M.  Dépawlis,  seront  déposés  dans  \a 
corps  de  la  statue. 


« 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


David  est  né  à  Angers,  en  iT98;  il  montra  de  Iwnne  1  et  de  là  en  Italie.  L'usage  du  lichen  roceUn  (orseille)du 
heure  un  goi^t  trè.s-vif  pour  les  beaux -arts,  et  particu- j  safran ,  de  l'indigo  et  de  l'alun ,  substances  précieuses  pour 
Hèrement  pour  la  sculplure.  Après  avoir  étudié  le  dessin    la  teinture,  s'introduisit  ou  devint  plus  commun.  Tyr  pos- 


dtins  sa  ville  natale,  il  vint  à  Paris  sans  y  apporter  aucun 
moyen  d'existence;  long-temps  il  vécut  dans  une  position 
difficile,  mais  ayant  eu  le  bonbenr  déplaire  au  célèbre 
peintre  David,  qui  l'admit  gratuitement  dans  son  atelier, 
il  fut  recommandé  aux  administrateurs  d'Angers,  qui  lui 
firent  une  pension  de  ."îOO  fr.  sur  les  fonds  de  la  commune. 
La  demande  présentée  en  sa  faveur  avait  été  apostillée  par 
tous  les  membres  de  la  quatrièuie  classe  de  l'Institut. 

David  obtint  en  I8H  le  prix  de  la  tète  d'expression,  et 
le  premier  prix  de  sculpture.  Il  se  rendit  ensuite  en  Italie, 
fré(|uenta  assidûment  l'atelier  de  Ganova,  et  étudia  avec 
enthousiasme  les  chefs-d'œuvre  de  cette  terre  classique  des 
arts.  En  1810,  il  alla  visiter  en  Angleterre  le  célèbre 
Flaxman  et  la  collection  de  lord  Elgin,  qui  a  dépouillé  la 
Grèce  d'ini  grand  nombre  de  beaux  marbres.  C'est  pen- 
dant ce  séjour  en  Angleterre,  qu'une  société  de  souscripteurs 
lui  proposa  d'exécuter  une  colonne  avec  statue  et  bas-reliefs, 
ejx  mémoire  de  notre  défaite  de  Waterloo  ;  David  refusa  avec 
une  noble  fierté ,  et  cependant  il  était  alors  dans  une  sorte 
d'embarras  pécuniaire.  En  1823,  il  fut  nommé  membre  de 
la  légion-d'honneur;  l'Institut,  le  Saoul  1826,  l'admit  dans 
son  sein,  et  quatre  mois  après  on  lui  confia  nne  place  de 
professeur  à  l'Ecole  royale  des  Beaux-Arts.  Les  travaux 
de  David  sont  nombreux  et  d'un  grand  mérite  ;  nous  cite- 
rons entr'autres  :  la  statue  de  Fénélon,  (jue  l'on  a  élevée 
à  Cambrai;  celle  du  général  vendéen  Doncbamps;  celles 
du  général  Foy  et  du  maréchal  Gouvion  Saint-Cyr ,  que 
l'on  voit  au  cimetière  du  Père-la-Chaise  ;  la  statue  de  Cu- 
vier,qui  orne  la  place  de  Montbelliard;  le  buste  de  Pa- 
ganini;  la  Sainte-Cécile  de  l'église  de  Saint-Roch;  la  Jeune 
Fille  Grecque  qu'on  a  vue  à  une  récente  exposition;  un 
OEil-de-Bœuf  orné  de  deux  belles  figures,  au  Louvre; 
enfin  les  médaillons  qui  reproduisent  avec  un  lare  bonheur 
les  traits  d'un  grand  nombre  d'illustrations  modernes ,  et 
parmi  lesquels  ont  doit  distinguer  celui  de  Manuel.  Nous 
ajouterons  à  cette  liste,  le  Philoppémen  qui  doit  bientôt 
©rner  les  Tuileries. 

David  s'occupe  présentement  de  l'immense  bas-relief  ([ui 
ornera  le  fronton  du  Panthéon  ;  on  ne  pouvait  mieux  choisir 
pour  l'exécution  de  cette  œuvre ,  qui  demande  non-seuk- 
ment  un  génie  mâle  et  vigoureux  ,  mais  encore  tuie  cer- 
taine sympathie  pour  les  Idées  libérales. 


LES  CROISADES.  Suite,  (I) 
'  Les  croisades  onl  exercé  une  influence  très  remarquable 
non-seulement  sur  le  moral  des  nations  chrétiennes ,  sur  le 
gouvernement  ecclésiastique  et  civil ,  mais  sur  le  connnerce 
et  l'industrie.  Elles  ont,  non  pas  déterminé,  mais  bâté  la 
grande  révolution  qui  s'est  faite  dans  l'état  de  l'Europe. 
Les  guerres  sacrééis  donnèrent  [tlus  d'étendue  et  d'acti- 
vité au  commerce  que  niîTniient  avec  le  levant  plusieins  ports 
de  mer  de  l'Italie  et  de  la  France.  Mai-seille  obtint  des  rois 
de  Jérusalem  l'exemption  de  tous  impôts ,  de  tous  péages ,  et 
dans  chaque  ville  maritime,  nn  quartier  où  les  Français 
eurent  leurs  libertés ,  leurs  lois  et  leurs  magistrats.  Les 
Marseillais  donnèrent  à  leur  marine,  un  tel  accroissement 
que  dans  l'année  M  90,  ils  purent  transportera  la  Terre- 
Sainte,  toute  l'armée  anglaise  de  Richard  Cœur-de-Lion. 

Les  croisades  développèrent  les  ressources  de  l'industrie. 
Il  est  hors  de  doute  que  l'Asie  et  l'Europe  trouvèrent  de 
nouveaux  déhouchcs  ;  que  l'augmentation  de  travail  accrut 
Taisance  générale .  le  bien  être  de  la  vie  privée ,  et  contri- 
bua à  radoucissement  des  mœurij.  Mais  à  cet  égard  nous 
avons  peu  de  renseignemens  précis ,  et  à  peine  pojjvons 
nous  recueillir  dans  les  historiens,  quelques  particularités. 
La  fabrication  des  étoffes  de  soie  passa  de  la  Grèce  en  Sicile 

(i)  Voyez  p»ge  4i3,  i»"^  volume. 


sédait  des  verreries  fumeuses  (jui  servirent  de  modèles  a 
celles  de  Venise.  On  apprit  des  Arabes  à  mieux  travailler 
les  métaux ,  à  lixer  l'émail  sur  leur  surface ,  à  monter  les 
pierreries  avec  plus  de  goût  et  peut  être  à  polir  le  diamant. 
On  voit  par  ces  légers  détails  que  les  croisades  multiplièrent 
surtout  les  manufactures  de  luxe.  Aux  xii"  etxiii''  siècles, 
la  magnificence  orientale ,  brilla  sur  les  vêtemeiîs ,  dans  les 
arnnuTs  et  dans  les  équipages. 

Sous  le  rapport  scientifi(iue  et  littéraire,  les  croisades 
n'ont  produit  que  de  faiblçs  avantages.  Les  rudes  guerriers 
de  l'occident  n'étaient  point  capables  d'une  noble  culture. 
Ils  allaient  en  Orient  pour  conquérir  et  non  pour  s'éclairer. 
C'est  en  vain  qu'ils  firent  tm  long  séjour  dans  l'empire  grec 
où  le  génie  de  l'antiquité  jetait  encore  quelques  étincelles. 
Les  pri^ngés  nationaux,  la  différence  de  langue  et  de  reli- 
gion mirent  des  olwtacles  insurmontables  à  la  communica- 
tion des  idées. 

La  quatrième  croisade ,  (celle  qui  se  termina  parla  prise 
de  Constanlinople) ,  causa  aux  lettres  et  aux  arts  nn  irré- 
parable dommage.  L'incendie  de  cette  ville  anéantit  un 
grand  nombre  d'ouvrages  précieux,  de  marbres  et  de  bronzes 
animés,  par  la  main  de  Lysippe ,  de  Phidias ,  de  Praxitèle. 
Comme  l'observation  de  la  nature  était  tout  à  fait  négli- 
gée, les  sciences  naturelles  ne  firent  aucun  progrès  ou 
s'égarèrent.  Les  mathématiques  ne  ftnent  pas  moins  négli- 
gées. Les  croisés  parcoururent ,  il  est  vrai,  des  pays  peu  fré- 
quentés; des  voyageurs  pénétrèrent  dans  des  régions  jus- 
qu'alors ignorées  de  l'Europe  moderne  ;  mais  faute  de 
connaissances  en  géométrie  et  en  aj-tronomie,  ils  n'eurent 
que  des  idées  confuses  et  inexactes  sur  les  limites  de  ces 
diverses  contrées,  sur  la  vraie  situation  des  lieux,  sur  le 
gisement  des  côtes ,  et  ils  accréditèrent  un  grand  nombre 
d'erreurs  géographiques. 

L'agricidture  et  le  jardinage  d'Europe  s'enrichirent  de 
plusieurs  végétaux  utiles  ou  d'agrément;  la  canne  à  sucre 
fut  transplantée  de  Syrie  en  Sicile ,  et  delà  portée  à  Madère 
d'où  elle  passa  plus  lard  dans  le  Nouveau-Monde. 

La  navigation  et  l'archileclure  navale  reçurent  quelques 
perfeclionncmcns.  On  donna  de  meilleures  proportions  aux 
diverses  parties  du  navire.  Au  lieu  d'un  seul  mat,  on  eu 
dressa  plusieurs; 'on  apprit  à  mieux  disposer  les  voiles  et  à 
faire  route  avec  un  vent  pres([ue  contraire. 

L'architecture  civde  prit  nne  face  nouvelle.  Parmi  les 
croisés,  il  y  avait  des  architectes,  des  charpentiers,  des 
ouvriers  de  toute  espèce,  qui ,  de  retour  dans  leur  patrie , 
imitèrent  l'architeclttre  syrienne ,  arabescpie  ou  sarrasine ,  à 
à  laquelle  on  a  donné  sans  raison  le  nom  de  gothique. 

Les  croisades  inspirèrent  les  historien?  elles  poètes.  Aupa- 
ravant ,  on  n'avait  que  des  chroniqueurs;  les  moines  compi- 
laient des  annales  froides  et  indigestes.  Les  expéditions 
saintes  éveillèrent  le  talent,  par  la  nouveauté,  la  grandeur 
et  l'inlérct  des  sujets;  elles  furent  décrites,  tantôt  avec 
énergie  tantôt  avec  une  aimable  naïveté.  Les  sires  de  Vil- 
lè-IIardouin ,  et  de  .loinville  donnèrent  leurs  relations  en 
français  vulgaire.  C'était  pour  la  première  fois  que  l'his- 
toire moderne  parlait  aux  peuples  dans  leur  langue;  elle 
avait  à  raconter  des  faits  populaires ,  dont  on  s'entretenait 
dans  les  cabanes ,  aussi  bien  que  dans  les  doîlres  et  dans  les 
palais. 

Les  troupes  ou  plutôt  les  masses  indisciplinées  que  aos 
rois  conduisirent  en  Terre-Sainte,  ne  se  composaient  que 
d'hommes  sans  instructioji  militaire,  marchant  avec  con- 
fusion et  comballant  sans  ordre  comme  sans  tactique.  Lors- 
que la  première  de  ces  expéditions,  se  mit  en  marche,  elle 
était  divisée  en  trois  corps  principaux,  et  en  deux  corps  de 
réserve.  i.a  formation  aéfinitive  du  premier,  eut  lien  en 
Souabe  :  Il  était  de  cent  mille  hommes,  dont  douze  mille 
de  cavalerie;  le  second,  organisé  en  Provence,  se  trouvait 
sous  les  ordres  de  Godefroy  de  Bouillon  ^  et  se  composait 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


t« 


de  qualie-vingt  luille  hoinmes ,  dont  dix  mille  de  cavalerie  ; 
le  troisième  comptait  seulement  trente  mille  hommes.  La 
force  des  deux  corps  de  réserve ,  consistait  en  deu>;  cent 
cinquante  mille  fantassins  et  cavaliers.  Ainsi  le  total  de  celle 
armée,  dont  l'Europe  attendait  des  prodiges,  comprenait 
un  effectif  de  (pi  aire  cent  soixante  mille  combaltans.  I\Iais 
celte  force  mal  dirigée ,  sans  vivres  et  mal  administrée,  ne 
pouvait  aller  loin.  Ces  formidables  colonnes  s'acheminèrent 
îenlement  vers  la  Hongrie  et  la  Bulgarie.  Une  partie  de  ces 
troupes  ayant  commis  de  graves  désordres  dans  ces  deux 
pays ,  les  habilans  se  réunirent  pour  atlaquei"  l'armée 
sainte,  la  vainquirer.t  et  en  firent  un  grand  carnage.  Le 
principal  corps  commandé  par  Godefroy  de  Bouillon .  ne 
connut  et  ne  souffrit  auciuîe  injure,  et  parvint  sous  les 
mursdeCcMislantinoplc;  il  était  coniposé  à  celle  époque  de 
cent  soixante-ciiu|  mille  hommes  d'infanterie,  el  quinze  mille 
de  cavalerie.  Celle  armée  aborda  aux  rives  Africaines 
en  1096,  mais  elle  y  éprouva  une  suite  de  défaites.  Une 
seconde  armée  fut  envoyée  au  secours  de  la  première  ,  et 
mit  à  la  voile  en  1090.  Elle  était  composée  de  Français, 
d'Allemands  et  d'Italiens,  et  comptait  environ  trois  cent 
mille  combaltans.  Après  quelques  succès  assez  brillaiis, 
mais  sans  aucun  avantage  réel ,  elle  fut  en  partie  délruite. 

Louis-le-Jeunc  partit  avec  deux-cent  mille  hommes  pour 
la  conquête  de  la  Terre-Sainte  ,  après  s'être  joint  à  l'em- 
pereur Conrad.  Ce  fut  alors  qu'on  imagina ,  pour  éviter 
toute  confusion  et  prérenir  les  malheurs  précédens ,  de  don- 
ner une  espèce  d'uniformité  à  l'habillement  des  troupes. 
Il  fut  décidé  qu'elles  porteraient  une  croix  d'étoffe  sur  la 
poitrine  ou  sur  l'épaule.  Chaque  nation  eut  sa  couleur  par- 
ticulière. Cette  croix  était  rouge  pour  les  Français;  noire  pour 
les  AUeuiands  ;  pour  les  Anglais  blanche  ;  pour  les  Italiens 
jaune  ;  pour  les  Flamands  verte.  C'est  ce  signe  qui  leur 
fit  donner  !e  nom  de  Croisés.  Les  chevaliers  étaient  armés 
d'un  casque  et  d'un  bouclier ,  d'une  masse  d'armes  ou  d'une 
lance.  Les  serfs  s'armaient  de  toute  espèce  d'instrumens  el 
et  d'armes  tranchantes  :  ils  portaient  quelquefois  la  lance; 
un  cas(jue  rond  et  léger,  sans  aucune  espèce  de  garniture, 
défendait  leur  tête  descoupsde  l'ennemi.  (Voyez  la  gravure 
qui  accompagne  le  premier  article,  F'"  vol.  page  415). 

La  troisième  expédition ,  s  i  funeste  aux  armes  de  Phi- 
lippe-Auguste,  fut  entreprise  et  exécutée  en  H 90.  Richard 
roi  d'anglelerre ,  et  l'en^pereur  Frédéric-Barl)erousse  se 
croisèrent  avec  le  roi  de  France.  L'armée  expéditiomiaire 
comptait  quatre  cent  cinquante  mille  condiattans ,  dont 
cent  vingt  mille  Français,  (juatre-vingt  mille  Anglais  , 
cent  ciucjuante  mille  Allemands,  et  soixante  mille  Italiens. 
La  (piatrième  croisade ,  dont  on  ne  connaît  pas  la  force,  sor- 
tit du  golfe  de  Venise  en  1202,  sous  la  conduite  de  Boni- 
face ,  manjuis  de  Monlfort. 

En  I2i8,  Louis  IX  s'embarqua  à  Aiguës-  Mortes,  pour 
aller  soumettre  les  inlidèles  de  la  Palestine.  Après  quelques 
succès ,  la  fortune  l'abandonna  ;  il  fut  vaincu  par  les  Sarra- 
sins à  Charmasac,  el  conduit ,  captif,  à  iMassoure.  Il  acheta 
sa  liberté  et  revint  escorté  des  faibles  débris  de  son  armée, 
décimée  par  les  couibals,  les  supplices  et  les  prisons. 

Nous  avons  fuit  connaître,  à  l'occasion  de  la  mort  de 
Saint-Louis  (  page  505)  le  triste  résultat  de  laseconde  expé- 
dition, entreprise  par  ce  prince  en  1270.  Cette  croisade  fut 
la  dernière.  Le  nombre  des  troupes  employées  par  Louis  IX , 
dans  ces  deux  voyages  d'outre-mer,  s'élevait  ti  soixante  ou 
quatre-vint  mille  hommes,  dont  vingt  à  vingt-cinq  mille  de 
cavalerie. 

LE  CLERGÉ  GREC. 
On  sait  que  les  Grecs  suivent  la  foi  chrétienne  sans  ad- 
mettre la  prééminence  du  successeur  de  Saint -Pierre. 
Toléré,  avoué  même  par  les  capitulations  des  empe- 
reurs musulmans,  qui  révèrent  Jésus  sous  le  nomd'Issa, 
comme  le  prophète  qui  doit  un  jour  procéder  au  jugement 
universel,  leur  culte  fleurirait  pent-èlre  encore,  si  ses  mi- 
nistres (les  papas),  pour  Ja  plupart  ignorans  et  grossier;^, 


ne  se  déshonoraient  journellement  par  une  c«nd»|ile  coi»^ 
stannnent  en  opposition  avec  les  principes  qu'ils  prêchent 
publiquement. 

Les  ministres  de  la  religion  greccpie  peuvent  être  divisé^ 
en  réguliers  et  en  séculiers;  les  patriarches,  les  évéque^ 
tirés  de  la  classe  des  caloyers  ou  religieux  cloîtrés,  sonÇ 
voués  au  célibat.  C'est  dans  cet  ordre  (|ue  l'on  trouve  au-r 
jourd'hui  les  seuls  hommes  un  peu  iuti  uils  dans  les  ma- 
tières thiologiques. 

Ces  caloyers ,  destinés  à  être  un  jour  patriarches  et 
évoques ,  font  ordinairement  leurs  premières  études  dans 
les  monastères  du  mont  Athos.  La  plupart  d'entr'eux  ap- 
apparliennent  aux  familles  les  plus  distinguées  de  la  Grèce. 

Ils  apprennent  dans  ces  monastères ,  ^et  surtout  dans  celui 
de  Pathmos ,  à  comiaître  les  Pères  de  l'Eglise  ;  ils  pourraient 
même  y  lire  Bossuet  et  les  meilleurs  théologiens  français  , 
dont  ils  possèdent  des  traductions;  mais  avec  leur  esprit 
subtil,  les  caloyers  du  mont  Athos  hérissent  de  distinctions 
et  de  chiennes  les  articles  les  moins  contestables  de  la 
croyance  des  chrétiens.  Il  semble  qu'ils  aient  reporté  les 
sophismes  de  l'école,  les  (pierelles  de  la  dialectique  dans 
la  pairie  d'Arislole. 

Si  l'on  trouve  encore  quelques  monastères  d'hommes  en 
Morée,  il  n'existe  plusdans  cette  province  qu'un  petit  nombre 
de  couvens  de  religieuses.  Ils  occupaient  autrefois  les  sites 
les  plus  rians  de  la  province;  mais  les  Albanais,  dans  les 
dernières  guerres,  les  incendièrent  après  avoir  égorgé  ou 
vendu  celles  qui  les  haî)itaient.  Quehpies-uns  de  ces  cou- 
vens se  relevèrent  depuis  ;  on  y  vit  accourir  des  fenuues 
malheureuses  douées  d'riue  imagination  ardente,  (|ue  le  be- 
soin d'aimer  portait  à  se  jeter  dasis  les  retraites  consolantes 
de  la  religion.  Peu  déjeunes  fenuues,  encore  uioins  de 
jeunes  filles,  peu[)lent  ces  demeures  silencieuses.'^ 

Les  évoques  ont  la  surveilhuice  tie  tous  les  couvens  de 
leur  diocèse.  Ils  rappèlent,  par  la  sinq)!icilé  de  lem-s  mœurs 
et  par  celle  de  leurs  demeures,  lesé\êquesde  la  prinii- 
tive  église.  Le  luxe  ne  les  environne  que  dans  les  cérén.o- 
niesdu  culte.  On  les  voit  bien  souvent,  voyager,  au  milieu 
de  leur  diocèse ,  à  pied ,  ou  quelquefois  montés  sur 
un  âne,  portant  le  bâton  pa-toral,  syudiole  de  la  douceur 
de  leurs  fonctions  et  de  la  puissance  qui  leur  est  accordée. 
Occupés  non-seulement  de  consoler  le  peuple,  mais  encore 
de  le  protéger  par  tous  les  moyens  qui  sont  en  eux,  ils  in- 
terviennent comme  médiateurs  dans  les  discussions.  Par  l'in- 
fluence de  leur  rang,  indépendamment  des  moyens  de  per- 
suasion que  leur  domie  une  éducation  soignée,  ils  con- 
cilient journellement  les  intérêts  les  plus  opposés;  mais  dès 
qu'il  s'élève,  pour  la  démarcation  de  leur  diocèse,  quelque 
contestation  avec  les  évêques  voisins ,  l'homme  se  montre 
alors;  ils  sortent  de  ce  caractère  paisible  qui  leur  attirait 
les  respects,  oublient  leur  dignité,  et  se  livrent  ^ux éclats 
les  plus  scandaleux. 

Une  des  fonctions  les  plus  pénibles  que  les  évêques  aient 
a  remplir  dans  la  Grèce,  c'est  de  maintenir  l'ordre  et  la 
discipline  parmi  le  clergé  inférieur,  parmi  ces  papas  ignorans 
et  fanatiques  dont  le  plus  grand  nombre  déslionore  leqr 
ministère  par  des  mœurs  peu  régulières. 

Ces  ministres ,  ou  espèce  de  curés,  qui  communiquent 
intimement  avec  les  fidèles,  sont  ou  mariés  ou  célibataires. 
Le  papa  ([ui  a  contracté  mariage  avant  l'ordination ,  peut 
continuer  de  vivre  avec  sa  femme.  Il  résulte  de  cette 
loi ,  que  la  plupart  de  ceux  qui  se  destinent  à  rét<it  ecclé- 
siastique, se  marient  avant  d'entrer  dans  les  ordres;  ils 
choisissent  en  conséquence ,  autant  que  possible ,  une 
femme  robuste,  qui  promette  une  longue  suite  d'années  y 
car  si  elle  vient  à  mourir,  ils  ne  peuvent  contracter  d'autres 
liens. 

Ces  papas,  par  leur  saleté  et  leur  grossièreté,  «ont 
vraiment  un  objet  dégoiitaut  ;  ils  ne  sortent  jamais  sans 
avoir  leur  étole  dans  la  poche ,  pour  faire  quelque  acte  de  leur 
ministère,  chose  dont  on  les  requiert  assez  fréquemment. 
Presque  tous  ceux  tme  j'ai  connus,  dit  un  voyageur  français 


K 


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étaient  fourbes ,  avides ,  méchans ,  adonnés  au  vice ,  à  la 
rapine ,  et  ils  détestaient  tous  les  chrétiens  étrangers  à 
leur  communion,  dont  ils  ne  .parlaient  qu'avec  dédain,  ou 
en  faisant  des  imprécations.  Aussi  ce  rebut  de  la  société, 
ces  vils  papas ,  ne  tiennent-ils  pas  tellement  à  leur  état , 
qu'ils  ne  le  quittent  au  gré  de  leur  intérêt  ;  j'en  ai  vn  d'as- 
sez bas  poHr  se  faire  domestiques ,  ou  pour  danser  dans 
les  lieux  publics.  D'autres ,  aussi  dégradés,  mais  plus  cou- 
pables ,  ne  rougissent  pas  de  se  mêler  aux  bandes  de  bri- 
gands qui  infestent  la  Homélie,  ou  qui  se  mettent  il  la  tète 
des  ex|>éditions  maritimes  des  forbans  du  cap  Ténare  et  de 


l'Èpire.  Aussi,  rarement  prenait-on  une  barque  de  pirates, 
ou  une  bande  de  brigands ,  sans  y  trouver  un  aumônier , 
que  les  Turcs  avaient  grand  soin  de  faire  empaler  en  tête 
des  voleius ,  auxquels  ils  ne  fesaient  jamais  grâce. 

La  spéculation  des  brigands  et  des  papas  est  toute  natu- 
relle ,  d'après  l'idée  que  ces  misérables  se  font  de  la  religion, 
dont  ils  profanent  les  cérémonies  les  plus  saintes.  Us  vendent 
l'absolution  des  crimes  aux  hommes  [larmi  lesquels  ils  se 
trouvent,  sauf  à  eux  à  se  pourvoir  auprès  d'autres  papas, 
qu'ils  trouveront  toujours  accessibles  pour  de  l'argent. 


FlU  tNCE.  —  LILLEHON  SE. 
LV.  CUkTVXll  DHARCOl'lir.  —  LA    !<>(  Il    1)F.  oriLLAtlME. 


(Vue  de  la  Tour  de  Ouill.iiinip.  ) 


La  ville  de  Lillebonne,  située  dans  le  département  de  la 
Seine-Inférieure,  et  qui  nest  autre  que  l'antique  JuHohona, 
capitale  du  pays  des  Calètes,  dut  jouir  sous  les  Romains, 
d'une  assez  grande  importance ,  si  l'on  en  juge  par  les  nom- 
breux vestiges  de  chaussées,  d'amphithéâtres,  de  souterrains, 
detoml)eaux,  d'urnes  sépulcrales,  qui  sont  parvenus  jusqu'à 
nous.  Mais  elle  s'éclipse  durant  l'invasion  des  barbares,  et  â 
l'exception  de  quelques  mots  de  la  chronique  de  saint  Wan- 
drille,  qui  indique  qu'on  alla  chercher  à  Lillebonne  vers  le  mi- 
lieu du  viii^  siècle,  dans  les  débris  des  temples  payens,  les  pier- 
res propres  à  la  construction  des  voûtes  et  de  la  façade  de 
l'église  Saint-Michel ,  on  ne  trouve  plus  de  traces  de  l'exis- 
tence de  cette  ville  jusqu'à  la  domination  des  Normands  qui, 
attirés  par  la  l)eauté  de  sa  situation,  y  édifièrent  des  châteaux 
dont  celui  d'Harcourt  fait  partie.  Le  temps  et  les  révolutions 
successives  ont  fait  subir  des  changemens  à  ce  vieux  manoir  ; 
le  style  de  chaque  époque  s'est  emparé  de  lui  tour  à  tour  et 
a  rendu  son  origine  presque  méconnaissable. 

Son  enceinte  vide  ne  présente  plus  qu'une  cour  immense 

dans  laquelle  on  pénètre  par  une  ouverture  coupée ,  en 

forme  de  guichet.  Une  nappe  de  verdure  foncée  qui  couvre 

ces  débris ,  leur  prête  un  aspect  solennel  et  imposant.  A 

gauche  de  la  porte  d'entrée  s'élève  la  tour  de  Guillaume  que 

.  l'on  appelle  aussi  tour  de  Lillebonne ,  et  que  représente 

.  notre  gravure.  Elle  est  séparée  du  corps  d'habitation  par 

t,J9a  pont  Içvi?  de  trçnte-trois  pieds,  jeté  sur  un  fossé  très 


profond.  Son  diamètre  de  cinquante-deux  pieds ,  est  partage 
de  la  manière  la  plus  égale  entre  le  plein  et  le  vide;  les 
murs  ont  treize  pieds  d'épaisseur.  Les  fenêtres  à  pointes 
aiguës,  les  arêtes  des  voûtes ,  chargées  de  culs  de  laiipes 
élégans ,  révèlent  déjà  cet  âge  de  perfectionnement ,  ou  si 
l'on  veut  d'ingénieuse  imitation ,  dans  lequel  l'originalité 
des  conceptions  romantiques  de  l'architecture  intermédiaire 
commençait  à  reconnaître  et  à  subir  l'influence  d'une  archi- 
tecture plus  classique.  On  parvient  à  son  sommet  avec  un 
peu  de  difficulté  parmi  des  décombres  que  le  tenqis  accu- 
mule tous  les  jours ,  et  de  ce  point  élevé  la  vue  embrasse 
une  des  vues  les  plus  délicieuses  de  la  Normandie;  mais  ce 
château  est  surtout  célèbre  par  ses  anciens  et  intéressans 
souvenirs.  Son  histoire  se  trouve  en  quelque  sorte  liée  à 
celle  de  Guillaume-le-Conquérant;  nous  allons  donc  es- 
quisser rapidement  les  principaux  évènemens  de  la  vie  de 
ce  prince. 

Guillaume-le-Conquérant  était  fils  naturel  de  Robert- 
le-Diable,  duc  de  Normandie  ;  il  naquit  à  Falaise  en  1027 , 
et  fut,  à  l'âge  de  48  ans,  investi  de  l'administration  des 
étals  de  son  père ,  lors  du  départ  de  celui-ci  pour  la  Terre- 
Sainte.  Son  premier  soin  fut  de  rechercher  l'alliance  de 
Henri  I",  roi  de  France ,  et ,  avec  l'aide  de  ce  prince ,  à 
qui  le  duc  Robert  avait  lui-même  rendu  d'importans  ser- 
vices, il  pût  comprimer  la  reuellion  que  les  seigneurs  de 
Normandie  avaient  fomentée  contre  lui.  Après  avoir  rem- 


MAGASIN  UNIVÉRSfîL 


1Ê 


porté  sur  eux  uiie  victoire  complète ,  l'an  1047 ,  à  Val-aux- 
Dunes,  entre  Caen  et  Argentan ,  il  élouffa  dès  leur  nais- 
sance plusieurs  autres  tentatives,  et  rétablit  le  calme  dans 
ses  états.  Ayant  plus  tard  terminé  à  son  avantage  quelques 
différens  avec  les  ducs  du  Maine  et  d'Anjou ,  et  même  avec 
le  roi  de  France,  il  se  crut  assez  fort  pour  entreprendre  la 
conquête  de  l'Angleterre.  C'est  principalement  à  cette 
expédition  que  Guillaume  doit  sa  célébrité.  Ses  droits  au 
trône  d'Angleterre  ne  reposaient  que  sur  un  prétendu  tes- 
tament d'Edouard-le-Confesseur ;  mais,  fort  de  la  sanc- 
tion donnée  par  le  Saint-Siège  à  son  entreprise ,  il  attira 
sous  ses  drapeaux  une  foule  d'aventuriers ,  et  se  disposa  à 
faire  une  descente  en  Angleterre.  Ce  fut  dans  le  château  de 
Lillebonne  qu'il  fit  tous  ses  préparatifs,  et  (lu'il  assembla  ses 
barons  pour  délibérer  avec  eux  sur  l'exécution  de  son  au- 
dacieux projet.  Au  mois  de  septembre  4060,  la  Hotte  de 
Guillaume  se  réunit  à  Saint- Valéry.  L'expédition  ne  sembla 
pas  s'annoncer  sous  de  favorables  auspices  :  pendant  plu- 
sieurs jours  les  vents  furent  contraires,  et  retinrent  au  port 
les  troupes  normandes.  Les  soldats  étaient  découragés,  et 
on  les  entendait  dire  :  «  Bien  fou  est  l'homme  qui  prétend 
s'emparer  de  la  terre  d'autrui  ;  Dieu  s'offense  de  pareils 
desseins,  et  il  le  m-ïtilre  en  nous  refusant  le  bon  vent.  » 
Cependant  les  vents  changèrent ,  et  la  flotte  mit  à  la  voile; 
quat  e  cents  gros  navires  et  plus  d'un  milier  de  bateaux  de 
transport  s'éloignèrent  de  la  rive  au  même  signal.  Le  vaisseau 
de  Guillaume  voguait  entête,  portant,  au  haut  de  son 
mât,  la  bannière ,  envoyée  par  le  pape,  et  une  croix  sur  son 
pavillon.  Ses  voiles  étaient  de  diverses  couleurs,  et  l'on  y 


avait  peint  en  plusieurs  endroits  les  trois  lions ,  enseigne 
de  Normandie;  à  la  proue  était  sculptée  une  ligure  d'enfant, 
portant  un  arc  tendu ,  avec  la  flèche  prête  à  partir. 

On  débarqua ,  sans  éprouver  de  résistance ,  à  Pevensey , 
près  de  llastings.  On  raconte  que  le  duc  de  Normandie ,  en 
mettant  pied  à  terre ,  fil  un  faux  pas  et  tomba  :  alors  un 
murmure  confus  s'éleva  parmi  ses  hommes  d'armes,  et  des 
voix  s'écrièrent  :  «  Dieu  nous  garde  !  c'est  un  mauvais 
signe.  »  Mais  Guillaume ,  se  relevant ,  dit  aussitôt  :  «  Qu'a- 
vez-vous?  Pourquoi  vous  étonner  !  J'ai  saisi  cette  terre  avec 
mes  mains ,  et  par  la  splendeur  de  Dieu ,  elle  est  à  iîous  !  » 
Cette  vive  répartie  arrêta  subitement  l'effet  du  mauvais 
présage. 

Harold,  roi  des  Saxons,  ne  tarda  pas  à  venir  à  la  ren- 
contre des  Normands  ;  les  deux  armées  prirent  position  en 
face  l'une  de  l'autre ,  et  commencèrent  le  comliat.  L'alta(|ue 
fut  vive,  et  les  Normands  furent  d'abord  repousses;  on 
avait  fait  courir  dans  leurs  rangs  le  bruit  que  Guillaum/î 
avait  été  tué ,  et  cette  nouvelle  leur  avait  fait  prendre  la 
fuite;  mais  le  duc  de  Normandie  se  jeta  au  devant  des 
fuyards,  les  menaçant  et  les  frappant  de  sa  lance,  et  par- 
vint à  les  ramener  au  combat.  Les  Saxons ,  qui  les  poui  - 
suivaient  en  désordre ,  commencèrent  alors  à  faiblir  et  ;> 
lâcher  pied ,  et  la  victoire ,  après  avoir  été  long-temps  in- 
certaine et  courageusement  disputée,  resta  enfin  aux  Nor 
mands.  Guillaume  eût  son  cheval  tué  sous  lui  ;  le  roi  Ha 
rold  (I)  et  ses  deux  frères  tombèrent  morts,  au  pied  de  leur 
étendard ,  qui  fut  arraché  et  remplacé  par  la  bannière 
envoyée  de  Rome.  Bien  long- temps  après  ce  fiital  combat , 


(Flotte  de  Guillaume., 


la  superstition  patriotique  des  Anglais  crut  voir  encore  des 
traces  de  sang  frais,  sur  le  terrain  où  il  avait  eu  lieu  ;  elles 
se  montraient ,  disait-on ,  sur  les  hauteurs  au  nord-ouest  de 
Hastings,  quand  un  peu  de  pluie  avait  humecté  le  sol. 

Guillaume ,  que  cette  seule  bataille  rendii  maître  de  l'An- 
gleterre ,  fit  élever  au  même  endroit  un  couvent  sous  l'in- 
vocation de  la  Sainte-Trinité  et  de  Saint-lMartin ,  patron 
des  guerriers  de  la  Gaide.  Ce  couvent  fut  appelé ,  en  langue 
normande,  VAhha\je  de  la  bataille.  Des  moines  du  grand 
couvent  de  Marmoutier ,  près  de  Tours ,  vinrent  s'y  fixer , 
et  prièrent  jK)ur  les  âmes  de  ceux  qui  avaient  perdu  la  vie 
à  Hastings. 


Une  administration  pleine  de  sagesse  gagna  d'abord  à 
Guillaume  l'affection  de  ses  nouveaux  sujets;  mai;  la  sé- 
vérité de  ses  ministres  la  lui  fit  perdre  bientôt.  Que'ques 
troubles  éclatèrent,  et  le  conquérant  en  profita  pour  ôter 
les  emplois  à  tous  les  Anglais,  proscrire  les  nobles,  con- 

(i)  On  «ait  que  la  mort  d'HaroId  a  fourni  à  l'un  de  nos  plu» 
grands  peintres,  M.Horace  Verne t,  le  sujet  d'un  magnifique  ta- 
bleau, que  l'on  admira,  il  y  a  quelques  années,  à  l'expositio  .  du 
Louvre.  Il  représentait  Edith  ;la  belle  au  cou  de  cygne), accom- 
pagnée de  plusieurs  moines,  et  cJicrcliaBt  parmi  les  morts,  le  corpa 
de  son  royal  amant. 


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fisquer  leurs  biens,  et  rétablir  des  impôts  odieux.  Il  dé- 
sarma les  rebelles  par  la  force  et  par  la  ruse,  et  les  épouvanta 
par  la  dévastation  du  Northumberland.  Malgré  celte  ty- 
rannie insupportable ,  malgré  les  conspirations  nouvelles 
que  plus  tard  elle  provoqua ,  Guillaume  conserva  l'intégra- 
lité de  sa  puissance ,  sur  la  Normandie  et  la  Grande-Bre- 
tagne, jusqu'à  sa  mort,  arrivée  en  1087. 


MENAGERIE   ANGLAISE 

Une  industrie  fort  lucrative  dans  la  Grande-Bretagne, 
est  celle  qui  consiste  à  promener  des  animaux  rares ,  dans  les 
foires  et  les  lieux  de  réunions  pubUijues.  Plusiems  proprié- 
taires de  ménageries  ont  déjà  fait  dans  ce  pays,  une  bril- 
lante fortune,  mais  aucun  d'eux  n'a  possédé  une  aussi  belle 
collection  que  celle  qu'exploite  actuellement  M.  Wombwell. 
Chaque  année,  celle  ménagerie s'ein'ichit de quel((!ies  nou- 
veaux individus,  et  la  suite  des  charrioîs  destinés  au  trans- 
port de  toutes  ces  bêtes,  ressemble  assez  aux  bagages  d'un 
nombreux  corps  d'armée. 

Comme  M. Wombwell ,  se  trouve  toujoui's  en  voyage,  un 
énorme  fourgon  est  disposé  de  manière  à  coiiteuir  unt  cui- 
sine ,  un  salon ,  des  lits ,  et  tout  ce  qui  est  nécessaire  à  son 
ménage  et  à  sa  nombreuse  suite. 

La  ménagerie  de  M.  Wombwell  compte  en  ce  moment  dix 
lions  et  cinq  élépbans;  c'est  puisqu'on  n'en  trouverait  dans 
toute  la  France.  Elle  contient  en  outre  une  loilecjuai-litéd'au- 
tres  animaux  curieux  qu'il  lui  serait  facile  d'approvisiomier 
les  foires  de  toute  l'Eta-ope.  Et  cependant  toutes  les  fuis 
que  des  animaux  rares  arrivent  de  l'Inde,  M.  Wombwell  en 
fait  rac(juisition  avec  un  si  grand  laisser-aller  que  souvent 
il  s'est  vu  bors  d'état  de  payer  les  péages  de  la  route  (•).  Il 
est  arrivé  souvent  à  M.  Wondjwell ,  de  payer  jusqu'à  400 
francs  de  péages  dans  un  jour. 

Sa  musique  qui  est  fort  belle  lui  coûte  près  de  25,000  fv. 
par  an  ,  et  les  dépenses  journalières  de  l'établissement 
s'élèvent  à  plus  de  90()  francs;  par  conséciuent  plus  de 
500,000  francs  par  an.  M.  Wombwel  nous  dit  que  s'il  ne 
devait  pas  se  déplacer  si  fréiiuemment ,  il  trouverait  de 
grandes  économies  à  faire  lui-même  l'état  de  boucher;  il 
n'aurait  qu'à  se  défaire  des  morceaux  les  plus  estimés  du 
beeuf  et  du  mouton.  Une  tête  de  mouton  est  un  très  bon 
repas  pour  l'hyène  qui  est  si  vorace.  M.  Wombwell ,  ne  trou- 
verait pas  moins  d'avantages  à  pétrir  son  pain  et  à  brasser 
sa  bière  et  son  aie ,  qu'à  tuer  pour  son  compte. 

La  ménagerie  de  M.  Wombwell ,  lors  de  la  station  qu'il 
fit  dernièrement  dans  les  environs  de  Londres ,  a  été  visi- 
tée dans  l'espace  de  quatre  jours  par  plus  de  soixante  mille 
personnes. 

Dans  les  dernières  années,  M.  Wombwell  a  oblejiu  plu- 
sieurs portées  d'animaux  sauvages  ;  deux  fois  les  tigres  dévo- 
rèrent leurs  petits  ;  mais  depuis  qu'on  a  éloigné  les  mâles , 
et  qu'on  a  placé  une  espèce  de  berceau  dans  les  cages,  les 
tigresses  sont  devenues  d'excellentes  nourrices,  et  les  petits 
sont  bien  venus.  La  lionne  reste  avec  ses  petits  douze  semai- 
nes ;  la  tigresse  seize ,  ainsi  que  la  femelle  du  léopard  cl 
de  la  panthère.  La  valeur  des  animaux  sauvages  varie 
comme  autre  chose ,  suivant  l'abondance  et  les  demandes  : 
les  tigres  se  sont  vendus  jusqu'à  300  livres  (7,300  f.  )  mais 
quelques  fois  ils  ne  content  que  iOO  livres;  une  belle  pan- 
thère se  vend  ordinairement  100  livres  sterling;  la  hyène, 
30  à  40  livres  sterling.  Le  prix  des  zèbres  s'élève  de  150  à 
200  livres  sterling.  Les  espèces  rares  de  singes  se  vendent 

I 

(i)  En  Angleterre  on  a  établi  snr  les  jrontes,  i  certaines  dis- 
tances, des  barrières  appelées  Gates  on  TollBars,  où  les  voitures 
paient  un  péage.  Cet  impôt  fixé  par  le  Parlement,  suirant  les  lo- 
calités, est  la  véritshle  cause  du  luxe  des  routes  en  Angleterre. 
Le  revenu  de  ces  péages  est  si  co«isidérable,  (jue  dans  plusieurs 
provinces  on  en  prélôve  une  partie  pour  l'affecter  à  d'autres  dé- 
penses. Une  distance  do  trois  ou  quatre  lieues  sépare  ordinaire- 
ment CM  barrières. 


extrêmement  cher ,  ainsi  que  les  lamas  et  les  gnus.  Il  est, 
impossible  de  fixer  le  prix  des  lions  et  des  élépbans. 

La  portée  ordinaire  de  la  lionne  est  de  deux  petits  ;  mais 
une  vieille  lionne  de  M.  Wombwell ,  a  donné  deux  fois  qua- 
tre petits;  cependant  à  chaque  fois  la  lionne  se  contentait 
d'allaiter  deux  d'entr'eux ,  et  négligeait  les  autres  ;  ceux-ci 
ont  été  donnes  à  une  superbe  cbieime  d'arrêt  qui  les  a  al- 
laités ,  et  on  a  pu  les  élever. 

La  mortalité,  les  maladies  et  les  accidens  font  subir  des 
perles  notables  aux  propriétaires  de  ménageries.  Dernière- 
ment une  superbe  autruche,  de  la  valeur  de  200  livres  slerl., 
engagea  mailicureusement  son  bec  dans  le.;  barreaux  de  sa 
cage,  et  dans  les  efforts  qu'elle  fit  pour  se  dégager,  elle  se 
rompit  le  cou ,  et  mourut.  Les  singes  sont  en  Angleterre 
d'une  santé  extrêmement  délicate;  ils  s'enrhument  on  ne 
peut  plus  facilement,  et  quand  ils  ont  commencé  à  tousser,, 
ils  présentent  tous  les  symptômes  qu'on  remarque  chez  les 
persoisnes  qui  souffrent  de  la  poitrine,  et  ne  tardestt  pas 
à  mourir.  La  nourriture  ordinaire  des^inges  se  compose  de 
pain  et  de  lait,  ou  de  feuilles  de  laitue  et  de  petits  oignons 
dont  ils  sont  très  friands.  M.  Wombwell ,  estit«e  qu'il  a 
perdu  {»rès  de  300,000  francs  par  les  maladies  qui  ont  affligé 
ses  animaux  sauvages  et  ses  oiseaux. 

Les  zèbres,  suivant  M.  Wombwell  peuvent  devenir 
dociles  comme  le  eiieval  ;  cependant  l'individu  de  celle 
espèce  qu'il  possède  est  1res  méchant;  car  nul  de  ses  gar- 
diens ,  qui  ont  tous  coutume  d'entrer ,  et  de  se  promener 
sans  crainte ilaus  les  cagesdes  lions,  des  tigres  et  des  pan- 
thères ,  n'oserait  pénétrer  dans  la  sienne.  Une  fois  par  an,  le 
zèbre  est  attaché  à  de  fortes  cordes ,  et  tiré  hors  de  sa 
cage ,  afin  de  couper  la  corne  de  ses  sabots.  Il  ne  faut  pas 
moins  de  vingt  hommes  pour  le  tenir  immobile. 

M.  Wombwell  pos.sècle  les  plus  grands  boas  qu'on  ait 
amenés  en  Europe;  il  les  nourrit  de  lapins;  plus  d'une  fois 
il  les  a  fait  jeûner  pendant  plusieurs  semaines.  Une  chose 
essentielle  dans  les  soins  qu'on  leur  donne  ,  c'est  de  régler 
la  température  de  l'endroit  où  on  les  lient  renfermés.  On 
les  enveloppe  dans  des  couvertures  de  lai.'ie,  et  on  les  met 
dans  une  boîle  de  bois  bien  fermée  ,  qu'on  place  dans  un 
vase  de  cuivre  plein  d'eau  chaude.  L'eau  doit  être  renou- 
velée matin  et  soir;  si  le  temps  est  humide,  et  surtout 
si  le  froid  est  intense ,  on  doit  avoir  soin  de  la  changer  plus 
souvent. 

Le  plus  bel  éléphant  de  cette  ménagerie,  Chuney ,  qui  a 
maintenant  dix  pieds  de  hauteur,  exécute  mille  tours,  à 
l'aide  de  sa  trompe  à  la  fois  si  délicate  et  si  puissante  qu'elle 
peut  ramasser  une  épingle ,  et  déchirer  le  tronc  noueux  d'nn 
chêne.  Ce  monstrueux  mammifère  ne  consomme  pas  moins 
d'un  quintal  et  demi  de  foin  par  jour,  sans  j)arler  d'ime 
énorme  quantité  d'herbes,  de  feuilles  et  de  racines;  il  boit 
un  seati  d'eau  à  chaque  coup ,  et  il  lui  faut  join-nellement 
soixante-dix  [linles  d'eau  environ.  En  hiver  on  lui  donne 
vingt-cinq  pintes  d'ale  forte,  toutes  les  vingt-quatre  hetn-es  ; 
mais  en  été  sa  boisson  est  étendue  d'eau-  L'aie  ainsi  mélan- 
gée est  très  salutaire  pour  les  éléphants;  mais  Chuney  s'em- 
barasse  pendes  lois  de  la  tempérance,  et  si  son  maître  Je 
lui  permettait,  il  serait  capable  de  vider  chaque  nuit  un 
l)aril  de  bière.  On  prétend  que  les  éléphants  grandissent 
jusqu'à  l'âge  de  cinquante  ans,  et  M.  Wombwel  est  de  cette 
oj)inion.  Chuney  fut  prit  lors  de  la  guerre  des  Birmans ,  et 
coiîta  à  son  propriétaire  actuel ,  plus  de  25,000  francs.        , 


ASPECT  DE  LA  SUEDE.  —  MŒURS  DES  SUEDOIS. 
La  Suède  jouit  actuellement  d'un  degré  de  prospérité 
qu'on  ne  pouvait  guerre  attendre  de  la  nature  âpre  et  rude 
de  son  sol  qui  ne  se  compose  que  de  vastes  blocs  de  granit , 
couverts  d'une  légère  couche  de  terre  végétale ,  et  en- 
trecoupés de  mers  intérieures  ou  de  grands  lacs.  Ce  pays 
triste,  à  peu  près  oublié  de  l'Europe,  s'élève,  quant  au 
bien  être,  au-dessus  de  nos  contrées  méridionales.  C'est  à 
l'état  moral  de  sa  population  plutôt  qu'à  son  commerce  et 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


23 


â  son  industrie ,  qu'il  faut  altiibuer  celle  somme  de  bon- 
heur que  tous  les  voyageurs  iiiodenics  ont  liouvôe  en 
Suède.  L'industrie  nianufaclurièrc  y  donne  peu  de  pro- 
duits, le  mouvement  connnercial  y  est  faible,  mais  le  res- 
sort moral  n'y  est  pas  brisé,  mais  il  yaencorclà,  croyance, 
confiance,  liospitalitc.  Le  peuple  s'est  perfectionne  sans 
se  corrompre ,  il  ne  se  laisse  pas  séduire  par  ces  insatiables 
et  inunenses  désirs ,  par  cette  soif  de  liberté  fausse  cl  men- 
songère, parce  besoin  d'ambition  et  d'honneurs,  par  ces 
folles  et  décevantes  théories,  qui  prouietleut ,  aux  autres 
nations,  un  bonheur  impossible,  et  les  dégoûtent  de  leur 
situation. 

C'est  chose  charmante  pour  le  voyageur  cpic  la  politesse 
des  classes  inférieures  en  Suède ,  politesse  (pii  n'ôle  lien  ni  à 
l'énergie  du  caractère,  ni  à  la  force  des  décisions ,  ni  à  l'in- 
dépendance morale.  Quand  revient  le  printemps  des  régions 
boréales ,  lorsque  ce  gazon  d'un  \  ert  violet ,  le  gazon  lin  e( 
délie  du  nord,  tapisse  les  coteaux  et  les  prairies  de  la  huède, 
le  voyageur  voit  accourir  à  chaque  barrière ,  dans  les  roules 
couvertes  de  sable  fin  qu'il  parcourt,  mie  foule  de  petits 
enfants  aux  cheveux  blonds,  au  teint  rose,  qui  lui  ouvrent 
la  barrière  en  riant,  et  qui,  en  recevant  leur  pelile  gra- 
tification, témoignent  leur  reconnaissance  par  les  mots  les 
plus  doux  et  les  plus  gracieux.  Coujparez  donc  ces  pelils 
enfans  aux  enfans  difformes ,  décrépis ,  iusolens  et  blasés , 
qui  peu[ilent  les  rues  de  nos  grandes  villes  ;  une  emiireinle 
de  vice  et  de  débauche  héréditaire  marque  les  frunts 
llétris  de  ces  derniers  ,  ils  sont  vieux  sans  avoir  été  enfans, 
on  les  retrouve  devant  les  tribunaux ,  dans  les  troubles  [lo- 
pulaires,  parlout,dès  qu'U  y  a  violence,  vol  ou  émeute. 

Ces  contrées  qui  sont  restées  champêtres,  tout  en  se  civi- 
lisant ,  sont  charmantes  et  réalisent  les  fictions  idyliques  des 
poètes.  Dans  toutes  les  auberges  et  toutes  les  chaumières  , 
le  plafond  est  composé  de  planches  de  sapin  odorant  ;  on  y 
mêle  des  lleurs ,  et  cet  usage ,  consacré  par  le  tems ,  ne 
s'est  pas  même  éteint  dans  les  villes.  Des  maisons  bien  bâties, 
presque  toutes  peintes ,  tenues  avec  une  régularité  et  une 
propreté  parfaites,  flattent  l'œil  du  voyageur;  il  est  vrai  que 
de  frécpiens  incendies  font  acheter  un  peu  cher  cet  avantage. 
A  l'intérieur,  il  y  a  communément  peu  de  luxe,  mais  un 
certain  air  de  fraîcheur  qui  approche  de  la  coipietterie.  Par 
une  singulière  habitude  dont  on  ignore  l'origine ,  les  lits 
suédois  sont  extrêmement  étroits  ;  ce  ne  sont  guère  que  des 
canapés,  ou ,  si  l'on  veut ,  des  boîtes,  qui  n'offrent  que  l'es- 
pace précisément  nécessaire  au  dormeur. 

Le  contraste  règne  en  Suède  ;  les  routes  tracées  à  travers 
tous  les  accidens  du  terrain  ,  toujours  sablées  avec  soin  , 
toujours  entretenues  comme  des  allées  de  jardins  anglais  , 
découvrent,  dans  leurs  sinuosités,  des  tableaux  qui  changent 
sans  cesse  ;  partout  des  surprises  agréables  :  ici ,  des  mas  es 
de  roc  qui  sm-plombent  et  qui  donnent  au  paysage  l'aspect 
d'une  création  de  Salvator  llosa;  plus  loin  ,  une  vallée  qui 
s'entrouvre  ,  et  à  travers  laquelle  l'œil ,  pénétrant  au  loin  , 
découvre  une  vaste  étendue  couverts  d'un  tapis  de  gazon 
velouté;  ici,  une  arcade  de  feuilles  vertes  et  de  branches 
serrées  qui  vous  plongent  dans  de  profondes  ténèbres.  Vous 
avancez  en  gravissant  une  montagne  dont  l'escarpement 
sabloneux  vous  reporte  au  midi  de  l'Europe;  puis  vous  re- 
tombez dans  quelques  vallons  ombreux  et  mélancoliques , 
au  fond  desquels  repose  la  nappe  verdoyante  d'un.  lac  en- 
touré d'une  végétation  septentrionale  et  éclairé  de  celle  lu- 
mière argentée  que  répand  le  soleil  du  nord.  Ainsi ,  les  ré- 
gions mêmes  que  l'on  pourrait  croire  déshéritées  par  la  na- 
ture, ont  aussi  leur  beauté,  leur  éclat  et  leur  charme. 

Souvent  de  petites  maisonnettes  fort  élégantes  sont  en- 
tassées les  unes  sur  les  autres  connue  les  cellules  d'une 
ruche;  une  barrière  de  couleur  rouge  ou  verte  environne 
ce  groupe  ou  celle  île  ,  dont  la  situation  et  les  édifices ,  rap- 
prochés comme  les  fruits  d'une  grappe ,  offrent  au  voyageur 
Un  aspect  singulier.  Dans  quelques  contrées  de  la  Suède , 
on  peint  les  maisons  en  rouge  ;  dans  d'autres  on  a  soin  de 
les  poser  au  sommet  des  rochers.  Entrez  dans  ces  cabanes, 


vous  y  trouverez  toujours  ime  grande  recherche  de  pro- 
[ireté ,  mais  aucun  luxe  :  un  vieillard  aux  longs  cheveux 
blancs  et  à  la  mine  vénérable  ,  fiunant  une  longue  pipe  qu 
exhale  des  nuages  odoriférans ,  et  des  pelils  enfans,  les  plus 
jolis  du  monde ,  qui  vous  prennent  la  main  et  vous  la  baisent 
dès  que  vous  entrez.  Un  des  signes  distinctifs  de  ces  peuples 
du  nord ,  c'est  le  calme  parfait  des  habiiudes  et  des  mœurs  : 
Si  c'est  un  dimanche,  vous  voyez  la  route  couverte  d'hommes 
vêtus  de  grandes  redingotes  bleues  avec  du  linge  très 
blanc  et  accompagnés  de  leurs  fenunes ,  qui  vont  à  l'église  ; 
rien  de  violent ,  rien  d'étourdi  dans  les  gestes  et  les  manières 
des  uns  et  des  autres  ;  leur  gravité  semble  leur  imprimer 
un  cachet  d'élégance  et  de  distinction  ;  rien  en  effet  ne  se 
i'ap[)roche  pliis  dos  bonnes  maisons  que  l'air  posé ,  calme 
et  naturel. La  même  tranquililé  règne,  dans  les  tavernes; 
deux  cents  paysans  s'assendjlent  quelquefois,  sans  qu'il 
soit  possible  que  les  passans  devinent  leur  présence ,  et  sans 
que  le  moindre  tumulte  ait  lieu.  Si  par  hasard  ils  s'enivrent, 
c'est  toujours  avec  la  même  solennité  ;  admirables  dans  l'art 
lie  boire  ,  les  Suédois  s'en  acquittent  avec  la  majesté  de 
sénateurs  qui  délibèrent  sur  les  destins  d'un  état.  Vous  les 
voyez  debout,  la  cruche  de  bière  à  la  main,  se  livrant  à 
une  ivresse  grave ,  sérieuse ,  et  qui  ressemble  beaucoup 
pins  à  un  travail  qu'à  un  amusement.  Conmie  ils  n'aiment 
pas  à  perdre  leur  éipiilibre,  et  surtout  cette  apparence  de 
raison  sévère  hors  de  laquelle  ils  n'imaginent  pas  de  dignité 
possible,  quand  ils  se  sentent  tout-à-fait  enivrés,  ils  se 
réunissent  i)ar  groupes,  se  soutenant  les  uns  les  autres , 
l)u\anl  toujours  ,  et  opposant  aux  progrès  de  leur  délire  ba- 
cliique  la  masse  conjurée  de  leur  poids  et  de  leur  corps. 

L'excellent  entrelien  des  routes  rend  les  voyages  faciles 
et  peu  dispendieux;  de  jolis  petits  chevaux  d'une  race  parti- 
culière, pleinsde  feu  et  d'une  ft)rme  élégante,  vous  emportent 
avec  la  rapidité  de  l'éclair,  franchissent  les  montagnes  les 
plus  escarpées,  et  souvent  descendent  sans  qu'il  faille  em-ayer.- 
Rarement  le  fouet  les  touche;  un  dialecte  particulier  aux 
conducteurs  suédois ,  et  qui  consiste  dans  une  espèce  de 
claquement  des  lèvres,  suivi  d'un  bruissement  semblable  à 
celui  de  la  lettre  r ,  suffit  pour  les  lancer  au  galop.  Les  plus 
petits  de  ces  animaux,  que  l'on  nomme  hélandais ,  parce 
qu'ils  sont  originaires  de  l'île  d'Héland  ,  n'ont  pas  plus  de 
quatre  pieds  de  liant,  ils  ressemblent  plutôt  à  des  chiens 
ayant  forme  de  cheval  ([u'à  des  coursiers  ordinaires.  On  voit 
souvent  de  charmantes  calèches  d'enfant  traînées  par  ces 
petits  chevaux tle  Lilliput ,  qui,  presque  tous  ont  le  poil  ale- 
zan foncé.         (  Traduction  de  la  Hcvue  Bnlaninque.  ) 


LA  IlYE^E. 

Une  foule  de  fables  ridicules  ont  été  débitées  au  sujet  des 
hyènes;  elles  ont  leur  origine  dans  deux  circonstances  or- 
ganiques ;  la  première  consiste  en  ce  que  les  membres  pos- 
térieurs vus  sur  un  animal  vivant  et  comparés  aux  antérieiu's, 
paraissent  d'nneexlrême  brièveté;  non  pasqu'ilslesoientréel- 
lemeiît ,  mais  parce  (jue  l'animal  en  tient  toujours  les  dÎAerses 
partiesdansun  telélalde  flexion  telle  que  l'axe  de  son  corps 
est  très-oblique  siu'  le  sol.  De  là  résulte  pour  lui  une 
allure  tout-à-fait  bizarre  ,  et  qui  a  fait  dire  que  l'hyène  boite, 
surtoul  quand  elle  commence  à  marcher.  Il  est  encore  à  re- 
marquer que  le  métacarpe,  toujours  plus  court  que  le  mé- 
tatarse, chez  les  carnassiers,  ne  lui  cède  chez  la  hyène  (de 
même  encore  que  cliez  le  protèle  )  en  rien  pour  la  longueur. 

L'autre  fait,  c'est  l'existence  d'une  poche  glanduleuse 
placée  au-dessous  de  l'anus ,  qui  contient  une  humeur 
onctueuse,  et  qui  existe  chez  les  mâles  comme  chez  les 
femelles.  L'histoire  de  la  hyène  n'était  pour  les  anciens 
(pi'un  tissu  de  fables.  Le  vulgaire  pense,  nous  rapporte 
Pline ,  que  les  hyènes  sont  hermaphrodites,  qu'elles  changent 
de  sexe  tous  les  ans,  qu'elles  ne  peuvent  tourner  la  tête 
sans  tourner  le  corps ,  qu'elles  savent  imiter  la  voix  hu- 
maine ,  nicnie  appeler  les  honunes  par  leur  nom ,  que  les 


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MAGASIN  UNIVERSEL. 


chiens  deviennent  muets  par  le  seul  effet  de  leur  ombre.  ] 
Quoi  qu'il  en  soit ,  ce  n'est  que  très-tard  que  les  modernes 
ont  reconnu  la  véritable  hyène  des  anciens. 


(La  Hyène.) 

I.c^  hyrnes  soiil ,  en  i!:éncral ,  des  animaux  nocturnes, 
comme  l'examen  de  leurs  organes  des  sens  l'expli(jue 
parfaitement.  Elles  préfèrent  à  tout  la  viande  déjà  ra- 
mollie par  un  commencement  de  ptitréfaclion,  sans  doute 
à  cause  de  la  forme  de  leurs  dents  assez  épaisses  et  assez 
tranchantes  pour  leur  permettre  même  de  se  nourrir  aussi 
de  substances  végétales ,  telles  que  du  pain  ou  des  racines. 
Elles  attaquent  cependant  quelquefois  les  animaux,  et 
l'homme  lui-même ,  mais  seulement  qiiand  les  charofçnes 
leur  manquent.  Ordinairement,  pour  satisfaire  à  leurs 
fçoûts  immondes ,  elles  pénètrent  la  nuit  dans  les  cimetières, 
fouillent  les  tombeaux  et  déterrent  les  cadavres.  Dans  les 
contrées  chaudes  qu'elles  habitent,  et  où  la  chaleur  rend 
le  travail  si  pénible ,  et  les  miasmes  putrides  si  danj,^ereux , 
l'homme  a  su  mettre  à  profit  leur  voracité ,  et  se  reposer 
sur  elles  de  soins  rebutans  :  les  immondices ,  les  charognes, 
sont  laissées  le  soir  dans  les  rues  des  villes  ;  les  hyènes  pé- 
nètrent la  nuit  dans  leur  enceinte,  et  s'en  repaissent 
avidement.  Ces  animaux  sont  renommés  par  leur  férocité  : 
cependant  Pennant,  Buffon,  Cuvier,  Barrow  ,  rapportent 
des  exemples  de  hyènes  apprivoisées. 

Barrow  assure  qu'il  est  des  pays  où  l'on  emploie  la  hyène 
pour  la  chasse,  et  qu'elle  ne  le  cède  au  chien,  ni  pour  l'iu- 
telligence,  ni  pour  la  fidélité.  Celle  qui  a  vécu  à  la  ménagerie 
du  Muséum ,  s'échappa  lors  de  son  arrivée  à  Lorierrt,  courut 
quelque  temps  dans  les  champs  sans  faire  de  mal  à  personne, 
et  se  laissa  bientôt  reprendre  sans  résistance.  Elle  a  vécu 
seize  ans  à  Paris ,  et  a  toujours  été  très-douce ,  excepté  dans 
les  dernières  années  de  sa  vie,  où,  sans  doute  par  l'effet  des 
infirmités  de  la  vieilles.se,  elle  devint  plus  farouche. 

Un  homme  qui  s'est  rendu  fameux  par  le  talent  dont  il  a 
fait  preuve  pour  l'éducation  des  animaux,  M.  Martin, 
montre,  dans  les  représentations  publiques,  qu'il  donne 
chaque  jour,  une  hyène  parfaitement  apprivoisée.  Non- 
,  seulement  il  l'a  habituée  à  obéira  tous  ses  commandemens, 
mais  il  lui  fait  rendre  les  morceaux  de  chair  .saignante  que 
l'animal  a  reçus  pour  son  repas,  et  qu'il  tient  déjà  entre  ses 
dents. 

L'expédition  chargée  d'aller  chercher,  dans  la  Haute- 
Egypte  ,  l'obéiiscjue  de  Luxor ,  qu'on  doit  élever  sur  la  place 
de  la  Concorde  ,  à  Paris,  a  trouvé,  dans  plusieurs  villages 
de  cette  contrée,  des  hyènes  apprivoisées  qui  circulaient 
dans  les  rues  .sans  causer  aux  habitans  aucune  frayeur.  Le 
chirurgien  attaché  à  celte  expédition,  rapporte  dans  la  nar- 
ration qu'il  a  publiée  au  sujet  de  ce  voyage,  qu'une  hyène 
domestique ,  lui  ayant  été  donnée  en  pré.sent  par  le  chef 
d'un  village,  il  fut  impossible  de  contraindre  cette  bète  à 
quitter  les  lieux  où  elle  avait  vécu. 

Les  habitans  ne  trouvèrent  rien  de  mieux  à  faire  que  de 
la  mettre  à  mort  pour  remplir  les  ordres  de  leur  chef,  qui 
les  avait  chargés  de  la  conduire  à  lx)rd  du  navire  français. 


^  Les  hyènes  pcinf  M  ont  les  habitudes  des  chiens  sauvages  ; 
Elles  vivent  en  troupes  nombreuses ,  chassent  en  plein  jour 
et  avec  une  sorte  d'ensemble  et  d'accord ,  s'approchant 
ainsi  quelquefois  jusqu'auprès  des  villes.  Un  voyageur  très- 
digne  de  foi ,  qui  a  vu  vivant  un  individu  de  cette  espèce , 
nous  a  assuré  qu'il  tenait  dans  un  état  habituel  de  flexion , 
non  pas  seulement ,  comme  les  Hyènes  ,  le  membre  posté- 
rieur ,  mais  aussi ,  ce  qu'on  n  a  encore  observé  chez  aucun 
autre  animal ,  le  membre  antérieur. 

Il  n'existe  point  d'hyènes  au  Nouveau-Monde  ;  l'animal 
auquel  on  a  donné  ce  nom ,  le  loup  rouge  du  Mexique ,  est 
une  espèce  du  genre  chien. 


LA  DIONÉE. 
La  Dionée  est  remarquable  par  la  grande  irritabilité  de 
ses  feuilles.  A  peine  un  insecte  est  il  venu  se  poser  sur  elles, 
qu'elles  se  referment  aussitôt,  croisent  les  cils  épineux  dont 
elles  sont  bordées ,  et  [»ar  ce  moyen ,  le  retiennent  pri- 
sonnier ,  ou  môme  le  font  mourir.  Tant  que  l'in.secte  se 
débat,  la  feuille  reste  constamment  fermée,  et  on  la  dé- 
chirerait plutôt  que  de  la  forcer  à  .s'ouvrir  ;  mais  lorsque 
l'insecte  est  mort,  ou  du  moins  a  cessé  de  se  mouvoir,  la 
feuille  s'ouvre  d'elle-même.  L'im  de  nos  plus  savans  natura- 
listes, M.  Bosc,  s'est  a.ssuré  que  la  dionée  perdait  cette 
propriété  en  automne,  c'est  à-dire  à  l'époque  où  la  fruc- 
tification est  entièrement  terminée.  Du  reste  cette  irritabi- 
lité de  la  dionée  se  manifeste  dès  qu'un  objet  quelconque 
a  t)U(  hi  .'es  feuille;. 


(  La  Dionée.  ) 

C'est  dans  les  lieux  humides  de  la  Caroline ,  aux  environs 
de  Wilmington ,  dans  un  espace  qui  n'a  jias  trois  lieues 
quarrées ,  qu'on  a  trouvé  la  dionée  ;  elle  y  est  si  abondante 
qu'on  ne  saurait  faire  un  pas  sans  la  fouler  aux  pieds  ;  il 
parait  qu'on  ne  l'a  rencontrée  nulle  part  ailleurs.  On  a  sou- 
vent importé  des  pieds  de  dionée  en  Europe. 


Les  Bareaux  D'ÀBonirEMFHT  et  de  YxirTE  sont  transférés  rue 
de  Seine  Saint-Ceria.aiQ ,  n"  9. 


*) 


(il  octobre  t834- 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


ti 


ABBEVILLE. 


(Vue  de  FEglise  de  Sainl-Tnlfran.') 


Abbeville  osl,  a[)iô;  Amiens,  la  ville  la  plus  commerçante 
du  dopai  Icmeni  de  la  Somme.  La  fabrication  des  draf)s  lins 
que  M.  Vau-Robais  y  établit  en  1663,  est  pour  cette  ville 
la  source  d'un  grand  revenu  :  l'industrie  de  ses  babilans 
s'exerce  aussi  avec  succès  sur  le  travail  des  serges ,  des  ta- 
pis de  pied ,  des  velours  d'Utrccbt,  des  damas ,  des  toiles 
de  différentes  sortes ,  et  d'une  foule  d'autres  articles  d'une 
consommation  journalière.  Tout  à  côté  sont  les  Escarho- 
iins,  renommés  pour  la  fabrication  de  leurs  serrures,  dont 
il  se  fait  un  grand  dcbit  en  France.  On  récolte  dans  les  en- 
virons d' Abbeville  des  grains  de  toutes  espèces,  des  graines 
grasses  dont  on  extrait  l'buile  destinée  à  l'éclairage,  des 
lins ,  des  chanvres ,  des  laines.  Située  à  quatre  lieues  de  la 
mer,  elle  peut,  grâce  au  reflux  qui  remonte  jusque  dans 
son  enceinte,  transporter  facilement  ses  produclions  au  loin, 
ta  Somme  se  pa:la;,'('  A  A!)bcville  en  deux  bras;  plusieurs 
TO.ME  H, 


autres  petites  rivières  contribuent  au  mouvement  de  son  in- 
dustrie ,  en  donnant  l'impulsion  à  un  grand  nombre  de  fa- 
briques ou  de  moulins.  Les  vents  de  mer  qui  y  régnent 
ajoutent  à  la  salubrité  de  l'air.  Parmi  les  hommes  illustres 
auxquels  Abbeville  a  donné  le  jour,  on  doit  compter  le  car- 
dinal Jean  Alegrin,  patriarche  de  Conslanliuople,  h',  poêle 
Millevoie,  Pongerville,  auteur  d'une  traduction  de  Lucrèce, 
quatre  géographes  célèbres ,  Pierre  Duval,  Philippe  Biiot 
et  les  deux  Samson.  C'est  aussi  dans  les  environs  d'Abbe 
ville  qu'est  né  le  célèbre  compositeur  Lesueur. 

Abbeville  a  été  fortifiée  par  Hugues  Capet,  en  990. 

L'église  principale  d' Abbeville  est  celle  de  Sainl-Vulfran. 
Le  portail  de  cet  édifice  est  orné  (>  doux  hautes  tours 
carrées  qui  sont  d'un  fort  bel  eficl.  Le  roi  de  France ,  en 
sa  qualité  de  comte  de  Ponthieui  nommait  jadis  à  tous  les 
canonicals  du  chapitre  de  celte  église  paroissiale. 

4, 


MAGASIN  UNIVpRSEÎA 


§.  IL —  MILAN  (I}. 

Il  est  presque  impossible  à  un  étranger  d'étudier  de  près, 
les  mœurs  des  Milanais ,  parce  qu'ils  reçoivent  peu  et  vi- 
vent fort  retirés.  On  ne  voit ,  à  ftlilan ,  ni  fêtes ,  ni  bals , 
ni  réunions  de  toute  espèce  comme  dans  les  autres  capi- 
tales; on  y  vit  en  famille  et  sans  représentation  d'intérieur. 
Aussi,  dit-on  que  les  mœurs  y  sout  en  général  pures  et 
patriarcales.  Le  théâtre  est  à  peu  près  le  seul  lieu  de  réimion. 
La  plupart  des  familles  aisées  ont  leur  loge  à  l'année ,  et  y 
reçoivent  leurs  amis,  leurs  coimaissanoes.  On^ause,  on  se 
promène  d'une  loge  à  l'autre,  et,  comme  ordin:iirement  les 
mêmes  opéras  se  jouent  une  quarantaine  de  fo'.s  de  suite , 
on  s'occupe  peu  du  spectacle,  et  à  rexcejjiion  des  morceaux 
de  chant  les  plus  remarquables,  on  n'écoule  guère  le  reste. 
Cette  habitude  de  recevoir  an  Ihéàtre,  si  n:iisib!o  à  l'esprit 
de  société,  est  indestructible  dans  toute  l'Italie.  Chaque 
femme  règne  dans  sa  loge,  et,  comme  César,  elle  préférera 
toujours  la  première  place  dans  ce  polit  empire,  ù  la  seconde 
dans  un  salon. 

Le  lecteur  s'élonnera  peut-être  (juc  le  parterre  pidssc 
souffrir  le  bruit  incoinmode  de  tous  ces  colloques  particu- 
liers. Mais,  à  Milan,  le  parterre  n'est  pas  comme  chez  nous. 
Il  ne  vocifère  pas  à  chaque  instant  les  cris  ;  A  la  porte!  et 
ne  se  bat  pas  à  coup.?  de  poings  avec  ceux  (|ui  distraient  son 
allention.  Il  est  poli,  doux  et  patient.  Jamais  de  siftlcls  ni 
de  cris  inconvenans,  môme  dans  les  pelils  lliéâlres;  et  d'ail- 
leins,  il  est  en  partie  composé  de  femmes  de  la  Iwurgeoisie. 

Il  faut  remarquer  aussi  qu'il  y  a  une  grande  diriëreiice 
entre  les  dernières  classes  du  peuple  d'Italie  et  celles  de 
Paris.  Je  n'en  veux  pour  exemple  (jue  l'ivrognerie,  vice 
grossier,  passion  dégoiitante,  dont  nous  observons  journel- 
lement, parmi  notre  populace,  les  ignobles  effets,  et  qui 
est  pour  ainsi  dire  inconnue  en  Italie. 

C'est  donc  à  tort  qu'on  s'est  plu  à  répéter  à  tout  propos, 
que  l'Italien  est  un  peuple  abâtardi  et  démoralisé.  S'il  a  des 
défauts ,  il  les  rachète  eu  partie  par  de  bonnes  qualités ,  et 
nul  doule  qu'en  projiageanl  les  hi.iiières  parmi  les  masses, 
ens'occupanl  de  développer  les  intelligences  par  une  édu- 
cation publi(pie  sagement  dirigée,  on  ne  puisse  un  jour  ob- 
tenir de  lui  les  meilleurs  i  cs;dtals.  C'est  ce  (|ue  semble  avoir 
parfaitement  compris  renq)ereur  d'Autriche.  Il  n'est  pas 
sans  s'apeicevoir  (  ainsi  que  nous  l'avons  fait  remarijuer 
dans  notre  précédent  arlicle  )  que  la  législation  aulrichioiine 
est  peu  en  harmonie  avec  le  caractère  italien;  mais  il  espère 
que  l'inslruction,  en  adoucissant  les  mœin-s,  détruira  celle 
incompatibilité  afiparenle.  Nous  cilerous  de  lui  à  ce  sujet 
une  parole  f)rt  belle.  Invité  à  établir  pour  la  Lombardie 
une  jurisprudence  exceplioitnelle,  il  s'y  refusa  ,  di-sant  que 
la  civilisation  devait  nu  jour  rendre  làsoncodeb.iu,  comme 
en  Autriche;  qu'il  ne  s'agissait  que  de  l'y  répandre  :  «  Quand 
le  peuple  saura  lire,  ajoula-t-il,  il  ne  tuera  plus.  ))El,  il  faut 
le  dire  à  l'éloge  de  ce  monarque,  l'instmciion  primaire  a 
excité  toute  sasollicilude.  Le  travail  des  écoles  part  du  cabinet 
de  l'empereur,  qui  examine  lui-uiôme  les  divers  rapports 
d'inspection. 

Ces  écoles,  calquées  sur  le  modèle  de  celles  que  î\Iarie- 
Thérèse  fonda  en  Aulriclie,  «ont  établies di-puis  une  dixaine 
d'années  dans  le  royaume  lombas  do  vénitien  ;  le  mot  Seuolu 
s'y  lit  au-dessous  des  arn;es  de  l'empereur  justpie  dans  les 
villages;  et  chaque  commune,  même  la  plus  jx-iitc,  doit 
avoir  son  école,  ou  contribuer  à  l'entretien  de  celle  où  ses 
enfans  vont  apprendre  à  lire,  lorsqu'elle  n'en  a  point  :  cas 
du  reste  infiniment  rare. 

La  destinée  de  Milan  a  toujours  été,  depuis  les  temps  les 
plus  reculés,  de  changer  souvent  de  maîtres,  et  naliuelle- 
ment  les  mœurs  de  ces  différens  souveiaiiis  ont  inllué  si:r 
celles  de  ses  habitans.  Ainsi  les  Espagnols  leur  ont  laissé 
un  cerlam  ton  de  (jrandezzn  qui  se  fait  pariicidièremcnt 
remarquer  chez  la  noblesse;  les  Français,  i)cndaut  leiu- sé- 
jour dans  ce  pays,  ks  ont  ri-ndus  plus  sociables  et  moins 

(i)  Voyez  ï"  vol.,  poj.  1S5. 

■x-J   ■ 


cérémonieux;  et  enfin,  les  Autrichiens  leur  ont  transmis 
cette  bonhomie  et  cette  affabilité  qui  les  caractérisent.  Tel 
est  le  mélange  de  qualités  diverses  dont  se  compose  le  ca- 
ractère milanais. 

Quant  aux  usages  du  pays,  ils  n'offrent  rien  de  particu- 
lier :  ce  sont  ù  peu  près  ceux  des  autres  capitales  de  l'Eu- 
rope. Toutes  les  grandes  villes  se  ressemblent,  et  ce  n'est 
pas  lîi  (|u'il  faut  chercher  des  types  originaux. 

On  suit,  à  Milan,  les  mêmes  modes  qu'en  France;  seule- 
ment les  femmes  de  toutes  les  classes  sont  presque  toujours 
coilTécs  en  cheveux,  même  à  la  promenade  ou  dans  les 
rues;  quelipiefois  aussi  elles  jettent  sur  leur  tête  un  voile 
de  tulle  noir  (pu  leur  sied  ù  ravir.  Dans  l'été,  elles  portent 
d'ordinaire  des  robes  à  manches  courtes,  et  cette  mode  gra- 
cieuse donne  aux  femmes  dont  !a  mise  est  la  plus  simple 
im  air  aussi  distingué  que  celui  de  nos  eli  gantes. 

Il  nous  reste  à  dire  quelques  mots  de  l'industrie  et  du 
commerce  de  Milan. 

La  situation  de  cette  ville  en  faisait,  même  autref  jis,  l'en- 
trepôt général  de  toute  l'Italie,  et  tous  les  arts  y  étaient 
cultivés  avec  succès.  Une  des  branches  les  plus  importantes 
de  son  conunerce  était  alors  la  f.:l):icalion  des  armes.  Nous 
voyons  dans  Branlùme  que  les  meilleurs  fiisils  se  liraient  de 
Milan  dans  le  x  V  siècle.  Strozzi  et  d'Andela.i ,  colonels  gé- 
néraux de  l'infanterie,  réformèrent  l'arquebuseiie  de 
France  avec  les  armes  du  .Milanais,  que  l'on  regardait 
coujine  bien  supérieures  à  celles  de  Metz  et  d'Abijeville. 
Celle  fabrication  est  tombée  aeliicllement.  Quant  au  com- 
merce d'entrepôt,  après  avoir  été  (pielque  temps  interrompu 
à  cauie  de  la  concurrence  de  Gènes  et  de  Venise,  il  a  re- 
pris toute  son  activité,  surtout  depuis  l'établissement 
des  magnifiques  routes  du  Saint-Gothard  et  du  Simplon. 
ftlais  le  principal  commerce  consiste  aujourd'liiù  dans  les 
soieries;  et  comme  celles  de  Lyon,  de  Londres,  etc.,  sont 
prohibées  daiis  la  Lombardie ,  les  fabriques  de  Milan  jouis- 
sent d'un  monopole  qui  fait  la  richesse  de  cette  ville. 

CONSERVATION  DES  TÊTES  HUMAINES 

CHEZ    LES    .S.\UVAGli;S   DE    LA  NOUVELLE-ZÉLANDE. 

Il  est  parfaitement  démontré  aujourd'hui  que  les  nulu- 
rels  des  archipels  des  Uébi  ides ,  des  Manpuses ,  de  la  Nou- 
velle-Zélande ,  et  d'une  quantité  d'autres  lies  de  la  Poly- 
nésie, sont  cannibales.  Cependant  on  a  remarqué  (pie  les 
Nouveaux-Zéiandais  avaient  seuls  la  coutume  ue  conserver 
les  têtes  de  leuis  ennemis  comme  des  trophées  delà  victoire 
et  connue  tics  objets  de  leur  mépris.  On  retrouve  cette  cou- 
tinne  parmi  quelques  tribus  d'Afiique. 

a  Les  premiers  objets  qui  frafipèrent  notre  attention 
dit  à  ce  sujet  le  capitaine  Tuckey,  dans  le  récit  de  sa  visite 
à  la  rivière  Zaïre,  furent  quatre  crânes  humains  suspen- 
<kis  à  im  arbre.  On  nous  dit  que  ces  crânes  appartenaient  à 
des  chefs  eimejuis,  faits  prisonniers  dans  le  dernier  coud),it. 
Ces  victimes,  ajoute  le  capitaine  Tuckey,  nous  parurent 
avoir  reçu  le  coup  de  grâce  avant  que  la  tète  eût  élésépan  e 
du  corps.  »  Le^  natm-els  de  la  Nouvelle-Zéiantle  conseï  vent 
quelquefois  aussi  les  tètes  de  leurs  anus;  mais  c'est  dans 
l'intention  de  payer  à  la  mémoire  des  morts  un  ti-ibul  de 
respect  et  d'admiration ,  de  montrer  ces  restes  vénérés  aux 
parens  et  aux  amis  absous  au  moment  de  la  mort  et  de 
pouvoir,  à  certaines  époques  de  l'année,  célébrer,  en  l'hcn- 
ncur  du  définit,  des  cérémonies  funéraires. 

Non-seulement  le  mode  de  préparation ,  usité  par  les 
naturels  de  la  Nouvelle-Zélande,  prévient  la  décomposition 
avec  le  plus  grand  succès,  mais  encore  les  traits  du  visa-^e 
deuieuieut  dans  un  état  parfait  de  conservation.  Quand  la 
tète  a  été  séparée  du  corps,  on  brise  avec  un  bâton  ou  une 
pierre  ia  partie  supérieure  du  crâne;  on  vide  entièrement 
la  cervelle ,  et  on  lave  la  cavité  du  crâne  à  diverses  fois 
justju'à  ce  (pi'elle  soit  bien  nettoyée.  On  plonge  alors  la  tête 
dans  de  l'eau  bouillante  pendant  quelques  minutes;  ce  qui 
fait  disparaître  tout  l'épiderme.  On  a  soin ,  pendant  celle 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


», 


opcralion ,  de  ne  point  loucher  à  la  chevelure  ;  car  elle 
lomberait  aussilôl.  Quand  cetle  chevelure  est  refroidie,  elle 
(Icuicurc  fixée  à  la  Icle  avec  plus  de  force  qu'auparavant. 
De  poliles  planclieitcs  sont  placiies  des  deux  côtés  du  nez , 
afin  de  lui  conserver  si  forme  naturelle;  un  autre  pelil 
morceau  de  hois  est  posé  sur  le  nez  pour  einpi-cher  (ju'il  nt- 
se  défoime,  et  l'on  a  soin  de  bourrer  les  naiines  avec  des 
lunpjus  de  liu.  Ou  arrache  les  yeux,  si  ce  sont  ceux  i[\n\ 
chef,  et  ou  les  niauge;  mais  ou  les  jette  dans  (o.ît  autre 
cas.  On  coud  la  bouche  cl  les  [laupières  pour  ({u'elles  con- 
servent Icnr  Foruie. 

Ou  a  d'avance  Cicusc  dans  la  lerre  une  espèce  de  four 
(pi'on  remplit  de  jiierres  (pie  rougit  bicutôl  le  feu.  Ce  four, 
(pii  est  fermé  de  tons  côtés,  n'a  (pi'une  otivertiue  pialiciiiée 
au  s'ouunet,  et  à  laipiello  la  partie  supérieure  de  la  lète 
s'ail.'îpîe  parfaitement.  Les  pierres  sont  arrosées  d'eau  aussi 
souvent  cpie  cela  est  jugé  nécessaire.  Il  en  résulte  un  nu.ige 
de  vapetn-  et  de  fumée  ,  (pi'augmentent  encore  des  feuilles 
imbll;ées  d'eau  et  (pi'on  a  introduites  dans  le  foin-.  La  va- 
peur cl  la  fuuiée  pénètrent  ainsi  dans  l'inlérifur  de  la  Icle, 
dont  la  base  est  placée,  comme  nous  l'avons  dit,  à  l'ouver- 
ture du  four. 

Tour  entretenir  la  cha'eur  et  la  fimiée ,  on  a  soin  de 
renouveler  souvent  l'eau  et  les  pierres.  Le  natm-el  cpii  est 
ciiargé  de  celte  préparation,  doit  veiller  à  ce  qu'il  ne  se 
fonne  point  de  rides  sur  le  visage,  et  il  passe  souvent  la 
main  sur  la  peau  ,  alin  de  prévenir  toute  altération  dans  les 
traits.  Ce  procédé  exige  de  vingt-tpialre  à  trente  heures. 
Quand  la  tôle  a  été  exp  )sée  au  feu  et  à  la  fumée  le  temps 
nécessaire ,  ou  la  relire  du  four ,  on  la  fixe  sur  un  bàlon  et 
on  l'expose  au  soleil.  Ou  a  coutume  d'oindre  fréqueumient 
ces  tètes  avec  de  l'huile  ;  cette  derutère  opération  n'est  pas 
jugée  indispensable  ;  mais  on  l'emploie  pour  donner  aux 
tôles  une  plus  brillante  apparence. 

L'adoption  de  celte  niéihotle ,  aussi  siuiple  (pi'efficace , 
mettrait  à  même  de  faire  de  bien  précieuses  collections  de 
loates  les  races  d'honunes  qui  existent  sur  la  surface  du 
globe. 

Les  naturels  montrent  ces  tètes  avec  orgueil  dans  leurs 
danses  guerrières;  et  quand  ils  vont  au  combat ,  ils  les  éta- 
lent aux  yeux  de  leurs  ennemis,  et  les  menacent  du  môme 
sort.  Les  vainqueurs  les  apportent  à  leurs  femmes  et  à  leurs 
cnfans,  et  les  offrent  à  leurs  idoles ,  en  léuioiguMge  de 
reconnaissance  pour  la  victoire  qu'ils  ont  rempfulée. 

Les  têtes  des  chefs  qui  sont  conservées  par  la  mclhode 
que  no;is  venons  de  décrire,  ne  s  iUt  jamais  veu(bu's  pnr 
leurs  familles,  pour  qui  elles  sont  des  objets  de  icspect  el 
de  vénération  ;  on  ne  cède  aux  étrangers  (pie  cellcis  <]e>  en- 
nemis. Voici  eomin  nt  s'exprime  A  ce  sujet  un  voyagcm- 
aiîglais  qui  visita  les  iles  de  la  Nouvelle-Zélande  eu  182!)  : 
«  Je  fis  emplette,  à  la  rivière  Tamise,  d'une  tète  de  sau- 
vage conserv(;e;  et  ce  qui  est  très-rare,  je  pus,  en  cetle 
occasion,  avoir  connaissance  un  nom,  de  la  dignité  et  de 
l'âge  de  l'individu  à  qui  elle  avait  appartenu.  Ces  détails 
me  furent  fournis  par  celui  qui  l'avait  tué.  C(  t  individu 
était  âgé  de  dix-huit  ans  environ;  il  était  tatoué  depuis  pt!u, 
et  bien  moins  (|ue  les  chefs  de  tribus  ne  le  sont  (udinaiie- 
ment.  Il  passait  pour  un  guerrier  fort  distingiu'!  pour  son 
Age;  il  était  d'un  caractère  hardi  el  entrepienaut;  le  pre- 
mier au  combat,  c'était  toujours  lui  qui  immolait  le  pre- 
mier homme  :  fait  d'armes  qui  chez  les  sauvages  est  beau- 
coup admiré.  Dans  un  engagement ,  ce  chef  blesse  à 
l'abdomen  par  un  autrfr^ierrier  célèbre ,  londia ,  et  avant 
de  pouvoir  se  relever,  il  fut  ac!iê\-é  \m-  im  coup  de  toma- 
hawk assène  sur  le  crâne.  En  examinant  ce  crâne  avec 
attention,  il  est  aisé,  dit  notre  voyageur,  de  voir  la  cica- 
Uice,  qui  est  de  quehpie  étendue.  » 


Un  jour  d'été,  en  ^65,  plusieurs  étrangers  de  distinc- 
tion étaient  réunis  dans  le  salon  du  chàleau.  On  devisait, 
en  attendant  ledhier,  et  tout  nalurellementon  s'entretenait 
de  Voltaire,  qui,  en  ce  moment,  n'était  pas  présent.  Lord 
M...  soutenait  (pi'un  esprit  aussi  suiiérieur  ne  pouvait  être 
accessible  à  cette  bonté  habituelle,  (pi'il  désignait  sous  le 
nom  de  faiblesse  humaine.  M.  de  Gouve,  procureur  du  roi 
auprès  de  la  cour  des  monnaies  de  Paris,  et  l'uii  des  plus 
riches  financiers  del'époipie,  soutenait,  au  contraire,  que 
plus  un  honnne  s'élève  j)ar  sou  génie  au-dessus  de  l'huma- 
nilc,  plus  il  tend  à  s'en  rapprocher  par  une  boulé  vérila- 
ble  ,  dernière  preuve  d'un  esprit  supcrictir.  Un  pari  assez 
considérable  est  proposé  el  accepte,  et  l'on  coiiviei'.l  de 
Icnter  une  épreuve  tout-à-fait  imprévue.  Les  dernières  pa- 
roles venaieutd'ôlre  prononcées  lorsque  Voltaire  entra  dans 
le  salon  :  à  peine  les  [)remières  politesses  avaient  été  échan- 
g('es ,  (pie  M.  de  Gouve ,  (jui  se  trouvait  à  l'une  des  fenêtres  . 
du  côté  de  Genève  ,  s'écrie  avec  une  surprise  parfaitement 
feinle  :  «  C'est  lui... ,  non ,  je  nie  lrcm[)e...  ce  ne  peut  ètVe 
«  lui.  »  —  «  Et  qui  donc?  dit  lord  i\I...  »  —  <(  Uousseati 
«  qui  entre  dans  la  cour.  »  —  «  Rousseau  !  s'écrieVollaire... 
«il  oserait!  Qu'on  léchasse!  iNon,  »  reprend-il  aussitôt 
d'un  ton  de  voix  visiblement  cinu  ,  «  non  ,  (pi'on  l'accueille, 
«  il  doit  être  bien  malheureux,  puisipi'il  vient  ici  chercher 
«  un  asile.  »  A  ces  mots,  Voltaire  s'av.aiçait  vers  la  porte 
dii  salon ,  lorsque  des  regards  échangés  lui  apprirent  ([u'on 
venait  de  le  soumettre  à  une  pénible  épreuve. 

Maintenant  donc  que  le  leeleur  impartial  prononce ,  qu'il 
dise  en  conscience  si  l'auteur  de  vingt  chefs-d'œuvres ,  si 
l'écrivain  le  plus  fécond  el  le  plus  élégant  de  son  siècle ,  si  le 
poète  le  plus  brillant  et  le  plus  gracieux  de  cete  époque, 
n'était  \)as  également  inspiré  par  son  eccur,  lorsipi'il  adopta 
la  petite-nièce  du  grand  Corneille,  lors{pi'il  défendit  la 
famille  Cnlas  et  les  Sirveu ,  el  lorsqu'il  décida  ralïranchissc- 
ment  des  serfs  du  Jura. 

LE  JAPON. 

CROYAXCES  KEUGlIiUSiiS. 

Le  môme  système  religieux  règne  dans  toules  les  îles  du 
Japon;  mais  il  se  divise  en  une  multitude  de  sectes  ijui  se 
tolèrent  réciproquement  avec  beaucoiq)  d'indulgence;  il 
subsiste  même  entre  elles  une  sorte  d'union  et  d'harmonie. 
Chaque  secte  a  ses  temples  et  ses  idoles,  qui  sont  en  très  grand 
nombre  et  hideuses  pour  la  plupart.  Il  y  a  des  dieux  pour 
toules  les  professions,  à  peu  près  comme  chez  les  Grecs  et 
les  Romains.  Au  milieu  de  ce  fatras  ci'absurdilés  el  de  su- 
perstitions, les  Japonais  fjut  encore  couse;  vé  une  idée,  bien 
confuse  à  la  vérité,  de  rEtre-Suprème.  Ils  ont  essaye  de  le 
représenter  d'une  manière  imposante  ou  au  moins  gigantes- 
que dans  deux  de  leurs  temples.  Dans  l'un,  ils  ont 
placée  nue  siat.jc  de  bois  si  colossale,  que  le  creux  de  sa 
main  pourrait  contenir  six  hommes  as<is  à  la  mode  du  pays  : 
ses  épaules  ont  cinq  brasses  de  large.  L'autre  idole,  au  dire 
d'un  voyàgciir,  es!  environnée  de  trente-trois  mille  trois  cent 
trente-trois  dieux  inférieurs,  pour  indiquer,  sans  doute,  la 
multitude  de  ses  attributs  et  de  ses  pouvoirs. 

Les  prêlies  japonar?  ne  fout  pas  d'olliee  et  ne  chantent 
aucun  hymne.  Les  porles  du  temple  restent  ouvertes  toute 
la  journée;  les  dévots  jHîuvenl  y  entrer  à  toute  heure  pour 
y  faire  leurs  prières  ou  bien  déposer  leius  aumônes.  L'accès 
n'en  est  défendu  à  aucun  étranger. 

Quoi(pie  l'on  ne  reconnaisse  point  de  sec:e  dominante, 
il  y  en  a  deux  infiniment  plus  répandues  que  les  autres, 
cvlle  de  Sinto  et  de  Boudsdo;  le  culte  du  premier  est  ori- 
ginaire du  pays,  el  le  plus  ancien;  mais  il  a  maintenant  peu 
de  partisans.  Le  second  a  clé  apporté  du  continent  de  l'A- 
sie; sa  nouveaulé  lui  a  donné  une  grande  vogue. 
La  religion  de  Sinto  était  très  simple  avant  que  l'on  y 
Aux  détails  que  nous  avons  donnés  (page  15)  sur  lésé-  introduisît  une  foule  de  pratiques  et  de  cérémonies  étran- 
jour  de  Voliaircj  à  Ferney,  nous  ajouterons  une  anecdote  gères.  Cependant  elle  reconnaît  encore  aujourd'hui  un 
peu  connue.  [  être  suprême  (pii  a  fixé  sou  séjour  au  plus  haut  des  cieux.  Ils 


2S 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


ne  lui  rendent  aucun  culte  ;  ils  le  croient  trop  au-dessus  d'eux 
pour  avoir  besoin  de  leurs  hommages  et  de  leurs  adorations. 
Ils  s'adressent  à  une  multitude  de  dieux  inférieurs  qu'ils 
disent  être  chargés  de  présider  à  la  terre,  à  l'eau,  à  l'air,  etc. , 
et  de  la  volonté  desquels  dépend  le  sort  des  mortels.  Ils 
n'ont  que  des  idées  bien  vagues  et  bien  incertaines  de  V'un- 
mortalilé  de  l'ame,  des  récompenses  et  des  châlimens  ([ui 
l'attendent  après  la  destruction  de  son  enveloppe  mortelle. 
Ils  présument  cependant  que  les  âmes  des  gens  de  bien  ont 
un  séjour  particulier  dans  le  ciel;  que  celles  des  méclians 
errent  de  tous  côtés  en  punition  de  leurs  crimes. 

Les  Japonais  ne  mangent  pas  de  viande;  ils  ont  de  la  ré- 
pugnance à  verser  le  sang,  s'abstiennent  du  lait,  qu'ils  re- 
gardent comme  du  sang  blanc,  et  évitent  l'attouchement 
d'un  cadavre.  En  violant  un  de  ces  trois  points  de  discipline, 
on  se  rend  iu)f)ur  pour  un  temps  plus  ou  moins  long.  Ils  se 
figurent  que  les  âmes  des  renards  deviennent  des  démons. 
Celte  singulière  croyance  tient  probablement  à  ce  que  ces 
animaux  sont  très  dangereux  et  commettent  de  grands  dé- 
gâts. Une  princesse  japonaise,  ayant  prétendu  qu'elle  était 
possédée  du  démon,  on  tua  tous  les  chiens  de  la  ville,  pour 
effrayer,  disait-on,  le  renard  enfermé  dans  son  ventre. 

Au  milieu  du  temple  est  ordinairement  placé  un  grand 
miroir  de  métal  fondu  et  poli,  pour  indiquer  aux  hommes 
que  les  dieux  découvrent  les  souillures  cachées  de  leur 


cœur,  aussi  distinctement  qu'eux-mêmes  aperçoivent  dans 
ce  miroir  les  taches  de  leur  visage.  Les  Japonais  qui  en- 
trent dans  le  temple  se  placent  devant  le  miroir,  baissent 
la  tète  respectueusement  jusqu'à  terre,  se  tournent  de  nou- 
veau devant  le  miroir,  font  leiu*  prière  et  présentent  quel- 
que don.  Après  ces  cérémonies  ils  sonnent  une  petite  cloche 
pendue  dans  le  temple  el  se  retirent. 

Depuis  l'introduction  de  la  secte  de  Boudsdo  au  Japon , 
celle  de  Sinlo  a  admis  différens  dogmes  et  pratiques  qui  lui 
étaient  absolument  étrangers,  fllalgré  ces  innovations,  c'est 
encore  la  moins  déraisonnable  de  toutes;  les  autres  adorent 
des  singes  et  une  infinité  d'culres  animaux. 

La  religion  chrétienne  s'introduisit  au  Japon  peu  de  temps 
après  que  les  Portugais  eurent  fait  la  découverte  de  ce  pays. 
L'arrivée  des  premiers  jésuites  dans  la  province  de  Bungo 
remonte  à  l'année  iM9;  ils  se  répandirent  dans  tout  le 
royaume  guidés  par  les  renseignemens  que  leur  donna 
un  jeune  Japonais,  qui  vint  exprès  se  faire  baptiser  à  Goa. 
Ce  néophyte  indiqua  aussi  aux  Portugais  tous  les  avantages 
qu'ils  trouveraient  à  venir  commercer  dans  sa  patrie.  Ceux- 
ci  avaient  alors  la  liberté  de  trafiquer,  de  prêcher  dans  les 
Indes,  et  même  partout  où  bon  leur  .semblait.  L'entre- 
prise réussit  au-delà  de  leurs  espérances ,  surtout  pour  le 
spirituel.  Plusieurs  princes  japonais  embrassèrent  le  chris- 
tianisme. Des  Portugais  épousèrent  des  femmes  du  pays 


(  Idoles  japonaises.) 

et  s'élabhrent.  Eu  lin ,  les  missionnaires  acquirent  une  |  dres  rigoureux  pour  exterminer  tous  les  chrétiens  furent 
telle  importance ,  qu'ils  euvoyèreul  une  ambassade  de  Ja-  promulgués  et  exécutés  avec  tant  d'aciivilé  que  dans  le 
ponais  au  pape  Grégoire  XIII,  avec  de  riches  présens.  Ces  I  cours  de  l'année  suivante  il  y  eut  pins  de  vingt  mille  per- 
SHCcèi,  et  les  immenses  richesses  que  leur  procurait  le  sonnes  mises  à  mort.  En4597,Jcs  persécutions  recommen- 
coramerce,  enflèrent  tellement  l'orgueil  des  Portugais,  qu'ils  cèrent  avec  plus  de  violence  que  jamais.  Toute  espèce  de 
ne  tardèrent  p»«  h  se  rendre  odieux  à  leurs  hôtes.  Des  or-    prédication  fut  .sévèrement  interdite,  el  la  plus  grande  partie 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


39^ 


(lu  cleigc  chassée  du  Japon.  Le  gouvernement  ordonna  que 
lous  les  chrélicns  qui  ne  voudraient  pas  abjurer  seraienl 
chassés  ou  misa  mort.  Celle  persécution  dura  quarante  an- 
nées sans  se  ralentir,  et  ne  linil  ([u'apiès  l'anéanlisseineul 
complet  (Ui  cinislianisme  au  Japon  el  la  destruction  du  com- 


merce des  Portugais  dans  celte  contrée.  Trente-sept  mille 
chrétiens,  réduits  au  désespoir,  s'étaient  réfugies  dans  la 
forteresse  de  Siinmabasa  ;  après  y  avoir  été  assiégés  et  forcés, 
ils  furent  lous  massacrés  c;i  un  seul  jour. 


POISSONS  VOLA  N S. 


l/ailc  do  l'oiseau  et  la  nageoire  du  poisson  diffèrent  l'une 
de  l'autre  bien  moins  qu'on  ne  le  croirait  au  |)reinier  coup 
d'œil;  et  voilà  pourquoi,  depuis  les  anciens  naturalistes 
grecs  jusqu'à  nous ,  le  nom  d'aile  a  été  si  souvent  donné  à 
ct'ite  nageoire.  L'une  et  l'autre  présentent  une  surface  assez 
grande,  relativement  au  volume  du  cor[)s,  et  l'a/iimal  peut 
selon  ses  besoins  accroître  ou  diminuer  celte  surface ,  en 
élcn;!ant  sa  nageoire  ou  son  aile  avec  force,  ou  en  les  res- 
serrant en  plusieurs  plis.  La  nageoire  ainsi  que  l'aile  se 
prèle  ùjces  différens  déploiemens  ou  à  es  diverses  contrac- 
tions, parce  qu'elles  sont  composées  Tune  el  l'autre  d'une 
std)stance  memb;  ancuse  molle  et  souple.  La  surface  (prçUes 
piésentent  toutes  deux  résiste  et  agit  avec  précision ,  et 
frappe  avec  force ,  car  chez  l'ime  et  l'autre  cette  surface  est 
soutenue  par  de  petits  cylin  ins  réguliers  ou  irréguliers, 
solides,  durs  et  prescpi'iuncxibles;  dans  l'aile  elle  esl  forii- 
liée  par  des  pliunes;  dans  la  nageoire  elle  est  quehpieffjis 
consolidée  par  des  écaille»  dont  la  substance  esl  de  la  même 
nature  que  celle  des  plumes  de  l'oiseau. 

On  pourrait  dire  que  les  oiseaux  nagent  dans  l'air  et  (pie 
les  poissons  volent  dans  l'eau. 

Ainsi  (pic  les  Pégases,  les  Scorpènes,  les  Daclyloptères 
el  les  Trigles,  l'Exocet  volant,  Exocntus  exiliens,  jouit  de 
la  fa"uHé  de  s'élever  à  d'assez  grandes  distances  au-dessus 
de  la  sm-face  des  eaux;  ce  privilège  que  lui  accorde  la  na- 
tiiie  démontre  hautement  ce  que  nous  avons  développé  tout 
à  l'heure,  c'est-à-dire  (pie  voler  est  nmjcr  dans  l'air,  et 
«pie  narjer  est  voler  au  sein  des  eaux. 

Ixien  n'est  plus  beau  que  de  voir  surgir  au-dessus  des 
Hots  ces  corps  brillans  dont  l'éclat  argentin  resplendit  sur 
presque  toute  leur  sui  face,  ces  poissons  dont  le  sommet  de 
la  tôle  rédéchit  les  plus  belles  teintes  de  l'azur,  et  dont  la 
poitrine  et  la  (pieue  sont  colorées  du  bleu  le  plus  foncé; 
leiu"  crystallin,  qu'on  apen^oit  au  travers  de  la  prunelle, 
est  d'un  bleu  noirâtre  pendant  la  vie  de  l'animal.  Cette 
parure  brillante  compte  parmi  les  causes  de  tourmens  et 
de  perte  qui  poursuivent  l'exocet  pendant  toute  sa  vie ,  car 
elle  ne  sert  qu'à  le  faire  découvrir  de  plus  loin  par  des  en- 
nemis contre  lesquels  il  a  élé  laissé  sans  défense.  C'est ,  en 
effet ,  de  tous  les  babilans  de  la  mer ,  le  plus  inquiété  le 
plus  agité,  et  le  plus  poursuivi  par  les  scambres  et  les  co- 
rypbènes.  S'il  abandonne ,  pour  leur  échapper^  l'élément 


dans  lequel  il  est  né,  s'il  s'élève  dans  l'atmosphère,  s'il  dé- 
crit une  courbe  plus  ou  moins  prolongée ,  il  trouve,  en  re- 
tombant dans  la  mer,  mi  nouvel  ennemi  dont  la  dent  meur- 
trière le  déchire  et  le  dévore.  Pendant  la  durée  de  son 
court  tiajet,  il  devient  la  pioie  des  frégates  et  de  ces  autres 
oiseaux  (pie  leur  vol  puissant  a  fait  nommer  grands-voiliers, 
et  (pii ,  pouvant  seids  résister  aux  grands  mouveniens  de 
l'atmosphère,  bravent  les  orages,  surmontent  les  autans 
déchaînés,  peuvent  voler  long-temps  au-dessus  de  l'Océan, 
ss  précipiter  avec  rapidité  sur  leur  proie,  l'enlever  au  plus 
haut  des  airs,  et  nager  à  d'immenses  distances  de  la  rive. 
Si  l'exocet  veut  chercher  sa  sûreté  sur  le  pont  des  vais- 
seaux ,  les  passagers  ou  les  matelots  lui  donnent  la  mort  pour 
se  nourrir  de  sa  chair,  (pii  esl  grasse  et  d'un  excellent  goût. 


ALl-MÉHEMET,  VICE-llOI  D'EGYPTE. 

Ali-Pacha  (Mehemel  ou  Mohamed),  vice-roi  d'Egypte, 
est  le  prince  de  toutrOrienl,  et  peut-être  du  inonde  entier, 
le  plus  habile  dans  l'art  de  gouverner,  si  on  ne  le  juge  que 
par  les  succès  qu'il  a  obîenus.  Il  s'est  élevé  au-dessus  de 
cette  foule  de  pachas  qiu  pèsent  depuis  tant  de  siècles  sur 
le  sol  oriental,  parce  (pi'il  a  eu  l'audace  de  commander  à  la 
fortune  en  se  débarrassant  de  lous  ceux  qui  pouvaient  l'ar- 
rêter dans  sa  marche.  Ses  vues  politiques  et  administrati- 
ves sont  profondes;  mais  Bonaparte,  pendant  la  comte  du- 
rée de  son  séjour  en  Égyple,  avait  ébauché  tout  ce  (pi'Ali 
exécuta  depuis;  il  avait  préparé  les  peuples  aux  cliange- 
mens  qui  devaient  les  rendre  heureux.  Né  de  parens  ob- 
scurs, en  1709,  à  la  Cavale,  ville  et  port  de  mer  de  la  Ro- 
mélie,  Ali-Mehemet  élail  encore  en  bas  âge  lors(iu'il  perdit 
son  père;  il  trouva  un  asile  dans  la  maison  du  gouverneur 
de  la  Cavale,  qui,  charmé  de  ses  heureuses  dispositions , 
se  plut  à  l'élever  comme  son  fils.  Ali-Mohammed  sortait  à 
peine  de  l'enfance  lorsqu'il  donna  à  son  protecteur  une 
grande  preuve  de  sagacité  et  de  courage.  Les  babilans  d'un 
village  voisin  refusaient  de  payer  le  tribut  d'usage  ,  et  le 
gouverneur  manqiiait  de  moyens  pour  les  y  contraindre  : 
Ali  se  présente,  et  ne  demande  que  quelques  hommes  ar- 
més pour  réduire  les  rebelles.  Il  part  pour  ce  village ,  entre 
dans  la  mosquée,  demande  les  quatre  principaux  habilans, 


so 


MAGASIN  UNIVEIISEL 


à  qui  il  feint  d'avoir  à  comniîmiqucr  nue  affaire  importante, 
les  emmène  cliar^és  ilc  cîiaines,  menace  de  les  mellre  à 
mort  si  on  veut  les  lui  enlever, ,  et  arrive  avec  eux  à  la  Ca- 
vale. L'arriéré  deTimpôt  fut  bienlôl  ac(|uillé.  Celle  affaire, 
conduite  avec  autant  d'adresse  que  de  vigtieiir,  valut  un 
emploi  au  jeune  Ali,  el  la  main  d'une  jeune  veuve  très  ri- 
che, parente  du  gouverneur  j  il  se  trouva  alors  à  la  tète 
d'une  grande  f)rlune,  et  mit  tous  ses  soins  à  l'augmenter 
encore  :  il  se  livra  au  conmierce  du  tabac,  l'un  des  plus  lu- 
cratifs de  ces  contrées,  et  acquit  des  richesses  auxquelles 
il  dut  un  surcroil  de  consilération,  ce  qui  ne  l'cmjjè'chait 
pas  de  prendre  les  armes  toutes  les  fois  ijue  l'occasion  s'en 
présentait.  Ce  fut  contre  les  Français,  en  Egypîe,  qu'il  fil 
sa  première  campagne.  Le  gouverneur  de  la  Cavale  avait 
aruié  el  éijuipc  un  corps  particulier  dont  il  avait  domié  le 
comuîan.lement  à  son  lils,  en  lui  adjoignant  pour  conseil 
Ali-Mohammed.  Le  î)reniier,  bientôt  rebute  des  fatigues  de 
la  guerre,  quitta  l'armée,  et  laissa  le  commandement  de  sa 
Irouiie  à  Mohammed.  Celui-ci  ne  larda  pas  à  se  faire  re- 
marquer par  plusieurs  actions  d'éclat  el  fui  élevé  par  le  ca- 
pitan-paeha  à  un  poste  suin-rieur.  Il  entrevit  dès-iors  le  rang 
auquel  il  pouvait  prétendre,  et  ne  négligea  rien  pour  y  ar- 
river. Il  chercha  suriotit  à  s'attacher  les  soldats  albanais 
et  servit,  à  leur  têle,  les  projets  de  la  Porte  pour  l'anéan- 
lissemcnl  des  Mameloucks.  Là  grande  réputation  qu'il  se 
lit  par  les  succès  continuels  qu'il  obtint  sur  eux,  excita  la 
jalousie  el  même  la  haine  des  pachas  ses  supérieurs.  Ceux- 
ci  démêlèrent  bientôt  les  vues  ambilicuses  de  leur  subor- 
donné, el  le  desservirent  auprès  du  grand-seigneur,  qui 
lui  intima  l'ordre  de  quitter  l'Egypte,  en  le  nommant  pa- 
cha de  Salonlipie.  Ali,  déconceiié,  mil  tout  en  œuvre  pour 
emiiècher  le  triomphe  de  ses  ennemis;  le  peuple,  les  mili- 
taires, les  ulémas,  soulevés  secrètement  par  lui,  s'opposè- 
rent ouvertement  à  son  départ,  et  portèrent  leurs  réclama- 
tions jusqu'au  pied  du  trône.  La  réponse  se  faisant  attendre, 
le  peuple  et  les  cheycks,  impatiens,  déposèrent  le  pacha 
d'Egypte,  et  le  remplacèrent  par  Ali,  qui,  trop  rusé  pour 
se  rendre  à  une  nomination  illégale,  attendit  le  firman  du 
grand-seigneur,  qui  arriva  enfin,  et  le  confirma  dans  la 
place  éminente  de  gouverneur  d'Egypte,  avec  la  dignité  de 
paclia  à  trois  queues.  Les  circonstances  n'étaienlpas  favora- 
bles; les  soldats,  sans  paie  depuis  long-temps,  étaient  en 
pleine  insurrection  ;  les  Mameloucks,  ayant  à  leur  tète  Elfy 
Bey,  soudoyé  par  l'Angleterre,  faisaient  la  guerre  au  pacha 
légitime,  et  avaient  remporté  sur  lui  quelques  avantages. 
Les  Anglais  portaient  Elfy  Bey  au  gouvernement  d'Egypte, 
et  faisaient  agir  à  Gonstantinople  tous  les  ressorts  de  la  po- 
litique eu  sa  faveur.  Ces  démarches,  et  surtout  la  promesse 
de  quinze  cents  bourses  dont  l'Angleterre  garantissait  le 
versement,  décidèrent  le  grand-soigneur  à  envoyer  une  ar- 
mée en  Egypte  pour  en  déloger  Ali-Pacha,  el  y- établir  les 
changemtns  nécessaires.  Ces  troupes,  au  nondjre  de  trois 
mille  hommes,  débarquèrent  à  Alexandrie;  un  capidjy, 
dépêché  sur-1  t-champ  à  Mohammed,  lui  intima  l'ordre  de 
se  rendre  sans  délai  à  Alexandrie,  pour  de  là  être  trans- 
porté à  Saloni(|ue  en  (pialité  de  pacha.  Ali  sentit  le  piège, 
el  différa  d'obéir  sous  les  prétextes  les  plus  plausibles;  mais 
il  eut  soin  de  faire  prévenir  sous  main  ses  principaux  offi- 
ciers de  l'orilre  qu'il  veiiail  de  recevoir,  en  leur  annonçant 
q-i'il  était  prêt  à  s'y  soumettre;  ce  n'était  qu'une  ruse  de 
sa  part;  il  savait  que  la  mort  l'attendait  à  Alexandrie.  Tous 
ses  officiers  accourent  à  l'instant ,  et  lui  protestent  <|u'ils 
ne  consentiront  jamais  à  son  départ.  L'adroit  pncha  profite 
de  cet  enthousiasme,  lenr  fait  une  courle,  mais  véhémente 
allocution,  et  leur  demande  de  jurer  sur  le  coran,  livre  sa- 
cré pour  eux,  qu'ils  ne  l'abandonneront  pas,  qu'ils  mour- 
ront, s'il  le  faut,  pour  la  cause  (lu'ils  défendent.  Le  serment 
fut  prêté  à  l'insUml  même  ;  ils  ajoutèrent  au  serment  une  cé- 
rémonie simple,  mais  antique,  qui  forme  pour  les  Alba- 
nais un  lien  indissoluble  qu'ils  n'osml  rompre  <jans  infa- 
■  mie,  c'est  depa,sscrl'un  après  l'autre  su-  un  s-dirc  nu,  tenu 
aux  deux  bouts  par  les  deux  plus  ûhôiens.  Vm  nouvelle 


requête  fut  présentée  au  divan,  auprès  duquel  l'ambassî^- 
deiir  français  agissait  aussi  d'une  manière  énergique;  elle 
ne  fil  p.!S  un  grand  effet  :  Ali-I\lohammed  n'eut  raison  que 
lorsqu'il  cul  envoyé  à  Consiantinople  (\cu\  mille  boures  que 
lui  avaient  fournies  ses  amis  en  se  coiisant  chacun  selon  ses 
moyens.  Alors  seulement  arriva  le  firman  du  grand-sei- 
gneiu',  qui  confirmait  pour  la  seconde  fois  Ali  dans  le  pa- 
chalick  d'Egyple.  Un  ennemi  redoutable  vint  Tatlaquer  au 
sein  de  sa  capitale  ;  les  Anglais  avaient  déclaré  la  guérie  à 
la  Porte  et  étaient  accourus  en  toure  hâte,  avec  vingt-trois 
vaisseaux  et  six  mille  hommes  de  troupes  de  terre ,  se  pré- 
ci[iiler  sur  l'Egypte;  mais  leurs  succès,  fastueuscment  an- 
noncés, se  bornèrent  à  la  prise  d'Alexandrie,  où  ils  ne  pu- 
rent se  maintenir;  ils  furent  ensuite  complètement  battus 
dans  divers  engagemens ,  la  plupart  de  leurs  généraux  ayant 
été  tués  ou  faits  prisonniers,  el  enfin  obligés  de  s'humilier 
devant  leurs  vaiùqueurs  pour  obtenir  la  permission  de  se 
retirer.  Ali,  enflé  de  cette  victoire,  tourne  aussilôt  ses  ar- 
mes contre  les  Mameloucks.  Ces  derniers,  après  la  perte  de 
plusieurs  chefs  accrédités,  alternativement  vainqueurs  et 
vaincus,  acceptèrent  la  paix  aux  conditions  qu'ils  proposè- 
rent, et  qui  leur  ftuent  garanties;  c'était  qu'il  leur  sérail 
permis  de  retourner  au  Caire,  et  d'y  jouir  des  débris  de  leur 
ancienne  fortune.  Ils  s'étaient  rendus  trop  redoutables  pour 
ne  pas  porter  ombrage  au  despote  de  l'Egypte  ;  leur  destruc- 
tion fut  résolue.  Il  imagina  donc  que  les  Mameloucks  fomen- 
taient de  nouveaux  troubles  pour  renverser  le  gouverne- 
ment, et,  au  moment  où  il  les  comblait  d'honneurs  et  des 
témoignages  d'amitié  les  plus  signalés,  au  milieu  d'ime  cé- 
rémonie solennelle,  où  Toussoum,  son  fils,  chargé  delà 
giierre  des  Wahabites ,  allait  être  revêtu  des  msignes  du 
commandement,  il  les  fil  massa  rer  de  la  manière  la  plus 
perfide  et  la  plus  barbare;  de  quatre  cent  soixante-dix  Ma- 
meloucks qui  faisaient  partie  de  ce  cortège  devenu  pour  eux 
une  marche  funèbre,  aucun  n'échappa  au  carnage;  l'exter- 
mination fut  générale  dans  les  provinces;  soixanle-dix-huit 
d'entre  eux  qui  avaient  été  amenés  au  vieux  Caire,  furent 
égalemenl  tués  pendant  la  nuit. 

("La  suite  à  un  prochain  mimévo.) 


MOEURS  DU  PEUPLE  ANGLAIS  (I). 

L'iviognerie  abandonne  tous  les  jours  les  classes  supé- 
rieures de  l'Angleterre.  Il  est  aujourd'hui  de  très  mauvais 
ton  de  se  griser  jusqu'à  rouler  sous  la  table,  el  quoiqu'il  ne 
soit  pas  encore  fort  rare  de  rencontrer  dans  les  rues  de 
Londres  des  hommes  et  des  femmes  bien  mis,  à  la  mine 
enhunitiée  et  à  la  démarche  chancelante ,  on  peut  cepen- 
dant assurer  que  ces  personnes ,  les  femmes  surtout ,  n'ap- 
partiennent pas  à  ce  qu'on  appelle  la  classe  respectable.  c:e 
n'est  pas  cependant  que  les  bonnes  matrones  sur  le  retour, 
que  les  vieilles  filles  d'une  certaine  aisance,  el  appartenant 
à  de  bonnes  familles  des  classes  moyennes ,  de  marchands 
retirés,  ne  se  permettent  assez  souvent,  le  soir  surtout,  le 
régal  do  gin  et  d'eau  chaude;  mais  cela  se  passe  à  l'inlé 
rieur,  après  le  souper,  et  si  la  raison  se  trouble  tant  soil 
peu,  on  n'a  pas  de  témoins  importuns,  les  enfans  sont  au 
lit,  el  l'on  a  toujours  assez  de  force  pour  monter  se  cou 
cher.  Le  lendemain  ou  a  mal  à  la  tète,  mais  le  climat  est 
si  mauvais,  qu'il  n'y  a  rien  là  qui  doive  suiprendre,  et  l'on 
n'hésite  pas  à  détourner  les  yeux  et  a  faire  la  grimace  ton 
tes  les  fois  (ju'on  se  trouve  en  compagnie  d'hommes  qui  se 
livrent  au  même  passe-lemps.  Péché  caclié  est  à  moitié  re 
mis. 

Mais  à  mesure  que  l'ivrognerie  abandonne  les  classes  su 
péiieures,  elle  se  propage  avec  une  effrayante  rapidité  dans 
les  classes  piuvres;  elle  semble  croître  en  raison  inverse 
de  l'aisance,  et  d'eflel  (lu'elle  çst,  elle  ne  lardera  pas  à  de- 
venir la  cause  du  décroissemenl  de  la  prospérité.  Un  petii 
coup  de  yiu  pour  un  eslomac  délabré  est  un  loidUtl  qui 

j       (0  Voyez  page  41  r,  I'^  volume. 


iMAGASIN  TJNIVîiiRSBL. 


charme  la  fuiin,  et  lemcdie  toiuporaircinciit  au  délabre- 
ment, et  comme  rcffct  en  est  prompt ,  on  a  plus  tôt  fait  d'y 
avoir  recoins  que  d'acheter  un  morceau  de  pain;  les  maux 
(l'estomac  redoublent  par  l'usage  de  celte  boisson ,  il  faut 
bien  que  le  remède  soit  plus  fréquemment  employé,  et  l'on 
ne  tarde  pas  à  tout  saciiiier  pour  se  procurer  ce  poison.  Le 
gin  a  une  qualité  qui  lui  est  propre,  il  est  narcotique;  les 
mères  en  donnent  une  cuillerée  aux  jeunes  enfaus  ([ua  la 
douleur  empêche  de  dormir  ;  il  n'est  doue  pas  élonuanl  que 
le  goût  en  soil  aussi  général. 

Ce  goût  tend  à  se  lépandre  ])ien  plus  encore  depuis  l't  la- 
blissement  de  ces  inimenseset  magnifiques  palais  (ju'om  ap- 
pelle. (/t)i-<c»»pl'es,  cl  dans  lesquels  on  débile,  pour  im  ou 
deux  sous,  du(/i)i  à  chacun  des  qualre-viugls  ou  ce.it  indivi- 
dus de  tout  âge,  de  tout  sexe,  et  couverts  de  haillons,  (pii 
vien:.ent  s'asseoir  siu'  les  bancs  (pii  lupissent  ses  murailles. 
Le  spéculateur  place  eu  général  ces  lenq)ies  dans  les 
quartiers  habités  par  les  pauvres ,  do  sorte  que  leur  souî- 
ptuosilé  ressort  emiore  plus  indécemment  au  milieu  de  la 
misère  qui  les  entoure. 

Un  comptoir  en  ac;ijou ,  d.ius  le  fond  d'une  vaste  salle 
éclairée  par  l'éclat  de  mille  becs  de  gaz ,  des  frises  dorées  et 
gcidpl!  es  avec  soin  ,  des  glaces  d'une  grande  dimension , 
tous  les  détails  de  la  somptuosité  anglaise,  lourde,  massive, 
mais  riche,  sont  déployés  dans  ces  gouffres  pour  attirer  les 
malheureuses  victimes  qui,  les  pieds  nus,  la  poitrine  à  peine 
couverte  par  des  haillons ,  restes  des  habits  des  riches,  vien- 
nent achever  d'y  ruiner  leur  santé.  A  Londres ,  comuie 
nous  l'avons  dit  dans  un  précédent  article,  jamais  un 
pauvre  n'endosse  une  veste  dont  l'étoffe  ou  la  forme 
convienne  à  sa  condition;  ce  sont  les  défroques  des  liches 
qui  les  coiivrent,  et  l'étranger,  en  arrivant,  est  frappé  d'é- 
to:inement  à  la  vue  de  pauvresses  qui  lui  demandent  l'au- 
mône, couvertes  d'ime  vieille  robe  de  salin  à  falbalas  et  d'un 
chapeau  de  velours  à  fleurs  ou  à  plumes. 

Les  (jin-iemplcs ,  contre  lesquels  il  faut  regretter  que  le 
gouvernement  ne  pusse  rien ,  ont  pruvoqué  la  naissance 
des  sociétés  de  tempérr.nce ,  et  bien  que  ceux  qui  se  sont 
enqiarés  de  celle  idée  soient  en  général  des  philanlropes  de 
profession,  c'est-à-dire  des  gens  qui  parlent  beaucoup  et  ne 
font  guère,  il  y  a  lieu  d'espcier  (pie  les  bous  citoyeiis  s'en 
mêleront  et  renié  'ieionl  au  mal. 

Un  comité  d'ivrognerie  s'est  établi  sous  les  anspices  de  la 
législature  ,  et  peut-être  oblienùra-t-on  un  acte  contre  les 
yin-iempïes.Pnvmi  les  documens  qui  ont  été  présentés  à  ce 
comité,  celui-ci  mérite  d'être  rapporté.  Il  s'agissait  d'une 
vieille,  femme  tombée  dans  la  mi-ère  par  l'usage  du  (jin. 
«  Cette  femme  ,  qui  est  veuve  aujourd'hui ,  dit  le  témoin  , 
est  la  tante  de  l'un  de  nos  plus  célèbres  chanteurs.  C'est 
une  buveuse  de  gin  incorrigible.  Elle  est  mère  de  quatre 
fds  cl  de  deux  lilles,  tous  transportés  à  Botany-Bay. 
Après  avoir  vend;i  tout  ce  qu'elle  possédait  pour  se  jjrocu- 
rer  sa  liqueur  favorite,  elle  eut  recours  àrexpédienl  h;  plus 
extraordinaire  :  la  natiu'e ,  ([ui  l'avait  assez  bien  dolic,  lui 
avait,  avec  l'âge ,  retiré  tous  ses  dons,  à  l'exceplion  de» 
dents  les  plus  bl;:nchesel  les  mieux  faites  (ju'il  soit  l'Ossii  le 
d'imaginer;  Elle  les  vendit  nu  dentiste  les  unes  .iprès  les 
autres...  A  mesure  que  sa  passion  augmentait,  le  dentiste 
Spéculait  sur  son  appétit  et  diminuait  le  prix  qu'il  avait  d'a- 
J)or;l  donné.  Il  lui  reste  aujourtrimi deux  dents;  la  dernière 
qu'elle  a  vendue  lui  a  été  payée  8  sous. 

«  Après  son  extraction  ce|)endant,  elle  pensa  que  c'était 
trop  souffrir  pour  si  peu  ;  elle  alla  trouver  m»  médecin  ,  et 
lui  proposa  de  lui  vendre  s;  n  corps  par  anlici[)alion.  Le 
médecin  y  consentit;  il  lui  offrit  même  de  lui  dum.er  une 
certaine  somme  par  jour  en  sus  du  piix  de  son  corps,  à  la 
condition  qu'elle  prendrait  une  certaine  dose  de  médecine 
par  semaine,  pour  en  essayer  les  effets.  La  buveuse  hésila; 
mais,  craignant  que  la  médecine  n'eût  pour  objet  de  la 
tuer  plus  vile,  elle  se  décida  à  refuser.  » 

Ilyaim  grand  enseignement  dans  cet  exemple.  L'An- 
gleterre s'y  dévoile  tout  entière  :  la  vieille  fenîine,  le  den- 


tiste, le  médecin  ïont  des  types  qu'on  ne  saurait  trop  exa- 
miner 


IIOCIIE. 


Le  seul  nom  de  Ilochc  jappelle  un  desphw  beaux  carac- 
tères qui  aient  honoré  la  profession  des  armes,  et  un  des 
plus  grands  laleus  qui  l'aient  illuslrée.  Les  giaiuls  hommes 
li'onlinaiie  ne  sont  pas  exempis  de  grandes  faules  ,  et  l'on 
serait  même  lenléde  croire,  en  lisant  l'hisloiredeleur  vie, 
que  c'est  là  une  condition  nécessaire  de  leur  supériorité.  La 
vie  de  Hoche  ce[)eu(lanl  fut  pure  comme  sa  gloire  ■•jeté,  dès 
l'âge  le  pins  tendre,  au  milieu  des  dissensions  civiles,  dans 
un  lempsoù  le>princi[)esmême  les  plus  ordinaires  u'huma- 
niié  étaient  indignement  travestis,  et  sacrifiés  à  l'ambition, 
ù  la  popularité,  àrinlérêl,  il  sut  conserver  l'indépendance 
et  la  loyauté  de  ses  opinions ,  servant  s^'palrle  avec  amour, 
et  dévouement ,  sans  songer  jamais  L  se  rendre  l'apôlre 
d'aucun  système  ,  d'aucime  théorie. 

Noire  dessein  n'est  pas  de  raconter  en  détail  chacun  des 
exploits  de  ce  grand  capitaine  :  ses  hauts  faits  militaires 
sont  bien  connus;  et  d'ailleurs  sa  trop  courte  carrière  est 
lellement  remplie  d'actions  glorieuses,  que  nous  ne  pour- 
rions les  rapporter  toutes  sans  sorlir  ûcs  limites  (|ui  nous 
sont  imposées;  nous  ne  voidons  (presquisser  les  iiariictilari- 
tés  les  plus  saillantes  de  sa  biogi-aphie  ,  où  chactui  de  nous 
pourra  puiser  de  belles  et  utiles  leeons  de  courage,  de  vertu 
et  de  patriotisme. 

Il  naquit  à  Montreuil  (Seine-et-Oise),  le  24  février  I7G8. 
La  pauvreté  de  ses  parens  l'obligea  de  bonn.e  heure  à  s'oc- 
cuper lui-même  des  moyens  de  fjouiToir  à  son  existence.  Il 
n'était  qu'un  enfant  lorsqu'il  f.it  reçu  aicL'-sinnuméraIre 
dans  les  écuries  royales.  Devenu  o:'[)li('!iu,il  pr  fila  des  se- 
cours qui  lui  huent  offerts p:u- une  de  ses  tantes,  fruitière 
à  Versailles  ,  p:)ur  faire  emplelle  de  quehiues  livres,  avec 
lesquels  il  fit  lui-même  sa  première  éducation,  et  dès-lors 
commencèreid  à  se  dévelojjper  les  grandes  facidlés  intellec-' 
tuellesdontil  était  doué.  Consacrant  le  jour  à  ses  pénibles  et 
abjectes  occupations,  il  employait  les  nuits  à  étudier.  A  dix- 
sept  ans,  dégoûté  d'un  service  qiii  était  si  |)e:i  en  harmonie 
avec  l'élévation  de  ses  seutimens,  il  end)rassa  l'elat  mili-' 
laire,  fui  admis  dans  les  gardes-françaises,  et  ne  larda  pas 
à  fixer  sur  lui  les  regards  de  ses  chefs  par  la  régidarilé  de 
ses  mœurs ,  son  apiilicalion  ù  la  lecture  et  sa  prodigieuse 
activité:  aussi  ful-il  promu,  en  ifSA,  au  grade  de  seigenl; 
quelipies  années  après  (1702),  il  passa  officier,  et  fut  pourvu 
d'une  lieutenanee  au  régiment  de  Rouergue.  Au  siège  de 
Thionville  et  à  la  bataille  de  NerwiiMie,  il  donna  des  preu- 
ves éclatantes  de  sa  capacité  et  de  sa  bravoure.  Appelé  à 
Paris,  peu  de  temps  après,  il  exposa  au  comité  de  salut  pu-' 
blic  un  i)lan  de  campagne  si  lieuicusenieni  conçu,  que  l'il-' 
lustre  Carnot  r.e  put  s'ejnpècher  de  s'écrier  :  «  Voilà  un  of-' 
licier  subalterne  d'un  bi  n  grand  mérite.  »  Le  comité  tout 
Câilier  se  joignit  à  Carnot  pour  admirer  tant  de  savoir  dans 
un  jeune  homme,  et  se  hâta  de  le  placer  dans  un  poste 
digne  de  lui.  Révolu  d'abord  du  titre  d'adjudanl-général, 
Hoche  reçut  ensuite  le  commandement  de  Dunkerque,  qu'il 
défendit  hrillammenl  contre  les  Anglais:  puis  il  fut  nommé 
général  debrigade,  et  bientôt  après  général  dedivision(l795). 
vVinsi,  dans  l'espace  de  neuf  années,  le  sergent  des  gardes- 
françaises  s'était  élevé  par  son  se;d  mérite  aux  premières 
dignités  militaires. 

Ici  commence  pour  lui  une  série  de  succès  et  d'exi.Ioits 
dont  la  jalousie  l.d  disputa  la  gloire,  et  qui  furent  inter- 
rompus par  la  persécution.  Enlevé  à  l'armée  de  la  Moselle, 
dont  il  avait  le  comin:m;lement  en  chef,  il  fut  jeté  dans  les 
prisons  de  Paris ,  d'oîi  il  ne  sortit  que  le  9  thermidor.  C'est 
alors  qu'il  fut  envoyé  dans  la  Bretagne  contre  les  Vendéeijs, 
et  qu'il  s'altaeha  à  delrui;  e  la  guerre  civile ,  moins  par  lés 
armes  que  parles  voies  conciliatrices,  ne  consentant  à  vain- 
cre ses  ennemis  qu'après  avoir  tout  tenté  pour  les  feire  ren-'i 


se 


MAGASIN  Ur^lVERSEL. 


trer,  sans  effusion  de  sang,  dans  le  sein  de  la  grande  fa- 
fainille  française.  Il  parvint  à  faire  snccéder  l'empire  des 
lois  à  l'état  de  guerre  qui  avait  désolé  ces  contrées,  et  mon- 
tra tant  de  ménagement  et  de  respet  pour  les  droits  de  la 
conscience  religieuse,  que  l'esprit  insurrectionnel  s'éLeignit 
assez  rapidement  sur  les  deux  rives  delà  Loire.  Un  si  grand 
service  rendu  à  la  république  méritait  une  récompense; 
lé  i(i  juillet  1796,  un  message  du  Directoire  ayant  annoncé 
au  conseil  la  pacification  de  la  Vendée,  les  représenlans  de 
Ici  nation  proclamèrent  solennellement  par  un  décret  que 
Hoche  et  son  armée  avaient  bien  mérité  de  la  patrie.  Deux 
tentatives  d'assassinat  faillirent  arrêter  ce  général  au  milieu 
de  ses  triomphes  :  une  fois  on  essaya  contre  lui  l'effet  du 
|ioison,  et  peu  ap.ôs,  il  fut  assailli,  au  sortir  du  Ihéàire  de 
Rennes,  par  un  individu  qui  lui  lira  un  coup  do  pistolet  dont 
henreusenicnl  il  ne  fut  point  atteint. 

Cependant  le  cabinet  de  Sainl-Jaines  redoublait  d'acti- 
vité |)0'.ir  entretenir  la  guerre  civile  en  France.  Le  libéra- 
teur de  l'Ouest  conçut  alor.sle  hardi  projet  d'une  descente 
en  Irlande  :  il  se  rendit  aussitôt  à  Brest,  y  fit  ses  pré[taia- 


tifs,  et  s'embarqua  dans  ce  port  à  la  fin  de  1796.  Tout  jus-'» 
que-là  semblait  avoir  favorisé  son  audacieux  projet;  mais, à' 
peine  lancé  en  pleine  mer,  les  élémens  se  déclarèrent  contre  ■ 
lui,  et  sauvèrent  l'Angleterre  des  embarras  que  cette  en- 
treprise devait  lui  susciter.  Sa  Hotte  ayant  été  dispersée  par'- 
un  ouragan  terrible,  il  fut  obligé  de  revenir  en  France,: 
heureux  d'échapper,  grûce  aux  habiles  manœuvres  de  son 
pilote,  à  la  vigilance  des  croiseurs  anglais. 

A  son  retour,  il  fut  nommé  général  en  chef  de  l'armée  de 
Sanibre-el-Meuse,  à  la  tète  de  laquelle  ilouvrit  la  campagne  - 
de  1797,  en  passant  le  Rhin  à  Neuwied,  en  présence  el  sons 
le  canon  de  l'ennemi.  Heureux  celle  fois  de  cueillir  des  lau- 
riers qui  n'étaient  pas  teints  du  sang  français ,  il  put  se  li- 
vrer entièrement  au  génie  des  batailles,  et  mai  cher  sans  re- 
grets de  victoires  en  victoires.  L'armistice  conclu  par  Bo- 
naparte avi  c  le  prince  Gliarles  vint  l'arrèlcr  tout  à  coup  au 
milieu  de  sesbrillaiis  succès  cl  de  sa  marche  triouiplule  sur 
le  lerrito  re  allemand.  Ou  lui  ofiril  alors  le  miiiislère  de  la 
guerre,  (pi'il  refusa;  mais  il  reçut  le  connuandenienl  d'un 
corps  d'armée,  placé  aux  environs  de  Paris ,  et  destiné  à 


(Tombeau  du  général  Hoclio.) 


déjouer  les  intrigues  que  le  parti  de  Clichy  entretenait 
contre  le  Directoire.  Les  dénonciations  calomnieuses  de 
ses  ennemis  ne  lardèrent  pas  à  lui  faire  perdre  ce  comman- 
dement, qui  fut  confié  à  Augereaii.  Iloche,  offensé  de  cette 
disgrâce,  demanda  des  juges  pour  leur  rendre  m\  comnte 
solennel  de  sa  conduite,  et  ne  put  les  obtenir.  Dégoûté  alors 
du  séjour  de  Paris ,  il  retourna  dans  les  camps  ;  mais  le 
terme  de  sa  glorieuse  carrière  approchait  :  il  tomba  subite- 
ment malade  dans  les  premiers  jours  de  septembre  1797, 
el  mourut  le  15  de  ce  mois,  au  milieu  des  plus  cruelles 
douleurs,  et  en  s' écriant  :  «  Suis-je  donc  revêtu  de  la  robe 
empoisonnée  de  Nessus?  »  Il  était  âgé  de  vingt-neuf  ans. 
Des  honneurs  funèbres  furent  rendus  ù  la  mémoire  de 
Hoche,  tant  à  l'armée  que  dans  l'inlérieur  de  la  Républi- 
que. Les  étrangers  mêlèrent  même  leurs  larmes  à  celles 
des  Français-,  et  un  poète  illustre,  Chénier,  célébra  dans 
de  nobles  vers  la  gloire  du  héros  enlevé  si  jeune  à  sa 
pairie. 

Le  de-ssin  qui    accompagne  cet  article  représente    le 
tombeau  de  Iloche,  sm-  les  Ijords  du  Rhin. 


EPHEMERIDES. 

»•'  et  3  oclohie  1789.  —  Les  gardes  de  corps  du- roi  .n  Ver- 
isailleSi  réimb  à  un  banquet,  jurent  de  £<>^  dévouer  à  lu  défense 
de  la  famille  royale. 

\*f  ççtvhrt  1791,  —  L'assemblée  ronsliluaDle  ^t!>clamc  Ln  dé- 


claration des  droits  de  t/iommc  et  des  citi>yr/ts  en  Fr.iiirc.  — 
Mort  du  grand  Corneille.  (Voyez  page  19.) 

2  octobre  1700.  —  Tcslamenl  de  Charles  II  en  faveur  d'un  pelil- 
(ils  de  Louis  XIV. 

3  octobre  1468.  —  Louis  XI  est  arrêté  à  Péroiuie  par  le  duc  de 
Bourijogue  au  momeut  où  parvient  la  nouvelle  de  la  réxoile  des 
IJégcois ,  excités  par  les  agens  du  roi  de  Fiance. 

3  octobre  iSCg.  —  Bataille  de  Monlcontour  gagnée  par  les 
callioliqucs  sur  les  huguenots  ,  commandés  par  l'auiiral  de 
Coligny. 

3  octobre  iGrr.  —  Mort  du  duc  de  Mayenne. 

4  octobre  1776.  —  Le  congres  des  Étals-Unis  proclame  l'acte  de 
fédération  perpétuelle  des  États-Unis ,  malgré  les  défaites  suc- . 
cessives  qu'ont  éprouvée  sies  troupes  de  l'Union  el  rabatleiueul 
dans  lequel  est  tombé  le  peuple. 

4  octobre  i8i5.  —  Mort  d'Oberskampf ,  fondateur  de  la  nia:.u- 
faclure  de  toiles  peintes  de  Jouy  et  de  la  filai  ure  d'l\ss(tne. 
Avant  lui ,  nous  ne  connaissions  que  les  toiles  peintes  do  la 
Perse  el  de  l'Inde  que  nous  vendaient  les  Anglais. 

5  octobre.  —  Fête  de  Cérès  à  Atliènes. 

5  octobre  SSg.  —  Concile  général  de  Constanlinople. 

5  octobre  1795  (i3  vendémiaire).  —  Attaque  de  la  Convention  . 
française  parles  sections  de  Paris;  Bonaparte,  chargé  par  Bar- 
ras du  soin  de  proléger  la  Convention,  fait  mitrailler  les  sec- 
tions sur  les  marches  de  Sainl-lloch,  dans  la  rue  Sainl-Honoré 
et  sur  les  quais,  — —  1 

Les  Bureaux  d'Abonnement  el  de  Vente  sont  transférés  rue  i» 

Seine-Saiat-Ceriuaiu,  9. 


5) 


(3o  oclobrciSÎ^.) 


MAGASIN  U.NIVEilSIilL. 


55 


ALEXANDRE-LE-GRAND.  —  SON  TOi\lBEAU. 


'Tombeau  d"  Alexandre. 


Vingt  et  un  siècles  se  sont  écoulés  depuis  la  mort  d'A- 
lexandie-le- Grand  ;  pendant  cet  espace  de  temps ,  il  n'a  pas 
cessé  un  instant  de  lixer  raltenlion  de  la  postérité;  sou 
nom  n'est  inconnu  à  aucun  liouuue  j  plus  de  cent  écrivains 
ont  raconté,  jugé ,  apprécié  ses  actions.  Cette  préoccupation 
de  tous  les  siècles,  à  son  égard  ,  suffirait  pour  constater  sa 
supériorité;  le  génie  seul  jouit  d'un  pareil  privilège.  Per- 
sonne n'a  mieux  apprécié,  n'a  mieux  résumé  les  résultats 
immenses  du  règne  de  ce  prince,  (jui  porta  la  civilisation 
grecque  au-delà  de  l'Iudus,  que  M.  Poirson  ,  dont  les  re- 
cherches savantes  ont  jeté  une  si  vive  lumière  sur  des  pé- 
riodes entières  de  l'histoire  ancienne  restées  ignorées  jusque- 
là.  Tous  les  historiens  d'Alexandre  ne  lui  ont  cependant 
point  payé  le  même  trihut  d'administration;  quelques-uns 
l)ien  loin  de  le  mettre  au  rang  des  dieux ,  ont  voulu  que  la 
fortune  eût  tout  fait  pour  lui ,  taudis  que  les  autres  ont 
avancé  qu'il  avait  tout  fait  pour  sa  fortune;  au  reste,  les 
grands  esprits,  depuis  César  jusqu'à  Condé ,  Bossuet, 
Montesquieu ,  frappés  de  la  hauteur  de  ses  idées  et  de  ses 
combinaisons,  se  sont  réunis  pour  lui  rendre  justice.  Il 
fonda  en  dix  ans  un  empire  aussi  vaste  que  celui  que  les 
Romains  élevèrent  en  dix  siècles  ;  mais  sa  conquête  fut 
juste,  elle  délivra  la  Grèce  des  dangers  et  des  humiliations 
(|ue  lui  prodiguaient  les  rois  de  Perse  depuis  deux  cents  ans. 
De  plus,  il  la  rendit  salutaire  aux  vaincus,  dont  il  amé- 
liora le  sort,  et  chez  lesquels  il  fonda  plus  de  villes  que  les 
autres  conquérans  n'en  ont  détruit.  Son  administration 
passe  les  vulgaires  éloges.  Elève  d'Aristote ,  le  génie  le 
plus  universel  de  l'antiquité ,  il  compritt  toutes  les  idées 
que  l'Orient ,  mis  à  la  disposition  du  philosophe  de  Stagyre, 
lui  avait  données ,  et  il  employa  sa  toute  puissance  à  les  exé- 
cuter. On  ne  doit  donc  pas  s'étonner  de  l'intérêt  qu'ins- 
pire tout  ce  qui  se  rapporte  à  cet  homme  extraordinaire  ; 
on  sait  que  d'après  sa  dernière  volonté,  on  devait  porter  son 
corps  dans  le  temple  de  Jupiter  Ammon ,  mais  Ptolémée 
s'en  empara ,  et  le  fit  inhumer  à  Alexandrie ,  dans  un  cer- 
cueil d'or.  Le  monument  dont  nous  donnons  la  description, 
et  que  l'on  prétend  être  le  tombeau  d'Alexandre ,  a  soulevé 
une  discussion  fort  intéressante  en  Angleterre ,  où  il  a  été 
transporté  d'Alexandrie  par  le  docteur  Edward  Daniel 
Tome  II. 


Clarke.  Ce  monument  indiqué  dans  les  relations  de  plusieurs 
voyageurs  des  siècles  passés ,  comme  étant  devenu  l'objet 
d'une  véiiération  religieuse  de  la  part  des  Musulmans,  fut 
examiné  avec  soin  parDenon,  lors  de  l'expédition  française 
en  Egypte  ;  mais  ce  savant  ne  parle  pas  de  la  tradition  qui 
en  fait  le  tombeau  d'Alexandre  :  «  Près  de  ces  bains,  dit-il, 
est  une  des  principales  mosquées,  l'ancienne  église  de 
Saint-Atlianase  ;  cet  édifice,  dont  les  ruines  sont  magnifiques, 
donne  une  idée  de  la  négligence. des  Turcs  pour  les  objets 
dont  ils  sont  le  plus  jaloux;  avant  notre  arrivée ,  ils  ne  per- 
mettaient à  aucun  chrétien  d'en  approcher,  et  ils  y  avaient 
placé  une  garde  plutôt  que  de  réparer  les  portes  qui ,  dans 
l'état  où  nous  les  trouvâmes ,  ne  pouvaient  tourner  sur  leurs 
gonds.  Au  Tuilieu  de  la  cour  de  cette  mosquée ,  un  petit 
temple    octogone  contenait    un  sarcophage  des  anciens 


'.Médaillle  d'Alexandre.) 


51 


MA(iASIiN   L.MMJISEL. 


Egyptiens,  d'une  inconiparalile  beauté ,  tant  par  sa  nature 
que  par  le  nombre  prodiij'ieux  d'iiiéroglyphes  dont  il  était 
couvert  intérieurement  et  extérieurement.  Ce  sarcopbage 
qui  pourrait  produire  des  volumes  de  dissertations ,  doit 
être  considéré  comme  l'un  des  plus  beanx  morceaux  de 
raiili(!uilé,  et  nous  désirerions  vivement  qu'il  vînt  enrichir 
l'un  de  nos  musées  ;  mon  enthousiasme  fut  partagé  par 
Dolomieux  quand  nous  découvrimes  ensemble  ce  précieux 
monument.  » 

Lors  de  l'entrée  des  Anglais  dans  Alexandrie ,  le  doc- 
teur Clarke  rechercha  avec  soin  tout  ce  qui  pouvait  faire 
connaître  sa  destination  primitive,  et  en  comparant  les 
renseigneniens  qu'il  avait  obtenus  et  ses  propres  observations 
au  récit  de  Diodore,  il  demeura  convaincu  que  ce  devait 
être  le  tombeau  d'Alexandre  3  les  argumens  qu'il  a  réunis 
dans  un  opuscule  publié  sous  le  titre  de  :  Testimonies  res- 
pectiiHj  the  tomb  of  Alexavder ,  laissent  peu  de  doute  à  cet 
égard  ;  un  examen  a[)profondi  des  hiéroglyphes  serait  ce- 
pendant nécessaire  pour  lixer  définitivement  l'opinion.  Ce 
sarcophage  est  d'un  seul  bloc ,  il  a  dix  pieds  trois  pouces  et 
demi  de  long  sur  cinq  pieds  trois  pouces  et  demi  de  large , 
et  trois  pieds  dix  pouces  de  haut;  l'épaisseur  des  côtés  est 
de  dix  pouces. 

Il  existe  aussi  en  Angleterre  une  médaille  qui,  dans  l'o- 
rigine,  appartenait  àLysimaque,  et  qui,  après  avoir  excité 
de  savantes  controverses ,  est  maintenant  reconnue  uni- 
versellement pour  être  la  représentation  d'Alexandre;  la 
déification  du  conquérant ,  comme  fils  de  Jupiter  Ammon, 
s'y  trouve  indiquée  par  l'inscription  grecque  qui  y  est 
jointe.  Le  dessin  placé  au  bas  de  la  page  précédente  peut 
donner  une  idée  de  cette  médaille  et  de  ses  dimensions. 

Alexandre  avait  les  traits  réguliers ,  le  teint  beau  et  ver- 
meil, le  nez  aquilin,  les  yeux  grands  et  pleins  de  feu ,  les 
cheveux  blonds  et  bouclés ,  la  tête  haute ,  mais  un  peu  pen- 
chée vers  l'épaule  gauche ,  la  taille  moyenne  et  dégagée ,  le 
corps  bien  proportionné  et  fortifié  par  un  exercice  continuel. 

Son  portrait  est  connu  grâce  à  Thermes  sur  lequel  est  son 
nom ,  et  qu'on  a  trouvé  dans  une  fouille  près  de  Tivoli  ; 
cet  herraès  a  fait  reconnaître  la  figure  du  héros  macédonien 
dans  un  camée ,  et  sur  plusieurs  médailles  d'après  lesquelles 
a  été  gravé  le  portrait  de  la  collection  de  M.  Landon. 


BATAILLE  DE  CASTIGLIONE. 

Aujourd'hui  que  vingt  années  ont  refroidi  l'enthousiasme 
guerrier  de  l'empire ,  aujourd'hui  que  les  idées  de  paix  et 
d'union  ont  remplacé  les  haines  insensées  qui  divisaient  les 
peuples ,  qui  de  nous  cependant  ne  se  sent  encore  ému  au 
souvenir  des  brillantes  campagnes  d'Italie ,  au  récit  de  ces 
hauts  faits,  qui  rendent  éternelle  la  gloire  de  l'armée  fran- 
çaise et  de  son  général ,  et  pour  lesquels  les  batailles  d'An- 
nibal  peuvent  seules  fournir  des  objets  de  comparaison  ? 
Les  moindres  circonstances  de  ce  célèbre  épisode  de  notre 
histoire,  portent  avec  elles  le  plus  puissant  intérêt,  et 
éveillent  dans  nos  cœurs  une  sympathie  irrésistible.  C'est 
à  peine  si  l'on  ose  ajouter  foi  aux  faits  les  plus  avérés ,  tant 
ils  tiennent  du  prodige ,  tant  ils  semblent  au-dessus  des 
forces  humaines. 

Mais  parmi  tous  ces  glorieux  évenemens ,  il  n'en  est  peut- 
être  pas  de  plus  mémorables  que  la  bataille  dé  Castiglione 
et  les  com))als  qui  la  précédèrent. 

Les  bruits  les  plus  alarmans  circulaient  alors  en  France 
sur  le  sort  de  l'armée  d'Italie  ;  on  savait  que  le  général  des 
Autrichiens,  Wurmser ,  avait  reçu  de  nombreux  renforts  : 
on  savait  qu'il  voulait  en  profiter  pour  débloquer  Mantoue; 
qu'il  s'étaKdéjà  empaié  de  Salo  et  de  Brescia;  et  qu'une  de 
ses  colonnes  avait  contraint  l'armée  française  d'évacuer  Vé- 
rone. L'iBqoiiitud»  était  grande  ;  mais  la  confiance  dans  les 
lalens  A^b^naparte  l'était  encore  d'avantage ,  et  elle  ne  fut 
point  Uroopée.  Dans  ces  circonstances  difliciles ,  pressé  par 
«ne  ariHé*  nombreuse  que  des  avantages  devaient -enhardir, 
ce  général  sentit  qu'il  fallait  adopter  un  plan  vaste,  afin^, 


non-seu'emcnt ,  d'arrêter  les  progrès  de  l'ennemi,  mais 
encore  d'anéantir  ses  forces.  Les  Autrichiens  ,  en  descen- 
dant du  Tyrol  par  Brescia  et  l'Adige ,  le  mettaient  au  mi- 
lieu de  leur  armée  ;  mais  si  les  troupes  républicaines 
étaient  trop  faibles  pour  faire  face  aux  deux  divisions ,  elles 
pouvaient  battre  chacune  d'elles  séparément.  Pour  y  réussir, 
il  fallait,  dans  vingt-quatre  heures,  lever  le  siège  de  Man- 
toue ,  repasser  sur  le  c'iamp  le  I\lincio  ,  et  ne  pas  donner  à 
l'ennemi  le  temps  d'envelopper  l'armée  française;  Bonaparte 
n'hésite  pas  un  seul  instant. 

Le  12  thermidor,  an  iv  ,  toutes  les  divisions  se  mettent 
en  marche  ;  le  43,  le  général  Soret  bal  les  Autrichiens  à 
Salo,  leur  prend  deux  drapeaux,  deux  pièces  de  canon  et  . 
deux  cents  prisonniers ,  pendant  que  le  général  Dallemagne, 
chargé  d'attaquer  Lonado,  met  600  hommes  hors  de  combat, 
et  fait  six  cents  prisonniers.  Le  44 ,  Augereau  s'empare  de 
Brescia. 

Le  \5,  l'armée  est  rassemblée,  et  se  porte  en  avant. 
L'ennemi  fait  marcher  un  corps  considérable  à  Castiglione , 
occupé  par  une  demi-brigade  française ,  (jui  se  reploye ,  par 
la  faute  de  son  chef,  et  abandonne  celte  position  importante. 
Le  général  Soret  est  forcé  de  quitter  Sulo:  le  général  Guieux 
reçoit  l'ordre  de  le  reprendre.  Pendant  ce  temps,  on  ap- 
prend que  toute  l'armée  de  Wurmser  passe  le  Mincio  pour 
venir  attaquer  les  Français. 

Le  46,  à  la  pointe  du  jour,  on  se  trouve  en  présence; 
Augereau  attaque  les  ennen^is,  fait  2,000  prisonniers,  tue 
500  hommes,  et  enlève  18  pièces  de  canon.  La  division 
Masséna  les  rencontre  à  Lonado  :  au  commencement  de 
l'action,  elle  perd  trois  pièces  d'artillerie  ,  et  le  général  Pi- 
geon est  fait  prisonnier  ;  mais  Bonaparte  et  Berthier  ar- 
rivent ,  le  comlîat  recommence ,  le  général  Pigeon  est  re- 
pris, l'ennemi  prend  la  fuite,  IMasséna  le  poursuit,  lui 
prend  sept  pièces  de  canon ,  trois  généraux ,  deux  mille 
prisonniers,  et  taille  en  pièces  cinq  à  six  cents  hommes. 
En  même  temps  une  autre  colonne  attaque  Salo,  et  s'em- 
pare de  450  chevaux  d'artillerie,  de  400  hulans,  et  de 
4 ,800  prisonniers. 

Le  47,  un  parlementaire  vient  dire  à  Bonaparte,  que  la 
gauche  de  son  armée  est  cernée ,  et  que  les  Français  sont 
sommés  de  se  rendre.  Bonaparte  répond  :  «  Allez  dire  à 
votre  général  que  s'il  a  voulu  insulter  l'armée  française,  je 
suis  ici  ;  que  c'est  lui-même  qui  est  prisonnier^  que  la  di- 
vision qu'il  commande  est  une  des  colonnes  que  nos  troupes 
ont  coupée  à  Salo  ;  que  si ,  dans  huit  minutes ,  il  n'a  pas 
mis  bas  les  armes ,  que  s'il  fait  tirer  un  seul  coup  de  fusil , 
je  fais  tout  fusiller.  Débandez  les  yeux  à  Monsieur,  ajoute- 
t-il ,  voyez  le  général  Bonaparte,  son  état-major  et  la  brave 
armée  républicaine  ;  dites  à  votre  général  qu'il  peut  faire 
une  bonne  prise;  allez.  »  On  redemande  à  parlementer;  le 
chef  de  la  colonne  ennemie  veut  obtenir  une  honorable  ca- 
pitulation :  «  Non ,  dit  Bonaparte ,  vous  êtes  prisonniers  de 
guerre.  »  Berthier  reçoit  l'ordre  de  faire  avancer  les  grena- 
diers ,  l'artillerie  légère ,  et  d'attaquer.  Aussitôt  le  général 
ennemi  s'écrie  :  Nous  sommes  tous  rendais.  Trois  bataiUons 
autrichiens  de  4,000  hommes ,  20  hulans ,  4  pièces  de  canon, 
5  drapeaux,  sont  livrés  aux  Français,  et  sont  rais  en  route 
pour  les  dépôts. 

Le  lendemain,  48  thermidor,  Bonaparte  est  à  Casti- 
glione de  Stivère,  en  présence  de  l'autre  division  de 
Wurmser,  forte  de  25,000  hommes.  A  six  heures  du  matin„ 
il  fait  un  mouvement  rétrograde ,  pour  attirer  l'ennemi , 
qui  se  laisse  tourner  par  la  colonne  du  général  Serrurier. 
L'action  s'engage  r  sur  tous  les  points  les  Français  sont  vic- 
torieux ,  et  l'ennemi  perd  deux  mille  hommes ,  tant  tuéa 
que  prisonniers,  dix  huit  pièces  de  canon  et  420  caissons. 

Cette  campagne  se  termina  en  cinq  jours;  l'armée  étiùt 
depuis  huit  jours  à  cheval  ;  Bonaparte  n'avait  pas  dormi 
depuis  le  44  thermidor,  et  le  48,  il  ne  s'était  pas  encore 
débotté. 

Lorsque  les  nouvelles  de  ces  étonnans  succès  parvinrent 
à  Paris,  l'enthousiasme  fut  universel,  et  un  décret  unanime 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


du  corps  législatif  déclara  que  l'armée  d'Italie  n'avait  cessé  | 
de  bien  mériter  de  la  patrie.  Un  orateur  du  conseil  des 
cinq-cents ,  qui  regrettait  de  ne  pouvoir  lui  donner  un  té- 
moignage plus  éclatant  de  la  reconnaissance  nationale ,  di- 
sait à  cette  occasion  :  «  Nous  somuies  condamnés  à  nous 
servir  de  formules  uséesj  mais  il  est  beau  de  les  avoir  usées 
par  la  victoire.  » 

BAINS  CHEZ  LES  ANCIENS. 
L'heureuse  influence  des  bains  sur  la  santé  et  le  bien-être 
qu'ils  procurent ,  ont  été  appréciés  dans  tous  les  temps  et 
dans  tous  les  pays.  L'histoire  nous  apprend  l'emploi  fré- 
quent qu'en  faisaient  autrefois  les  Egyptiens ,  les  Grecs  et 
les  Romains,  et  de  nos  jours  ,  les  Russes,  les  Finlandais, 
les  Norwégiens  et  les  autres  peuples  du  nord,  ont  pour  les 
bains  «n  goût  tout  aussi  prononcé  que  les  Turcs,  les 
Egyptiens  modernes ,  les  Persans  et  les  Indous ,  qui  vivent 
sous  un  ciel  ardent. 

Les  fondateurs  de  quelques  sectes  ont  fait  de  l'usage  des 
bains  une  pratique  religieuse,  parce  qu'ils  ont  compris 
l'importance  de  ces  ablutions  pour  la  salubrité  publique. 
Partout  où  les  classes  pauvres  ont  pu  recourir  à  peu  de  frais 
à  ce  simple  traitement ,  on  a  vu  diminuer  rapidement  la 
gravité  et  la  fréquence  de  ces  hideuses  maladies  de  la  peau, 
jadis  si  communes ,  non-seulement  dans  les  pays  chauds , 
mais  encore  dans  les  régions  tempérées  que  nous  habitons. 
On  retrouve  l'usage  des  bains  chez  tous  les  peuples  de 
l'antiquité  ;  c'est  ainsi  que  dans  Homère  nous  voyons  ïé- 
lémaque  conduit  dans  des  bains  d'une  extrême  propreté ,  et 
ensuite  parfumé  par  les  plus  belles  esclaves  du  palais. 

Ce  fut  aux  Grecs  que  les  Romains  empruntèrent  non- 
seulement  l'usage  des  bains ,  mais  encore  la  forme  et  la  des- 
tination des  pièces  qui  les  composaient.  Sous  César,  les 
bains  étaient  telleuîent  en  usage ,  qu'on  en  trouvait  dans 
toutes  les  maisons  des  particuliers  aisés.  Les  Romains  se 
baignaient  ordinairement  depuis  midi  jusqu'au  soir;  il  fut 
défendu  par  un  édit  de  se  baigner  après  le  repas. 

La  forme  de  l'habillement  des  Grecs  et  des  Romains, 
ainsi  que  la  chaleur  des  climats  qu'ils  habitaient ,  leur  im- 
posèrent la  nécessité  de  se  baigner  fréquemment;  mais  le 
luxe  et  la  mollesse  multiplièrent  dans  la  suite  les  bains  chez 
ces  derniers,  à  tel  point  que  sous  les  empereurs,  ils  y 
passaient  presque  la  journée  entière.  C'est  alors  que  s'é- 
levèrent ces  immenses  monumens ,  connus  sous  le  nom  de 
thermes,  et  dans  l'érection  desquels  chaque  empereur 
voulut  déployer  sa  magnilicence  en  faisant  sa  cour  au 
peuple;  nous  ne  traiterons  ,  dans  ce  premier  article,  que 
des  bains  privés. 

L'appartement  des  bains  se  pratiquait  dans  la  partie  la 
plus  reculée  de  la  maison;  il  se  composait  d'une  petite 
cour  entourée  de  portiques  sur  trois  de  ses  faces  ;  sur  Ja 
quatrième  était  mi  bassin  servant  à  prendre  le  bain  froid 
en  commun;  ce  bassin,  appelé  ba/Jtisierhnji ,  quelquefois 
assez  grand  pour  pouvoir  y  nager ,  était  couvert  d'un  toit 
supporté  par  des  colonnes  en  saillie 


Plus  loin  était  l'étuve  ,  pièce  ordinairement  circulaire, 
entourée  de  trois  rangs  de  gradins  en  marbre ,  an  centre  de 
laquelle  était  un  bassin  d'eau  bouillante,  d'où  sortait  un 
nuage  épais  de  vapeur  qui  remplissait  la  salle  et  s'échappait 
par  une  ouverture  pratiquée  au  sommet  de  la  voûte. 

On  se  plaçait  en  entrant,  sur  le  premier  gradin ,  puis  sur 
le  second ,  et  enfin  sur  le  troisième  pour  s'accoutumer  par 
dégrès  à  la  température  de  ce  dernier ,  qui,  en  raison  de  sa 
situation,  éprouvait  une  chaleur  plus  élevée  que  les  autres. 
Indépendamment  de  celte  vapeur,  le  pavé ,  les  gradins ,  les 
revêtemens  de  la  salle ,  et  même  les  corridors  adjacens  , 
étaient  chauffés  par  des  fournaux  souterrains.  ' 

A  ce  genre  d'étuves,  on  en  substitua  plus  lard  un  autre, 
au  centre  de  laquelle  était  un  grand  poêle  chauffé  par  un  ' 
fourneau  ;  il  en  sortait  un  courant  d'air  chaud  dont  on  mo- 
dérait à  volonté  la  force ,  au  moyen  d'une  soupape  en  bronze 
de  la  forme  d'un  bouclier ,  qui  s'adnplait  à  la  partie  su- 
périeure du  poêle ,  et  qu'on  élevait  ou  descendait  à  l'aide 
d'une  chaîne. 

En  sortant  de  l'étuve  on  entrait  dans  le  bain  chaud  pour 
s'accoutumer  insensiblement  à  l'air  extérieur;  là,  des  es- 
claves grattaient  légèrement  la  peau  des  baigneurs  avec  des 
spatules  d'ivoire ,  d'une  forme  propre  à  suivre  les  contours 
des  muscles  et  de  toutes  les  parties  du  corps,  pour  en 
extraire  la  sueur  ;  on  les  essuyait  ensuite  avec  des  étoffes 
de  lin  ou  de  coton ,  et  on  les  couvrait  d'un  manteau  de 
laine  fine  à  long  poil;  venaient  ensuite  les  épileurs ,  chargés 
aussi  de  couper  les  ongles ,  et  enfin  des  esclaves  qui  oignaient 
la  peau  d'huiles  et  d'essences  parfumées. 

En  général  les  bains  des  anciens  étaient  revêtus  de 
marbres  ou  de  stucs  décorés  de  peintures  élégantes  et 
analogues  à  leur  destination,  tels  que  la  naissance  de  Vénus, 
les  jeux  des  Tritons  et  des  Nayades ,  des  poissons  de  toute 
espèce  qui  semblaient  nager  dans  les  eaux.  Le  pavé  de 
chacune  d'elles,  et  même  celui  de  la  cour,  était  en  mo- 
saïque variée  de  forme  et  de  couleur ,  et  de  la  plus  grande 
recherche.  On  a  trouvé ,  dans  les  ruines  de  ces  bains ,  un 
grand  nombre  de  statues ,  de  lampes  de  bronze ,  de  vases 
d'argent  et  de  terre  cuite  dorée,  de  la  plus  grande  élégance. 


ENGOULEVENT. 
La  famille  des  fissirostres  à  laquelle  appartient  cet  oîsead , 
réunit  tous  les  passereaux  qui  ont  le  bec  court ,  large ,  aplati 
horizontalement,  légèrement  crochu,  sans  échancrure ,  et, 
profondément  fendu  ;  l'ouverture  de  leur  l)0ucbe  est  très- 
large  ,  et  ils  engloutissent  aisément  les  insectes  qu'ils  pour- 
suivent au  vol;  car  ils  sont  exclusivement  insectivores, 
éminemment  voyageurs,  et  émigrent  dans  les  zones  tem- 
pérées. 

Tous  les  engoulevens  se  ressemblent  par  leur  plumage  et 
par  leurs  habitudes.  Ils  ne  sortent  que  vers  le  soir ,  de  ma- 
nière qu'on  peut  les  appeler  des  oiseaux  crépusculaires;  la 
nature  de  leurs  plumes  soyeuses  et  les  couleurs  tendres 
qu'ils  présentent ,  leur  donnent  la  plus  grande  analogie , 
quant  à  l'enveloppe  extérieure,  avec  les  phalènes  ou  pa- 
(3n  trouvait  plus  loin  un  autre  bain  froid;  c'était  une  j  pillons  du  soir.  Leurs  yeux  sont  grands.  Leur  bec,  garni 
pièce  fermée,  au  milieu  de  laquelle  était  une  vaste  cuve  qui  de  fortes  moustaches,  encore  plus  fendu  qu'aux  hirondelles, 
pouvait  contenir  plusieurs  personnes  à  la  fois.  A  proximité  peut  engloutir  les  plus  gros  insectes,  qu'il  retient  au  moyen 
de  ces  bains,  était  le  vestiaire,  dans  lequel  des  esclaves,   d'une  salive  gluante,  et  porte  sur  sa  base  les  narines  en 


après  avoir  déshabillé  les  baigneurs,  pliaient  leurs  vêtemens 
et  les  serraient  dans  des  cases  ou  armoires  disposées  à  cet 
effet. 

Venait  ensuite  le  bain  chaud  :  on  y  trouvait  ordinairement 
plusieurs  baignoires  ;  mais  la  principale ,  dans  laquelle  on 
descendait  par  des  dégrès  de  marbre ,  était  placée  auprès 
d'un  bémycicle  garni  de  deux  rangs  de  gradins.  Cette  dis- 
position s'appelait  V école,  parce  que  ceux  qui  s'y  asseyaient 
pour  assister  au  bain ,  sans  y  prendre  part ,  s'y  livraient  à 
des  entretiens  pliiloso[>;iiques  avec  les  baigneurs.  Cette 
pièce  était  éclairée  par  en  haut  ;  ces  entretiens  avaient  lieu 
dans  le  bain  froid  comms  dans  le  Ixiin  chaud. 


forme  de  petits  tubes;  leurs  ailes  sont  longues,  leurs  pieds 
courts ,  à  tarses  emplumés  ;  le  pouce  peut  se  diriger  en 
avant. 

Ces  oiseaux  vivent  isolés ,  ne  volent  qne  pendant  le  cré- 
puscule ou  dans  les  belles  nuits ,  poursuivent  les  phalènes 
et  autres  insectes  nocturnes ,  et  déposent  à  terre  et  sans  art 
un  petit  nombre  d'œufs.  Quand  ils  volent ,  l'air  qui  s'en- 
gouffre dans  leur  large  bec ,  y  produit  un  bourdonnement 
particulier.  On  a  dit  qu'ils  tètent  les  chèvres;  mais  il  n'en 
est  rien ,  et  ce  qui  a  donné  lieu  à  celte  opinion  populaire, 
c'est  qu'ils  frécpientent  les  parcs  des  chèvres  et  des  moutons 
I  pour  s'emparer  des  insectes  qui  y  sont  attirés  en  grand 


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MAGASIN  UNIVERSEl 


nombre.  La  seule  espèce  d'engoulevent  qui  existe  en  Eu- 
rope, est  longue  de  dix  pouces  et  demi ,  ayant  vingt-deux 
pouces  d'envergure ,  d'un  gris  brun ,  ondulé  et  moucheté 
de  brun  noirâtre ,  avec  une  bande  blanchâtre  allant  du  bec 
à  la  nuque.  Cet  oiseau  arrive  chez  nous  au  printemps ,  niche 
dans  les  bruyères,  et  va  chercher  des  climats  plus  chauds  au 
moment  de  l'année  où  sa  nourriture  devient  moins  abon- 
dante. Le  mâle  diffère  de  la  femelle  par  une  tache  blanche, 
ovale,  placée  sur  le  côté  intérieur  des  trois  premières 
pennes  de  l'aile ,  et  par  une  autre  qui  est  au  Iwut  des  deux 
pennes  les  plus  extérieures  de  la  queue. 


(L'Engoulevent.  ) 

Le  vol  de  l'engoulevent ,  qui  est  bas  et  inceilain  lorsqu'on 
le  fait  lever  en  plein  jour ,  est  vif  et  soutenu  après  le  cou- 
cher du  soleil;  mais  il  présente  toujours  des  irrégularités, 
qui  sont  uidispensables  à  cet  oiseau  ,  pour  la  poursuite  de 
sa  proie.  C'est  ainsi  qu'on  le  voit  que]([uefois  s'abattre  avec 
impétuosité ,  se  relever  brusquement ,  et  faire  long-temps , 
et  sans  interruption ,  le  tour  d'un  arbre  où  des  insectes  se 
sont  réfugiés.  Cet  exercice  semblerait  devoir  fournir  aux 
chasseurs  des  moyens  aisés  d'atteindre  ces  oiseaux ,  mais 
loin  de  lu,  les  erigoulevens  disparaissent  au  moindre 
bruit ,  et  comme  pendant  le  jour  leur  couleur  empêche  de 
les  distinguer  du  feuillage  qui  les  enveloppe  et  les  protège , 
il  faut  les  faire  sortir ,  à  grand  bruit,  des  taillis  où  ils  se 
blotissenl,  et  les  tirer  au  vol. 


LA  MER  MORTE. 

Dans  le  récit  qu'il  vient  de  publier  de  sou  Voyage  en 
Orient,  M.  Michaud  décrit  en  ces  termes  l'aspect  et  la  na- 
ture extraordinaire  de  cet  immense  lac  dans  lequel  se  jette 
le  Jourdain  et  que  nous  connaissons  sous  le  nom  de  Mer 
Morte  : 

«  Nous  visitâmes  la  mer  Morte,  qui  est  à  trois  quarts  de  lieue 
à  l'ouest  de  l'embouchure  du  Jourdain;  il  était  sept  heures 
du  matin  :  une  brise  légère  soufflait  alors ,  la  surface  du 
lac  en  était  ridée ,  et  ses  ondes  battaient  paisiblement  la 
rive.  La  mer  n'exhale  ni  vapeur  ni  fumée ,  l'air  est  pur 
autour  d'elle,  les  flots  sont  aussi  brillans,  aussi  azurés  que 
ceux  de  l'Archipel  et  de  i'Hellespont.  Ce  qu'on  a  dit  de 
l'amertume  et  du  mauvais  goût  de  ses  eaux  est  parfaitement 
exact;  j'en  ai  goûté  dans  le  creux  de  ma  main ,  et  j'en  ai 
eu  le  cœur  malade  pendant  un  quart-d'heure.  Une  blanche 
bordure  de  sel  entoure  le  lac ,  et  se  mêle  à  un  bitume  rou- 
geâtre  déposé  par  les  eaux  ;  j'ai  vu  sur  la  rive  de  petits  co- 
quillages et  des  cailloux  comme  on  en  voit  sur  les  rivages 
de  nos  mers.  Nos  savans  naturalistes  se  demandent  encore 
s'il  existe  des  poissons  dans  la  mer  Morte;  ils  sont  en 
général  maigres  et  petits.  Le  vieux  Cheik ,  (|ui  m'accom- 
pagnait, et  deux  de  nos  cavaliers  arabes ,  m'ont  dit  qu'ayant 
voulu  un  jour  en  manger,  ils  leur  trouvèrent  un  goût  si 


empesté  qu'ils  furent  obligés  de  les  jeter.  J'aurais  bien  voulu 
me  baigner  dans  la  mer  Morte ,  pour  résoudre  par  moi- 
même  la  question  de  savoir  si  l'eau  est  assez  pesante  pour 
soutenir  le  corps  de  l'homme;  je  craignais  le  retour  de  la 
fièvre,  et  je  n'ai  point  osé  entrer  dans  le  lac  ;  mais  l'un  des 
voyageurs  anglais  qui  nous  avaient  suivi,  a  fait  devant  moi 
cette  expérience  :  il  s'est  étendu  sur  l'eau ,  cherchant  à  s'en- 
foncer ,  et  j'ai  vu  son  corps  flotter  à  la  surface  comme  un 
tronc  d'arbre.  Vespasien ,  si  l'on  en  croit  Josephe ,  fit  la 
môme  expérience  ;  il  lança  dans  la  mer  Morte  plusieurs 
esclaves,  les  pieds  et  les  mains  liés,  et  pas  un  n'alla  au 
fond.  Le  voyageur  Pococke  plongea  dans  le  lac,  et  ne  put 
parvenir  à  s'enfoncer  ;  d'autres  voyageurs  se  sont  aussi 
assurés  du  phénomène  :  on  trouve  dans  quelques  endroits 
du  lac  ,  des  ulves  aux  lanières  longues  et  déliées,  comme 
dans  nos  lacs  et  nos  étangs  d'Europe.  Je  n'ai  point  vu  la 
caille  d'Arabie  dont  parlent  quelques  voyageurs ,  la  même, 
dit-on ,  qui  nourrit  les  Hébreux  dans  le  désert. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  existe,  dans  tout  l'univers,  des  lieux 
plus  capables  de  frapper  l'imagination  que  la  mer  Morte  et 
les  lieux  d'alentour;  cette  vallée  dont  la  face  a  été  flétrie  et 
dévorée ,  est  comme  remplie  encore  de  la  grande  et  su- 
blime terreur  d'une  époque  de  deslrudion.  Cette  mer  est 
véritablement  une  mer  morte;  car  elle  ne  jette  à  la  terre 
aucun  bruit,  elle  est  immobile  et  muette  comme  un  sé- 
l)u!cre  ;  on  dirait  un  de  ces  lacs  funèbres  que  la  mythologie 
des  anciens  avait  placés  dans  le  royaume  des  morts.  Lorsque, 
sous  le  souffle  de  la  tempête  ,  la  mer  de  Sodome  par  fois 
est  ébranlée ,  son  mugissement  sourd  ressemble  à  de  longs 
cris  étouffés ,  vous  diriez  les  sanglots  et  les  gémissemens 
des  nations  englouties  dans  l'abîme,  la  voix  suppliante  de 
Gomorrhe  et  de  ses  sœurs.  Si  j'avais  quelques  étincelles  de 
ce  génie  qui  dicta  l'épopée  Des  Martyrs ,  ou  celui  qui  a 
inspiré  les  Méditalions  poétiques ,  j'aurais  pu  reproduire  de 
grandes  et  de  terribles  peintures  ;  mais  toutes  mes  paroles 
me  semblent  vaines  en  présence  du  lac  où  dorment  et  les 
peuples  et  les  cités,  sur  ce  sol  livide  où  lèvent  de  la  colère 
a  passé ,  devant  ces  montagnes  brunes  et  dépouillées  qui 
semblent  garder  encore  l'empreinte  de  la  foudre.  » 


LE  JAGUAR. 

Cet  animal  long-temps  confondu  avec  la  panthère  et  le 
léopard ,  n'en  a  bien  été  distingué  que  dans  la  Ménagerie 
du  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Paris.  Le  hasard  l'avait 
fait  placer  à  côté  d'une  panthère  ,  et  l'on  fut  si  frappé  de  la 
différence  de  la  voix  de  ces  deux  animaux  à  peu  près  de 
même  taille  ,  qu'on  dût  conclure  qu'ils  n'étaient  pas  de  la 
même  espèce,  et  par  un  examen  plus  attentif,  on  les  dis- 
tingua complettement  l'un  et  l'autre. 

Le  jaguar  appartient  à  l'ordre  des  carnassiers ,  à  la  famille 
des  carnivores  ;  cette  ftimille  comprend  les  mammifères  les 
plus  carnassiers ,  ceux  dont  l'appétit  sanguinaire  est  en  har- 
monie avec  la  force  des  organes  qui  doivent  lui  servir  d'in- 
strument. Chez  les  carnivores,  en  effet,  chaque  mâchoire  est 
armée  de  deux  dents  canines  grosses ,  longues  et  écartées , 
entre  lesquelles  sont  six  ihcisives;  la  seconde  incisive  de  la 
mâchoire  inférieure  a  sa  racine  un  peu  plus  rentrée  que  les 
autres.  Les  dents  molaires  sont  tranchantes  ou  mêlées  seule- 
ment de  tubercules  mousses  et  non  hérissées  de  pointes  co- 
niques. Les  habitudes  carnassières  de  ces  animaux  sont  liées 
à  la  forme  plus  ou  moins  tranchante  des  dents ,  et  l'on  peut 
juger  de  l'aptitude  qu'ils  ont  à  se  nourrir  exclusivement  de 
chair ,  par  la  disposition  plus  ou  moins  tuberculeuse  de  leurs 
dents  molaires  qui  servent  à  les  faire  distinguer.  A  cet  ap- 
pareil de  mastication  si  redoutable ,  la  plupart  des  carni- 
vores joignent  des  pattes  armées  d'ongles  plus  ou  moins 
crochus  et  qui ,  chez  quelques-uns ,  sont  rétractiles.  Tels 
sont  les  traits  les  plus  saillans  de  l'organisation  de  ces 
animaux  que  leur  naturel  ardent  pousse  à  tous  les  genres 
de  luttes ,  et  dont  la  vie  presque  tout  entière  se  consume 
dans  les  combats  qu'ils  engagent  ou  qu'ils  ont  à  soutenir. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


W 


Toutefois ,  la  nature  n'a  pas  doué  tous  les  animaux  carni- 
vores d'un  égal  degré  de  force  et  d'énergie  :  à  ceux-ci  elle 
a  accordé  largement  l'audace  et  la  violence  ;  pour  d'autres , 
elle  a  trouvé  un  dédommagement  à  leur  faiblesse  relative 
dans  l'instinct  adroit  et  rusé  dont  elle  leur  a  prodigué  les 
ressources  :  aussi  l'absence  ou  la  présence  de  certains  or- 
ganes ,  le  développement  excessif  ou  modéré  de  certains 
caractères  ont-ils  contraint  les  naturalistes  à  former  des 
groupes  secondaiies  dans  la  famille  des  carnivores  et  à  les 
répartir  en  trois  tribus. 

L'une  de  ces  tribus ,  les  digiiigvades,  est  celle  où  doit  être 
rangé  le  jaguar  qui  appartient  au  genre  chat ,  l'un  des  genres 
de  cette  tribu  ;  il  acquiert  une  taille  qui  approche  de  celle 
du  lion ,  sa  longueur  est  d'environ  quatre  pieds ,  sa  hauteur 
de  deux  pieds  et  demi ,  sa  queue  a  trente  pouces.  Son  pelage 
est  d'un  fauve  jaunâtre  sur  toutes  les  parties  supérieures  du 
corps;  le  dessous  du  cou ,  le  tour  de  la  gueule ,  le  ventre, 
l'intérieur  de  la  cuisse  et  des  jambes  sont  d'un  beau  blanc. 
Ses  taches  sont  noires,  pleines,  eu  forme  de  rond  avec  un 
on  plusieurs  points  au  milieu  ;  sa  voix  ressemble  à  une  sorte 
d'aboiement  rauque,  et  lorsqu'il  menace,  il  souffle  à  peu 
près  comme  le  chat  domestique.  Cet  animal  a  les  mœurs 
de  tous  les  autres  chats  ;  lorsqu'il  n'est  pas  poussé  par  une 
faim  violente,  il  est  d'une  défiance  extrême,  et  n'altaciue 
sa  proie  que  par  surprise,  et  surtout  la  nuit.  Sa  force  est 
prodigieuse  ;  les  voyageurs  prétendent  qu'il  peut  emporter 
un  cheval  et  traverser  à  la  nage ,  avec  cette  proie ,  une  ri- 
vière large  et  profonde.  Il  habite  les  lieux  couverts  et  les 
grandes  forêts  de  l'Amérique ,  il  se  cache  dans  les  cavernes, 
et  n'est  pas  effrayé  par  le  feu;  car  plus  d'une  fois  les  In- 
diens qu'environnaient  de  grands  brasiers  ont  été  attaqués 
par  lui.  Il  se  nourrit  de  toute  espèce  de  gibier,  et  s'avance 
dans  l'eau  pour  attraper  le  poisson  ,  qu'il  aime  beaucoup. 
Les  Espagnols  et  les  Indiens  chassent  le  jaguar  avec  des 
lacets,  qu'ils  lancent  si  adroitement  en  courant  à  toute 
bride,  qu'à  cent  pas  ils  l'enlacent  et  le  mettent  hors  d'état 
de  se  défendre.  Ils  le  chassent  aussi  avec  des  meutes  nom- 
breuses; alors  l'animal  monte  quelquefois  aux  arbres  pour 
se  soustraire  à  leur  poursuite ,  et  s'élance  sur  le  chasseur. 
Les  Indiens  sont  assez  hardis  pour  attaquer  le  jaguar  cqrps 
à  corps  ;  le  bras  enveloppé  d'une  peau  de  mouton ,  ils  évitent 
la  première  atteinte  de  ses  morsures,  et  au  moment  où  il 
s'élance,  ils  lui  enfoncent  leur  arme  dans  la  poitrine. 


(  Le  Jaguar.  ) 


Les  peaux  de  jaguar  sont  assez  recherchées;  long-temps 
elles  ont  fait  l'objet  d'un  commerce  très-considérable ,  mais 
le  nombre  de  ces  animaux  a  diminué ,  et  l'on  n'en  tue  que 
rarement. 


SENEGAL. 

SUl'EllSTITIONS  DES  NÈGRES  DE   SAI^T-LODIS   ET  DE 
CORÉE. —  GRIGRIS.  —  MARABOUTS. 

La  religion  des  nègres  du  Sénégal  est  un  mélange  d'ido- 
lâtrie et  de  mahométisme  :  mais  les  objets  de  leur  culte  dif- 
fèrent plus  ou  moins  de  peuple  à  peuple.  Leurs  prêtres  for- 
ment une  caste  extrêmement  respectée;  ils  sont  les  dépo- 
sitaires de  la  science  et  des  livres  sacrés.  Cette  classe 
d'hommes  a  seule  le  privilège  de  ne  pas  travailler  à  la  terre; 
les  lévites  qu'ils  initient  dans  la  reconnaissance  de  leurs 
mystères  vont  de  case  en  case  ramasser  le  couscous  né- 
cessaire à  l'existence  de  leurs  maîtres  ;  ce  casuel  n'est  jamais 
contesté.  Pour  être  marabout ,  il  faut  être  fds  de  marabout 
et  savoir,  bien  ou  mal ,  lire  et  écrire  l'arabe.  Un  bouquet 
de  barbe  au  menton,  un  air  toujours  grave ,  l'assiduité  à  la 
prière  matin  et  soir,  au  soleil  levant  et  au  soleil  couchant , 
sont  les  signes  distinctifs  du  prêtre.  Le  marabout  n'a  qu'une 
femme  et  ne  boit  jamais  de  liqueurs  fermenlées.  Pour  prix 
de  cette  régularité ,  il  a  reçu  du  prophète  le  privilège  de  lire 
dans  l'avenir,  de  faire  trouver  les  objets  volés,  de  jeter  sur 
une  ou  plusieurs  personnes  des  sorts  qui  les  font  périr  mi- 
sérablement, à  moins  qu'elles  ne  se  rachètent  par  des  présens 
ou  ne  se  mettent  sous  les  auspices  d'un  autre  maral>out  plus 
puissant  et  qui  daigne  les  protéger.  Mais  ce  qui  fait  la  prin- 
cipale industrie  du  marabout,  c'est  la  confection  des  (jrigris, 
espèces  de  reliques  plus  ou  moins  efficaces ,  suivant  le  degré 
de  sainteté  de  celui  qui  les  vend.  La  forme  de  ces  reliques 
varie  selon  le  génie  ou  le  caprice  de  l'artiste  ;  il  y  en  a  pour 
tous  les  maux  et  pour  tous  les  actes  de  la  vie.  Le  chasseur 
est  à  l'abri  du  boa  et  du  tigre  avec  son  grigrr qn'il  porte 
suspendu  à  son  cou  ;  le  guerrier  peut  défier  le  poignard  et 
les  flèches  ;  le  pêcheur  n'a  rien  à  craindre  du  requin  ni  du 
crocodile ,  grâce  à  ces  amulettes  ;  les  sorciers  ne  peuvent 
rien  sur  la  femme  protégée  par  le  {/ri(/ri ,  et  ses  enfans  gran- 
dissent et  prospèrent  en  dépit  des  maléfices  de  ses  voi- 
sines. 

La  crédulité  de  ces  pauvres  nègres  est  telle  qu'on  en  a 
vu  s'exposer,  de  gaîté  de  cœur,  aux  plus  grands  dangers, 
pour  éprouver  la  vertu  de  leurs  grigris.  Il  y  avait  à  Saint- 
Louis  une  vingtaine  de  nègres  au  service  des  hôpitaux  ;  la 
supérieure  des  religieuses  qui  soignaient  les  malades  en- 
voyait journellement  au  magasin  général  deux  nègres  pour 
aller  chercher  le  vin  et  le  sucre  nécessaires  à  l'établissement  : 
la  livraison  de  ces  objets  se  faisait  sur  le  vu  du  bon  signe 
par  la  supérieure  ;  les  nègres  chargés  de  prendre  les  den- 
rées ne  pouvaient  comprendre  comment  on  leur  donnait 
tant  de  choses  pour  un  petit  morceau  de  papier ,  qui  saire- 
ment  était  un  grigri  puisqu'il  opérait  tant  de  merveilles.  Le 
dévoùment  des  pauvres  religieuses  pour  le  service  des  ma- 
lades et  le  respect  que  tous  les  Européens  avaient  pour  elles 
recommandaient  encore  à  l'admiration  des  nègres  les  grigris 
de  la  supérieure.  Tous  les  petits  morceaux  de  papier  qu'elle 
jetait  ou  qu'on  pouvait  lui  surprendre  étaient  à  l'instant 
renfermés  dans  des  bourses  de  cuir  qu'ils  suspendaient  à 
leurs  cous.  Ces  grigris  ne  leur  ouvraient  pas  à  la  vérité  les 
portes  du  magasin  général  ;  mais  quand  ils  allaient  à  la 
grande  terre  pour  faire  du  bois,  ils  étaient  sûrs  de  rap- 
porter une  bonne  et  belle  provision. 

Le  séjour  des  Européens  sous  un  soleil  brûlant  et  leur 
contact  avec  les  nègres  finissent  peu  à  peu  par  les  dégrader, 
au  point  de  les  rendre  esclaves  des  mêmes  préjugés.  J'ai  vu 
entre  autres  deux  négocians  de  Bordeaux  qui ,  après  trente 
ans  de  séjour  en  Afrique ,  avaient  fini  par  adopter  les  gri- 
gris des  marabouts  du  pays.  J'ai  fait  la  même  remarque 
presque  sur  tous  les  mulâtres  de  Saint-Louis  et  de  Gorée  ; 
quoique  élevés  dans  la  religion  catholique ,  dont  ils  suivent 
la  pratique  extérieure ,  la  plupart  des  négocians  consultent 
les  marabouts  avant  de  jeter  un  navire  à  la  mer,  et  cachent 
sous  leur  chemise ,  avec  le  soin  que  commande  le  respect 
humain ,  les  grigris  qui  décorent  la  poitrine  de  leurs  es- 
claves. Un  Français,  maire  de  Gorée ,  nourrissait  dans  sa 


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MAGASIN  UNIVERSEL. 


cave  im  serpent  qui  était  l'ame  de  son  grand-père;  il  n'au-  | 
rait  mangé,  pour  rien  au  monde ,  du  poisson  certains  jours 
de  l'année ,  attendu  que  les  nègres  de  Dacar  avaient  re- 
marqué que  les  poissons  pris  à  ces  époques  étaient  les  génies 
de  leurs  ancêtres.  Le  maire  de  Saint -Louis ,  autre  mulâtre, 
était  tout  au  moins  aussi  superstitieux;  et  cependant  ce 
n'était  pas  un  homme  ordinaire,  on  en  jugera  par  le  trait 
saivant  : 

Un  marabout  de  Saint-Louis  fut  convaincu  de  vol  et 
condamné  par  la  police  de  la  ville  à  être  fouetté  sur  la  place 
publique  :  grande  désolation  dans  tout  le  pays  :  fouetter  un 
marabout  !  jamais  un  pareil  scandale  n'avait  affligé  les  en- 
fans  du  prophète.  Un  soulèvement  épouvantable  allait 
avoir  lieu  ,  lorsque  le  maire ,  revêtu  des  insignes  de  l'au- 
torité ,  parut  dans  l'assemblée  des  marabouts,  où  il  fut  ré- 
solu qu'on  se  rendrait  en  députation  chez  le  commandant , 
pour  lui  demander  la  grâce  du  condamné.  Au  jour  indiqué, 
deux  au  trois  cents  nègres ,  conduits  par  leurs  prêtres ,  se 
rendent  au  domicile  du  maire,  leur  protecteur  naturel  et 
chargé  de  porter  la  parole.  Celui-ci  met  son  écharpe  et 
marche  à  la  tête  de  la  députation.  Quelques  réflexions  pé- 
nibles l'agitaient  en  chemin.  Le  gouverneur  ne  sera-t-il  pas 
offensé  de  sa  démarche  ?  Celte  grande  cohue ,  qui  se  gros- 
sissait en  route ,  u'a-t-elle  pas  plutôt  l'air  d'un  attroupement 
que  d'une  modeste  députation  ?  et  enfin  les  3,000  francs  qu'il 
reçoit  du  gouvernement  ne  sont-ils  pas  compromis  par  cet 
acte  de  condescendance  ?  Pendant  qu'il  était  préoccupé  de 
ces  réflexions,  un  trait  de  génie  vint  tirer  le  maire  de  tant 
de  dangers.  Arrivé  à  la  porte  du  palais ,  il  fit  faire  un  cercle 
autour  de  lui  et  harangua  son  escorte  dans  les  termes  sui- 
vans  :  «  Enfans  du  prophète ,  valez-vous  plus  que  vos  pères  ? 
Répondez  !  —  Non ,  non  !  s'écrie-t-on  de  toutes  parts.  — 
Eh  bien  !  vos  pères  étaient  fouettés ,  pourquoi  ne  le  seriez- 
vous  pas?  La  cause  d'un  homme  qui  a  dégradé  son  minis- 
tère mérite-t-elle  une  faveur  que  n'ont  pas  exigée  vos  pères 
dans  une  semblable  occasion  ?  Croyez-moi ,  retirons-nous , 
et  laissons  fouetter  le  marabout.  Le  prophète  est  plus  puis- 
sant que  nous  auprès  du  commandant ,  ne  lui  enlevons  pas 
la  gloire  de  le  délivrer  ,  s'il  le  juge  convenable.  »  Cette  al- 
locution calma  la  foule  irritée,  qui  se  dispersa;  et  la  sen- 
tence fut  exécutée.  La  suite  à  un  prochain  numéro. 


MOEURS  DES  SUEDOIS.  (Suite.) 
Nous  avons  donné,  dans  un  précédent  numéro  (I),  sur 
les  moeurs  du  peuple  suédois ,  un  premier  article  emprunté 
à  la  Revue  Britannique ,  recueil  mensuel  où  l'on  trouve 
non  seulement  des  extraits  et  des  analyses  faites  avec  talents 
des  publications  les  plus  remarquables  de  l'Angleterre, 
mais  encore  des  articles  originaux  d'un  haut  intérêt.  Nous 
communiquerons  aujourd'hui  à  nos  lecteurs,  avec  l'au- 
torisation du  directeur  de  cette  Revue,  un  second  extrait  de 
la  Notice  si  exacte  et  si  pleine  de  faits  qu'il  a  donnée  sur 
le  même  sujet. 

La  contrée  la  plus  curieuse  à  observer  de  toute  la  Suède, 
c'est  la  Dalécarlie ,  pays  sauvage  où  peu  de  voyageurs  pé- 
nètrent ,  et  que  les  Suédois  eux-mêmes  connaissent  mal. 
Un  caractère  franc ,  hardi ,  énergique ,  une  force  athlétique, 
un  grand  respect  pour  la  loi  et  le  magistrat,  respect  qui 
n'est  mêlé  d'aucune  servilité ,  distinguent  le  Dalécarlien. 
L'orsqu'un  gouverneur  passe ,  tous  les  habitans  des  villages 
qui  connaissent  les  endroits  qu'il  doit  traverser  la  nuit,  ont 
soin  d'éclairer  sa  route  avec  des  torches  allumées  ;  cependant 
leur  esprit  d'indépendance  est  extrême ,  ils  sont  industrieux, 
et  la  plus  part  des  villages  de  la  Dalécarlie  possèdent  quelque 
genre  d'industrie  qui  est  propre  à  chacun  d'eux.  Ainsi  les 
paysans  de  Mora  et  Dornoes ,  fabriquent  de  jolies  pendules  ; 
ceux  d'Hémora  sont  célèbres  pour  leurs  ustensiles  de  fer; 
ceux  d'Elfdal  exportent  d'excellens  peignes  à  tisser.  Quoi- 
qu'une population  trop  abondante  occupe  un  espace  de 

(i)  Voyez  i)age  22. 


terrain  aride  ^  qui  souvent  se  refuse  a  donner  les  produits 
nécessaires  ,  roconomie  laborieuse  de  ce  peuple  et  sa  fru- 
galité le  soutiennent  au  milieu  des  rigueurs  du  climat. 
Aucun  paysan  Dalécarlien  n'a  recours  au  cordonnier ,  aa 
tailleur  ou  au  maçon  ;  chacun  fabricjue  de  ses  mains  tout 
ce  qui  lui  est  nécessaire ,  et,  cependant,  quand  la  saison  est 
mauvaise ,  quand  arrivent  les  jours  de  disette ,  le  paysan  est 
obligé  de  pétrir  et  de  broyer  l'écorce  d'arbre  à  laquelle  il 
mêle  un  peu  de  farine ,  et  qui  compose  son  pain.  On  cite 
des  traits  charnians  d'hospitalité  qui  n'appartiennent  qu'aux 
peuples  primitifs.  Un  Dalécarlien  qui  sort  de  sa  cabane 
pour  aller  aux  champs,  pose,  sur  une  tablelte  placée  en 
dehors  de  la  porte,  la  clef  de  son  garde-manger,  afin  que 
le  voyageur  puisse ,  pendant  l'absence  du  maître ,  trouver 
les  alimens  qui  lui  sont  nécessaires. 

Ce  peuple  singulier  se  distingue  par  une  physionomie 
spéciale ,  par  un  costume  brillant  et  bizarre  qui  n'a  pas 
changé  depuis  cinq  siècles,  et  par  un  attachement  aux 
vieilles  mœurs  qui  ne  se  retrouve  dans  aucun  pays  d'Eu- 
rope ;  il  parle  encore  le  vieux  Scandinave ,  la  langue  des 
Russes.  Il  y  a  beaucoup  de  paroisses  où  les  mœurs  pri- 
mitives se  sont  conservées  dans  toute  leur  pureté  :  ainsi 
dans  le  village  de  Mora ,  les  jeunes  gens  et  les  jeunes  filles 
se  rassemblent  deux  fois  par  semaine  dans  une  grange , 
sans  que  les  parens  assistent  à  ces  soirées  ;  des  morceaux  de 
sapin  résineux  éclairent  le  salon  rustique;  les  jeunes  filles 
ti'icotent  et  tissent  pendant  que  les  jeunes  gens  causent ,  et 
la  réunion  se  prolonge  très-avant  dans  la  nuit.  On  assure 
que  les  ménages  dalécarliens  sont  excellens ,  et  que  cette 
liberté  des  mœurs  en  protège  la  pureté. 

En  1715,  les  habitans  d'une  des  parties  les  plus  sauvages 
et  les  plus  stériles  de  la  Dalécarlie,  de  la  paroisse  d'Elfdal,  ont 
découvert  une  source,  non  de  richesse,  mais  d'aisance; 
les  pauvres  gens  que  leurs  nuits  froides ,  leur  sol  pauvre  , 
leurs  rochers  sans  terres  végétales  exposaient  si  souvent  à 
la  famine  ,  et  qui  dépouillaient  leurs  arbres  de  leur  écorce 
pour  nourrir  leurs  femmes  et  leurs  enfans ,  ont  enfin  trouvé 
une  mine  de  porphyre  dont  les  produits  magnifiques  sont 
exportés  dans  toute  l'Europe ,  et  mériteraient  d'obtenir  une 
circulation  plus  étendue.  Les  laiteries,  les  pharmacies,  les 
fabriques  d'horloges  et  de  pendules  devraient  employer 
plus  fréquemment  cette  matière  dont  la  dureté  résiste  aux 
liqueurs  les  plus  corrosives,  tandis  que  le  marbre  se  laisse 
entamer ,  non  seulement  par  le  vinaigre ,  mais  par  le  lait. 
Les  pilons  des  pharmaciens ,  leurs  mortiers ,  les  dessus  de 
tables  et  de  cheminées  ;  gagneraient  beaucoup  à  ce  que  l'on 
fît  usage  de  celle  pierre  si  brillante  à  l'œil ,  si  belle  par  son 
poli  et  ses  vives  arêtes ,  si  forte  contre  l'action  du  temps. 

Les  crimes  contre  la  vie  des  hommes  sont  presque  in- 
connus en  Suède ,  et  la  vue  d'une  paire  de  pistolets ,  in- 
strumens  que  presque  tous  les  voyageurs  d'Europe  regar- 
deraient comme  indispensables ,  porterait  la  terreur  dans 
un  village.  Cependant  le  Suédois  est  naturellement  brave , 
il  est  poli  quoique  rustique  ,  il  s'étonne  beaucoup  des  ma- 
nières anglaises,  qui,  depuis  environ  cinquante  ans,  se 
sont  empreintes ,  comme  on  sait ,  de  morgue,  de  froideur  et 
de  dureté.  Un  voyageur  anglais  qui  entre  dans  un  lieu  pu- 
blic sans  se  découvrir  ,  est  regardé  comme  une  espèce  d'a- 
nimal farouche  qui  n'est  point  fait  pour  la  société.  La  lenteur 
naturelle  des  Suédois  s'accomode  très- bien  de  cette  grave 
politessp  et  de  ce  sang-froid  qui  ne  les  quitte  jamais.  La 
douceur  des  jurons  et  des  malédictions  en  usage  parmi  le 
peuple,  contraste  étrangement  avec  l'énergie  et  l'impureté 
des  malédictions  dont  les  autres  peuples  sont  prodigues.  A 
mesure  que  l'on  avance  vers  le  midi ,  l'impiété ,  la  colère, 
le  cynisme ,  marquent  ces  expressions  d'un  sceau  de  violence 
et  de  fureur  souvent  révoltant;  un  Anglais  appelle  le  feu 
du  ciel  sur  vos  yeux ,  sur  vos  jambes ,  sur  votre  corps ,  sur 
votre  âme;  un  Italien  vous  interpelle  en  termes  de  débauche 
mêlés  d'impiété.  Le  plus  gros  juron  qu'un  Suédois  puisse 
prononcer,  c'est  tusandjeflar  (mille  diables). Des  menaces 
paisibles,  un  grand  amour  de  la  vie  de  famille,  peu  de 


MAGASIN  lliSIVEUSKL. 


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fêtes  bruyantes ,  peu  de  galanterie ,  des  rapports  sociaux 
qui  n'ont  ni  celle  activité ,  cet  éclat ,  celle  étourderie  de . 
l'ancienne  France ,  ni  celle  ostentation ,  cette  étiquette  pom- 
peuse ,  et  cette  vaniteuse  prétention  de  l'Angleterre  ;  tels 
sont  les  signes  spéciaux  d'une  civilisation  très-paisible ,  et 
qui,  si  elle  n'est  pas  agitée  par  le  génie  dramatique  des 
passions,  offre  du  moins  beaucoup  de  chances  pour  le  bien- 
ôtre  et  le  bonheur. 

Les  femmes,  dès  leur  jeunese,  sont  employées  comme 
facteurs  de  postes,  commissionnaires,  postillons,  garçons 
de  cafés ,  garçons  de  bains.  Vous  arrivez  à  minuit  à  un  re- 
lais :  une  jeune  personne  blonde,  de  la  plus  jolie  figure, 
très-légèrement  vêtue,  et  qui  a  rattaché  son  jupon  à  la 
hâte ,  vient  se  placer  à  vos  côtés  dans  la  voiture ,  prend  les 
rênes ,  dirige  les  chevaux ,  et  s'enfonce  avec  vous  dans  les 
forêts  les  plus  solitaires. 

Une  grande  réserve ,  et  une  douceur  constante ,  carac- 
térisent les  dames  de  la  bourgeoisie  et  des  classes  supé- 
rieures ;  de  toutes  les  femmes  du  nord ,  ce  sont  celles  qui 
possèdent  le  plus  d'attraits  et  de  grâces.  Sveltes  et  légères, 
elles  n'ont  rien  de  ces  formes  massives  et  épaisses ,  que  l'on 
trouve  souvent  dans  les  contrées  septentrionales,  leur  taille 
est  mince ,  leur  chevelure  magnifique  et  blonde  ;  leur  teint 
éclatant,  et  leur  tournure  d'une  élégance  ([ui  rappelle  celle 
des  polonaises  ;  ajoutons  que  les  femmes  du  peuple  sont  en 
général  plus  jolies  encore  que  les  dames  et  les  bourgeoises. 
L'art  gastronomique ,   sans  avoir  atteint  en  Suède  une 
haute  perfection,  y  est  du  moins  Irès-hono ré ,  comme  dans 
la  plus  part  des  pays  du  nord  ;  avant  de  se  mettre  à  table , 
on  va  chercher  sur  un  petit  buffet,  couvert  de  nappes 
blanches ,  un  petit  repas  préparatoire  composé  de  hors- 
d'œuvres ,  d'anchois ,  de  radis ,  de  caviar  ;  préface  toujours 
accompagnée  de  (|uel(iues  verres  de  cognac  et  de  rhum.  Le 
dhîer  est  disposé  d'une  manière  qui  semblera  fort  originale 
aux  étrangers  :  le  potage ,  qui  se  compose  tout  simplement 
d'eau  chaude  dans  laquelle  la  viande  a  bouilli ,  parait  non 
au  commencement ,  mais  au  milieu  du  festin;  on  y  voit 
nager  des  feuilles  de  fenouil  et  du  raisin  de  corinlhe  ;  en- 
suite défile  une  longue  liste  de  mets  qui  tous  sont  accom- 
modés au  sucre;  on  met  du  sucre  dans  le  potage,  dans  la 
bière ,  dans  la  salade  ;  on  le  mêle  au  poivre ,  au  vinaigre , 
aux  sauces  les  plus  épicces  ;  enfin  l'Européen  méridional , 
qui  voit  au  milieu  de  la  table  le  sucrier  en  permanence  et 
dans  lequel  on  puise  conlinuellement,  regrette,  je  vous 
assure  ,  de  tout  son  cœur ,  les  dîners  de  Paris  et  de  Londres. 
La  vie  des  Suédois  semble  partagée  en  stations  gastrono- 
miques. A  votre  réveil,  vous  trouvez  sur  votre  lit  une  pe- 
lile  table  qui  supporte  du  café ,  du  beurre  et  du  pain  ;  à 
onze  heures ,  on  déjeune  avec  des  tartines  de  beurre ,  du 
jambon ,  du  poisson  salé  et  de  l'eau-de-vie  ;  on  dîne  à  deux 
heures;  à  quatre  heures,  on  s'ert  du  café;  à  six  heures, 
vient  le  goûter,  espèce  de  collation  légère;  enfin,  à  neuf 
heures,  on  soupe,  et  presque  toujours  le  mets  principal  de 
ce  dernier  repas  est  un  mélange  de  lait,  de  bière  et  de  sirop, 
qui  ne  ressemble  à  rien  de  ce  (jui  se  mange  ou  se  boit  dans 
nos  contrées.  L'habitude  des  toasts  s'est  conservée  en  Suède 
dans  sa  simplicité  patriarcale  ;  toutes  les  fois  qu'un  convié 
boit  à  votre  santé ,  il  est  absolument  nécessaire  que  vous 
vidiez  votre  coupe  jusqu'au  fond.  Aussi  comme  disait  le 
jeune  Ilamlet  :  «  Supposez  que  vingt  convives  renouvellent 
la  même  politesse,  à  moins  d'être  très-exercé  à  cet  usage, 
vous  vous  trouverez  très-embarrassé ,  d'autant  plus  que  les 
verres  des  Suédois  sont  larges  et  profonds.  »  Souvent,  dans 
les  classes  bourgeoises ,  on  pratique  l'ancienne  coutume , 
(pii  ordonne  à  chaque  convive  de  baiser  la  main  à  la  dame 
placée  près  de  lui. 


sailles  par  les  bandes  venues  de  Paris  ;  retour  du  roi  et  de  la  fa- 
mille royale  ramenés  par  le  peuple  dans  la  capitale. 

7  octobre  1760.  —  Premier   congrès  national  à  New-Yorck 
déclaration  des  droits  des  Américains.  —   18-26.  Traité  d'Acker« 
mann  par  lequel  la  Russie  force  la  Porte  à  reconnaître  les  privi- 
lèges de  la  Valachie  et  la  Moldavie  ,  et  l'existence  civile  et  reli- 
gieuse des  Servions. 

8  octobre  45r.  —  Le  concile  général  réuni  à  Calcédoine,  con- 
damne deux  évoques  qui  soutenaient  qu'il  n'y  a  en  Jésus-Christ 
qu'une  seule  nature.  —  1804.  Un  nègre  échappé  à  l'esclavage 
lors  de  la  révolte  de  Saint-Domingue  ;  Dessalines  est  proclamé 
empereur  d'Haïti. 

9  octobre  1793.  —  La  ville  de  Lyon,  que  les  excès  de  la  ré- 
volution avaient  soulevée  contre  la  convention ,  forcée  de  se  rendre 
parla  famine,  est  livrée  à  la  commission  composée  de  Couthon , 
Fouché ,  et  Collot  d'Herbois.  On  sait  qu'elle  férocité  déployèrent 
ces  triumvirs  dans  l'accomplissement  de  leur  mission.  —  I7<j5. 
Josepli-le-Bon ,  d'ignoble  et  sanglante  mémoire,  le  bourreau  des 
habitans  d'Arras ,  tombe  à  son  tour  sous  la  hache  de  la  révolution. 

—  1799.  Bonaparte ,  à  son  retour  d'Egypte,  débarque  à  Fréjns. 

—  i8i3.  Le  congrès  d'Aix-la-Chapelle  arrête  que    les    armées 
alliées  évacueront  le  territoire  Français. 

10  octobre  1785.  —  Les  Prussiens  s'emparent  de  la  Hollande  ; 
le  stathouderat  triomphe  de  la  république. 

i3  octobre  1641  —  Les  catholiques  irlandais,  soulevés  pour  la 
défense  de  leurs  libertés  religieusets  et  civiles,  massacrent  un  grand 
nombre  de  protestans.  —  i8i5.  Murât,  ex  roi  d'Italie,  après 
avoir  abandonné  follement  son  trône ,  opère  une  descente  sur  la 
côte  de  la  Calabre  ,  est  saisi  et  fusillé. 

14  octobre  1066.  —  Bataille  d'Hastings  (  voyez  page  2 1  ). — 
i8oti.  Bataille  d'Iéna  qui  soumit  la  Prusse  à  Napoléon. 

16  octobre  1793.  —  Exécution  de  la  reine  Marie-Antoinette. 

17  octobre  i8o5.  —  Les  Autrichiens,  entassés  dans  Ubn ,  se 
rendent  à  l'empereur  ;  cet  anéantissement  de  leur  armée  prépara 
le  succès  de  la  bataille  d'Austerlitz. 

1 8  octobre  1 3 1 5.  —  Napoléon  débarque  à  Sainte-Hélène. 

1 9  oct.  r  S 1 3. —  La  France  perd  à  Leipsick  le  sceptre  de  l'Europe! 

20  octobre  4S0  av.  J.-C.  —  Les  Perses  sont  vaincus  par  les 
Athéniens  dans  les  eaux  de  Salaniine.  —  1827.  Bataille  de  Navarin. 

26  octobre  i83o.  —  Bombardement  d'Anvers. 

27  octobre  i553.  —  Calvin  fait  brûler,  à  Genève,  Michel 
Servet,  comme  hérétique. 

3i  octobre  1787.  —  Création  de  l'école  normale. 


ÉPHÉMÉRIDES. 
Faits  et  cvcneinens  remarquables  du  6  «k  3r  octobre. 
5  et  G  octobre  1789.  —  Massacre  des  gardes-du-corps  à  Ver- 


LE  RHINWALD. 
Le  pays  des  Grisons  est  une  des  parties  de  la  Suisse  que 
le  voyageur  parcourt  avec  le  plus  d'intérêt.  La  nature  y 
déploie  d'aussi  grands  et  d'aussi  sublimes  spectacles  que 
dans  l'Oberland  Bernois ,  et  Ton  y  trouve  une  solitude  ma- 
jestueuse et  sauvage,  que  ne  présente  pas  cette  dernière 
contrée,  sillonnée  en  tous  sens  par  une  foule  de  ioxiristes 
fashionables  et  d'oisifs  de  tous  les  pays.  De  plus ,  les  Gri- 
sons ont  conservé  une  partie  de  leur  originalité  primitive  , 
et  l'étude  de  leurs  mœurs,  simples  et  douces ,  offie,  à  l'ob- 
servateur, le  plus  puissant  attrait.  L'historien  trouve  aussi 
chez  eux  de  quoi  satisfaire  ses  goûts  de  science  et  de  re- 
cherches ;  car  il  y  a  peu  de  pays  où  l'on  rencontre  un  aussi 
grand  nombre  de  châteaux ,  de  donjons  et  de  ruines  dii 
moyen-âge  ,  monumens  curieux  auxquels  se  rattachent  une 
foule  de  traditions ,  de  légendes  et  de  chroniques  intéres- 
santes. 

Le  canton  des  Grisons  est  fort  étendu  et  fort  peuplé  :  il 
ne  renferme  pas  moins  de  soixante  quinze  mille  habitans, 
dont  les  deux  tiers  environ  professent  le  culte  réformé ,  et 
le  reste  le  culte  catholique.  Les  Grisons^ont  loin  d'imiter  la 
tolérance  religieuse  de  quelques  cantons  de  la  Suisse ,  où 
l'on  voit  souvent  les  catholiques  et  les  protestans  célébrer 
tour-à-tour ,  dans  le  même  temple ,  lesmystères  de  leur  foi. 

La  population  ,  presque  entière ,  se  livre  aux  soins  de 
l'éducation  des  bestiaux  ;  l'autre  partie  s'occupe  du  com- 
merce de  commission,  qui  ne  laisse  pas  d'avoir  une  cer- 


40 


aiA&ASIN  UiMVEHSEL. 


taine  importance ,  car  ce  canton  est  traversé  par  un  des  plus 
anciens  passages  des  Alpes,  servant  de  communication 
entre  rAUemagne  et  l'Italie. 

Parmi  les  belles  vallées  de  ce  pays ,  celle  du  Rhinwald  se 
fait  surtout  admirer  par  ses  sites  pittoresques.  Elle  est  en- 
tourée de  tous  côtés  par  de  hautes  montagnes,  dont  quel- 
ques-unes élèvent  leurs  cimes,  couronnées  de  neige),  à  onze 
mille  pieds  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Ces  montagnes 
sont  couvertes  d'énormes  glaciers ,  et  la  vallée  est  exposée 
à  d'affreuses  avalanches. 

On  sait  (}ue  les  chûtes  de  neige ,  connues  sous  le  nom  de 
lavanges  ou  d'avalanches ,  offrent  un  des  phénomènes  les 
plus  terribles,  et  en  même  temps  les  plus  extraordinaires 
de  la  nature  dans  les  Alpes.  Pendant  le  cours  de  l'hyver , 
d'énormes  masses  de  neige  s'amassent  et  s'avancent  au-delà 
des  parois  de  rochers ,  de  manière  à  surplomber  au-dessus 
du  sol  ;  aux  mois  d'avril  et  de  mai ,  quand  le  soleil  a  pris  un 
peu  de  force ,  et  qu'il  survient  un  dégel  subit ,  ces  masses  se 


brisent  et  s'écroulent  par  l'effet  de  la  pesanteur,  entraînant 
avec  elles  des  quartiers  de  pierre ,  des  arbres  et  des  terres ,  et 
ensevelissant ,  sous  leurs  ruines ,  des  maisons  et  des  villages. 
C'est  au  printemps  que  ces  sortes  d'avalanches  ont  le  plus 
souvent  lieu ,  et  qu'elles  rendent  si  dangereux  le  passage 
des  Hautes-Alpes.  Comme  le  moindre  son  est  capable  de  dé- 
terminer une  avalanche ,  il  faut,  dans  quelques  contrées  pé- 
rilleuses, ôter  toutes  les  clochettes  des  chevaux,  partir  dès 
le  grand  matin ,  avant  que  le  soleil  ait  amolli  les  neiges ,  et 
marcher  vite  et  dans  le  plus  profond  silence.  On  peut  aussi 
prendre  la  précaution  de  tirer  un  coup  de  pistolet  avant  de 
traverser  les  endroits  les  plus  dangereux  j  car  l'ébranlement 
de  l'air ,  causé  par  ce  bruit ,  entraine  la  chiite  des  masses 
les  plus  disposées  à  s'écrouler,  et  le  passage  n'offre  plus 
ensuite  aucun  péril. 

Les  avalanches  d'été  ne  sont  à  craindre  ni  pour  les 
hommes  ni  pour  les  bestiaux,  parce  qu'elles  ne  tombent  que 
sur  les  parties  élevées  des  montagnes,  sans  descendre  dans 


(Vue  de  la  vallée  du  Rhinwald  ,  eu  Snisse.) 


les  vallées.  On  croirait  voir  une  rivière  d'argent ,  entourée 
d'une  nuée  de  neige  extrêmement  subtile ,  se  précipiter  du 
haut  des  rochers;  la  masse  augmente  de  gradins  en  gradins, 
elle  roule  avec  un  bruit  semblable  à  celui  du  tonnerre,  et 
qui  se  prolonge ,  à  la  faveur  des  échos ,  au  milieu  du  silence 
subHme  des  Alpes.  Malgré  les  ravages  que  les  avalanches 
ont  tant  de  fois  causés  dans  la  vallée  du  Rhinwald  ;  malgré 
les  nouveaux  malheurs  dont  elle  est  sans  cesse  menacée , 
on  est  étonné  de  voir  souvent  des  habitations  situées  pré- 
cisément dans  les  endroits  les  plus  périlleux.  C'est  ce  qui 
prouve  que  la  présence  continuelle  d'un  grand  danger  en 
diminue  et  en  détruit  même  la  crainte. 

Au  fond  de  la  vallée ,  au  milieu  des  horribles  rochers  de 
l'A  vicula  et  du  Piz-Val-Rhein ,  se  trouve  le  glacier  du 
Rhinwald ,  qui  donne  naissance  au  Rhin  postérieur  :  ce 
fleuve ,  qui  n'est  encore  qu'un  torrent ,  en  sort  sous  une 
voûte  immense  de  glace  transparente  et  azurée.  Après  avoir 
quitté  la  gorge  profonde  qui  lui  sert  de  berceau ,  il  reçoit, 


dans  ses  ondes ,  un  grand  nombre  de  ruissaux ,  avant  d'ar- 
river à  Splûgen  ;  de  là  il  parcourt  le  ravin  de  Rofflen ,  s'en- 
gouffre dans  les  abîmes  de  la  Via-Mala ,  s'enrichit  encore , 
dans  la  vallée  de  Domleschg ,  du  tribut  de  plusieurs  ri- 
vières ,  et  se  réunit  enfin  à  Reichenau ,  avec  le  Rhin  an- 
térieur. De  Reichenau  au  lac  de  Constance ,  il  tombe  en- 
core dans  le  Rhin  une  trentaine  de  torrens. 

L'hyver  dure  neuf  mois  dans  la  vallée  du  Rhinwald  ;  à  la 
fin  de  juin ,  l'herbe  ne  fait  que  poindre ,  et  avant  le  com- 
mencement du  mois  de  septembre,  il  faut  que  les  foins 
soient  rentrés. 

Ce  pays  est  habité  par  les  descendans  des  Allemands  de 
la  colonie  de  Souabe ,  que  l'empereur  Frédéric  I"""  envoya 
sur  la  fin  du  xi"  siècle ,  pour  s'assurer  à  jamais  du  passage 
du  Splûgen. 

Les  Bureaux  d'Abonnemfnt  et  de  Vente  sont  transfères  rue 
de  Seine  Saint-Germain,  n"  9, 


( 


6 


'6  iiovcmltre  i834  ) 


Magasin  universel 


41 


LES  BOUTIQUES  DES  BARBIERS  A  ALGEll. 


Nous  avons  donné  à  nos  lecteurs  la  description  des  mos- 
quées et  des  cafés  d'Alger,  et  nous  y  avons  joint  denx  des- 
sins faits  sur  les  lieui  par  l'un  de  nos  plus  habiîcs  artistes  , 
M.  Lessore.  Il  nous  reste  à  leur  faire  connaître  d'autres 
lieux  de  réiuiion,  que  les  Maures  semblent  affectionner  par- 
ticulièrement, et  que  l'on  trouve  en  grand  nombre  dans 
la  ville  :  nous  voulons  parler  des  bouticpics  de  barbiers. 

Les  autres  bouli([ues  des  marchands  sont  on  ne  peut  plus 
mesquines,  non-seulement  à  Alger,  mais  dans  toutes  les  villes 
de  la  Barbai  ie  ;  ce  ne  sont,  à  proprement  parler,  que  des  ni- 
ches pratiquées  dans  les  murs  extérieui  s  des  maisons.  Elles 
ont  de  sept  à  neuf  pieds  de  largeur  sur  trois  pieds  de  pro- 
fondeur environ;  et  quand  le  marchand  y  est  accroupi  au 
milieu  des  objets  de  son  commerce,  il  n'y  reste  presque  plus 
de  place.  Les  boutiques  des  barbiers  occupent  une  bien  plus 
grande  étendue;  elles  ont  jusqu'à  vingt  pieds  de  long  sur 
neuf  à  dix  pieds  de  large,  et  réunissent  ordinairement  un 
assez  grand  nombre  de  Maures. 

Dans  l'intérieur  de  ces  boutiques,  régnent ,  tout  autour, 
des  banquettes  en  planches,  où  l'on  voit  gravement  assis 
les  amateurs  qui  attendent  que  leur  tour  soit  venu,  et  les 
faneurs  que  le  désir  d'apprendre  des  nouvelles  appelle  dans 
ce  lieu  de  conversation. 

Les  barbiers  d'Alger  jouissent  du  privilège  que  conser- 
vent encore  un  grand  nombre  de  leurs  confrères  d'Etuope, 
celui  de  répandre  les  petites  anecdotes  du  jour  et  les  évé- 
nemens  politiques,  qu'ils  habillent  toujours  à  leur  manière. 
Permis  à  ces  vivantes  chroniques  de  débiter,  à  défaut  de 
nouvelles  positives ,  des  faits  extraordinaires  empruntés  à 
leur  imagination.  Tout  est  bon  pour  la  galerie  qui  les 
écoute  dans  un  religieux  silence,  et  accorde  au  doclefrater 
presque  autant  de  confiance  qu'aux  imans  de  la  mosquée. 

Ce  débit  non  interrompu  de  nouvelles  est  animé  par  le 
jeu  du  barbier  :  toujours  en  mouvement,  soit  qu'il  peigne 
une  barbe  avec  grâce ,  soit  qu'il  montre  sa  dextérité  à  raser 
nne  tête,  soit  enfin  qu'il  se  promène  en  gesticulant  dans  sa 
boutique,  en  attendant  les  pratiques,  il  joue  à  lui  seul ,  de- 
vant ses  habitués ,  un  speclacle  qui  absorbe  toute  leur  at- 
tention. 

Les  boutiques  des  barbiers  sont  ordinairement  tenues 
Tome  II. 


avec  propreté.  Sur  les  murs  sont  accrochés  les  instrumens 
du  métier,  le  plat  à  barbe,  les  rasoirs,  les  cafetières, dans 
lesquelles  l'eau  doit  être  amenée  à  un  état  de  douce  cha- 
leur, etc.  Quelques  tableaux,  faits  par  les  artistes  du  lieu, 
ornent  aussi  les  murailles  ;  ce  sont  pour  la  plupart  de  gros- 
sières représentations  des  combats  soutenus  par  des  corsai- 
res algériens ,  et  dans  lesquels ,  bien  entendu  ,  le  peintre 
accorde  toujours  l'avantage  à  ces  derniers. 

Chez  les  barbiers  ont  été  tramés  à  plusieurs  reprises  des 
complots  qui  avaient  pour  objet  le  massacre  général  des 
Français  ;  et  c'est  de  ces  foyers  de  conspiration  que  par- 
taient ces  avis  donnés  au  bey  de  Tileri  avant  que  nos  sol- 
dats l'eussent  fait  prisonnier. 


COUTUMES  DU  MOYEN -AGE. 

§  II.  —  LES   COMBA.TS  JUDICIAIRES  (l\ 

Nous  avons  dit,  dans  notre  premier  article,  que  les  com- 
bats judiciaires  ne  paraissent  avoir  été  d'usage  général  en 
France  que  sous  Louis-le-Jeune  :  ce  qui  n'empêche  pas 
qu'on  ne  trouve  antérieurement  à  ce  prince  quelques  exem- 
ples de  ce  genre  barbare  de  procédure.  Nous  en  citerons 
un  assez  remarquable,  que  nous  fournit  l'histoire  de  ces 
temps  reculés.  Sous  Louis-le-Bègue ,  la  comtesse  de  Gasti- 
nois  fut  accusée  d'avoir  empoisonné  son  mari  ;  les  indices 
contre  elle  étaient  si  forts,  et  Gonlran,  son  accusateur, 
cousin-germain  de  ce  mari,  passait  pour  un  guerrier  si  re- 
doutable ,  qu'elle  se  voyait  abandonnée  de  tous  ses  parens 
et  amis,  lorsqu'un  jeune  inconnu,  âgé  de  dix-sept  ans  et 
nommé  Ingelger,  se  présenta  pour  soutenir  qu'elle  était 
innocente.  Les  juges  ayant  ordonné  le  champ-clos ,  il  tua 
Gontran ,  et  la  comtesse ,  de  l'avis  et  du  consentement  de 
ses  barons  et  vassaux ,  le  fit  son  héritier.  L'archevêque  de 
Tours  lui  donna  sa  nièce  en  mariage ,  avec  les  châteaux 
d'Amboise ,  de  Buzençay  et  de  Châlillon.  Ingelger  fut  la 
tige  des  comtes  d'Anjou  qui  montèrent  sur  le  trône  d'An- 
gleterre. Ce  fait  nous  semble  curieux ,  surtout  en  ce  qu'il 
caractérise  parfaitement  1"  esprit  avenlureux  de  nos  ancêtre^ 

(Voyez  page  i4.) 

6 


ÂÛ 


MAGASIN  UlSIVEllSEL. 


dans  ces  temps  de  chevalerie,  où  la  moindre  circonstance 
henreuse  offrait  les  moyens  d'acquérir  une  brillante  répu- 
Sation ,  et  même  de  faire  fortune  en  un  instant. 

Vers  la  fin  du  x*  siècle,  on  fit  décider,  par  le  combat 
judiciaire,  im  point  de  droit  qui  alors  clait  vivement  con- 
troversé. Il  s'agissait  de  savoir  si,  en  matière  de  succession, 
la  représentation  pouvait  avoir  lieu  en  ligne  directe.  Deux 
braves  furent  chargés  de  défendre  en  cliamp-clos,  l'un 
l'affirmative,  l'autre  la  négative:  et  celui  qui  combattait 
pour  la  représentation,  ayant  eu  l'avantage,  il  fut  ordonné 
qu'à  l'avenir  elle  aurait  lieu,  c'est-à-dire  que  le  petit-fils 
succéddrait  aux  biens  de  ses  aïer.l  ou  aïeule ,  concurrem- 
ment avec  ses  oncles  et  tantes,  et  de  la  même  manière  que 
ses  i)ère  et  mère  eussent  eux-mêmes  succédé. 

Sous  le  règne  de  Louis  VII,  les  religieux  de  Ste.  Gene- 
viève offrirent  de  prouver  par  le  duel  que  les  liabilans  d'un 
petit  village  auprès  de  Paris  étaient  hommes  de  corps  de 
leur  abbaye.  Sous  le  même  règne ,  les  religieux  de  Saint- 
Ci  ermain-des-Près  ,  ayant  demandé  le  combat  pour  prouver 
(ju'Étienne  de  Maci  avait  eu  tort  d'emprisonner  un  de  leurs 
:-;erfs,  les  deux  champions  combattirent  long-temps  avec  un 
(gai  avantage;  mais  enfin,  à  l'aide  de  Dieu ,  dit  l'historien, 
Is  champion  de  l'ahbaye  emporta  l'ceil  de  son  adversaire , 
et  l'obligea  de  confesser  qu'il  était  vaincu. 

Quoique  ces  prétendus  jwgemcHS  de  Dieu  fussent  fondés 
•jur  cette  présomption ,  que  le  Ciel  ne  pouvait  accorder  la 
victoire  qu'à  l'innocence  (comme  s'il  était  donné  aux  hom- 
mes de  pénétrer  les  desseins  secrets  de  la  Providencej ,  on 
peut  citer  une  foule  de  faits  qui  prouvent  que  l'issue  du 
combat  ne  favorisa  pas  toujours  le  bon  droit.  Aussi,  combien 
d'infortunés  furent  punis  pour  des  crimes  dont  ils  n'étaient 
pas  coupables  ?  Combien  de  criminels  parvinrent  à  se  sous- 
traire aux  justes  chàtimens  qui  leur  étaient  dus?  En  voici 
un  exemple  bien  frappant,  rapporté  par  tous  les  historiens, 
et  dont  on  ne  peut  par  conséquent  contester  l'authenticité. 

L'an  1386 ,  Jacques  Legris ,  chevalier  au  service  du  duc 
d'Alençon,  était  accusé,  devant  la  cour  du  parlement,  de 
violences  et  d'outrages  commis  envers  la  dame  de  Carrou- 
ges  :  la  cour  ne  trouvant  pas  les  preuves  suffisantes ,  or- 
doiina  qu'un  combat  à  outrance  aurait  lieu ,  en  présence  de 
cette  dame ,  entre  son  mari  et  l'accusé,  et  que ,  si  le  sieur 
de Carrouges était  vaincu,  sa  femme,  comme  accusatrice, 
subirait  la  peine  réservée  aux  calomniateurs. 

Au  jour  fixé  pour  le  combat ,  les  lices  furent  dressées  à 
Paris,  auprès  de  Saint-Martin-des-Champs.  La  dame  de 
Carrouges  y  fut  conduite ,  dans  un  char  de  deuil ,  couverte 
de  vêtemens  noirs.  Son  mari  s'approcha  d'elle,  et  lui  dit  ; 
«  Dame,  par  votre  information  et  sur  votre  querelle,  je  vais 
«  aventurer  ma  vie  et  combattre  Jacques  Legris.  Vous 
«  savez  si  ma  cause  est  juste  et  loyale.  »  —  «  Monseigneur 
«  dit  la  dame ,  il  est  ainsi  j  et  vous  combattez  tout  sûrement, 
«  car  la  cause  est  bonne.  »  Carrouges  embrassa  son  épouse, 
se  signa,  et  quoiqu'il  fill  alors  tourmenté  par  la  fièvre,  il  se 
disposa  au  combat.  Les  deux  champions  luttèrent  d'abord 
à  cheval  avec  un  égal  avantage  ;  puis  ils  mirent  pied  à  terre , 
et,  s'étant  avancés  l'un  contre  l'autre,  ils  engagèrent  en- 
sem!)le  une  attaque  des  plus  vives.  Legris  portaà  son  ad- 
versaire un  violent  coup  d'épée ,  qui  lui  fit  à  la  cuisse  une 
grave  blessure.  On  se  figure  aisément  quelles  durent  être 
en  cet  instant  fatal,  les  transes  cruelles  de  la  dame  de  Car- 
rouges ;  car  si  Legris  était  vainqueur,  son  mari  était  attaché 
à  la  potence,  et  elle  était  condamnée  au  feu.  Le  combat 
cependant  continua  avec  acharnement;  mais  l'infortuné 
Legris  ayant  eu  le  malheur  de  faire  un  faux  pas,  Carrou- 
ges en  profila  pour  se  précipiter  sur  lui  et  le  terrasser. 
Vainement  il  s'efforça  de  lui  faire  avouer  son  crime  :  il  né 
put  lui  arracher  que  des  protestations  d'innocence.  Usant 
alors  de  toute  la  rigueur  de  sa  victoire,  il  lui  passa  .son  épée 
au  travers  du  corps. 

Telle  fut  l'issue  de  ce  combat,  qui  ne  laissa  aucun  doute 
«ur  la  culpabditc  dti  vaincu.  Le  corps  de  ce  malheureux  fut 
abandonné  au  bourreau,  qui  le  pendit,  selon  Tusage   et  le 


jeta  ensuite  à  la  voirie.  Carrouges  fut  comblé  de  faveurs  et 
devint  chambellan  du  roi  :  de  plus,  le  parlement,  par  un 
arrêt  du  9  février  1387,  lui  adjugea  une  somme  de  6,000  li- 
vres sur  les  biens  de  son  adversaire. 

Quelques  années  s'étaient  écoulées;  l'opinion  publique 
était  bien  fixée  sur  cet  événement,  et  la  famille  de  Legris 
avait  perdu  à  la  fois  la  fortune  et  l'honneur.  Enfin  le  vérita- 
ble auteur  du  crime  fut  découvert  :  c'était  un  écuyer  qui 
avait  quelque  ressemblance  avec  Legris.  Carrouges  apprit 
celte  nouvelle  pendant  ([u'il  était  en  Afrique,  et  on  ne  le 
revit  plus.  Quant  à  sa  femme ,  en  proie  au  désespoir  et  dé- 
cidée à  racheter  par  la  pénitence  son  imprudente  accusa- 
lion,  elle  entra  dans  un  couvent  et  se  fit  religieuse. 

Ce  combat  ne  contribua  pas  peu  à  montrer  combien  une 
pareille  jurisprudence  était  absurde,  et  ce  fut  à-peu-près 
vers  celle  époque  (ainsi  que  nous  l'avons  dit  au  §  i"),  que 
cessa  en  France  la  coutume  des  duels  judiciaires. 

En  Angleterre,  cet  abus  a  subsisté  beaucoup  plus  long- 
temps. En  1571 ,  un  combat  judiciaire  fut  ordonné  sous 
l'inspection  des  juges  du  tribunal  des  plaids  communs;  mais- 
il  n'eut  pas  lieu,  parce  que  la  reine  Elisabeth,  interposant 
son  autorité  dans  cette  affaire,  ordonna  aux  parties  de  ter- 
miner à  l'amiable  leurs  différens.  Cependant,  afin  que  leur 
honneur  ûft  intact,  la  lice  fut  fixée  et  cuverie ,  et  l'on  ob- 
serva avec  beaucoup  de  cérémonie  toutes  les  formalités 
préliminaires  d'un  combat.  En  1651,  un  due!  judiciaire  fut 
pareillement  ordonné,  sons  l'autorité  du  grand  connétable 
et  du  grand  maréchal  d'Angleterre,  entre  Don.ild  lord 
Réa  et  David  Puunsay;  mais  celle  querelle  se  leimina, 
comme  l'autre,  sans  effusion  de  sang,  grâce  à  la  médiation 
de  Charles  P^ 

Au  moyen-âge,  il  existait  encore  d'autres  moyens  de 
rendre  la  justice,  non  moins  ridicules  que  les  combats  : 
c'étaient  les  épreuves  judiciaires,  qu'on  appelait  de  même 
jtigemens  de  Dieu.  Il  nous  reste  à  en  dire  quelques  mots. 

L'épreuve,  ou  le  jugement  de  Dieu  par  l'eau  froide, 
consistait  à  jeter  celui  qui  était  accusé  li'un  crime,  dans  une 
grande  et  profonde  cuve,  pleine  d'eau  ,  après  lui  avoir  lié 
la  main  droite  au  pied  gauche  et  la  main  gauche  au  pied 
droit  :  s'il  enfonçait,  il  était  déclaré  innocent;  s'il  surna- 
geait ,  c'était  une  preuve  que  l'eau ,  qu'on  avait  eu  la  pré- 
caution de  bénir,  le  rejetait  de  son  sein,  étant  trop  pure 
pour  y  recevoir  un  coupable. 

Celui  que  l'on  condamnait  à  l'épreuve  par  le  feu,  était 
obligé  de  porter  pendant  quelques  instans  une  barre  de  fer 
rouge,  pesant  environ  trois  livres.  Celle  épreuve  se  faisait 
aussi  en  mettant  la  main  dans  un  gantelet  de  fer  sortant 
d'une  fournaise,  ou  bien  en  la  plongeant  dans  un  vase 
plein  d'eau  bouillante,  pour  y  prendre  un  anneau  béni  : 
on  enveloppait  ensuite  la  main  du  patient  avec  un  linge , 
sur  lequel  le  juge  et  la  partie  adverse  apposaient  leurs 
sceaux.  Au  bout  de  trois  jours ,  l'appareil  était  levé ,  et  s'il 
n'apparaissait  pas  de  marque  de  brûlure,  l'accusé  était 
renvoyé  absous  (1). 

(i)  L'cprpiive  par  le  feu  était  en  usage  aussi  chez  ks  païens  . 
Dans  YAnligone  de  Sophocle,  des  gardes  ollVint  de  prouver  leur 
iniuxeucc  en  maniaDt  le  fer  chaud,  et  eu  niaiciiaiit  à  travers  ii's 
flamme».  Du  reste  il  parait  qu'on  connais>ait  le  moyen  de  se  pré- 
serve." des  brûlures  ,  car  Stiabon  parle  des  prêtresses  de  Diane, 
qui  marcbaient  sans  se  brûler,  sur  dis  cbaibuns  aidons  ;  et  saint 
Epipliane  rapporte  que  des  prêtres  d'Egypte  se  frottaient  le  visage 
avec  certaines  drogues,  elle  plongeaient  ensuite  dans  des  chau- 
dières d'eau  bouillante,  sans  paraît) e  ressentir  la  moindre  douleur. 

Nos  charlatans  modernes  ne  sont  pas  moins  adroits  que  ceux  de 
l'antiquité.  Madame  de  Sévigné  cite,  dans  une  de  ses  lettres,  un 
homme  qui  se  versait  sur  la  langue  de  la  cii  e  d  Espagne  onfliim- 
mée  ;  et  Saintc-Foix  dit  que  de  sou  temps  on  a  vu,  dans  les  j)ro- 
vinces,  un  honnne  qui  se  frottait  les  mains  avec  du  plomb  fondu. 
Il  n'est  personne  de  nous  qui  n'ait  assisté  au  moins  une  fois  à  quel- 
que scène  semblable  de  charlatanisme.  Tout  le  monde  se  ra])pelle 
l'homme  incomhtisiilile ,  qui  se  montrait,  il  y  a  quilques  années, 
à  Paris ,  et  qui  malgré  l'épithèle  attachée  à  sou  nom ,  fut  rôti  dans 
uu  four,  par  la  maladresse  de  son  compère. 


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Quand  deux  lioinmes  s'accusaient  inulucllement,  on  les 
soumettait  quelquefois  à  l'épreuve  de  la  noix,  ce  qui  se 
faisait  ainsi.  On  les  plaçait  vis-à-vis  l'un  de  l'autre,  et 
chacun  d'eux  devait  étendre  les  bras  horizontalement. 
Celui  qui,  fatij^ué  le  premier,  laissait  retomber  ses  bras, 
perdait  son  procès'. 

En  Allemagne  ,  l'épreuve  par  le  cercueil  fut  long-temps 
en  usage.  Lorstiu'un  assassin,  malgré  les  informations, 
restait  inconnu ,  on  dépouillait  eniièrement  le  corps  de 
l'assassine,  on  le  mettait  sur  un  cercueil,  et  tous  ceux  qui 
étaient  soupçonnés  d'avoir  en  pari  à  l'assassinat ,  étaient 
obligés  de  le  toucher.  Si  l'on  remarquait  quelque  mouve- 
ment, quelque  cJiangement  dans  les  yeux,  la  bouche,  les 
mains  ou  les  pieds ,  ou  bien  si  la  plaie  venait  à  saigner, 
celui  qui  le  touchait  au  même  instant  était  regardé  comme 
le  vrai  coupable. 

Pour  terminer  la  série  de  toutes  ces  extravagances  et 
faire  diversion  aux  horreurs  que  ces  temps  d'ignorance  nous 
rappellent,  nous  citerons  un  usage  analogue,  mais  furt 
plaisant ,  que  les  voyageurs  attribuent  aux  Siamois.  Pour 
coimaitre  de  quel  côté  est  le  bon  droit  dans  les  affaires  ci- 
viles ou  criminelles,  ils  se  servent  de  pilules  purgatives, 
qu'ils  font  avaler  aux  deux  parties;  celle  qui  les  garde  le 
[)lus  long-temps  dans  son  estomac ,  o|)lient  gain  de  cause. 


DE  LA  MANIERE  DE  VOYAGER  EN  ESPAGNE. 
Les  voilures  dont  on  se  sert  en  Espagne  sont  de  quatre 
espèces;  k's volantes  ou  calechines,  les  calechas,  et  les  co- 
ches de  culleras,  toutes  assez  incommodes ,  mais,  en  géné- 
ral, fort  solides,  et  enfin  les  diligences  établies  récemment 
sur  quehpies  roules.  Les  volantes  ou  calechines  sont  de  pe- 
tits cabriolets  portés  sur  deux  roues,  feruiés  sur  le  devant 
par  des  rideaux  de  cuir,  avec  un  siège  à  deux  places,  mais 
un  peu  serrées  ;  ils  sont  traînés  par  une  mule  ou  par  un 
cheval ,  et  conduits  par  un  volantero  ou  conducteur  qui  va 
tantôt  à  pied,  à  côté  de  sa  bète,  tantôt  s'asseoit  sur  une  des 
barres  du  brancard. 

Ces  voitures  sont  suspendues  par  des  courroies  extrême- 
ment courtes  et  rakks ,  de  sorte  qu'  elles  sui\  eut  tous  les 
mouvemens  des  roues  et  du  brancard ,  et  qu'on  y  est  dure- 
ment et  continuellement  secoué  ;  elles  sont  ouvertes  à  tous 
les  vents;  les  cuirs  destinés  à  les  fermer  ne  joignent  jamais; 
on  y  est  exposé  au  vent,  à  la  pluie,  au  soleil,  à  la  poussière. 
Les  calechas  sont  également  des  espèces  de  cabriolets , 
delà  même  forme  et  de  la  môme  construction  que  les  vo- 
lante -,  avec  les(iuelles  on  les  confond  presquet  oujours ,  mais 
elles  sont  plus  larges  et  plus  ftrofondes. 

Les  coches  de  culleras  sont  des  carrosses  à  quatre  places, 
construits  avec  plus  de  solidité  que  d'élégance ,  assez  bien 
V  fermés ,  mieux  suspendus,  où  l'on  est  à  son  aise  et  beaucoup 
plus  commodément;  ils  sont  attelés  de  six  mules,  rangées 
•ie  deux  en  deux ,  et  attachées  entre  elles  et  au  limon  par 
de  simples  cordes ,  qui  sont  assez  longues  pour  laisser  une 
distance  considérable  d'une  mule  à  l'autre;  c'est  ce  qu'on 
appelle  un  tiro.  Ces  voitures  sont  conduites  par  deux  con- 
ducteurs, dont  le  chef  s'appelle  mayoral,  et  l'autre  zayal 
on  TOO-o;  le  premier  en  est  comme  le  cocher,  et  le  dernier 
le  postillon;  aucun  d'eux  ne  monte  jamais  à  cheval.  Elles 
portent  des  charges  très  considérables  sur  le  derrière  et  sur 
le  devant. 

L'allure  des  coches  de  culleras  est  assez  singulière,  amu- 
sante même ,  et  quelquefois  effrayante,  mais  toujours  sans 
danger. 

On  ne  peut  voir  tranquillement  des  mules  sans  frein , 
sans  guides,  retenues  seulement  par  des  traits  d'une  lon- 
gueur étonnante ,  qui  leur  permettent  de  s'éloigner,  de 
se  rapprocher,  d'errer  à  l'aventure,  parcourir  des  routes 
souvent  tortueuses,  inégales,  raboteuses,  quelquefois  es- 
carpées, quelquefois  encore  peu  frayées;  on  les  croit  à  tout 
moment  prêtes  à  renverser  la  voiture ,  à  l'entraîner  sur  des 
montées  scabreuses,  à  la  jeter  dans  des  précipices  pro- 


fonds; mais  on  est  bientôt  rassuré  par  la  vigilance,  par  l'a- 
dresse active  et  piomptc  des  conducteurs,  par  la  docilité 
des  animaux  (pii  la  tirent;  ceux-ci  n'ont  u'autre  frein , 
d'autre  guide,  d'auire  éperon  que  la  voix  de  ceux-là;  ils  la 
connaissent,  ils  en  comprennent  les  diverses  inilexions  et 
l'inlenlion  <jui  les  dirige;  ils  y  obéissent  avec  une  prompti- 
tude étonnante  :  un  cri  du  mayoral  suffit  pour  les  contenir 
et  les  diriger;  sa  voix  les  anhne,  les  presse,  accélère  ou  ra- 
lentit leur  course,  les  fait  tourner  à  droite  et  à  gauche,  les 
éloigne  ou  les  rapproche',  les  arrête  sur-le-champ.  Une  ' 
mule  s'écarte- 1- elle,  accélère- 1- elle  ou  ralentit-elle  .sa 
course,  le  mayoral  l'appelle  par  son  nom,  qui  est  ordinai-  '. 
remenl  celui  d'un  grade  militaire,  h  generala.h  capitana, 
la  commissaria  :  il  lui  indicjue  dans  son  langage  ce  qu'elle 
doit  faire;  le  docile  animal  l'entend,  le  comprend,  lui  obéit. 
Il  les  anime  aussi  et  les  redresse  quelquefois  en  jetant  sur 
celles  qui  s'écartent  des  petits  cailloux,  qui,  sans  les  bles- 
ser, leur  donnent  un  avertissement  qu'elles  comprennent. 
Le  maijoral  ou  conducteur  et  le  zagal  sont  en  sentinelle 
sur  le  devant  du  brancard,  qui  leur  sert  de  siège;  à  la 
moindre  apparei'.ce  de  danger,  le  zagal  s'élance  avec  une 
activité  incroy.ible,  il  marche  à  côté  des  mules,  il  les  suit 
à  la  course;  i!  les  anime  de  la  voix;  il  s'attache  aux  traits 
qui  les  contiennent,  et  qu'il  dirige  quelquefois,  s'il  peut  y 
avoir  du  danger,  surtout  dans  les  endroits  difficiles;  il  se 
met  à  leur  tôle,  il  se  place  entre  les  deux  premières  mules, 
il  les  conduit  avec  intelligence;  il  retourne  ensuite  à  son 
l)Osle  jusiiu'à  ce  qu'un  nouveau  danger  l'oblige  à  recommen- 
cer la  niènie  manœuvre. 

On  voyage  aussi  en  Espagne  avec  sa  voiture;  mais  alors 
i!  en  coûte  ordinairement  le  double  au  moins,  le  triple  quel- 
quefois. 

Si  l'on  ne  veut  prendre  ni  la  poste  ni  des  voitures  de 
louage,  on  peut  aller  à  cheval  (a  caballo),  comme  disent  les 
Espagnols,  même  quand  ils  vont  sur  des  nudels;  alors  on 
loue  un  mulet  avec  son  conducteur  (moso  rfc  fSj)i<e//a.9, 
c'est-à-dire  garçon  d'épenns),  et  l'on  fait  la  journée  ordi- 
naire de  huit  à  neuf  lieues  assez  prouiplenu'ni,  attendu  que 
les  conducteurs,  (|ui,  en  môme  teitips,  font  l'oflice  dedouics- 
ticpies,  sont  ordinairement  de  très  bons  piétons.  Le  conduc- 
teur dont  nous  parlons  est  ordinairement  un  compagnon  de 
voyage  fidèle  et  serviable,  (pu  connaît  parfaitement  les  rou- 
tes [sour  h  s  avoir  parcourues  bien  des  fois;  c'est  lui  qui  se 
charge  d'arranger  le  dîner  p  ur  son  maître,  et  qin,  par  ses 
relations  dans  les  auberges,  et  la  connaissance  qu'il  a  des 
prix ,  réduit  les  comi:tes  à  un  taux  juste  et  raisonnable. 
Rien  n'est  plus  agrcable  (pie  de  parcourir  ainsi  à  cheval 
cette  belle  terre  d'Espagne;  toutes  les  routes  sont  embau- 
mées de  l'odeur  des  plantes  aromatiques;  l'aspect  du  pays 
varie  sans  cesse  au  milieu  des  montagnes  ([ue  l'on  traverse, 
et  d'où  l'on  découvre  lant(Hune  vue  étendue,  lanlôt  un  site 
sauvage  et  yiitloresque. 

Oivne  s'aperçoit  d'aucun  mauvais  chemin  à  cheval ,  et 
en  s' écartant  de  la  roule,  on  trouve  différentes  provisions 
à  acheter  en  chemin,  principalement  du  gibier.  On  couche 
la  plupart  du  temps  sur  des  paillasses,  mais  on  les  recouvre 
avec  les  couverlures  de  laine  que  l'on  porte  sur  la  selle  de 
son  cheval ,  et  l'on  s'enveloppe  dans  son  manteau  ;  une  fois 
l'habitude  prise,  on  dort  aussi  bien  de  la  sorte  que  dans  le 
meilleur  lit,  et  on  est  prêta  partir  au  point  du  jour  pour 
respirer  l'air  excellent  du  malin.  On  passe  à  sa  toilette  le 
moment  de  la  chaleur,  au  lieu  où  l'on  s'arrête  pour  dîner, 
et  l'on  achève  sa  nuit  par  une  heure  de  sieste ,  après  le  dî- 
ner, avant  de  se  remettre  en  route  le  soir.  Cette  vie  er- 
rante et  libre  dans  un  pays  où  la  nature  est  belle ,  et  où  les 
monumens  sont  curieux,  a  plus  de  charmes  qu'on  ne  pense. 
Les  personnes  à  qui  toutes  ces  manières  sembleraient  en- 
core trop  coûteuses,  peuvent  voyager  avec  des  charretiers 
{arrieros)  ;  ceux-ci  ont  ou  des  mulets  seulement  ou  des  voi- 
tures. ^ 

Cette  dernière  manière  de  voyager  est  celle  (pii  convient 
à  des  minéralosistes  et  à  des  botanistes.  D'abord  les  jour- 


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nées  sont  courtes  et  lentes ,  et  puis  les  arrieros  passent  par 
les  plus  hautes  montagnes,  où  les  sa  vans  peuvent  faire  le 
plus  de  recherches.  On  a  encore  l'avantage  de  voyager  sou- 
vent en  grande  compagnie  :  il  n'est  pas  rare  de  voir  aller 
ensemble  jusqu'à  trente  mulets;  on  peut  donc,  si  l'on  veut, 
rester  en  arrière  sans  danger  de  s'égarer.  D'ailleurs ,  celte 
manière  n a  rien  d'humiliant;  c'est  celle  des  ecclésiasli- 
ques,  des  négocians  et  des  hommes  comme  il  faut  de  tous 
les  états. 

La  manière  de  voyager  sur  des  horicos  ou  sur  des  ânes 
est  excessivement  incommode  ;  un  bât  grossier  et  chance- 
lant, souvent  un  animal  rétif ,  sans  bride  ni  frein,  conduit 
avec  une  gaule,  et  qui,  à  chacjue  coup  qu'on  lui  donne,  fait 
des  ruades,  des  gambades  de  côté  et  d'autre,  et  vous  oc- 
cupe sans  cesse  de  lui,  voilà  ce  dont  il  faut  s'accommoder. 

Voyager  seul  et  à  pied  en  Espagne,  ce  serait  s'exposer  à 
beaucoup  d'inconvéniens.  Aussi  rencontre-t-on  pende  voya- 
geurs à  pied  dans  ce  pays,  excepté  dans  l'intervalle  de  deux 
villages  très  proches  l'un  de  l'autre;  des  pèlerins,  des  sol- 
dats, des  moines,  des  mendians,  en  un  mot,  tous  ceux  qui 
ailleurs  voyagent  à  pied-,  vont  ici  presque  toujours  en  com- 
pagnie d'un  arriéra  ou  de  (luelque  voilure.  Un  piélon  qui 
arriverait  seul  courrait  risque  de  ne  pas  être  reçu  dans  les 
auberges.  Si  vous  ajoutez  à  cela  les  grandes  distances  entre 
les  différentes  villes,  et  le  peu  de  sûreté  des  rout^  incon- 
vénient qui  n'est  pas  exagéré ,  on  croira  sans  peine  que  les 
voyages  à  pied  ne  sont  pas ,  en  Espagne ,  aussi  praticables 
ni  aussi  communs  qu'en  France  ou  en  Allemagne. 


LES  HARENGS, 

LEURS  CARACTÈRES  EXTÉRIEURS,  ET  LEUR  PRÉPARATION. 

Le  hareng  est  une  de  ces  productions  naturelles  dont 
l'emploi  décide  de  la  destinée  des  empires.  La  graine  du 
cafeyer,  la  feuille  du  Ihé,  les  épices  de  la  zone  lorride,  le 
ver  qui  fde  la  soie ,  ont  moins  influé  sur  les  richesses  des 
nations ,  que  le  hareng  de  l'Océan  atlantique.  Le  luxe  ou  le 
caprice  demande  les  premiers  :  le  besoin  réclame  le  hareng. 
Le  Batave  en  a  porté  la  pêche  au  plus  haut  degré.  Ce  peu- 
ple ,  qui  avait  été  forcé  de  créer  un  asile  pour  sa  liberté , 
n'aurait  trouvé  que  de  faibles  ressources  sur  son  territoire 
factice  :  mais  la  mer  lui  a  ouvert  ses  trésors  ;  elle  est  deve- 
nue pour  lui  un  champ  fertile ,  où  des  myriades  de  harengs 
ont  présenté  à  son  activité  courageuse  une  moisson  abon- 
dante et  assurée.  Il  a,  chaque  année,  fait  partir  des  flultes 
nombreuses  pour  aller  la  cueillir.  Il  a  vu  dans  la  pèclie  du 
hareng  la  plus  importante  des  expéditions  maritimes  ;  il  l'a 
surnommée  la  grande  pêche  ;  il  l'a  regardée  comme  ses 
mines  d'or. 


Le  Hareng.) 

On  sait  que  le  hareng  a  la  tète  petite  ;  l'œil  grand  ;  l'ou- 
verture de  la  bouche  courte;  la  langue  pointue  et  garnie 
de  dents  déliées;  le  dos  épais;  la  ligne  latérale  à  peine  visi- 
ble^ la  partie  supérieure  noirâtre;  l'opuscule  distingué  par 
une  tache  rouge  ou  violette  ;  les  côtés  argentins;  les  nageoi- 
res grises. 

Son  ouverture  branchiale  est  très-grande  ;  il  n'est  donc 
pas  surprenant  qu'il  ne  puisse  pas  la  fermer  facilement 
quand  il  est  hors  de  l'eau,  et  qu'il  périsse  bientôt  par  une 
suite  du  dessèchement  de  ses  branchies. 

Il  a  une  caudale  très-haute  et  très-longue;  il  a  reçu  par 
conséquent  une  large  rame»;  et  voilà  pourquoi  il  nage  avec 
fojce  et  vites.se. 


Sa  chair  est  imprégnée  d'une  sorte  de  graisse  qui  lui 
donne  un  goût  très  agréable ,  et  qui  la  rend  aussi  plus 
propre  à  répandre  dans  l'ombre  une  lueur  phosphorique. 
La  nourriture  à  laquelle  il  doit  ces  qualités ,  consiste  com- 
munément en  œufs  de  poisson ,  en  petits  crabes  et  en  vers. 
Les  habitansdes  rivages  de  la  Norwége  ont  souvent  trouvé 
ses  intestins  remplis  de  vers  rouges ,  qu'ils  nonunent  roë- 
uat.  Cette  sorte  (i'âliment  contenu  dans  le  canal  intestinal 
des  harengs,  fait  qu'ils  se  corrompent  beaucoup  plus  vile,  si 
l'on  tarde  à  les  saler  après  les  avoir  péchés  :  aussi,  lors- 
qu'on croit  que  ces  poissons  ont  avalé  de  ces  vers  rouges , 
les  laisse-t-on  dans  l'eau  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  achevé  de 
les  digérer. 

Ces  poissons  ne  forment  pour  tant  de  peuples  une  bran- 
che inunense  de  commerce ,  que  depuis  le  temps  où  l'on  a 
employé,  pour  les  préserver  de  la  corruption  ,  les  différen- 
tes préparations  que  l'on  a  successivement  inventées  et  per- 
fectionnées. Avant  la  lin  du  qualorzicme  siècle,  époque  à 
laquelle  Guillaume  Deukelzoon ,  ce  pêcheur  célèbre  de 
Biervliet  dans  la  Flandre  ,  trouva  l'art  de  saler  les  harc  ngs , 
ces  animaux  devaient  être  et  étaient  en  effet  moins  recher- 
chés. 

On  prépare  les  harengs  de  différentes  manières ,  dont 
les  détails  varient  un  peu ,  suivant  les  contrées  où  on  les 
emploie,  et  dont  les  résultais  sont  plus  ou  moins  agréables 
au  goût  et  avantageux  au  commerce,  selon  la  nature  de 
ces  détails,  connue  aussi  selon  les  soins,  l'attention  et 
rex[>érience  des  préparateurs. 

On  sale  en  pleine  mer  les  harengs  que  l'on  trouve  les 
plus  gras  et  que  l'on  croit  les  plus  succulens.  On  les  nomme 
hareiHjs  nouveaux  ou  harengs  verts ,  lorsqu'ils  sont  le  pro- 
duit de  la  pêche  du  printemps  ou  de  l'été;  et  harengs  pecs 
ou  pehels  lorsqu'ils  ont  été  pris  pendant  l'automne  ou  l'hi- 
ver. Communément  ils  sont  fermes,  de  bon  goût,  très 
sains,  surtout  ceux  du  printemps  :  on  les  mange  sans  les 
faire  cuire,  et  sans  en  relever  la  saveur  par  aucun  assai- 
sonnement. En  Islande  et  dans  le  Groenland  on  se  con- 
tente ,  pour  faire  sécher  les  harengs ,  de  les  exposer  à  l'air, 
et  de  les  étendre  sur  des  rochers.  Dans  d'autres  contrées , 
on  les  fume  ou  saxire  de  deux  manières  :  premièrement, 
en  les  salant  très -peu ,  en  ne  les  exposant  à  la  fumée  que 
pendant  peu  de  temps,  et  en  ne  leur  donnant  ainsi  qu'une 
couleur  dorée  ;  et  secondement,  en  les  salant  beaucoup  plus, 
en  les  mettant  pendant  un  jour  dans  une  saumure  épaisse, 
en  les  enlîlant  par  la  tête  à  de  menues  branches  qu'on 
appelle  aines,  en  les  suspendant  dans  des  espèces  de  che- 
minées que  l'on  nomme  roxissahles,  en  faisant  au-dessous 
de  ces  animaux  un  feu  de  bois  qu'on  ménage  de  manière 
qu'il  donne  beaucoup  de  fumée  el  peu  de  flamme ,  en  les 
laissant  long-temps  dans  la  roussable ,  en  changeant  ainsi 
leur  couleur  en  une  teinte  très-foncée ,  et  en  les  mettant 
ensuite  dans  des  tonnes  ou  dans  de  la  paille. 

Comme  on  choisit  ordinairement  des  harengs  très-gras 
pour  ce  saiirage,  on  les  voit,  au  milieu  de  l'opération, 
répandre  une  lumière  phosphorique  très-brillante,  pendant 
que  la  substance  huileuse  dont  ils  sont  pénétrés  s'échappe, 
tomlie  en  gouttes  lumineuses ,  et  imite  une  pluie  de  feu. 
Enfin ,  fa  préparation  qui  procure  particulièrement  au 
commerce  d'immenses  bénéfices,  est  celle  qui  fait  donner 
le  nom  de  harengs  blancs  aux  harengs  pour  lesquels  on 
l'a  employée. 

Dès  que  les  harengs ,  dont  on  veut  faire  des  harengs 
blancs  ,  sont  hors  de  la  mer,  on  les  ouvre,  on  en  ôte  les 
intestins ,  on  les  met  dans  une  saumure  assez  chargée  pour 
que  ces  poissons  y  surnagent;  on  les  en  tire  au  bout  de 
quinze  ou  dix-huit  heures;  on  les  met  dans  des  tonnes;  on 
les  transporte  à  terre  ;  on  les  place  par  lits  dans  les  caques 
ou  tonnes  qui  doivent  les  conserver,  et  on  sépare  ces  lits 
par  des  couches  de  sel. 

La  gravure  qui  accompagne  cet  article  représente  une 
famille  de  pêcheurs  occupée  à  la  préparation  des  harengs 
dans  un  bâtimeut  spécialement  destiné  à  cet  usajje.  —  Ap- 


MAGASIN  UNIVEUSEL. 


tt 


(  Prcparalion  des  harengs.) 


poilcs  dans  des  hoUes  et  déposes  en  las  sur  le  sol,  ces  pois- 
sons sont  fêtés  dans  nne  an!,'e  où  ils  s'imprègnent  de  san- 
mnre  ;  puis  ils  sont  disposés  en  longues  piles ,  en  les  plaçant 
par  Iraiichos  hoiizonlales  séparées  par  des  couches  de  sel. 
Et  enfin  ils  sont  pressés  dans  les  tonnes  au  moyen  de  leviers 
chargés  de  poids. 

On  a  soin  de  choisir  du  bois  de  chêne  pour  les  tonnes  ou 
caques ,  et  de  bien  en  réunir  toutes  les  parties ,  de  peur 
que  la  saumure  ne  se  perde  et  que  les  harengs  ne  se  gâtent. 

Cependant  Block  assure  que  les  Norvvégiens  se  servent 
de  bois  de  sapin  pour  faire  ces  tonnes ,  et  que  le  goxit  com- 
muniqué par  ce  bois  aux  harengs  fait  rechercher  davantage 
ces  poissons  dans  certaines  parties  de  la  Pologne. 

Lorsque  la  pêche  des  harengs  a  été  très-abondante  en 
Suède ,  et  que  le  prix  de  ces  poissons  y  baisse ,  on  en  ex- 
trait de  l'huile  dont  le  volume  s'élève  ordinairement  an 
vingt-deux  ou  vingt-troisième  de  celui  des  individus  qui 
l'ont  fournie.  On  relire  celle  huile ,  en  faisant  bouillir  les 
harengs  dans  de  grandes  chaudières  ;  on  la  purifie  avec 
soin  ;  on  s'en  sert  pour  les  lampes  ;  et  le  résidu  de  l'opéra- 
tion est  un  des  engrais  les  plus  propres  à  augmenter  15  fer- 
tilité des  terres. 

{La  suite  à  un  prochain  numéro.) 


ORIGINE 

DES   MUNICIPALITÉS  OU   COMMUNES    BT    DES   ASSEMBLÉES 
NATIONALES   EN    FRANCE. 

Après  la  soumission  des  Gaules ,  de  la  Bretagne  et  de  la 
Péninsule  hispanique,  Rome  organisa  d'une  manière  uni- 
forme le  gouvernement  des  provinces  occidentales  de  l'em- 
pire. Les  grands  proconsulals  d' Espagne  et  des  Gaules 
étaient  divisés  en  cités,  civitates,  qui  se  composaient  non- 
seulement  de  la  ville,  clief-lieu ,  où  siégeait  l'autorité  muni- 
cipale, et  qui  donnait  son  nom  au  district,  mais  encore  des 
cantons,  payi,  qui  en  dépendaient.  A  chaque  cité  était  at- 


taché un  commissaire  impérial  sous  le  titre  de  comte,  comes^ 
obéissant  au  proconsul  de  la  province  entière,  qui  lui- 
môme  recevait  les  ordres  du  préfet  du  prétoire,   fonction- 
naire chargé  de  recevoir  les  tributs  des  provinces  romaines, 
et  de  transmettre  aux  proconsuls  les  prescriptions  du  gou- 
vernement central.  Ainsi  constituées,  les  cités  formaient  de 
véritables  petits  états ,  dont  chacun  avait  son  gouvernement 
propre,  indépendant,  quoique  soumis  à  une  sorte  de  sur- 
veillance ,  et  distinct  de  celui  des  autres ,  quoique  sembla- 
ble dans  la  forme.  Le  gouvernement  de  la  cité  était  confié 
à  un  sénat  dont  les  places  étaient  héréditaires,  et  à  une  as- 
semblée municipale  nommée  curie ,  dont  les  places  étaient 
données  à  l'élection.  Les  citoyens  {cives),  c'est-à-dire  les 
habitans  libres  de  la  cité,  formaient  trois  ordres  ou  catégo- 
ries :  4°  les  patriciens  ou  membres  des  familles  sénatoria- 
les ;  2°  les  boux-geois  ou  propriétaires  de  biens-fonds  ou  d'im- 
meubles dans  le  territoire  qui  dépendait  de  la  cité  ;  ils  étaient 
partagés  en  dècuries,  et,  sous  le  nom  de  curiaïes,  élisaient 
dans  les  assemblées  publiques  leurs  dècurions  ou  officiers 
municipaux;  5°  les  artisans  ou  citoyens  exerçant  une  pro- 
fession manuelle  ou  mercantile.  Ce  troisième  ordre  portait 
la  dénomination  de  coUegia  opificum ,  parce  que  chaque 
état  formait  une  corporation  (co/Ze^/ium).  Le  sénat  et  la  cu- 
rie gouvernaient  ensemble  la  cité  ;  mais  les  décurions  seuls 
avaient  le  droit  d'exiculer  les  réglemens  municipaux;  ces 
officiers  étaient  chargés  en  outre  du  recouvrement  des  im- 
pôls,  de  la  levée  des  troupes,  et,  en  général ,  de  toutes  les 
affaires  de  la  cité. 

Rome  ne  s'était  réservé  sur  les  provinces  de  l'empire 
qu'une  espèce  de  suzeraineté,  dont  les  droits  se  résumaient 
dans  la  perception  du  cens  ou  tribut  de  vassalité  :  le  cens 
se  composait  de  deux  sortes  d'impôts ,  l'impôt  de  juçjèraiion 
ou  terrilorial,  qui  frappait  toute  espèce  de  propriété ,  et 
l'imiiôt  personnel  ou  capilation  ,  qui  pesait  sur  tous  les  in- 
dividus. Aces  contributions,  ajoutez  les  douanes,  les  péa- 
ges ,  et  quelques  corvées  ordonnées  pour  le  service  de  l'em- 
pire ,  comme  les  transports  de  denrées  ou  de  troupes.  C'é- 


4G 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


•taient  là  les  seules  obligations  auxquelles  les  cités  fussent 
assujéties  envers  Romej  elles  étaient  du  reste  indépen- 
dantes ,  et  se  gouvernaient  librement  dans  leur  inlérieur  : 
elles  avaient  leurs  revenus  parlicidiers,  provenant  soit  des 
octrois  qu'elles  s'imposaient  avec  l'autorisation  de  l'empe- 
reur, soit  du  produit  des  propriétés  communales.  Elles 
avaient  aussi  des  milices  réglées  et  permanentes.  Quelquefois 
les  cités  s'assemblaient  en  états  généraux  où  leurs  députés 
délibéreraient  sur  les  intérêts  co  mmuns  du  pays.  Adrien , 
en  l'an  423,  prit  ce  moyen  de  les  consulter.  Un  de  leurs 
droits  les  plus  importuns,  et  dont  elles  firent  souvent  usage, 
était  celui  de  citer  à  Rome  les  gouverneurs  qui  se  rendaient 
coiipîibles  d'exactions.  Le  sénat,  devant  qui  l'affaire  était 
portée,  jugeait  le  proconsul  mis  en  accusation. 

Ce  fut  cette  municipalité,  d'origine  toute  romaine,  qui 
servit  de  m.dèle  aux  communes  espagnoles  ou  françaises 
qui  se  constituèrent  plus  tard,  bien  long -temps  après  la 
chute  de  l'empire  romain  ;  seulement  les  communes  espa- 
gnoles sont  encore  et  ont  toujours  été  la  représentation  fi- 
dèle et  complète  de  ce  type  primitif,  tandis  qu'il  n'en  est 
pas  de  même  des  municipalités  françaises  ,  qui  surgirent 
d'abord ,  comme  on  sait ,  sous  Louis  VI ,  et  se  développè- 
rent d'une  manière  si  puissante  sous  Philippe-Auguste  et , 
L«uis  XI.  En  Espagne,  on  lro!ive  encore,  en  effet,  des 
membres  de  le  commune  siégeant  par  droit  d^iérédité, 
comme  ceux  de  l'ancien  sénat ,  des  membres  siégeant  par 
droit  d'élection,  comme  ceux  de  l'ancienne  curie;  des  pro- 
cureurs syndics,  qui  remplacent  les  coinmissaires  impé- 
riaux; et,  pour  compléter  la  similitude,  au-dessus  de  ces 
municipalités,  des  capitaines  généraux,  qui  sont  de  vérita- 
bles proconsuls. 

Voici  maintenant  quelle  fut  l'origine  des  assemblées  na- 
tionales. 

Quand  les  peuplades  barbares  qui  envahirent  plus  tard 
l'empire  romain,  avaient  résolu  quelque  expédition  ou  con- 
quête, elles  choisissaient  un  chef  de  l'entreprise,  dnc  {dux), 
lequel  choisissait  à  son  tour  des  lieutenans  (comités ,  com- 
tes), guerriers  d'élite,  qui  poussaient  jusqu'au  fanatisme  le 
dévouement  à  sa  personne;  et  ces  hommes  d'action  se  lais- 
saient diriger  par  la  prudence  des  vieillards  (seniores,  sei- 
gneurs ,  senor,  signor.)  Lorsque  ces  barbares  s'établirent 
à  main  armée  dans  des  pays  conquis ,  le  chef  élu  se  trouva, 
parle  fait  de  l'émigration  générale,  commander  au  peuple 
entier  conquérant  et  conquis,  et  son  autorité  temporaire, 
se  prolongeant  par  la  durée  de  l'expédition,  dégénéra 
en  une  puissance  viagère.  Ses  lieutenans,  auxquels  il  put 
donner  des  provinces  en  recompense  de  leurs  services , 
devinrent  les  grands  vassaux  de  sa  couronne,  et  se  créè- 
rent des  arrière-vassaux  par  la  division  de  leurs  fiefs.  En- 
fin, le  conseil  des  vieillards,  qui  jusque-là  s'était  biirnc, 
faute  d'attributions  plus  importantes,  à  décider  les  affaires 
publiques  ou  à  calmer  les  querelles  privées,  devint,  par  suite 
de  la  conquête,  le  conseil  d'état  du  prince  et  l'assemblée 
législative  de  la  nation  nouvelle. 

Les  Francs,  maîtres  des  Gaules,  enrent  leurs  champs-de- 
tnars  sous  la  première  race ,  leurs  champs-de-mai  sous  la 
seconde,  qui  furent  les  uns  et  les  autres  des  assemblées  na- 
tionales, où  se  résolvaient  les  questions  d'intérêt  public,  où 
se  discutaient  et  se  rendaient  les  lois.  Ces  assemblées  n'eu- 
rent pas  du  reste  l'importance  des  assemblées  analogues 
qu'introduisit  en  Espagne  la  conquête  des  Goths.  Les  pre- 
mières ne  se  réunissaient  qu'à  une  certaine  époque  de  l'an- 
née, les  autres  en  toute  saison ,  comme  en  toute  circon- 
stance; les  unes  étaient  des  forums  en  plein  air,  où  l'on 
votait  par  acclamation  et  sans  discussion  ;  les  autres ,  au 
contraire,  un  sénat,  où  l'on  discutait  les  questions  avec  ma- 
turité. Nous  devons  même  remaniuer  que  les  unes  n'ont 
laissé  guère  que  d'incomplètes  traditions,  tandis  qne  les 
antres  ont  mis  au  jour  nn  corps  de  droit  public  qui  a  régi 
l'Espagne  pendant  plusieurs  siècles. 


yrtf- 


FRANCE. 

HAISONS  CENTRALES  DE  DÉTENTION, 

Il  y  a  en  Fiance  dix-neuf  maisons  centrales  de  détention  ; 
trois  d'entre  elles  se  trouvent  sur  le  territoire  de  l'ancienne 
Normandie,  à  Beaulieu,  près  de  Caen;  à  Gaillon ,  arron- 
dissement de  Louviers  ;  et  au  Mont-Sain t-Michel ,  dans  le 
voisinage  d'Avranches. 

La  maison  de  Beaulieu  fut  fondée  en  4160  ou  4101  par 
Henri  II ,  duc  de  Normandie,  pour  recevoir  les  malades  at- 
taqués de  la  lèpre  :  de  là  le  nom  de  maladrerie ,  ([u'elle  con- 
serve encore.  A  l'époque  de  la  révolution  de  4780 ,  elle 
servait  à  enfermer  des  condamnés,  des  personnes  détenues 
en  vertu  dé  lettres  de  cachets ,  celles  qui  étaient  an  êlécs 
pour  vagabondage,  et  les  aliénés  des  deux  sexes. 

La  maison  centrale  de  Gaillon,  instituée  par  décret  ou 
5  janvier  4842,  occupe  l'ancien  château  des  archevêques  de 
Rouen,  situé  sur  les  bords  de  la  Seine. 

Quant  à  la  maison  du  Mont-Saint-Michel ,  c'était  une  ab- 
baye fondée ,  au  commencement  du  VIII"  siècle ,  s:.r  le 
sommet  aplati  d'un  rocher,  qui  a  environ  trois  cjuarls  de 
lievie  de  circuit,  et  qui  s'élève  au  milieu  d'une  vaste  plage 
sablonneuse,  que  la  mer  dans  son  flux  couvre  entièrement. 
Le  château  fort  servait  autrefois  de  prison  d'état. 

Toutes  les  maisons  centrales  sont  achninistrées  suivant 
le  même  système,  sauf  quelques  modifications  nécessitées 
par  les  localités.  Ce  qui  dans  ces  maisons  doit  surtout  inté- 
resser les  amis  de  l'humanité,  c'est  le  régime  pénitentiaire» 
au  moyen  duquel  on  peut  espérer  de  corriger  les  individus 
que  la  société  outragée  a  repoussés  de  son  sein,  et  ([ui,  [our 
la  plupart,  sont  destinés  à  y  rentrer  après  un  inleivalle 
plus  ou  moins  long.  Tous  les  observateurs  éclaiics  qui  ont 
visité  la  maison  de  Beaulieu,  ont  admiré  l'ordre  et  la  pro- 
preté qui  y  régnent;  et  ils  ont  pu  se  faire  une  idée  du  ré- 
gime auquel  sont  soumis  les  détenus. 

Depuis  notre  première  révolution ,  un  grand  nombre  de 
publicistes,  de  philantropes,  et  le  gouvernement  lui-mêiuc 
ont  été  animés  du  désir  d'opérer  la  réforme  matérielle  des 
prisons,  et  d'établir  en  France  un  système  pénitentiaire. 

C'est  par  un  décret  de  l'empereur,  daté  de  Bayoune,  lois 
de  son  entrée  en  Espagne,  que  les  maisons  centrales  ftuenl 
instituées  ;  et  c'est  de  cette  époque  que  commence  la  ré- 
forme des  prisons. 

La  maison  centrale  de  Melun ,  qui ,  à  une  certaine  épo- 
que, avait  fait  le  plus  de  progrès  dans  son  organisation  )na- 
térielle  et  morale ,  étant  placée  près  de  Paris,  fut  visitée 
par  nn  grand  nombre  de  curieux  de  la  capitale  et  de  phi- 
lantropes de  tons  les  pays.  Les  idées  de  perfectionnement 
qu'ils  s'étaient  faites  sur  le  régime  pénitentiaire,  ne  se 
trouvant  pas  entièrement  réalisées  dans  ce  qu'ils  voyaient, 
ils  ne  tinn  nt  aucun  compte  des  améliorations  déjà  intro- 
duites, et,  an  lieu  d'en  indiquer  de  nouvelles  et  d'aider 
par  de  sages  conseils  à  perfectionner  le  système ,  ils  l'atta- 
quèrent et  l'entravèrent  dans  sa  marche. 

Po;u"  faire  ressortir  l'injustice  et  l'exagération  de  cescri- 
lif|ues  sur  le  régime  des  maisons  centrales,  il  suffira  d'en 
citer  une  seule.  A  la  botte  de  paille,  seul  coucher  qui  exis- 
tât dans  les  prisons,  on  a  substitué  un  lit  à  fond  sanglé,  un 
matelas  contenant  treize  livres  de  laine,  une  paire  de 
draps,  une  couverture  et  un  couvre-pieds;  mais,  comme 
ce  lit  n'était  qu'un  peu  plus  large  que  les  cadres  des  offi- 
ciers de  marine,  et  que  les  draps  étaient  cousus  jusqu'à  la 
poitrine,  de  prétendus  philantropes  l'ont  comparé  à  un  cer- 
cueil dans  lequel  on  enterrait  les  détenus  toutvivans,  après 
les  avoir  mis  toutefois  dans  un  sac  ou  linceul. 

Un  rapide  aperçu  de  l'une  des  maisons  centrales  de 
France,  celle  de  Beaulieu,  fera  juger  à  nés  lecteurs  des 
autres  améliorations  introduites  dans  notre  système  péni- 
tentiaire. Celte  maison  est  située  dans  une  position  des 
plus  salubres,  à  moins  d'un  quart  de  lieue  de  l'octroi  de  la 
ville  de  Caen,  sur  le  bord  de  la  roule  de  Bayeux. 
Une  moitié  des  bâtimens  de  cette  prison  est  destinée 


MAGASIN  UTNVERSEL. 


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aux  ateliers,  el  l'autre  aux  dortoirs;  les  rez-tle-ehaussce  ser- 
vent de  réfectoires.  Ainsi  les  prisonniers  n'habitent  pas  la 
nuit  les  mêincs  corps  de  bàtimens  qu'ils  ont  occupés  le 
jour;  ils  trouvent  le  soir  et  le  matin  des  salles  bien  aérées , 
où  règne  la  plus  grande  propreté,  el  qui  sont  exemptes  de 
tonte  mauvaise  odeur. 

Un  bâtiment  placé  entre  le  qnartier  des  hommes  et  celid 
des  femmes,  contient  trente-six  cellules  isolées,  divisées  cha- 
cune en  deux  petites  pièces ,  l'une  pour  le  coucher,  et  l'au- 
tre pour  le  travail.  Ces  cellules ,  sans  fers,  sans  inslruniens 
de  torture,  sont  le  seul  moyen  de  punition  qui  soit  mis  en 
usage. Les  détenus  qui  troublent  l'ordre  ou  qui  refusent  de 
travailler,  y  sont  renfermés  pendant  un  temps  plus  ou  moins 
long,  suivant  la  gravilé  de  leur  faute.  Les  hommes  endur- 
cis, que  rien  n'a  pu  réduire,  et  dont  l'exemple  serait  dan- 
gereux, y  sont  placés  dans  un  isolement  absolu,  à  l'excep- 
tion cependant  des  heures  des  repas,  qu'ils  prennent  avec 
les  autres  prisonniers. 

A  leur  entrée  dans  la  maison,  on  visite  les  condamnés 
pour  s'assurer  s'ils  ne  sont  point  atteints  de  maladies  con- 
tagieuses. On  leur  fait  prendre  un  bain;  si  les  hommes  ont 
les  cheveux  trop  lon;;s  ou  malpropres,  on  les  leur  coupe,  et 
on  leur  fait  prendre  l'uniforme  de  l'élabUssement ,  qui  est 
en  étoffe  de  laine  pour  l'hiver,  et  en  coutil  pour  l'été.  S'ils 
ont  une  profession,  et  qu'elle  fasse  partie  des  ind(is(ries  de 
la  maison,  on  la  leur  laisse  exercer;  s'ils  n'en  ont  pas  ,  on 
leur  accorde,  autant  que  possible,  la  Uberté  d'en  choisir 
une,  dont  ils  font  l'apprentissage. 

Il  est  rare  que  les  prisonniers,  quelque  récalcitrans  qu'ils 
soici\lj  ne  se  conforment  pas,  dès  les  premiers  jours  de 
leur  arrivée  dans  la  maison ,  à  l'ordre  qu'ils  y  trouvent  éta- 
bli. La  plus  courte  instruction  leur  suffit ,  et  la  conduite 
des  autres  prisonniers  leur  sert  d'exemple.  Ils  savent  qu'ils 
doivent  être  propres,  décens,  soumis  et  laborieux,  el  qu'à 
ces  conditions  ils  seront  traités  avec  douceur. 

L'habillement  est  parfaitement  entretenu.  La  nourriture, 
sans  être  abondante,  suffît  pour  l'entretien  d'une  bon  état 
de  santé. 

Les  prisonniers ,  ayant  droit  aux  deux  tiers  de  leur  sa- 
laire, dont  l'im  est  mis  en  réserve  pour  l'époque  de  leur 
sortie,  peuvent,  avec  celui  qui  leur  est  remis  cha(pie  se- 
maine, se  procurer  un  supplément  de  nourriture,  qu'ils 
paient  d'après  un  tarif  renouvelé  tous  les  huit  jours.  Mais, 
quand  ils  n'auraient  pas  cette  ressource ,  leurs  forces  n'en 
seraient  pas  diminuées. 

Il  n'est  vendu  à  la  cantine  aucune  liqueur  spiritueuse,  ni 
aucun  mets  propre  à  exciter  la  gourmandise,  et  à  donner 
des  goûts  qui  ne  peuvent  être  que  dangereux  pour  des 
houimes  destinés  à  vivre  du  fruit  de  leur  travail.  Chaque 
déienu  ne  peut  acheter  qu'un  htre  de  cidre  par  jour,  et  à 
l'heure  du  diner  seulement. 

Les  médecins  font  régulièrement  une  visite  tous  les  jours, 
et  davantage  si  le  besoin  l'exige.  Le  traitement  des  mala- 
des est,  sous  tous  les  rapports,  le  même  que  dans  les  hôpi- 
taux les  mieux  tenus. 

Après  le  lever  et  avant  le  coucher,  les  prisonniers  pren- 
nent une  demi-heure  de  récréation;  ils  ont  en  outre  une 
heure  de  repos  à  chaque  repas. 

En  entrant  dans  les  ateliers,  les  détenus  se  mettent  à  leur 
travail;  et,  dès  ce  moment,  toute  conversation  cesse.  Ce 
silence  n'est  pas  absolu  :  arrive-t-il  qu'un  détenu  ait  besoin 
du  secours  de  son  maître  ou  d'un  de  ses  camarades,  il  a  la 
permission  de  le  réclamer  ;  de  là  résulte  nécessairement  un 
échange  de  quelques  mots.  Cette  faculté  qui  leur  est  accor- 
dée, sans  occasioner  du  bruit  ou  du  désordre,  entretient 
chez  eux  des  rapports  de  bienveillance  et  d'égards  récipro- 
ques, qui  adoucissent  leurs  mœurs.  Dans  les  dortoirs  on 
n'entend  plus  un  mot  après  la  prière  du  soir;  c'est  le  mo- 
ment du  repos  et  du  sommeil,  après  une  longue  journée  de 
travail. 

Pour  soustraire,  autant  que  possible,  les  prisonniers  à  la 
mauvaiseinûuencedeleurs conversations,  on  a  créé,  dans 


les  préanx,  de  petits  jardins  qu'ils  cultivent  avec  beaucoup  de 
soin,  d'intelligence  et  d'intérêt  :  ces  jardins  sont  couverts 
de  tleurs  pendant  la  belle  saison.  Rien  n'est  plus  remar- 
quable que  le  respect  que  les  détenus  portent  réciproque- 
ment à  ces  petites  propriétés  :  pas  une  fleur  n'a  encore  été 
dérobée. 

C'est  à  l'heure  de  ces  promenades,  de  ces  momens  con- 
sacrés au  repos,  que  l'on  peut  distinguer  les  trois  classes 
de  prisonniers  qui  peuplent  les  maisons  de  détention.  Ils  se 
recherchent  presque  toujours  entre  eux;  et  voici  comment 
on  peut  les  classer  :  \°  les  hommes  profondément  dépra- 
vés, qui  se  sont  endurcis  dans  le  crime,  qui  en  font  mé- 
tier, et  qui  n'ont  d'autre  pensée  que  celle  d'en  commettre 
de  nouveaux.  Le  nombre  n'en  csl  que  trop  grand  à  cause 
de  le(n-  dépravation  ;  mais  il  excède  rarement  quinze  sur 
mille,  et  il  est  souvent  au-dessous  :  ceux-là  sont  incorrigi- 
bles. 2"  Ceux  à  qui  une  mauvaise  éducation  a  fait  contrac- 
ter, dès  l'enfance,  sous  les  yeux  de  leurs  parens,  et  peut- 
être  par  leur  influence ,  l'habitude  du  vol  et  de  la  paresse  : 
ils  ne  «ont  ni  méchansni  cruels,  ils  ne  commettraient  pas 
de  grands  crimes;  mais  ils  ne  peuvent  plus  s'accoutumer  à 
une  vie  laborieuse  et  sage.  Cette  classe  est  nombreuse  >  et 
présente  peu  de  conversions.  La  troisième  classe  se  com- 
pose des  hommes  que  de  mauvaises  compagnies,  des  cir- 
constances fortuites,  le  besoin,  des  malheurs  imprévus,  ont 
entraînés  dans  le  crime  :  dans  les  maisons  de  détention,  ils 
deviennent  laborieux,  et  dans  la  société  ils  prennent  sou- 
vent place  à  côlé  des  ouvriers  les  plus  estimés. 

Un  avantage  immense ,  sous  le  rapport  financier,  résul- 
tera bientôt  du  travail  des  prisonniers.  Si  nous  ne  pouvons 
pas,  comme  aux  Etats-Unis ,  où  les  prix  de  la  main-d'œuvre 
sont  quatre  fois  plus  élevés  qu'en  France,  couviir  les  dé- 
penses de  nos  maisons  centrales  par  le  travail  journalier  des 
prisonniers,  nous  avons  du  moins  un  moyen  d'amortissement 
qui  nous  donnera  un  peu  plus  tard  les  mêmes  résultats.  Le 
tiers  du  produit  de  la  main-d'œuvre,  qui  est  mis  en  réserve 
pour  être  versé  aux  prisonniers  le  jour  de  leur  libération  , 
n'est  pas  déposé  dans  les  caisses  de  ces  élablissemens. 
On  ne  conserve ,  sur  les  rentrées  de  (  haque  mois ,  que  ce 
qui  est  nécessaire  pour  payer  les  masses  de  léserve  des  pri- 
sonniers qui  sortent,  dans  le  courant  du  mois  suivant;  le 
reste  est  placé  sur  l'Etat,  en  achat  d'inscriptions  de  rente 
S  p.  0/0  .  Ce  plan ,  qui  a  été  adopté  en  4849,  a  eu  des  ré- 
sultats extraordinaires.  Los  dix-neuf  maisons  centrales,  ré- 
parties sur  divers  points  de  la  France,  ont  alors  placé  entre 
elles  123,000  fr. ,  et  les  placemens  s'élèvent  aujourd'hui  à 
plus  de  5,000,000.  On  conçoit,  d'après  cette  progression, 
comment  nous  arriverons  à  un  capital  dont  le  revenu  suf- 
fira pour  couvrir  toutes  les  dépenses. 


LE  CHATEAU  DE  SAINT-GERMAIN. 

L'existence  du  châterai  vieux  de  Saint-Germain ,  dont 
nous  donnons  ici  la  gravure ,  ne  remonte  pas  au-delà  de 
l'armée  4525.  —  C'est  vers  cette  époque  que  François  P"", 
auquel  on  devait  déjà  rédification  des  maisons  royales  de 
Fontainebleau  et  de  Chambord,  entreprit  de  reconstruire  le 
château  de  Saint-Germain,  qui  depuis  est  demeuré  tel  à  peu 
près  que  nous  le  voyons  aujourd'hui.  Nous  ne  nous  oc<3upe- 
rons  point,  par  conséquent ,  de  l'espèce  de  chàteau-fort  qui, 
sous  les  rois  précédens,  avait  existé  à  la  place  de  celui-ci; 
nous  dirons  seulement  que  celte  position,  unique  par  son 
avantage,  ayant  de  tout  temps  attiré  l'attention  des  maîtres 
de  la  contrée ,  il  est  fait  mention  ,  dès  le  il"  siècle,  dans  les 
clironiques,  d'un  château  royal  de  Saint-Germain. 

Plusieurs  auteurs  ont  pompeusement  raconté  et  les  noces 
de  François  I"  avec  Madame  Claude,  lesquels  furent  célé- 
brées au  château  de  Saint-Germain ,  et  le  goût  prononcé  dé 
ce  prince  pour  cette  habitation  royale. 

Ce  fut  pour  Diane  de  Poitiers,  que  la  beauté  du  paysage 
et  la  pureté  de  l'air  dçSaiat-Gerraain  avaient  séduite,  que 


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François  I'''"  tira  le  chàlean  de  ses  ruines.  Par  nne  bizaire- 
rie,  que  la  galanterie  de  l'époque  peut  seule  faire  compren- 
dre, il  fit  donner  à  cette  construction  la  forme  d'un  D 
golhique.  Pour  qu'il  ne  manquât  rien  aux  agrémens  de 
celte  résidence,  François  P""  y  joignit  un  parc  de  416  ar- 
pens ,.  enclos  de  murs ,  et  dans  lequel  on  enferma  des  cerfs, 
des  daims ,  des  sangliers ,  amenés  en  grand  noni])re  de  la 
forêt  de  Fontainebleau. 

Il  n'est  personne  qui  n'ait  entendu  parler  du  fameux 
duel  qui  eut  lieu ,  sous  Henri  II ,  entre  Jarnac  et  De  la 
Châtaigneraie.  Ce  fut  dans  le  parc  et  sous  les  murs  du  châ- 
teau de  Saint-Germain  que  se  vida  cette  célèbre  querelle. 
Frappé  d'on  coup  imprévu  par  son  adversaire,  Laclialai- 
gneraye  succomba  aux  suites  de  sa  blessure ,  Henri  II  fut 
si  profontiémenl  affecté  de  la  mort  de  son  favori ,  qu'il  jura 


de  ne  plus  permettre  de  combats  en  champ-clos.  Ses  succes- 
seurs imitèrent  son  exemple ,  et  il  n'est  resté  de  celle  odieuse 
coutume  que  le  dicton  populaire  de  coup  de  Jarnac ,  pour 
désigner  une  ruse,  un  retour  imprévu  de  la  part  d'un 
ennemi. 

Au  commencement  de  la  ligue,  en  1574,  Charles  IX  et 
sa  mère  Catherine  de  Médicis ,  effrayés  par  les  troubles  qui 
agitaient  Paris,  vinrent  se  réfugier  à  Saint-Germain. 
L'assemblée  des  liolables,  convoquée  en  1383  par  Henri  III, 
pour  la  réformalion  des  abus,  se  tint  également  à  Saint- 
Germain. 

Henri  IV,  ainsi  que  son  prédécesseur,  aima  fort  le  séjour 
de  Saint-Germain,  et  c'est  sous  son  rô;4ne  que  l'on  vit 
s'élever,  à  côté  de  l'ancien  chàleau ,  une  seconde  habilalion 
royale    qui  prit  le  nom  de  ChcUea^i-Nexif,  et  qui  n'était 


(Le  Château  de  Saint-Gcrmahi.J 


sépare  de  l'ancien  que  par  un  espace  de  200  toises.  Ce  châ- 
teau devint  la  demeure  habituelle  de  Gabrielle  d'Estrées. 
Un  des  pavillons  de  ce  bâtiment  s'appela  même  Pavillpn  de 
Gabrielle, 

Louis  XIV  naquît  an  Château-Neuf.  C'est  sons  son  règne 
qne  les  habitations  royales  de  Saint-Germain  et  leurs  dé- 
pendances acquirent ,  par  des  embellissemens  snccossifs , 
le  plus  haut  degré  de  splendeur.  Le  Nôtre  y  dessina  cette 
magnifique  terrasse  commencée  par  Henri  IV,  et  qui  n'a 
peut-être  rien  de  comparable  en  Europe,  ainsi  que  ce  vas:e 
parterre,  devenu  aujourd'hui  un  tapis  de  verdure,  ombragé 
par  de  belles  et  grandes  allées  d'arbres.  Les  agrandisse- 
mens  ne  se  bornèrent  pas  là.  A  l'ancien  château  furent 
ajoutés  les  cinq  gros  pavillons  dont  il  est  flanqué  j  parce  que 
toutes  ces  vastes  demeures  ne  pouvaient  encore  suffire  à  la 
cour  du  monarque  le  plus  fastueux  de  l'Europe.  Plus  de  six 
millions  et  demi  furent  employés  à  ces  travaux  ;  mais  ce 
n'était  là  qu'une  bagatelle,  en  comparaison  du  milliard 
qu'on  devait  engloutir  à  Versailles  ! 

Le  Château-Vieux  de  Saint-Germain  vit  se  développer 
l'affection  du  grand  roi  pour  Madame  de  Lavallière. 

A  Madame  de  Lavallière  succéda  Jacques  II.  Deux  fois 
précipité  du  trône,  ce  roi  d'Angleterre  vint  terminer  à 
Saint-Germain  ses  infortunes  et  sa  vie.  Son  tombeau  est 
conservé  dans  l'église  de  la  ville,  et  il  est  peu  d'Anglais 


qui,  en  arrivant  àParis,  n'aillent  saluer  les  deponillcsmor- 
(elles  du  dernier  des  Stuarts,  —  Jacques  II  est  le  dernier 
personnage  historique  qui  ait  habité  le  château  de  Saint- 
Germain,  et  avec  ces  hôtes  couronnés  a  disparu  toute  l'im- 
portance de  cette  maison  royale.  —  Les  deux  édifices  ont 
souffert  de  cet  abandon. — Le  ChâleauNneufavait  déjà  cessé 
d'exister  avant  93  (1),  et  si  l'ancien  a  résisté  aux  ravages 
du  temps  et  des  révolutions,  on  le  doit  à  l'étonnante  solidiié 
de  sa  construction ,  qui  seule  a  arrêté  la  main  des  nivelcurs. 
Il  est,  comme  on  l'a  dit,  d'une  forme  pentagone  irrégu- 
lière, et  entouré  de  fossés  profonds,  que  l'on  traverse  an 
moyen  de  deux  ponts-levis.  Sa  hauteur  moyenne  est  de  90 
pieds  à  partir  de  sa  base  dans  le  fossé.  Le  côté  sous  le(|uel 
on  le  voit  dans  la  gravure,  est  la  façade  qui  regarde  l'ave- 
nue des  Loges  (2). 

(i)  Madame  la  duchesse  de  Duras,  l'auteur  d'Ourikn,  aciiefa 
en  1828  et  fit  réparer  un  petit  pavillon  du  Chàteau-Heuf,  où 
Louis  XIV  avait  reçu  le  jour. 

(a)  Maison  succursale  de  celle  de  Saint-Denis ,  et  destinée  à 
l'éducalion  des  fiiles  des  membres  de  la  Légion-d'Houneur. 


Les  Bureaux  d'Abonnement  et  de  Vente  sont  transférés  rue  de 
Seiue-Sainl-Gcrmain,  0. 


') 


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4» 


LE  DANTE. 

La  Divine  comédie  du  Dante  est 
depuis  cinq  siècles  l'objet  des  éludes 
des  hommes  qui  s'occupent  de  lit- 
térature. C'est  un  monument  origi- 
nal qui  n'a  été  imité  par  personne  ; 
on  a  souvent  copié  les  tragédies  de 
Shakspeare ,  mais  on  n'a  jamais  fait 
une  épopée  sur  le  modèle  de  celle 
du  Dante. 

C'est  que ,  comme  Ylliade ,  l'on- 
rrage  du  Dante  reproduit  les  carac- 
tères des  grands  poèmes  primitifs  ; 
il  est  encyclopédique;  il  embrasse 
toute  l'histoire ,  toute  la  théologie , 
toutes  les  idées  du  temps  où  il  a 
paru;  c'est  une  époque  de  renou- 
vellement comme  dans  l'âge  d'Homère;  on  sait  peu  de  ]  hommes  av 
chose  et  l'on  sent  beaucoup  ;  à  l'apparition  mystique  de  '  guste  pour 


l'influence  religieuse  et  des  légendes, 
se  joint  la  force  guerrière;  seulement 
le  mélange  de  la  civilisation  ancienne 
avec  la  grossièreté  et  la  barbarie  du , 
treizième  siècle,  ces  illuminations  de  • 
l'antiquité  combinées  avec  les  rêves 
anticipés  d'un  état  social  à  venir, 
donnent  aux  tableaux  du  poète  une 
physionomie  particulière  et  d'un  sin- 
gulier effet. 

Depuis  la  chute  de  l'empire  romain 
et  l'invasion  des  barbares ,  à  peine 
quelques  lueurs  vacillantes  volti- 
geaient-elles encore  au  milieu  des  rui- 
nés  confuses  de  la  société;  depuis  que, 
selon  l'expression  de  Machiavel ,  le» 
aient  quitté  les  grands  noms  de  César  et  d'Au- 
ceux  de  Pierre  et  de  Jean ,  il  semblait  que  le 


y.? 


(Le  géant  Antbée.) 

monde  était  déchu.  Les  cent  villes  de  l'Italie ,  en  guerre  I  tenu  par  le  parti  Gibelin,  c'est-à-dire  par  l'aristocratie  des 
perpétuelle,  étaient  ravagées  par  les  proscriptions  qui  fai-  cités ,  n'avait  pu  anéantir  le  parti  Guelfe ,  ou  démocratique, 
saient  de  ce  brillant  jardin  de  l'Europe  la  terre  la  plus  dont  les  souverains  pontifes  s'étaient  faits  les  représentans; 
opprimée  et  la  plus  anarchique;  d'un  côté,  l'empire  sou-  [  d'un  autrç  côté,  la  querelle  des  GueUes  et  des  GU)çUns 
Tome  II.  —Kovembre  i834.  '^\ 


va 


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avait  changé  d'objet ,  et  ce  n'était  plus  autre  chose  qu'une 
lutte  entre  les  nobles  et  les  plébéiens. 

Au  milieu  de  ce  conflit  apparaît  un  homme  de  génie , 
doué  d'un  esprit  puissant,  d'une  âme  ardente  et  mélan- 
colique ;  cet  honuTie ,  c'est  le  Dante,  Pendant  trente  ans , 
Guelfe  exalté ,  il  se  fait  peuple  ;  mais  les  ambitions ,  les  ri- 
valités divisent  son  parti;  la  noble  cause  qu'il  défend  dé- 
génère en  guerres  civiles ,  l'Italie  épuise  ses  forces  sur  elle- 
même;  il  ne  voit  de  salut  pour  sa  patrie  que  dans  cette  unité 
que  Machiavel  lui  souhaitait,  même  au  prix  d'un  Borgia  ; 
exilé  de  Florence,  où  il  a  reçu  le  jour,  il  se  fuit  Gibelin 
par  vengeance  ;  mais  par  son  génie  il  plane  au-dessus  des 
Guelfes  et  des  Gibelins  ;  en  lui  se  montre  une  pensée  haute 
et  sublime  sur  l'alliance  des  deux  puissances  si  long-temps 
rivales.  Pour  empêcher  qne  tant  de  courage  et  d'énergie  se 
consume  dans  de  misérables  débats ,  il  lève  les  yeux  vers 
«ette  antique  image  de  Rome ,  dont  il  ne  reste  plus  que  les 
ruines  du  Capitole  ;  mais  les  papes  ont  avili  la  tiare,  le  Dante 
regarde  plus  loin ,  et  souhaite  un  maître  à  l'Italie. 

L'orgueil  d'un  descendant  du  peuple  romain  peut  seul 
expliquer  un  tel  vœu  chez  ce  caractère  indépendant ,  qui  n'a 
même  pu  supporter  la  liberté  d'une  république  ;  il  ne  mé- 
connaît pas  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  salutaire  dans  la  puis- 
sance pontificale;  il  veut  en  faire  le  type  de  la  justice  mo- 
rale ,  mais  sans  soumettre  le  sceptre  à  l'encensoir  ;  il  veut 
réaliser  l'union  de  la  force  et  de  la  sagesse  ;  idée  qui  de 
nos  jours  a  tant  occupé  M.  de  Maistre ,  il  veut  rendre  le 
pouvoir  impuissant  contre  la  religion  ,  et  la  religion  puis- 
sante pour  consacrer  le  pouvoir,  mais  non  pour  le  détruire. 

Ce  lien  d'unité  pour  l'Italie  fait  toute  la  politique  de  la 
Divine  comédie;  lorsque  l'auteur  fait  voyager  Virgile  dans 
l'enfer,  à  travers  les  cercles  concentriques  dont  il  a  décrit  la 
structure ,  lorsqu'il  montre  la  taille  gigantesque  de  Lucifer, 
comme  une  immense  échelle  qui  sert  à  en  gravir  les  degrés, 
parmi  ces  bizarres  inventions ,  il  donne  à  Lucifer  trois  têtes, 
dont  l'une  dévore  Judas  Iscariote,  et  les  deux  autres,  Cassius 
et  Brutus,  Brutus  qu'il  punit  sans  l'avilir  et  qu'il  représente 
comme  un  stoïque  inflexible.  Ces  deux  derniers  sont  révol- 
tés contre  l'empire  qu'il  représente  sous  la  forme  d'un  aigle 
étranger,  tandis  que  le  premier  est  révolté  contre  Dieu. 
C'est  ainsi  que  l'idée  de  la  nécessité  du  pouvoir  impérial 
domine  partout. 

Ce  poëme  en  cent  chant,  où  figurent  Saint- Thomas , 
Saint-Bonaventure  et  une  foule  de  docteurs,  où  l'on  ren- 
contre tant  de  dissertations  théologiques,  était  un  instrument 
destiné  à  populariser  des  pensées  politiques  et  morales  , 
parce  que  ces  noms,  ces  questions  étaient  alors  ce  qui 
ylaisail  le  plus  à  l'esprit  humain  ;  c'étaient  les  symboles  de  la 
Sagesse.  Pour  relever  l'empire,  le  poète  ne  recide  pas  de- 
Irant  l'humiliation  de  ses  ennemis,  et  il  use  fréquemment 
d'une  liberté  qui  étonne  dans  un  écrivain  du  moyen-âge  ; 
tout  en  rêvant  pour  le  passé  la  suprématie  pontificale ,  il 
ouvre  une  fournaise  ardenle  où  il  ose  jeler  plus  d'un  souve- 
rain pontife  en  lançant  des  malédictions  sur  les  vices,  la 
simonie,  la  cupidité  ,  la  luxure. 

Indépendamment  des  allégories  sous  lesquelles  il  re- 
produit la  physionomie  naïve ,  mais  énergique  du  temps , 
ce  poëme  a  aussi  un  caractère  nécessairement  scientifique  ; 
c'est  d'un  amas  d'études ,  de  souvenirs  empruntés  à  la 
théologie,  au  droit,  à  l'histoire,  que  le  Dante  s'élance  pur 
et  nouveau  comme  Homère.  Quand  il  écarte  toute  celte 
enveloppe  étrangère  ,  son  imagination  invente  comme  on 
inventait  aux  premiers  jours  du  monde  ;  ses  images  vous 
saisissent;  il  a  la  voix  jeune  et  argentine  du  poète  ;  toujours 
simple,  toujours  vrai ,  c'est  là  son  éternelle  gloire.  Il  n'y  a 
après  lui  que  Milton  qui ,  du  milieu  des  clameurs  scolastiques 
et  d'une  vie  orageuse  ,  ait  retrouvé  un  ciel  et  nn  horizon 
inaccessibles.  Un  des  plus  admirables  passages  de  Milton 
dans  son  Paradis ,  c'est  celui  où  il  reparait  lui-même ,  où 
il  parle  de  ses  maux,  de  sa  cécité;  cette  beauté  revient  tou- 
jours et  naturellement  dans  le  poëme  du  Dante;  contempla- 
teur de  ce  monde  invisible  dont  il  est  l' historien,  il  reparailsans 


cesse,  il  vous  entretient  de  sa  gloire  et  de  ses  espérances.  La 
présence  de  l'auteur  dans  toutes  les  parties  de  sa  Divine  comé- 
die ,  contribue  à  y  faire  naître  un  genre  particulier  de  beau- 
tés. Dès  le  premier  chant,  il  rencontre  Virgile,  qu'il  prend 
pour  guide  et  pour  patron;  il  arrive  dans  le  vestibule  de 
l'enfer  où  les  âmes  des  grands  poètes  anciens  sont  arrêtées , 
et  après  avoir  compté  Homère  ,  Virgile,  Horace,  Ovide  , 
Lucain  ,  il  s'écrie  :  Et  moi ,  je  me  trouvais  le  sixième  parmi 
ces  grands  poètes  ! 

Flaxman  a  traduit  merveilleusement  la  pensée  du  Dante; 
tous  ses  dessins  sont  empreints  d'un  sentiment  exquis;  et 
dans  le  grandiose  qui  n'admire  cette  figure  du  géant  Antliée, 
lorsciu'il  prend  dans  ses  bras  et  le  Daule  et  Virgile  pour 
les  déposer  dans  le  neuvième  cercle  (  chant  xxxi). 

Ma  lievamente  al  fondo  che  divora 
Lucifero  con  guida ,  ci  posa. 

Il  serait  trop  long  de  rappeler  les  épisodes  dont  l'ouvrage 
étincelle  ;  tout  le  monde  connaît  ceux  de  Françoise  de  Ri- 
mini  et  d'Ugolin;  on  ne  peut  lire  sans  émotion  ceux  de 
Farinata  de(jli  l'berti,  de  l'infortuné  Pier  délie  Vigne,  de 
Brunetto  Latlni,de  Vanni  Fucci,  de  Manfredi ,  Sordello  , 
Forese ,  etc.,  etc.  ;  MM.  Villemain  et  Fauriel  en  ont  plusieurs 
fois  fait  le  sujet  de  leurs  éloquentes  leçons  à  la  Sorboime. 
On  a  souvent  accusé  le  Dante  d'avoir  imité  Virgile ,  mais 
ce  qui  fournit  à  peine  vingt  vers  à  celui-ci,  fournit  un  poëme 
entier  au  poète  italien  ;  que  d'imagination  dans  le  Paradis, 
le  Purgatoire  et  VEnfer!  Que  de  tableaux  admirables  dans 
cette  i>rogression  des  supplices  et  des  tortia-es ,  cette  série 
d'épreuves  par  lesquelles  l'ame  s'épure ,  et  enfin  dans  la 
succession  des  béatitudes  qui  lui  sont  promises!  Quelle  sur- 
prise doit  produire  la  fécondité  d'un  pareil  génie  !  personne 
ne  lui  disputera  le  titre  qu'il  a  reçu  de  Père  des  poètes. 

Dante  nejouit  point  de  sa  gloire  ;  après  une  vie  remplie 
de  traverses  et  de  longues  douleurs ,  il  mourut  dans  l'exil  le 
14  septembre  4321  ,  chez  Guido  Novello  de  Ravennes,  et 
ce  ne  fut  qu'un  siècle  après  que  sa  patrie  redemanda  se» 
cendres;  mais  inutilement. 

{La  suite  à  nu  prochain  numéro. 


RUSSIE. 

MŒURS    DES    OSTIAKS, 

Les  Ostiaks  de  l'Obi  sont  une  des  premières  nations  de 
la  Sibérie  qu'aient  découverte  les  Russes.  Leur  nombre 
a  diminué  depuis  qu'ils  ont  été  conquis;  la  petite  vérole 
et  d'autres  maladies  qui  leur  étaient  anciennement  incon- 
nues, ont  fait  de  grands  ravages  parmi  eux,  et  cependant  ils 
forment  encore  une  nation  nombreuse-  La  plupart  des 
Ostiaks  sontd'une  taille  médiocre ,  paraissent  peu  robustes, 
et  se  font  surtout  remarquer  par  une  jambe  maigre  et 
effilée  ;  ils  ont  presque  tous  la  figure  désagréable  et  le  teint 
pâle;  aucun  trait  ne  les  caractérise ,  leur  chevelure  com- 
munément rougeâtre  ou  d'un  blond  doré ,  les  rend  encore 
I>lus  laids ,  et  principalement  les  hommes  qui  la  laissent 
flotter  sans  ordre  autour  de  la  tête. 

Les  Ostiaks  sont  simples ,  craintifs  et  remplis  de  préjugés  ; 
ils  ont  le  cœur  assez  bon.  Leur  vie  est  pénible  et  nullement 
agréable;  quoiqu'adonnés  au  travail  dès  l'enfance,  ils  sont 
très  portés  à  l'oisiveté ,  lorsque  leurs  besoins  ne  les  excitent 
point  à  travailler,  et  surtout  les  hommes.  Ils  sont  très 
malpropres ,  et  même  dégoutans  dans  leur  ménage  ;  l'ha- 
billement des  hommes  et  des  femmes  n'a  presque  rien  de 
commun  avec  celui  des  autres  nations.  Il  consiste  prin- 
cipalement en  peaux  d'animaux  préparées  par  eux-mêmes  ; 
les  riches  sont  les  seuls  qui  aient  des  chemises  ;  les  autres 
portent  leur  habit  de  peau  sur  la  chair.  L'habillement  des 
iiommes  est  une  fourrure  de  dessous,  étroite  et  à  manches,- 
appelée  mavliza ,  qui  va  à  peine  à  la  moitié  des  rehis ,  avec 
une  ouverture  vers  le  haut  pour  passer  la  tête;  elle  est 
fermée  par  devant  et  par  derrière;  près  du  trou  où  l'o» 


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passe  la  tête ,  est  un  capuchon  rond  qui  sert  de  bonnet  ; 
cette  fourrure  et  le  capuchon  sont  bordés  de  peaux  de 
-chiens  j  ils  la  mettent  quelquefois  en  été  pendant  les  cha- 
leurs, mais  ils  quittent  alors  leur  gilet.  Eu  hiver  ils  portent 
une  autre  fourrure  beaucoup  plus  auiple  et  plus  longue ,  à 
laquelle  pend  aussi  un  capuchon  qu'ils  mettent  sur  la  tôle 
par  dessus  l'autre  ;  celle-ci  s'appelle  gous  ;  elle  est  faite  de 
peaux  de  gros  rennes  à  longs  poils  ;  aussi  ne  dépouil- 
lent-ils ces  peaux  qu'en  hiver.  Ceux  qui  donnent  dans  le 
luxe ,  font  pour  l'été  un  mavliza  de  petits  morceaux  de 
draps  de  différentes  couleurs  cousus  ensemble ,  sans  dou- 
blure ,  et  chamarré  de  peaux  de  chiens  blancs  ou  de 
queux  de  renards  du  nord.  Ceux  qui  habitent  les  rives  de 
l'Obi,  portent  un  manteau  de  peaux  de  loutres,  qui  leur  sert 
de  nourriture  dans  les  momens  de  disette;  ils  le  font  cuire 
dans  un  chaudron  et  le  mangent.  Les  culottes  que  les 
hommes  portent  habituellement,  joignent  bien  sur  la  cuisse, 
mais  elles  ne  descendent  pas  jusqu'aux  genoux.  L'es  femmes 
ostiakes  ont  sur  la  peau  des  robes  de  chambres  de  fourrures, 
ouvertes  par-devant,  qui  ne  sont  pas  très-amples,  mais 
assez  cependant  pour  que  l'un  des  côtés  puisse  être  rabattu 
•sur  l'autre;  elles  les  fixent  avec  de  petites  courroies.  C'est 
là  leur  uni(|ue  habillement,  et  quoi  qu'elles  ne  portent  pas 
de  ceinture,  on  ne  voit  jamais  aucune  partie  de  leur  corps 
à  nu  ;,  elles  n'ont  ni  caleçons ,  ni  même  de  bas  en  été  , 
mais  elles  portent  en  hiver  des  bas  de  peau  corroyée. 

Toutes  les  fenmies  et  les  filles  mettent  un  voile  sur  leur 
tête ,  aussitôt  qu'un  étranger  et  même  un  parent  entre  dans 
leur  yourte;  elles  n'ont  le  visage  découvert  que  devant  leur 
mère.  Ce  costume  est  maintenu  par  une  pudeur  naturelle 
aux  femmes  et  aux  filles  ostiakes;  lorsqu'une  personne 
quelconque  pénètre  dans  leur  demeure ,  elles  en  sortent  aus- 
sitôt, ou  se  cachent  dans  un  coin.  Le  principal  ornement  des 
femmes,  est  d'avoir  le  dos  des  mains,  l'avant-bras,  et  le 
devant  de  la  jambe  tatoués.  Les  hommes  ne  s'incrustent  sur 
le  poignet  que  le  signe  par  lequel  ils  sont  désignés  dans  les 
livres  où  l'on  enregistre  les  tributaires  ;  ce  signe  sert  aussi 
de  signature  chez  les  peuples  de  la  Sibérie ,  qui  ne  savent 
point  écrire.  Dans  les  maladies ,  les  hommes  se  font  in- 
cruster toutes  sortes  de  figures  sur  les  épaules  et  les  autres 
parties  du  corps ,  et  ils  attribuent  autant  de  vertu  à  ce  remède 
<iue  les  Européens  à  l'application  des  ventouses. 

Plusieurs  familles  habitent  une  même  cabane;  aussi  pra- 
tique-t-on  le  long  des  murs  autant  de  séparations  qu'il  y 
a  de  familles;  on  voit  dès  lors  qu'il  ne  peut  régner  aucun 
ordre  dans  l'intérieur  de  ces  ménages.  Les  Ostiaks  étant 
aussi  gênés ,  les  femmes  qui  ont  des  petits  enfîms,  suspendent 
les  berceaux  ou  les  mettent  devant  leurs  loges  ;  lorsqu'ils 
sont  un  peu  grands ,  ils  couchent  sur  un  tas  de  foin  étendu 
par  terre  et  couveit  de  peaux  de  rennes.  Les  chiens 
de  bonne  race ,  et  surtout  les  chiennes  qui  ont  des  petits , 
couchent  sous  les  bancs  qui  servent  de  couchettes  ;  les 
chiens  communs,  c'est-à-dire  ceux  qu'on  attèle  à  leurs 
traîneaux ,  couchent  en  dehors  de  la  cabane ,  et  n'y  entrent 
pour  manger  que  lorsque  la  famille  se  propose  de  voyager. 
Ou  entretient  un  feu  au  milieu  de  la  yourte;  il  est  commun  à 
tous  ceux  qui  l'habitent,  chacuny  va  faire  lacuisine  quand  bon 
lui  semble.  Les  Ostiaks  n'ont  pas  d'heure  réglée  pour  leurs 
repas,  la  faim  seule  les  y  décide.  Ce  feu  delà  communauté 
sert  aussi  à  faire  griller  les  débris  des  poissons  qu'ils  donnent 
à  leurs  chiens;  ce  grillage  continuel  remplit  tellement  le 
toit  de  leurs  cabanes  d'une  suie  grasse.,  qu'elle  y  pend  par 
flocons.  On  sèche  aussi ,  près  de  ce  feu  ,  le  poisson  superflu 
qu'on  prend  en  hiver;  cette  préparation  doit  occasioner 
une  grande  malpropreté.  On  se  fera  facilement  une  idée  de 
la  puanteur,  des  vapeurs  fétides  etde  l'humidité  qui  régnent 
dans  leurs  yourtes,  lorsque  l'on  saura  que  les  hommes,  les 
femmes,  les  enfans  et  les  chiens  y  satisfont  à  certaines 
exigences  et  que  rarement  on  a  soin  d'enlever  les  ordures. 
j  Rien  n'est  aussi  dégoûtant  que  la  manière  de  vivre  de  ce 
peuple  ;  ils  ne  se  lavent  jamais  les  mains;  à  peine  les  femmes 
<n  ôten belles  [une  partie  de  la  crasse,  lorsqu'elles  ouvrent 


les  poissons  ou  quelles  les  retirent  du  chaudron;  elles  n'ont 
pour  essuie-mains  que  leur  fourrure;  elles  ne  lavent  jamais  la 
vaisselle,  quoiqu'elle  serve  aux  hommes  et  aux  animaux; 
leur  chevelure  est  remplie  de  vermine.  Quelques  Ostiaks 
riches  ont  cependant  pris  tant  de  goût  pour  la  propreté, 
«pi'ils  composent  eux-mêmes  un  savon  pour  se  laver ,  ne 
pouvant  en  tirer  que  très-difficilement  de  la  Russie.  Celui 
«ju'ils  emploient  est  plus  propre  à  enlever  la  crasse  collée 
sur  la  peau,  parce  qu'il  est  plus  mordant.  l>eur  malpro- 
preté vient  principalement  de  ce  que  les  femmes  sont  sur- 
chargées d'ouvrage;  les  honmies  les  regardent  comme  leurs 
esclaves.  Les  femmes  montent  et  démontent  les  eabanes, 
préparent  le  manger,  ont  soin  des  habiilemens  des  hommes, 
et  sont  entièren)ent  chargées  du  ménage  ;  elles  nettoient  et 
apprêtent  le  gibier  et  le  poisson  ,  Iors(jue  les  h(inunes  re- 
viennent de  la  chasse  et  de  la  pêche.  Ceux-ci  ne  font  que 
chasser ,  pêcher,  et  préparer  les  instrumens  qui  leur  sont 
nécessaires  pour  ces  deux  objets.  Les  peaux  pré[)arées  par 
les  femmes  ostiakes  ne  se  gâtent  jamais  à  l'humidité. 

Pendant  l'été  ils  se  donnent  rarement  la  peine  de  faire 
bouillir  ou  griller  le  poisson;  ils  préfèrent  le  manger  cru, 
sortant  de  l'eau;  ils  le  coupent  par  bandes,  l'huniectent 
avec  le  sang  qui  sort  abondamment  des  picpires  qu'ds  lui 
font  dans  la  queue  ;  ils  mordent  dans  ces  bandes  de  chair,  en 
coupant  adroitement  la  bouchée  avec  leur  couteau  près  de 
la  lèvre  inférieure.  La  bouche  et  les  habits  des  Ostiaks  in- 
fectent pendant  l'été;  ils  sentent  plus  mauvais  que  les  mar- 
chés où  l'on  vend  de  la  marée.  En  hiver,  ils  mangent  de 
préférence  le  poisson  cru  lorsqu'il  est  gelé,  en  grattant  peu- 
à-peu  la  chair  qui  est  dessus  les  arêtes.  Des  gens  beaucoup 
plus  instruits  qu'eux,  assurent  que  le  poisson  gelc'  est  un 
excellent  préservatif  contre  le  scorbut. 

En  hiver  ,  les  Ostiaks  pénètrent  fort  avant  dans  les 
landes  et  les  forêts  désertes;  ils  se  servent  de  raquettes 
pour  marcher  sur  la  neige  ;  lorsqu'ils  tuent  de  grosses  bêles, 
ils  les  écorchent  et  les  enterrent  dans  la  neige ,  en  mar- 
quant la  place ,  afin  de  venir  les  enlever  avec  des  rennes  ou 
des  chiens.  Ils  mangent  les  ours ,  les  renards,  les  écureuils  et 
même  la  charogne;  le  tabac  est  une  grande  ressource  pour 
les  Ostiaks  dans  ces  chasses  d'hiver ,  puiscju'ils  sont  exposés 
au  froid  le  plus  violent,  à  toutes  les  incommodités,  et 
quelquefois  à  la  faim;  ils  en  fument,  mais  ils  préfèrent  la 
prendre  en  poudre  ;  comme  ils  ne  le  trouvent  jamais  assea 
mordant,  ils  le  mêlent  à  de  la  cendre  d'agaric,  ou  excrois- 
sances fougueuses  qui  croissent  dans  les  fentes  des  bouleaux 
ou  des  trembles  ;  cette  cendre  est  très-alkaline.  Après 
s'être  bien  rempli  les  narines  de  ce  tabac,  ils  les  bouchent 
avec  des  copeaux  d'écorce  de  saule.  Le  montant  de  cette 
poudre  se  trouvant  ainsi  concentré,  leur  occasione  sur 
tout  le  visage  une  espèce  d'inflanunation,  qui  les  garantit 
du  froid ,  et  il  leur  gèle  très-rarement  (pielque  partie  de 
la  figure.  Les  oiseaux  de  passage  leur  fournisfient,  au 
printemps,  une  autre  occupation  et  une  nouvelle  nourri- 
ture. Les  Ostiaks  jouissent  d'une  très  bonne  santé,  quoi 
qu'ils  ne  se  nourrissent  que  de  mauvais  alimens,  et  que 
l'eau  soit  leur  uni(|ue  boisson  ;  ils  se  procurent  quelque- 
fois un  peu  d'eau-de-vie  des  Pousses. 

Ils  ne  connaissent  pas  les  remèdes  ;  ils  ont  recours  à  l'ap- 
plication des  ventouses  contre  les  douleurs  des  jointures., 
les  enflures  et  les  inflammations ,  maladies  auxquelles  ils 
sont  très-sujets ,  ou  bien  ib  font  brûler  sur  la  partie  affectée 
un  morceau  d'agaric  de  bouleau,  de  la  même  manière  que 
les  Chinois  et  les  Japonnais  le  pratiquent  au  moyen  du 
moxa;  ils  prétendent  que  l'application  doit  se  faire  sur  le 
lieu  même  du  mal,  si  on  veut  en  ressentir  l'effet.  I!s 
prennent  un  charbon  bien  allumé  qu'ils  approchent  de  la 
partie  souffrante,  et  le  changent  de  place  jusqu'à  ce  (ju'ils 
en  trouvent  une  où  le  malade  ne  sente  pas  tout  de  suite 
l'action  du  feu  ;  ils  appliquent  à  cette  place  le  vrai  caustique, 
qu'ils  laissent  agir.  Le  malade  doit  souffrir  cette  opération 
jusqu'à  ce  que  la  peau  soit  brûlée  et  percée. 
I 


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LES  HARENGS.  — LEURS  MIGRATIONS. 
(Suite). 

On  a  cru  pendant  long-lemps  que  les  harengs  se  reli- 
raient périodiquement  dans  les  régions  du  cercle  polaire  ; 
qu'ils  y  cherchaient  annuellement ,  sous  les  glaces  des  mers 
hyperboréennes,  un  asile  contre  leurs  ennemis,  un  abri 
contre  les  rigueurs  de  l'hiver;  que,  n'y  trouvant  pas  une 
noarriture  proportionnée  à  leur  nombre  prodigieux,  ils  en- 
voyaient, au  commencement  de  chaque  printemps,  des  co- 
lonies nombreuses  vers  des  rivages  plus  méridionaux  de 
l'Europe  ou  de  l'Amérique.  On  a  tracé  la  route  de  ces  lé  • 
gions  errantes.  On  a  cru  voir  ces  immenses  tribus  se  divi- 
ser en  deux  troupes,  dont  les  innombrables  détachemens 
couvraient  au  loin  la  surface  des  mers ,  ou  en  traversaient 
,  les  couches  supérieures.  L'une  de  ces  grandes  colonnes  se 
pressait  autour  des  côles  de  l'Islande ,  et  se  répandant  au- 
dessus  du  banc  fameux  de  Terre-Neuve ,  allait  remplir  les 
golfes  et  les  baies  du  continent  américain;  l'autre,  suivant 
des  directions  orientales ,  descendait  le  long  de  la  Norwége, 
pénétrait  dans  la  Baltique ,  ou ,  faisant  le  tour  des  Orcades, 
s'avançait  entre  l'Ecosse  et  l'Irlande,  cinglait  vers  le  midi 
de  celte  dernière  île,  s'étendait  à  l'orient  de  la  Grande- 
Bretagne,  parvenait  jusque  vers  l'Espagne,  et  occupait  tous 
les  rivages  de  France,  de  la  Balavie  et  de  l'Allemagne, 
qu'arrose  l'Océan.  Après  s'ôlre  offerts  pendant  long-lemps, 
dans  tous  ces  parages ,  aux  filets  des  pêcheurs ,  les  harengs 
voyageurs  revenaient  sur  leur  route ,  disparaissaient,  et  al- 
laient regagner  leurs  retraites  boréales  et  profondes. 
^i    Pendant  long-temps ,  bien  loin  de  révoquer  en  doute  ces 
merveilleuses  migrations ,  on  s'est  efforcé  d'en  expliquer 
l'étendue,  la  constance  et  le  retour  régulier  :  mais  on  a 
prouvé ,  par  un  rapprochement  très  exact  des  faits  incon- 
testables, qu'il  était  impossible  d'admettre  cette  navigation 
annuelle  et  extraordinaire.  Pour  continuer  d'y  croire ,  il 
fendrait  rejeter  les  observations  les  plus  sûres  d'après  les- 
quelles il  est  hors  de  doute,  qu'il  s'écoule  souvent  plusieurs 
années  sans  qu'on  voie  des  harengs  sur  plusieurs  des  ri- 
vages principaux  indiqués  comme  les  endroits  les  plus  re- 
marquables de  la  route  de  ces  poissons;  qu'auprès  de  beau- 
coup d'autres  prétendues  stations  de  ces  animaux,  on  en 
pêche  pendant  toute  l'année  une  très  grande  quantité;  que 
la  grosseur  de  ces  osseux  varie  souvent,  selon  la  qualité 
des  eaux  qu'ils  fréquentent,  et  sans  aucun  rapport  avec  la 
saison,  avec  leur  éloignement  de  leur  asile  septentrional, 
ou  avec  la  longueur  de  l'espace  qu'ils  auraient  dû  parcou- 
rir depuis  leur  sortie  de  leur  habitation  polaire;  et  enfin 
qu'aucun  signe  certain  n'a  jamais  indiqué  leur  rentrée  ré- 
gulière sous  les  voûtes  de  glaces  des  très  hautes  latitudes. 

Chaque  année  cependant  les  voit  arriver  vers  les  îles  et 
les  régions  continentales  de  l'Amérique  et  de  l'Europe  qui 
leur  conviennent  le  mieux ,  ou  vers  les  rivages  septentrio- 
naux de  l'Asie.  Toutes  les  fois  qu'ils  ont  besoin  de  cher- 
cher une  nourriture  nouvelle ,  et  surtout  lors(ju'ils  doivent 
se  débarrasser  de  leur  laite  ou  de  leurs  œufs ,  ils  abandon- 
nent les  fonds  de  mer,  soit  dans  le  printemps,  soit  dans 
l'été ,  soit  dans  l'automne ,  et  s'approchent  des  embouchures 
des  fleuves  et  des  rivages  propres  à  leur  frai. 

Mais,  à  quelque  époque  que  les  poissons  dont  nous  écri- 
vons l'histoire  quittent  leur  séjour  d'iiiver,  ils  paraissent  en 
troupes  que  des  mâles  isolés  précèdent  de  quelques  jours , 
et  dans  lesquelles  il  y  a  ordinairement  plus  de  mâles  que  de 
femelles.  Lorsqu' ensuite  le  frai  commence,  ils  frottent  leur 
ventre  contre  les  rochers  ou  le  sable,  s'agitent,  impriment 
des  mouvemens  rapides  à  leurs  nageoires ,  se  mettent  tan- 
tôt sur  un  côté  et  tantôt  sur  un  autre,  aspirent  l'eau  avec 
force  et  la  rejettent  avec  vivacité. 

Les  légions  qu'ils  composent  dans  ces  temps  remarqua- 
bles, où  ils  se  livrent  à  ces  opérations  fatigantes ,  mais  com- 
mandées par  un  besoin  impérieux ,  couvrent  une  grande 
surface ,  et  cependant  elles  offrent  une  image  d'ordre.  Les 
plus  grands,  les  plus  forts  ou  les  plus  hardis,  se  placent  dans 


les  premiers  rangs ,  que  l'on  a  comparés  à  une  sorte  d'avant-  ' 
garde.  Et  que  l'on  ne  croie  pas  qu'il  ne  faille  compter  que 
par  milliers  les  individus  renfermés  dans  ces  rangées  si 
longues  et  si  pressées.  Combien  de  ces  animaux  meurent 
victimes  des  cétacés,  des  squales,  d'autres  grands  poissons, 
des  différens  oiseaux  d'eau  !  Et  néanmoins  combien  de  mil- 
lions périssent  dans  les  baies ,  où  ils  s'étouffent  et  s'écra- 
sent ,  en  se  précipitant ,  se  pressant  et  s'entassant  mutuel- 
lement contre  les  bas-fonds  et  les  rivages  !  Combien  tombent 
dans  les  filets  des  pêcheurs  !  Il  est  telle  petite  anse  de  la 
Norwége  où  plus  de  vingt  millions  de  ces  poissons  ont  été 
le  produit  d'une  seule  pêche  :  il  est  peu  d'années  où  l'on  ne 
prenne,  dans  ce  pays,  plus  de  quatre  cents  millions  de  ces 
dupées.  Bloch  a  calculé  que  les  habitans  des  environs  de 
Gothembourg  en  Suède  s'emparaient  chaque  année  de  plus 
de  sept  cents  millions  de  ces  osseux.  Et  que  sont  tous  ces 
millions  d'individus  à  côté  de  tous  les  harengs  qu'amènent 
dans  leurs  bâtimens  les  pêcheurs  de  Holstein ,  de  Mecklem- 
bourg ,  de  la  Poméranie ,  de  la  France ,  de  l'Irlande,  de  l'E- 
cosse, de  l'Angleterre,  des  États-Unis,  du  Kamtschatka, 
et  principalement  ceux  de  Hollande ,  qui ,  au  lieu  de  les  at- 
tendre sur  leurs  côtes ,  s'avancent  au-devant  d'eux  et  vont 
à  leur  rencontre  en  pleine  mer ,  montés  sur  de  grandes  et 
véritables  flottes  ? 

{La  suite  à  un  prochain  numéro.) 

LES  MIQUELETS  ET  LES  GUÉRILLAS. 

Au  commencement  de  la  guerre  de  1689,  entre  la  France 
et  l'Espagne ,  on  créa  dans  le  Iloussillon ,  cent  compagnies 
de  fusiliers  dits  de  montagne,  pour  les  opposer  auxmique^ 
lets  chargés  de  défendre  l'entrée  des  gorges  de  la  Catalogne* 
Les  milices  du  Roussillon,  qui  s'étaient  acquises  une  haute 
réputation  de  bravoure ,  et  qui  réunissaient  à  cet  avantage 
une  connaissance  parfaite  du  terrain ,  convenaient  en  effet 
mieia  que  d'autres  troupes  à  ce  genre  de  guerre.  Cesçom- 


(Fusilier  de  montagne.) 

pagnîes  avaient  pour  chef  un  gentilhomme  du  pays,  choisi 
parmi  les  plus  entreprenans  et  les  plus  capables  de  les  diri- 
ger. Il  avait  le  titre  et  l'autorité  d'un  colonel.  Dans  l'on-' 
gine  les  compagnies  étaient  formées  d'un  capitaine,  d'un 
lieutenant ,  d'un  brigadier ,  d'un  sous-brigadier ,  d'un  cornet 
et  de  vingt-cinq  hommes.  Leur  habillement  se  composait 
d'une  veste  rouge,  passée  dansunhaut-de-chausse,  comme 
les  matelots;  d'un  juste  au  corps,  à  l'antique,  de  couleur 
grise ,  à  paremens  et  à  doublure  bleus ,  et  d'un  bonnet 
(barette)  de  laine  de  même  couleur  que  les  paremens  et  la 
doublure  :  ils  avaient  ordinairement  les  jambes  nues  et  por- 
taient des  souliers  de  cordes  (spardilles).  Leur  armement 
consistait  en  deux  pistolets  suspendus  à  la  gauche  de  la  cein- 
ture, une  épée  (dagne)t  et  un  petit  fusil  (escopeUei.  ]LÇ8 


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miquelets  du  Roiissillon  ,  excellens  tireurs  ,  manquaient 
rarement  leurs  coups;  ils  étaient  aussi  fort  habiles  à  la 
course  et  passaient  pour  résister  facilement  aux  fatigues  et 
aux  privations.  L'instrument  dit  cornet  n'était  autre  qu'une 
grosse  coquille  ou  limaçon  de  mer ,  percée  au  bas  bout ,  et 
qui  servait,  comme  le  tambour,  dans  les  marches,  dans  les 
combats  ou  à  rallier  les  tirailleurs  dispersés  dans  les  gor- 
ges, dans  les  défilés  et  au  sommet  des  montagnes. 

Les  miquelets  ne  servaient  pas  seulement  comme  parti- 
sans :  on  les  employait  aussi  à  couvrir  la  marche  des  colon- 
nes, à  flanquer  les  ailes  de  l'armée,  à  assurer  le  passage 
de  l'artillerie  et  des  convois  de  bagages  ou  de  vivres.  Ils  pro- 
tégeaient également  les  fourrageurs  et  servaient  d'escorte 
aux  courriers. 

Ces  troupes  négligées  et  mal  soldées ,  se  dispersèrent  pres- 
que en  totalité  après  la  paix  de  Riswich  (1697)  et  il  n'en  est 
presque  plus  question  depuis  cette  époque  jusqu'en  i7U. 
A  cette  dernière  date  (2  février),  le  ministre  d'Argenson 
créa  un  nouveau  corps  d'infanterie  sous  le  nom  de  fusiliers 
de  montagne.  Celui-ci  composé  de  deux  bataillons  de 
six  cents  hommes  chacun,  fut  reformé  en  1763  :  il  était 
réduit  à  sept  cent  vingt  hommes  depuis  1747. 

Leschasseursdesmontagnesel\Gschasseurs-hon-tireurs, 
créés  au  commencement  de  nos  guerres  de  la  révolution , 
le  furent  à  l'imitation  des  corps  dont  il  vient  d'être  parlé. 
En  1808,  lorsque  Napoléon  se  préparait  à  porter  ses  armes 
en  Espagne  pour  imposer  à  ses  peuples  un  prince  de  sa 
famille ,  il  institua  aussi  un  corps  de  miquelets  français , 
qui  rendit  de  très  grands  services  pendant  toute  la  durée  de 
cette  guerre.  Ces  derniers  eurent,  à-peu-près,  l'uniforme 
de  l'infanterie  légère ,  approprié  au  genre  de  guerre  et  à  la 
nature  du  terrain  sur  lequel  ils  devaient  être  exercés. 

Avant  nous  l'Espagne  a  eu  ses  miquelets,  comme  nous 
l'avons  indiqué  au  commencement  de  cet  article.  Leur 
manière  de  combattre  et  de  vivre,  était  nécessairement 
la  môme  que  celle  des  miquelets  français.  Quand  cette 
nation  eut  à  défendre  son  territoire  contre  l'invasion  des 
armées  impériales ,  il  s'y  forma  de  tous  côtés  des  corps  peu 
nombreux  de  partisans,  qui  firent  beaucoup  de  mal  à  nos 
troupes,  et  auxquels,  vu  leur  peu  d'importance,  les  Espa- 
gnols donnèrent  le  nom  de  cpiérillas. 

Loin  d'adopter  les  manœuvres  françaises  pour  les  mouve- 
raens  en  masse  et  les  charges  à  la  baïonnette ,  les  Espagnols 
avaient  sagement  jugé  que  si  les  guérillas  ne  pou^^ient 
arrêter  d'abord  l'impétuosité  des  Français ,  elles  parvien- 
draient un  jour,  peut-être ,  à  les  dégoûter  des  victoires  qui 
finissaient  par  leur  coûter  plus  qu'à  l'ennemi  vaincu.  Il 
n'était  guère  de  province  qui  n'eût  un  chef  à  la  tête  d'une 
bande  formidable.  Abandonnés  à  eux-mêmes,  les  plus 
hardis  et  les  plus  entreprenans  de  ces  chefs  s'élevaient  au 
commandement,  ou  par  des  actions  d'éclat,  ou  par  l'in- 
fluence qu'ils  parvenaient  à  exercer  sur  leurs  compa^-nons 
d  armes,  quelque  en  fût  d'ailleurs  le  motif.  Livrés  à  leurs 
seules  inclinations,  maîtres  de  choisir  le  champ  de  bataille 
et  le  genre  d'attaque  et  de  résistance,  le «ervice  militaire 
le  plus  convenable  à  leurs  forces  et  à  leurs  habitudes  était 
celui  qu'ils  adoptaient. 

Parmi  ces  chefs ,  il  en  était  beaucoup  qui  n'étaTent  connus 
que  par  leurs  noms  de  guerre,  et  par  des  actes  de  cruauté 
dont  les  soldats  français  s'étonnèrent  long-temps  avant  que 
de  chercher  a  s'en  venger.  Connaissant  les  ressources  que 
eur  offraient  eshabitans  et  celles  qu'ils  pouvaient,  au  besoin, 
tirer  des  localités  d'un  pays  montagneux  ;  informés  à  temp 
de  l  apparition  des  Français  et  de  leur  nombre,  ces  par- 
tisans se  séparaient  et  se  réunissaient  à  un  rendez-vous  fixé 
aux  commandemens  de  leurs  chefs  respectifs  ;  assurés  de  la 
foi  inviolable  de  leurs  compatriotes ,  constamment  protégés 
par  des  mtelhgences  que  la  surveillance  la  ph.sexacîe  delà 
part  des  Français,  et  les  menaces  les  plus'sé4res    né  pou- 
vaient rompre ,  ils  restaient  souvent  cachés  des  jours  entiers 
aux  portes  mêmes  d'une  ville  occupée  par  les  Français   at 
tendaient  patiemment  le  moment  où  ils  seraient  supérieurs 


en  forces,  et  enlevaient  l'objet  de  leurs  recherches  sans 
qu'on  eût  le  temps  de  prévenir  ni  d'arrêter  leur  attaque. 
Rien  n'était  à  l'abri  de  leur  activité  et  de  leur  audace ,  et 
malheur  à  qui  tombait  vivant  entre  leurs  mainsj  ainsi. 


(ai 


'é^i 


(Miquclet  français,  1808.) 

agissant  à  part  et  en  petits  corps ,  les  guérillas  ne  cessaient 
d'inquiéter  les  armées  françaises,  les  forçaient  à  doubler 
leur  service,  et  à  se  tenir  perpétuellement  sur  leurs  gardes. 
Bien  même  qu'une  telle  guerre  ne  pût  donner  immédiate- 
ment de  grands  résultats ,  elle  aurait  dû  être  entretenue 
très  soigneusement  dans  toute  la  Péninsule ,  en  raisoQ 
de  l'extrême  faiblesse  des  forces  régulières  espagnoles; 
mais  l'amour  de  la  patrie,  qui  dirigeait  les  Espagnols  dans 
leurs  efforts,  n'était  point  tellement  exclusif,  qu'il  ne 
laissât  quelque  empire  à  des  passions  moins  désintéressées 
et  moins  nobles. 

La  réputation  de  quelques  chefs  de  guérillas  avait  éveillé 
la  jalousie  du  gouvernement ,  pour  le  maintien  duquel  ils  s« 
battaient;  soupçonneux  parce  qu'il  était  faible,  ce  gou- 
vernement craignait  qu'ils  ne  devinssent  indépendans.  Hors 
d'état  de  s'assurer  d'eux  par  des  récompenses  pécuniaires, 
et  de  les  arrêter  quand  il  le  jugeait  convenable,  il  voulut  au 
moins  donner  à  leur  ambition  une  direction  dont  il  resterait 
maître.  En  conséquence,  pour  conserver,  autant  que  possible, 
son  autorité  sur  eux,  il  récompensa  adroitement  leurs  efforts 
par  un  rang  militaire ,  les  soumettant  ainsi  aux  généraux  de 
l'armée  régulière;  des  uniformes  riches  et  brillans,  un 
état-major  personnel,  et  d'autres  accessoires  inutiles,  furent 
ajoutés  à  leurs  titres  ;  le  sentiment  de  leur  importance  s'ac- 
crut, et  ils  augmentèrent  l'appareil  de  leurs  forces  dans  un 
degré  correspondant.  Les  principales  bandes  de  guérillas 
furent  bientôt  composées  d'artillerie ,  d'infanterie  et  de  ca- 
valerie ,  et  du  moment  qu'elles  eurent  échangé  leur  activité 
contre  de  l'importance,  elles  devinrent  une  mauvaiee 
espèce  de  troupes  régulières.  Les  talens  de  Mina  et  de 
Longa  seuls  s'accrurent;  ils  commandèrent  des  armées  de 
six  à  huit  mille  hommes  avec  l'habileté  de  tacticiens  con- 
sommés. Favorisés  par  la  configuration  du  terrain ,  et  par 
les  connaissances  locales  qu'ils  avaient  d'un  pays  aussi  acci- 
denté, ces  chefs  firent  quelquefois,  pendant  des  mois  en- 
tiers, pour  tromper  la  poursuite  de  plusieurs  corps  français 
considérables,  des  manœuvres  que  n'auraient  peut-être 
pas  désavouées  les  généraux  les  plus  célèbres.  A  ces  excep- 
tions près,  et  elles  étaient  rares,  la  force  des  guérillas 
s'éteignit  graduellement  par  le  fait  même  de  l'intervention 
du  gouvernement  espagnol ,  dont  la  politique  méticuleuse 
porta  un  coup  mortel  à  l'institution  de  ces  corps  francs; 
ils  auraient  probablement  cessé  d'exister  au  bout  de  quel- 
ques campagnes,  si  la  guerre  de  la  péninsule  eût  été  prO' 
longée  plus  long-temps. 


f." 


M 


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SENEGAL. 

SUPERSTITIONS     DES     NÈGRES     DE     SATNT-LODIS    ET    DE 
CORÉE,  GRIGRIS,    MARABOUTS. 

(Suite)  (i) 

Les  marabouts,  par  leurs  rapports  avec  le  prophète, 
exercent  un  empire  absolu  sur  les  Africains,  et  il  faut  con- 
venir que  les  moyens  qu'ils  mettent  en  usage  sont  bien 
propres  à  entretenir  chez  ces  peuples  barbares  une  sorte  de 
vénération  mêlée  de  terreur.  On  a  vu  à  Gorée  le  père ,  la 
mère  et  les  enfans ,  sur  lesquels  un  sort  avait  été  jeté,  périr 
successivement  sans  qu'on  pût  découvrir  les  traces  de  ce 
crime.  Initiés  dans  la  connaissance  des  simples  dont  on  extrait 
le  poison  le  plus  subtil,  il  leur  est  facile  de  porter  la  mort 
dans  toutes  les  familles ,  et  de  justifier  par  l'événement  leur 
puissance  et  leur  crédit  auprès  du  prophète  qui  frappe  à  la 
prière  de  son  minisire. 

«  J'occupais  à  Saint-Louis ,  dit  M.  Baradère ,  ancien  [)réfet 
apostolique  au  Sénégal,  un  logement  dans  la  maison  d'un 
Piémontais ,  possesseur  de  plusieurs  esclaves  et  d'une  nom- 
breuse famille.  La  femme  de  cet  Européen  était  plus  maho- 
métane  que  catholique  ;  quant  à  lui ,  il  n'avait  aucune  foi 
dans  les  mystères  de  Mahomet  :  néanmoins  son  intérêt 
exigeait  qu'il  eftt  des  égards  pour  le  marabout  du  quartier 
qui  venait  souvent  le  voir  ;  et  Boucalin  (c'est  le  nom  du 
propriétaire)  se  plaisait  souvent  à  le  mettre  aux  prises  avec 
moi.  C'était  un  homme  d'esprit  fort  agréable  ;  je  parlerai 
plus  tard  de  mes  conversations  avec  lui.  Un  jour ,  je  fus  ré- 
veillé par  les  cris  aigus  que  poussait  une  négresse  employée 
dans  l'intérieur  de  la  maison  ,  et  que  Boucalin  assommait 
à  coups  de  poing,  parce  qu'une  de  ses  filles  avait  perdu  six 
grains  d'or  de  son  collier  ;  la  malheureuse  lola  était  inno- 
cente ,  c'était  une  mulâtresse  nommée  Jeanne-Marie  qui 
avait  extrait  du  collier  les  grains  égarés.  Voulant  faire  un 
exemple  du  coupable ,  Boucalin  fit  a[)peler  son  voisin  le 
marabout  qui  lui  promet  de  découvrir  le  voleur.  Il  vint 
m'inviter  à  assister  aux  mystères  de  celte  découverte; 
«  quand  j'aurai  opéré,  me  dit-il  malignement,  tu  médiras 
si  tu  peux  en  faire  autant  chez  les  fc/ours.  »  Je  n'eus  garde 
de  manquer  à  cette  cérémonie  qui  fut  fixée  pour  le  len- 
demain. 

A  l'heure  indiquée ,  le  prêtre  maure  et  deux  de  ses  con- 
frères étaient  dans  la  cour  de  la  maison ,  où  se  trouvaient 
rcunis  en  cercle ,  et  assis  par  terre ,  tous  les  nègres  de  Bou- 
calin au  nombre  d'environ  quarante.  Le  marabout  se  mit 
à  exhorter  le  voleur  à  se  dénoncer  lui-même.  Voyant  que 
son  éloquence  étai4^  perdue ,  il  se  recueillit  un  moment  dans 
une  oase,  d'où  il  sortit  revêtu  d'une  tunique  blanche  et 
suivi  de  ses  deux  acolytes  qui  portaient  sur  leurs  épaules 
une  grande  perche.  Ce  bois ,  béni  parle  pontife  et  promené 
sur  tous  les  nègres  assis  par  terre ,  avait  la  vertu  de  s'ar- 
rêter sur  le  coupable  indépendamment  de  la  volonté  de  ceux 
qui  le  portaient. 

Le  marabout  arriva  donc  processionnellemenl  au  milieu 
de  ces  pauvres  nègres  :  il  ordonna  de  promener  le  bois  sacré 
sur  celle  troupe  effaj-ée  :  après  deux  tours  inutiles,  on  com- 
mençait à  rire  de  ses  singeries,  lorsque  ses  acolytes,  en 
pirouettant  sur  eux-mêmes,  sont  entraînés  par  le  bois  sacré 
et  tombent  sur  la  malheureuse  Jeanne-Marie  que  les  autres 
négresses  faillirent  écharper.  Le  triomphe  du  marabout 
fut  complet.  Les  grains  d'or  fin*ent  rendus  et  Jeanne-Marie 
fut  aiticliée  à  une  échelle  étendue  par  terre  et  reçut  cin- 
quante coufis  de  fouet  au  lieu  de  cent  d'abord  ordonnés  :  il 
nous  fut  iujpossible  d'obtenir  de  Boucalin  une  plus  forte 
renriise.  La  peine  même  n'était  pas  infamante;  mais  la  moindre 
plainte  eût  déshonoré  la  coupable;  elle  reçut  donc,  sans 
pousser  uu  cri ,  les  cinquante  coups;  mais  quand  on  l'eut 
détachée ,  on  s'aperçut  qu'elle  avait  la  bouche  ensanglantée 
et  qu'une  de  ses  dents  était  restée  dans  un  des  barreaux  de 
réchelle.  On  conçoit  combien  de  pareilles  victoires  exer- 

(0  "^oyagf^.pageS;. 


cent  d'influence  sur  une  population  brute  et  naturellement 
fanatique. 

Quelques  jours  après ,  le  marabout  vint  me  voir  et  m'ap- 
porta un  grigri  qu'il  tenait  de  son  père  et  qui  avait ,  disait-il , 
une  très-grande  vertu  contre  la  fièvre  ;  j'acceptai  son  grigri 
tout  en  luidisanlqueje  complais  beaucoup  plus  sur  une  pou-- 
dre  rovge  que  je  lui  montrai  que  sur  son  grigri.  Il  fut  tout 
étonné  de  voir  que  j'avais  deviné  juste  sur  l'affaire  du  vol, 
et  n'osa  beaucoup  insister.  A  propos  de  son  grigri ,  il  m'as- 
sura qu'étant  très-jeune  il  avait  suivi  son  père  dans  un  pè- 
lerinage qu'il  allait  faire  fort  loin  en  passant  par  Portandic. 
A  trois  ou  quatre  jours  de  marche  de  Portandic,  ils  arri- 
\  èrent  sur  le  soir  à  im  village  bien  pauvre  .  car  le  sol  n'était 
que  du  sable  ,  couvert  dans  certains  endroits  par  des  bou- 
quets d'herbe  que  les  chèvres  broutaient;  or,  ces  chèvres 
étaient  toute  la  ressource  de  celle  peuplade.  Avant  d'entrer 
dans  le  village ,  ils  aperçurent  un  grand  feu  vers  lequel  ils  se 
dirigèrent;  mais  quel  fut  leur  étonnement,  lorsqu'ils  aper- 
çurent sur  ce  brasier  les  membres  d'un  homme  qu'on  faisait 
rôtir.  Ils  apprirent  que  c'était  un  \ieillard  qu'on  allait 
manger.  Quand  le  repas  fut  prêt,  on  leur  offrit  une  jambe; 
mais  ils  la  refusèrent,  ce  qui  étonna  beaucoup  ces  sauvages 
qui  leur  assurèrent  que  c'était  une  viande  comme  une  autre. 
Malgré  ces  témoignages  d'hospitalité,  nos  deux  pèlerins 
n'étaient  pas  parfaitement  rassurés,  surtout  le  fils  que  le 
caractère  de  marabout  ne  protégeait  pas  encore  contre  l'ap- 
pétit de  ces  sauvages,  et ,  dès  qu'ils  purent  s'esquiver,  ils 
renoncèrent  à  leur  voyage ,  et  revinrent  à  grandes  jour- 
nées dans  leur  pays.  C'était,  me  dit-il ,  paur  que  je  fusse 
à  l'abj-i  des  maladies  pendant  la  roule,  que  mon  père  me 
donna  ce  grigri.  Il  me  faisait  donc  un  cadeau  précieux  que 
je  payai  généreusement,  et  que  je  garde  avec  soin. 

Dans  les  calamités  publi([ues  les  marabouts  sont  consultés 
et  leurs  avis  toujours  suivis.  En  ^820,  la  sécheresse  fut  ex- 
trême; à  Dacar,  la  récolle  du  mil  allait  infailliblement 
manquer,  lorsque  le  chef  de  l'état  convoqua  les  marabouts 
qui  décidèrent  consciencieusement  que  les  poules  et  les  porcs 
étaient  la  cause  de  celte  sécheresse;  et,  sur  le  champ,  tous 
les  porcs  et  toutes  les  volailles  de  la  république  fiu-ent  mis  à 
mort.  On  achetait  à  Gorée  un  porc  pour  deux  sous.  Ce 
massacre  hâta,  dit-on,  les  pluies  :  la  récolte  fut  également 
mauvaise;  mais  sans  celle  mesure  elle  eût  entièrement 
manqué.  » 

Si  les  maralîouts  sont  sur  la  terre  les  représentans  du 
prophète  et  méritent  les  hommages  des  peuples  et  les  pro- 
duits de  la  terre  qu'ils  ne  remuent  j-amais,  les  Griots  sont, 
en  Afrique ,  le  rebut  de  la  société  :  gens  maudits ,  indignes 
de  toutes  fonctions ,  et  destinés  après  leur  mort  aux  peines 
de  l'enfer.  Ils  sont,  parmi  les  Africains,  ce  qu'ont  été, 
parmi  nous,  les  Bohémiens,  les  Juifs  et  les  comédiens. 
Leur  indignité  ne  leur  attire  pas  cependant  les  rigueurs  de 
l'intolérance,  et  leurs  compatriotes,  qui  savent  qu'ils  ne 
doivent  point  jouir  de  la  béatitude  céleste  après  leur  mort, 
trouvent  bon  qu'ils  jouissent  de  tous  les  plaisirs  qu'ils 
peuvent  se  procurer  pendant  la  vie  :  il  leur  est  permis  de 
boire  du  vin ,  de  changer  de  femme ,  de  voler ,  pourvu  qu'ils 
le  fassent  avec  adresse,  etc.  A  leur  tour  ils  se  dévouent  aux 
amusemens  du  public  et  des  princes;  ce  sont  eux  qui  or- 
ganisent les  fêles ,  battent  le  <am-/am,  chaulent  les  louanges 
du  prince  et  des  grands,  et  exécutent  toutes  les  faces  qui 
leur  tiennent  lieu  des  concerts  de  Rossini  et  des  drames  de 
Victor  Hugo.  Celte  classe  d'hommes  vit  d'aumônes  qu'on 
ne  leur  refuse  jamais.  A  leur  mort  commence  pour  eux  la 
proscription  :  leurs  cadavres  sont  jetés  dans  le  creux  d'uu 
baobab  où  les  vautours  et  les  bêtes  féroces  se  les  disputent. 


HABITATIONS  TURQUES. 
Lorsque  vous  parcourez  la  Turquie ,  ne  vous  attendez 
pas  à  y  jouir ,  comme  en  Occident ,  de  l'aspect  d'une  belle 
façade;  vous  n'y  verrez  pas  une  seule  maison ,  qui  justifie 
au  dehors  l'idée  que  vous  vous  êtes  faite  du  luxe  oriental. 
Jamais  un  homme  opulent,  qui  vit  sous  la  loi  du  prophète, 


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S5 


fïît-il  élevé  à  la  dignité  de  grand-visir ,  n'a  décoré  rextérieur 
du  palais  qu'il  habile,  et  jamais  à  Coiistanlinople  aucun  ar- 
chitecte n'a  songé  à  déployer  les  ressources  de  son  art  pour 
embellir  l'exlérieur  de  la  demeure  d'un  simple  particuher. 

a  Au  nom  de  Dieu  clément  et  miséricordieux,  dit  le  Coran, 
que  le  serviteur  lîdèle  ne  recherche  pas  l'élévation,  la  gran- 
deur, la  beauté  de  l'édifice,  ni  les  richesses  de  l'architec- 
ture ,  ni  les  ornemens  de  la  peinture  et  de  la  sculpture. 
Les  protluctions  des  beaux  arts  ne  sont  réservés  (pi'aux 
temples ,  aux  mosquées ,  aux  lio[)ilaux  et  aux  moniunens 
publics.  Croyans,  vous  ne  bâtirez  vos  habitations  avec  du 
ciment  et  de  la  pierre ,  que  jusqu'au  premier  étage  ;  que 
le  dedans  comme  le  dehors  soit  d'une  extrême  siniplicité; 
qu'on  n'y  voie  ni  ciselure  ,  ni  dorure  ;  qu'on  n'y  étale  point 
d'ouvrage  créé  par  le  pinceau;  que  tout  ornement  en  soit 
banni.  » 

Le  précepte  peut  être  bon  ;  mais  Dieu  sait ,  et  les  riches 
mahométans  savent  aussi,  s'il  n'a  pas  reçu  d'infraction. 

Voulez-vous  avoir  une  iilée  complcle  de  ia  maison  d'un 
mahométan,  ligurez-vous  à  l'extérieur  un  pan  de  muraille 
absolument  nu;  çà  et  là,  semées  au  hasard ,  quelques  petites 
fenêtres  grillées ,  comme  on  en  voit ,  dans  les  pays  ca- 
tholiques ,  aux  couvens  des  femmes  ;  et  puis  au-de.ssus  de 
la  porte  un  shah-nishin  lugubre  ,  espèce  de  balcon  entière- 
ment recouvert  de  treillages  en  fer.  INe  cheichez  pas  un 
signe  distinclif  qui  puisse  au  besoin  vous  faire  reconnaître 
la  maison  que  vous  examinez  ;  vous  ne  verrez  sur  la  porte 
ni  armoiries,  ni  inscriptions,  pas  même  de  numéro;  le  rez 
de  chaussée  est  bâti  en  pierre  et  en  brique  ;  mais  par 
respect  pour  le  Coran ,  le  haut  de  la  maison ,  depuis  le 
premier  étage ,  est  en  bois ,  ce  qui  explique  les  nombreux 
incendies  dont  les  villes  turques  sont  si  souvent  le  théâtre. 
Le  plus  léger  accident,  un  fourneau  renversé,  l'étincelle 
qui  s'échappe  d'une  pipe,  suffisent  pour  réduire  tout  un 
quartier  de  ConstaaLinople  en  cendres.  Quoi  qu'il  en  soit , 
malgré  le  prophète  et  le  Coran ,  l'intérieur  de  l'habitation 
d'une  personne  aisée  ne  répond  pas  à  la  simplicité  de  la 
façade ,  ni  à  la  sombre  structure  de  la  porte  d'entrée. 
L'homme  riche,  qui  dans  l'Occident  ne  craint  point  d'étaler 
son  opulence,  se  cache  au  contraire  en  Turquie,  quand  il 
veut  jouir  de  ses  trésors  ;  pour  ne  pas  éveiller  l'œil  jaloux 
du  despote  qui  gouverne,  il  se  soustrait  à  ses  yeux,  et 
élève  un  mur  impénétrable. 

La  cour  intérieure  est  vaste ,  spacieuse  et  pavée  en  marbre 
très  recherché.  Si  le  temps  est  beau,  on  la  couvre  en  entier 
de  tapis  précieux;  toutau  tour,  règnentdes  terrasses,  des  par- 
terres émaillés  de  fleurs ,  et  de  magnifiques  galeries  sou- 
tenues par  d'élégantes  colonnelles.  Chacjue  arceau  ,  chaque 
travée  est  enrichie  d'arabesques  capricieux  ;  au  milieu  de 
l'enceinte,  s'élève,  sur  des  piliers  de  marbre,  la  fontaine 
qui  fournit  de  l'eau  pour  les  ablutions;  quelques  arbres 
hauts  et  touffus  l'ombragent  de  leurs  larges  feuilles.  Plus 
que  partout  ailleurs ,  l'eau  en  Turcpiie  est  une  des  choses  les 
plus  indispensables  aux  habitans  ;  car  il  faut  de  l'eau  pour 
se  laver  avant  et  après  la  prière  ;  il  faut  de  l'eau  pour  se 
purifier  des  péchés  que  l'on  vient  de  commettre  ;  il  faut 
enfin  de  l'eau  pour  boire ,  puisque  la  loi  défend  les  liqueurs 
fermentées;  aussi  les  gens  riches  multiplient-ils  les  fontaines 
et  les  jets  d'eau  ;  ils  ne  croiraient  pas  avoir  embelli  leur 
maison  de  campagne,  si,  à  côté  de  chaque  kioske,  ils 
n'élevaient  une  fontaine  dont  les  eaux  se  perdent  ensuite 
dans  les  carrés  du  jardin.  Il  n'y  a  pas,  en  Turquie,  une 
seule  maison  aisée  où  l'on  ne  trouve  une  fontaine;  l'enfant 
de  Mahomet ,  quel  qu'il  soit,  a  droit  de  s'y  laver;  refuser 
de  l'eau  à  un  croyant ,  ce  serait  encourir  toute  la  sévérité 
des  lois. 

Le  rez-de-chaussée  n'est  ordinairement  occupé  que  par 
les  esclaves ,  les  domestiques  et  les  officiers  de  la  maison. 
Un  grand  escalier  de  bois  conduit  au  divan-khane  ;  vous 
voici  dans  un  long  corridor  qui  mène  aux  appartemens  des 
hommes,  et  oui  se  orolonce  sur  trois  côtés  de  ta  cour.  A  cha- 
que angle  s'élèvent  aes  kioskcs  ricneniene  occores,  coaverts  i 


d'arabesques ,  de  guirlandes ,  de  fruits ,  de  fleurs ,  de 
paysages.  C'est  dans  ces  élégans  pavillons  qu'attendent ,  la 
pipe  à  la  bouche ,  les  officiers  de  service  ou  les  personnes 
qui  demandent  audience  ;  le  corps  de  bâtiment  est  divisé 
en  deux  parties  :  l'une  sert  au  maître  ,  à  ses  enfans,  aux 
domestiques,  aux  étrangers  qui  viennent  le  voir;  c'est  le 
salem-lit\  l'autre  destinée  aux  femmes,  et  accessible  à  lui 
seul ,  [irison  consacrée  par  la  religion  à  l'esclavage  de  ses 
compagnes,  c'est  le  harem  :  dans  le  salem-lit ,  les  appar- 
temens sont  spacieux  ,  mais  peu  élevés  ;  vous  n'y  trouvez 
d'autres  meubles  que  des  sofas  et  des  tapis.  Les  muraillos 
n'y  sont  peintes  que  d'une  seule  couleur;  sur  le  haut  de  la 
porte  est  gravé  en  lettres  d'w  un  passage  du  Coran,  et  tout 
au  tour  les  noms  sacrés  de  Dieu  et  du  prophète. 

De  belles  tapisseries ,  des  tableaux  précieux ,  des  gra- 
vures rares ,  n'ornent  jamais  la  demeure  d'un  osmanii  ; 
dans  les  appartemens  vous  n'apercevez  pas  une  seule  chaise,, 
et  les  glaces  y  sont  très  peu  prodiguées;  mais  aussi  partout 
vous  retrouvez  le  long  et  monotone  divan  qui  sert  à  des 
usages  si  divers  :  le  divan  vous  prête  son  appui  pendant  le 
repas,  il  soutient  votre  tête  pesante  et  paresseuse  ,  lorsque, 
couché  sur  le  tapis,  vous  vous  laissez  aller  à  un  doux  repos, 
et  la  nuit  c'est  encore  le  divan  qui  vous  sert  de  lit;  alors 
on  l'entoure  de  franges,  on  le  pare  des  étoffes  les  plus  pré- 
cieuses ,  on  le  revêt  des  plus  riches  tapis.  C'est  dans  la  salle 
du  divan  qu'on  déploie  les  rideaux  les  plus  somptueux, 
que  l'on  décore  les  fenêtres  avec  le  plus  de  soin ,  que  l'on 
obtient  l'obscurité  la  plus  profonde  ou  le  jour  le  plus 
éclatant;  c'est  là  qu'en  été  on  ménage  les  courans  d'air  les 
plus  agréables ,  le  frais  le  plus  délicieux.  «  Les  lambris,  dit 
un  voyageur ,  jouent  aussi  un  grand  rôle  dans  la  demeure 
des  osmanlis  ;  ils  en  ornent  leurs  plus  beaux  appartemens. 
J'ai  vu  des  lambris  qui  avaient  coûté  des  sommes  consi- 
dérables; ils  étaient  d'une  richesse,  d'une  délicatesse  de 
travail  que  rien  ne  peut  égaler  J'en  ai  vu  un,  entre  autres, 
d'une  exécution  si  parfaite  qu'il  représentait ,  en  mosaïque, 
et  avec  tout  le  fini  du  pinceau  le  plus  exercé  ',  des 
arabesques  et  des  dessins  d'un  goût  exquis.  Je  ne  sais  si 
nos  artistes  les  plus  habiles  arriveront  jamais  à  ce  degré  de 
perfection;  je  doute  que  jamais  un  Européen  parvienne  à 
combiner  avec  autant  de  bonheur,  les  diverses  couleurs  dont 
on  peint  en  Turquie  les  corbeilles  de  fleurs  et  les  bouquets. 

Je  ne  parlerai  pas  des  riches  tapis  dont  on  fait  en  Orient 
un  si  grand  usage  ;  on  les  comiaît  assez  en  Europe  ,  et  ce 
serait  peine  inutile  que  d'en  donner  une  description.  Les 
Turcs  en  général  font  très  peu  de  cas  de  ceux  que  l'on  fa- 
brique à  Smyrne,  dans  l'Asie-Mineure,  àSalonique,  quoi- 
qu'ils soient  très  recherchés  en  Europe ,  et  aux  États-Unis. 
Ils  préfèrent  les  tapis  de  Perse ,  de  Syrie  et  d'Egyte ,  qu'ils 
trouvent  d'une  qualité  supérieure  et  mieux  travaillés. 

Tels  sont  les  principaux  traits  qui  peuvent  donner  une 
idée  des  maisons  particulières,  dans  les  contrées  musulmanes, 
où  tout  le  monde  est  obligé  de  bâtir  de  la  même  manière. 
Là  le  Grec,  l'Arménien  et  le  Juif  sont  soumis  sous  ce  rap- 
port à  la  loi  du  prophète  ;  le  chrétien  bâtit  sa  maison  selon 
la  règle  du  Coran ,  car  on  ne  lui  ferait  pas  grâce  de  l'amende 
s'il  s'avisait  de  la  transgresser.  Le  minav-aga,  à  qui  est 
confiée  la  surveillance  des  constructions  à  Constantinople, 
est  un  homme  pieux  et  sévère  qui  n'entend  point  raillerie; 
aussi  je  ne  conseillerai  jamais  à  im  Européen  établi  en 
Turquie  de  se  mettre  en  opposition  avec  la  loi  bizarre  de 
Mahomet ,  et  surtout  avec  son  fils  bienaimé  l'intendant  des 
architectes  de  la  capitale  et  de  tout  l'empire.  » 


LES  FETES  DES  JUIFS. 

Il  est  intéressant  de  connaître  les  fêtes  consacrées  des 
anciens  Hébreux ,  fêtes  qu'on  trouve  mentionnées  si  fré- 
quemment dans  la  Bible.  La  nation  juive  dispersée  sur  la 
terre ,  conservant  toutes  ses  croyances ,  fidèle  à  ses  pra- 
tioues  dans  l'attented'un  messie,  présente  encore  aujourd'hui 
on  speciacie  aigne  a  attention. 


86 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


(La  fête  des  trompettes.  ) 


Nous  allons  donner  quelques  détails  sur  les  quatre  fêtes 
annuelles  des  Juifs  :  trois  de  ces  fêtes  n'étaient  célébrées 
que  par  le  peuple  de  Dieu  ;  la  quatrième,  ou  fête  des  trom- 
ffettes ,  reproduite  dans  la  gravure  placée  en  tête  de  cet 
trticle,  et  considérée  comme  l'anniversaire  de  la  création 
du  monde ,  n'était  pas  particulière  aux  hébreux;  elle  était 
dans  l'origine  observée  avec  quelques  circonstances  so- 
lennelles par  tous  ceux  qui  craignaient  le  Seigneur. 

Le  septième  mois  qui  répond  à  notre  mois  de  septembre, 
était  originairement  le  premier  de  l'année  en  souvenir  de 
la  création ,  et  on  continua  de  le  regarder  comme  le  pre- 
mier de  Vannée  civile.  Mais  après  la  merveilleuse  sortie 
d'Egypte,  le  septième  mois,  (Ahih)  forma  une  nouvelle  ère 
dans  l'histoire  des  Israélites.  Le  seigneur  dit  à  Moyse  et 
à  Aaron  :  «  ce  mois-ci  sera  le  commencement  des  mois  ;  ce 
«  sera  le  premier  des  mois  de  l'année  ;  observez  le  mois 
«  d'abib  (le  mois  des  grains),  en  célébrant  la  pâque  en 
«  l'honneur  du  Seigneur  votre  Dieu  ;  parce  que  c'est  le 
«  mois  où  le  Seigneur  votre  Dieu  vous  a  fait  sortir  de 
«  l'Egypte  pendant  h  nuit.  » 

Le  docteur  Gill  remarque  à  propos  du  passage  que  nous 
avons  cité ,  que  ce  jour  étant  celui  de  la  nouvelle  année, 
cette  cérémonie  semblait  avoir  été  établie  pour  exprimer 
la  reconnaissance  des  heureux  évènemens  de  l'année  ex- 
pirée ;  et  comme  à  cette  époque  tous  les  fruits  de  la  terre 
sont  recueillis ,  non  seulement  l'orge  et  le  blé ,  mais  l'huile 
et  le  vin ,  on  appelait  les  bénédictions  divines  sur  les  pro- 
ductions de  la  saison  suivante.  D'un  autre  côté,  les  Juifs 
croient  que  ce  jour  est  celui  de  la  création ,  et  le  son  des 
trompettes  est  pour  eux  un  emblème  des  voix  célestes. 
«  Lorsque  les  astres  du  matin  lonnient  le  Seigneur  tous 
«  ensemble ,  et  que  les  enfans  de  Dieu ,  les  anges,  étaient 
a  transportés  de  joie  ».  On  peut  croire  enfin  que  c'était  un 
avertissement  pour  les  Juifs  de  se  préparer  au  jour  de  l'ex- 
piation qui  tombait  le  40,  et  à  la  fête  des  tal)ernacles  qui 
arrivait  le  45  de  ce  septième  mois.  Les  Juifs  observaient 
cette  fête  dans  de  pieux  exercices;  les  trompettes  reten- 
tissaient dans  les  synagogues ,  ils  fesaient  un  joyeux  repas , 
et  se  livraient  le  reste  du  jour  à  des  pratiques  religieuses. 

La  pdque.  Cette  fête  dont  nous  avons  déjà  parlé  fut  in- 
stituée en  mémoire  de  la  délivrance  des  Hébreux.  Moyse 


appela  tous  les  enfans  d'Israël ,  et  leur  dit  :  «  Allez  prendre 
«  un  agneau  dans  chaque  famille ,  et  immolez-le ,  car  c'est 
«  la  pâque  (c'est-à-dire  le  passage)  du  Seigneur;  trempez 
a  un  bouquet  d'hysope  dans  le  sang  que  vous  aurez  mis  sur 
«  le  seuil  de  votre  porte ,  et  vous  en  ferez  une  aspersion  sur 
«  le  haut  de  la  pfbrte ,  et  sur  les  deux  poteaux  ;  que  nul  de 
«  vous  ne  sorte  hors  de  sa  maison  jusqu'au  matin  ;  car  le 
«  Seigneur  passera  en  frappant  de  mort  tous  les  premiers 
«  nés  des  Egyptiens,  et  quand  il  verra  ce  sang  sur  le  haut 
«  de  vos  portes ,  il  ne  permettra  pas  à  l'auge  exterminateur 
«  d'entrer  dans  vos  maisons ,  ni  de  vous  frapper.  Vous 
«  garderez  cette  coutume  qui  doit  être  inviolable  pour  vous 
«  et  pour  vos  enfans,  et  quand  vos  enfans  vous  diront  quel 
«  est  ce  culte  religieux ,  vous  leur  direz  :  c'est  la  victime  du 
«  passage  du  Seigneur  lorsqu'il  épargne  les  maisons  des  enfans 
«  d'Israël  dans  l'Egypte ,  frappant  de  mort  les  Égyptiens.  » 

La  fête  des  semaines.  Cette  fête  était  observée  sept 
semaines  ou  cinquante  jours  après  la  pâque  ;  elle  est  ap- 
pelée quelquefois  ijeniecôte  dans  le  Nouveau-Testament, 
d'un  mot  grec  qui  signifie  cinquantième.  Elle  fut  établie  en 
souvenir  de  la  loi  de  Dieu,  donnée  sur  le  mont  Sinaï  cin- 
quante jours  après  la  délivrance  des  Israéhtes.  La  pentecôte 
était  aussi  nommée  la  fête  de  la  moisson ,  parce  qu'elle 
tombe  à  la  fin  de  la  récolte  des  blés  ;  on  offrait  au  Seigneur, 
pour  un  sacrifice,  deux  pains  de  prémices,  de  deux  dixièmes 
de  pure  farine ,  avec  du  levain ,  et  on  lui  rendait  de  so- 
lennelles actions  de  grâces. 

La  fête  des  tabernacles.  Cette  fête  était  célébrée  par  les 
Israélites,  pendant  sept  jours  ,  lorsqu'ils  avaient  retiré 
de  l'aire  et  du  pressoir ,  les  fruits  de  leurs  champs  ;  ils 
admettaient  à  leurs  festins  de  réjouissances ,  le  lévite,  l'é- 
tranger ,  la  veuve ,  l'orphelin ,  et  appelaient  la  bénédiction 
de  Dieu  sur  leurs  travaux.  En  souvenir  du  séjour  de  leurs 
ancêtres  dans  le  désert ,  où  ils  avaient  habité  sous  des  tentes, 
ils  élevaient  des  espèces  de  cabanes  au  moyen  de  branches 
d'arbres ,  et  ils  y  demeuraient  pendant  les  sept  jours  que 
durait  la  fête.  Toute  la  nation  devait  se  rendre  à  Jérusalem 
pour  y  adorer  le  tabernacle  de  Jehovah. 

Les  Bureaux  d'Abonnement  et  de  Tente  sont  transférés  rue  de 
Seine-Saint-Germain,  9. 


(8 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Si 


^  LYON. 


(Vue  de  l'Eglise  Saint-Nizier. ) 


C'est  en  examinant  Lyon  et  le  pays  environnant  du  haut 
de  la  tour  Pitra  ,  qu'on  peut  se  faire  une  idée  de  la  gran- 
deur de  cette  ville  et  de  son  influence  sur  le  pays  tout  en- 
tier. 

Le  sommet  du  Mont-Blanc  qu'on  découvre  sur  la  gauche, 
les  glaciers  de  la  Savoie  qui  se  dressent  à  l'horizon  attirent 
en  vain  les  regards;  l'œil  abandonne  bientôt  cette  perspec- 
tive lointaine  et  nébuleuse ,  pour  s'arrêter  sur  le  magnifi- 
que spectacle  qui  se  déroule  aux  pieds  de  l'observateur; 
il  y  a  plaisir  à  suivre  le  cours  de  ces  fleuves  majestueux  qui 
viennent,  à  droite  et  à  gauche,  étreindre  Lyon  la  superbe, 
et  qui,  après  l'avoir  baignée  de  leurs  eaux,  après  avoir 
jeté  dans  ses  murs  leur  abondant  tribut  de  productions  di- 
verses ,  se  réunissent  au  sortir  de  la  ville ,  et  fuient  dans 
une  vallée  sans  bornes,  tout  droit  vers  le  soleil  du  Midi. 

Vous  pouvez  suivre  long-temps  des  yeux  les  deux  fleuves 
encore  distincts  après  leur  réunion.  La  Saône  semble  quit- 
ter à  regret  ces  bords  enchanteurs,  et  les  nombreuses  mai- 
sons de  plaisance ,  et  les  îles  couvertes  dé  verdure  qu'elle 
baigne  en  passant.  Elle  chemine  lentement  ;  elle  paraît 
immobile  à  côté  de  son  impétueux  compagnon ,  qui  l'en- 
traîne dans  sa  course  rapide  vers  les  champs  de  la  Pro- 
vence. 

Si  vous  baissez  encore  les  yeux ,  il  vous  semblera  que  ces 

ponts  hardis  et  nombreux ,  ces  ponts  qui  joignent  quatre 

villes  en  une  seule ,  sont  à  vos  pieds.  Les  quais  immenses 

qui  bordent  la  Saône  et  le  Rhône,  les  nombreux  monu- 

TOME  II.  —  NovembN  tBJA. 


mens  dont  on  domine  le  faîte ,  l'hôpital  dont  le  dôme  s'é- 
lève avec  majesté ,  et  ces  bateaux  à  vapeur  qui  s'éloignent 
avec  la  vitesse  de  l'oiseau,  et  cette  population  qui  se  presse 
dans  ces  rues  pavées  des  cailloux  roulés  du  Rhône ,  et  ces 
maisons  si  élevées  qu'elles  semblent  se  joindre  par  le  som- 
met pour  intercepter  les  rayons  du  soleil;  tout  cela  forma 
un  des  panoramas  les  plus  riches  et  les  plus  animés  que 
l'on  puisse  concevoir. 

La  partie  la  plus  éloignée  des  hauteurs  qui  bordent  les 
faubourgs  de  la  rive  droite  de  la  Saône ,  a  été  autrefois 
occupée  par  les  armées  de  la  Convention. 

Ces  beaux  peupliers  qui  s'élèvent  majestueusement  le 
long  de  cette  langue  de  terre  qui  termine  la  ville  au  con- 
fluent des  deux  rivières ,  montrent  encore  les  blessures  que 
leur  ont  faites  les  boulets  républicains. 

La  partie  de  ces  hauteurs  qui  avoisine  la  ville ,  et  le 
faubourg  Saint- Jean  qui  les  joint  à  la  Saône,  ont  encore  été 
le  théâtre  de  luttes  aussi  sanglantes  et  aussi  déplorables  ; 
car  Lyon  semble  destinée  aux  guerres  civiles.  C'est  là, 
près  de  l'archevêché ,  presque  en  face  du  pont  qui  mène  à 
Bellecour,  qu'a  commencé  la  guerre  des  mu tuellistes;  c'est 
là  que  la  résistance  a  été  si  longue ,  si  opiniâtre;  c'est  là 
qu'a  commencé  aussi  le  systtaie  de  destruction  des  habi-> 
tations  dont  un  jour  plus  tard  la  ville  elle-même  devait  êtM 
victime.  L'église  représentée  dans  la  gravure  qai  accora* 
pagne  cette  notice  a  aussi  été  témoin  de  scènes  désas- 
treuses :  quelques  insurgés  s'y  étaient  enfermés  lor»  des  der* 


S8 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


niers  évènemens  ;  cet  asile  de  paix  a  vu  le  trépas  sanglant 
de  ces  victimes  de  nos  dissensions  politiques. 

Dans  une  lettre  adressée  à  un  de  nos  amis,  un  voyageur 
étranger  décrivait  en  ces  termes  l'aspect  de  Lyon  pendant 
les  évènemens  de  l'hiver  de  1831 . 

«  L'impression  que  je  ressentis  en  pénétrant  dans  cette 
ville  si  fameuse  ne  s'effacera  jamais  de  ma  mémoire.  C'était 
en  1831 ,  en  hiver,  après  l'arrivée  à  Paris  de  la  nouvelle  ter- 
rible ,  imprévue ,  extraordinaire ,  d'une  population  qui  venait 
de  chasser  de  ses  murs  l'armée  du  souverain  dont,  quel- 
ques mois  auparavant,  elle  avait  célébré  la  fête  avecl'ivresse 
de  l'enthousiasme.  Je  pensais  trouver  sur  la  route,  campée 
autour  de  la  ville,  la  cernant  par  un  cordon  formidable, 
l'armée  qui  l'avait  évacuée;  mais  le  grand  mouvement 
de  troupes  qui  depuis  Moulins  se  faisait  remarquer,  l'en- 
combrement qui  dans  toutes  les  villes  et  sur  tous  les  che- 
mins avait  retardé  notre  voyage,  cessaient  tout  à  coup  aux 
approches  de  Lyon.  Là  tout  était  morne  et  silencieux  :  le 
faubourg  était  désert;  à  peine  une  lanterne  isolée  jetait- 
elle  une  faible  clarté  sur  nous.  Notre  voilure  fut  arrêtée 
aux  portes  de  la  ville.  Ce  n'était  pas ,  comme  je  l'avais  pensé, 
un  poste  royal  qui  venait  inspecter  nos  passeports  :  nous 
étions  arrivés  à  la  grille,  et  là  l'autorité  royale  était  mécon- 
nue; u*ne  sentinelle  isolée,  en  chapeau  rond,  en  veste 
courte ,  sans  sabre  et  sans  giberne ,  semblable  en  tout  aux 
insurgés  de  juillet,  se  promenait  en  silence.  L'employé  de 
l'octroi  fit  son  inspection  avec  soin ,  comme  si  la  ville  eût 
été  dans  son  état  habituel.  Les  soldats-ouvriers  semblaient 
ne  pas  même  s'apercevoir  de  notre  passage.  Nous  eûmes 
bientôt  franchi  la  barrière,  et  la  ville  se  développa  suc- 
cessivement à  nos  yeux. 

J'ai  lu  souvent  les  chroniques  du  moyen-âge;  j'ai  tres- 
sailli au  récit  de  ces  guerres  des  rois  contre  les  villes,  de  la 
résistance  souvent  si  opiniâtre  de  ces  cités  nouvellement 
affranchies,  qui  avaient  arrêté  devant  leurs  murs  des  ar- 
mées disciplinées,  et  les  avaient  vaincues  dans  leurs  rues. 
Nancy,  Beauvais ,  une  autre  Lyon,  se  pressaient  à  ma  mé- 
moire :  et  bien,  rien,  rien  au  monde,  ne  me  frappa  plus 
que  l'aspect  de  Lyon  pendant  celte  nuit  obscure  ;  c'était  la 
réalisation  complète,  exacte,  des  récils  des  chroniqueurs.  De 
temps  en  temps,  un  factionnaire  à  demi  armé  nous  regar- 
dait passer  en  silence ,  à  travers  ces  étroites  ruelles  dont  les 
sinuosités  prudentes  rappellent  les  temps  de  l'arquebuse  et 
les  précautions  des  bourgeois  contre  les  gens  d'armes.  A 
Lyon,  les  barricades  ne  sont  pas  pour  le  peuple  une  né- 
cessité première  ;  les  tournansdes  rues  les  rendent  inutiles. 
C'était  le  surlendemain  seulement  que  les  troupes,  sur 
l'invitation  des  habilans,  devaient  faire  leur  rentrée  en  ville. 
-On  attendait  l'arrivée  du  maréchal  Soult  et  du  prince  royal 
f.pour  cette  espèce  de  prise  de  possession. 
»'     J'eus  donc  encore  le  temps  de  contempler,  tout  un  grand 
jour,  l'aspect  d'une  ville  conquise  par  ses  propres  enfaus. 
Déjà  la  victoire  leur  était  à  charge;  ils  avaient  abandonné 
les  postes  principaux.  Les  métiers  battaient  dans  tous  les 
quartiers.  Le  soir,  ces  hautes  maisons,  bâties  aux  moindres 
frais  possibles,  et  louées,  bien  cher  hélas!  en  détail  à  la 
-  population  ouvrière,  étaient  éclairées  à  chaque  fenêtre. 
Dans  chaque  chambre,  une  modeste  lampe,  de  la  forme  la 
plus  simple,  une  mèche  brûlant  dans  un  vase plem  d'huile , 
éclairait  le  travail  du  canut,  travail  si  délicat ,  si  minutieux 
par  les  soins  de  propreté  qu'il  exige,  et  qui  cependant  est 
souvent  exécuté  par  de  pauvres  êlres ,  salis  par  la  misère , 
transis  par  le  froid,  affaiblis  par  l'abstinence ,  et  dont  on 
pourrait  penser  que  les  facultés  morales  sont  anéanties.  Il 
n'eu  est  rien  cependant  :  l'ouvrier  lyonnais ,  assis  tout  le 
jour  devant  un  travail  qui  bientôt  pour  lui  est  une  habi- 
tude ,  a  tout  le  loisir  d'occuper  son  esprit  par  les  tristes 
pensées  que  fait  naître  sa  malheureuse  condition. 

Je  me  dirigeai  vers  la  Croix-Rousse ,  ce  quartier-général 
de  la  fabrique.  En  gravissant  ces  collines  escarpées ,  ces 
rues  toutes  couronnées  de  rampes  inaccessibles,  je  n'étais 
plus  surpris  des  succès  des  ouvriers;  il  faut  s'étonner  même 


de  la  victoire  que  depuis  les  soldats  ont  obtenue  :  il  n'y  a 
que  des  soldats  français  qui  puissent  surmonter  de  telles 
difficultés.  Pourquoi  faut-il  que  tant  de  courage  soit  dé- 
ployé dans  des  luttes  qui  ne  laissent  au  cœur  de  tous  que 
d'amers  souvenirs  ! 

La  rue  principale  de  la  Croix-Rousse ,  la  Grande-Côte, 
semble  abandonnée  aux  classes  les  moins  aisées.  L'aspect 
de  cette  rampe  longue  et  pénible  a  quelque  chose  qui  rap- 
pelle le  supplice  de  Sysiphe.  Les  malheureux  qui  la  gravis- 
sent ,  chargés  de  leurs  provisions  du  jour,  du  pain ,  des  lé- 
gumes, du  charbon,  nécessités  de  leurs  petits  ménages, 
doivent  être  accablés  de  fatigue  à  la  fin  de  leur  course  jour- 
nalière. Autrefois,  l'exemption  de  l'octroi  devait  compen- 
ser leur  pénible  tâche  du  malin  ;  mais  à  présent  la  Croix- 
Rousse  est  soumise  à  l'octroi  comme  tout  le  reste  de  la 
ville. 

Quand  on  a  jeté  un  coup  d'oeil  attentif  sur  cette  ville  de 
travailleurs,  si  bien  placée  pour  ses  opérations  industrielles, 
on  ne  s'étonne  plus  des  quarante-cinq  mille  métiers  qui 
parfois,  mais  parfois  seulement,  battent  dans  ces  nombreuses 
demeures.  On  comprend  que,  dans  celte  immense  fabrique, 
quatre-vingt-dix  mille  personnes,  sur  cent  cinquante  mille 
habilans,  soient  occupées  à  la  fabrication  des  tissus  de 
soie.  » 

Lyon  touche  au  nord  et  au  midi  de  la  France  à  la  fois. 
Elle  tient  par  ses  habitudes  de  l'une  et  de  l'autre  contrée, 
elle  reçoit  les  productions  de  toutes  deux  Lyon  devrait 
être  prospère ,  car  elle  contribue  pour  une  forte  part  à  la 
prospérité  générale  :  elle  exporte  en  effet  à  elle  seule  pour 
125  millions  de  produits  par  an. 

{La  suite  à  «a  prochain  numéro). 


LOIS  FONDAMENTALES  DU  PORTUGAL 

FAITES    DANS    LA    PREMIÈRE    CONVOCATION    DES   ÉTATS- 
GÉNÉRAUX  A   LAJUEGO,    EN   1145  (1). 

Au  nom  de  la  Très-Sainte-Trinité ,  Trinité  inséparable , 
hrioi  Alphonse ,  fils  du  comle  Henri  et  de  la  reine  Thérèse, 
petit-fils  du  grand  Alphonse,  empereur  des  Espagnes ,  et , 
depuis  peu,  pat  la  miséricorde  de  Dieu ,  élevé  à  la  dignilé 
royale. 

Puisque  Dieu  nous  a  accordé  le  repos ,  et  qu'il  nous  a 
fait  triompher  des  Maures ,  nos  ennemis ,  voulant  profiter 
de  ce  temps  de  calme,  nous  avons  convoqué  ceux  dont 
voici  les  noms  et  les  qualités  :  l'archevêque  de  Braga ,  les 
évêques  de  Viseu ,  de  Porto,  Coïnibre  et  Lamego,  etc. 

Laurent  de  Venegas,  portant  la  parole  pour  le  roi,  en 
qualité  de  son  procureur-général ,  en  présence  du  roi,  mais 
sans  aucune  marque  royale ,  et  du  clergé  séculier  et  régu- 
lier assemblé  dans  l'église  de  Sainte-Marie  d'Almançave,  se 
lève  et  dit  : 

Le  roi  Alplionse  que  vous  avez  élu  dans  le  camp  d'Ouri- 
que,  vous  a  convoqués  ici  pour  vous  exhiber  les  brefs  dti 
pape ,  et  vous  demander  si  vous  voulez  qu'il  soit  roi.  Tous 
répondirent  :  Noxis  voulons  qu'il  soit  roi.  —  Comment  se 
ra-t-il  roi  ?  Sa  royauté  finira-t-elle  avec  lui ,  ou  ses  enfam 
pourront-ils  lui  succéder?  Tous  répondirent  :  Il  régneru 
tant  qu'il  vivra,  et  après  lui  ses  enfans. — Si  vous  le  vou- 
lez ainsi ,  continua  Venegas ,  donnez  lui  les  marques  de  la 
royauté  ;  et  tous  répondirent  :  Donnons  lui  les  marques  de 
la  royauté,  au  nom  du  Seigneur.  Pour  lors ,  l'archevêque 
de  Braga  prit  des  mains  de  l'abbé  de  Lorbano  une  couronne 
d'or,  enrichie  de  perles,  et  donnée  à  ce  monastère  par  le 

(i)  L'importance  des  évènemens  qui  se  sont  accomplis  dans 
ces  derniers  temps  en  Portugal  fera  sans  doute  accueillir  avec 
intérêt  par  les  lecteurs  du  Magasin  Universel,  le  récit  des  faits 
qui  se  passèrent  dans  la  première  assemblée  où  les  Portugais, 
affranchis  du  joug  des  Maures ,  jetèrent  les  bases  de  leur  const»> 
tution  et  donnèrent  la  couronne  au  chef  qui  les  avait  coaduilai; 
la  victoire. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


59 


roi  des  Goths,  et  la  mit  sar  la  tête  du  roi ,  qui  tenait  son 
épée  nue  à  la  main,  la  même  qu'il  avait  portée  à  la  guerre. 
En  cet  état ,  Alphonse  dit  à  haute  voix  :  Béni  soit  Dieu,  qui 
m'a  toujours  assisté,  quand  je  vous  ai  délivrés  de  vos  en- 
nemis avec  cette  épée  que  je  porte  pour  votre  défense.  Je 
suis  donc  votre  roi,  et  puisque  je  suis  tel,  faisons  des  lois 
qui  établissent  la  tranquillité  dans  notre  royaume.  Nous 
le  voulons  bien,  reprirent  les  peuples,  faites  telles  lois 
qu'il  vous  plaira,  nous  sommes  à  vos  ordres,  nous  et  nos 
familles. 

Et  les  lois  pour  la  succession  au  trône  furent  telles  qu'elles 
sont  exprimées  dans  les  articles  suivans  : 

Que  le  roi  AlpJionse  vive  pendant  longues  années,  et 
qu'il  règne  sur  nous.  S'il  a  des  enfans  mâles,  qu'ils  soient 
nos  rois,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  faire  une  autre  élec- 
tion :  le  fils  succédera  au  père,  puis  le  petit-fils,  et  ainsi  à 
perpétuité  dans  leur  descendance. 

Si  le  fils  aîné  du  roi  meurt  pendant  la  vie  de  son  père , 
le  second  fils,  après  la  mort  du  roi  son  père,  sera  notre 
roi;  puis  le  troisième  succédera  au  second,  et  ainsi  des  au- 
tres fils  du  roi. 

Si  le  roi  meurt  sans  enfans  mâles,  le  frère  du  roi,  s'il  en 
a  un,  sera  notre  roi,  mais  pendant  sa  vie  seulement;  car, 
après  sa  mort ,  le  fils  de  ce  dernier  roi  ne  sera  pas  notre 
roi ,  à  moins  que  les  évêques  et  les  Étals  ne  l'élisent. 

Le  roi  demande,  dit  Laurent  de  Venegas,  si  vous  voulez 
que  les  filles  entrent  dans  la  succession  de  la  couronne , 
et  souhaite  que  sur  cela  on  fasse  une  loi.  Après  une  lon- 
gue contestation ,  les  évêques  et  seigneurs  arrêtèrent  que 
les  filles  du  seigneur  roi  régneraient,  mais  en  cette  ma- 
nière : 

Si  le  roi  n'a  point  d'enfant  mâle,  et  qu'il  ait  une  fille , 
elle  sera  reine  après  la  mort  du  roi,  pourvu  qu'elle  se  ma- 
rie avec  un  seigneur  portugais  ;  mais  ce  seigneur  ne  por- 
tera le  nom  de  roi  que  lorsqu'il  aura  un  enfant  mâle  de  la 
reine  qui  l'aura  épousé.  Quand  il  sera  dans  la  compagnie 
de  la  reine,  il  marchera  à  sa  main  gauche,  et  ne  mettra 
point  sur  sa  tête  la  couronne  royale. 

Que  cette  loi  soit  toujours  observée,  continua  Alphonse, 
et  que  la  fille  aînée  du  roi  n'ait  point  d'aiilre  mari  qu'un 
seigneur  portugais,  afin  que  les  princes  étrangers  ne  de- 
viennent point  les  maîtres  du  royaume.  Si  la  fille  du  roi 
épousait  un  prince  ou  un  seigneur  étranger,  elle  ne  serait 
point  reconnue  pour  reine ,  parce  que  nous  ne  voulons  point 
que  nos  peuples  soient  obligés  d'obéir  à  un  roi  qui  ne  se- 
rait pas  né  Portugais,  puisque  ce  sont  nos  sujets  et  nos 
compatriotes  qui ,  sans  le  secours  d'autrui ,  mais  par  leur 
valeur  et  aux  dépens  de  leur  sang,  nous  ont  fait  roi. 

Telles  sont  les  lois  qui  regardent  la  succession  à  la  cou- 
ronne de  Portugal;  et  les  peuples  y  applaudirent,  en  di- 
sant qu'elles  étaient  bonnes  et  justes,  et  ajoutèrent  qu'ils 
n'en  voulaient  point  d'autres  ni  pour  eux  ni  pour  leurs 
descendans. 

Et  Laurent  de  Venegas  s'étant  levé ,  proposa  aux  peu- 
ples ,  au  nom  du  roi ,  de  faire  des  lois  louchant  la  noblesse 
et  la  justice.  Ils  répondirent  qu'ils  y  consentaient,  pourvu 
qu'elles  fussent  conformes  aux  lois  divines.  Ce  sont  celles 
qui  suivent  : 

Tous  ceux  qui  sont  du  sang  royal,  ainsi  que  îeurs  des- 
cendans, seront  reconnus  princes.  Les  Portugais  qui  au- 
ront combattu  pour  la  personne  du  roi ,  pour  son  fils,  pour 
son  gendre,  ou  pour  la  défense  de  l'étendard  royal ,  seront 
nobles ,  les  descendans  des  Maures ,  des  Juifs  ou  des  Infi- 
dèles exceptés.  Si  un  Portugais,  fait  prisonnier  par  les 
Barbares,  meurt  en  captivité  sans  avoir  renoncé  à  la  sain- 
teté de  son  baptême,  ses  enfans  seront  nobles.  Celui  qui 
aura  tué  un  roi  ennemi  ou  son  fils,  ou  qui  aura  pris  leur 
étendard  royal ,  sera  reconnu  pour  noble. 

Si  un  noble  est  assez  lâche  pour  fuir  dans  le  temps  qu'il 
faudra  combattre  ;  s'il  a  frappé  une  femme  de  sa  lance  ou 
de  son  épée  ;  s'il  n'a  point  exposé  sa  vie  pour  la  liberté  de 
la  personne  du  roi  ou  du  prince  son  fils ,  et  pour  la  défense 


de  l'étendard  royal;  s'il  est  convaincu  de  parjure;  s'il  est 
allé  servir  chez  les  Maures;  s'il  a  volé,  blasphémé,  ou  en- 
fin attenté  à  la  personne  du  roi ,  cet  Jiomme  noble  sera  dé- 
gradé de  tout  caractère  ainsi  que  sa  postérité. 

Les  lois  concernant  la  justice  ayant  été  pareillement-éta- 
blies ,  Laurent  de  Venegas  se  leva  encore ,  et  dit  aux  peu- 
ples :  «  Voulez-vous  que  le  seigneur  roi  aille  aux  assem- 
blées du  roi  de  Léon,  qu'il  paye  le  tribut,  soit  à  lui,  soit 
à  quelque  autre  personne  étrangère ,  et  commise  par  le 
pape,  qui  l'a  fait  roi  ?  »  Chacun  se  leva  en  tirant  l'épée ,  et 
ditàhautevoix  :  «  Nous  sommes  libres,  notre  roi  l'est  comme 
nous.  Nous  devons  notre  liberté  à  notre  courage ,  et  si  le 
roi  consentait  à  faire  quelque  chose  de  semblable ,  il  serait 
indigne  de  vivre,  et,  quoique  roi ,  il  ne  régnerait  point  sur 
nous.  »  A  ces  paroles ,  le  seigneur  roi ,  ayant  la  couronne 
sur  la  tête  et  l'épée  nue  à  la  main ,  se  leva  et  dit  aux  peu- 
ples :  «  Vous  savez  les  risques  que  j'ai  courus,  et  les  dan- 
gers auxquels  je  me  suis  exposé  pour  vous  procurer  cette 
liberté  dont  vous  jouissez  ;  je  vous  prends  à  témoin,  aussi 
bien  que  cette  épée  que  je  porte  pour  votre  salut  et  pour 
votre  défense  :  si  quelque  roi  consentait  à  commettre  une 
telle  infamie,  qu'il  meure:  et  si  c'est  mon  fils  ou  mon  pe- 
tit-fils ,  qu'il  soit  privé  de  la  couronne.  »  Et  tous  s'écriè- 
rent en  agitant  leurs  épées  :  «  C'est  bien  dit  :  ils  mour- 
ront ,  et  si  le  roi  est  assez  lâche  pour  se  soumettre  à  «n« 
autre  puissance ,  qu'il  cesse  de  régner.  »  Et  le  roi  reprit  » 
«  Ainsi  soit-il.  » 

L'ADANSONIA  DIGITATA. 

La  belle  plante  dont  nous  ne  donnons  ici  que  quelques 
feuilles  et  une  fleur,  est  la  plus  volumineuse  de  toutes  celles 
que  le  célèbre  Adanson  a  décrites  dans  son  voyage  du  Se  - 
négal.  Le  tronc  de  l'arbre  qui  porte  l'adansonia  digitata  n'est 
pas  très  haut ,  mais  il  devient  si  gros  qu'il  n'est  pas  rare 
d'en  rencontrer  qui  ont  soixante  et  quinze  ou  quatre-vingts 
pieds  de  circonférence.  Il  est  couronné  par  un  grand 
nombre  de  branches  fort  grosses ,  longues  de  cinquante  à 
soixante  pieds,  dont  les  plus  basses  s'étendent  et  touchent 
quelquefois  la  terre,  de  manière  que  l'arbre,  dont  le  tronc 
est  ainsi  masqué,  ne  paraît  de  loin  qu'une  masse  de  ver- 
dure de  soixante  ou  quatre-vingts  pieds  de  haut ,  sur  cent 
cinquante  pieds  de  diamètre.  De  l'aisselle  de  deux  ou  trois 
feuilles  inférieures  de  chaque  branche ,  il  sort  une  fleur 
solitaire,  pendante  à  un  pédoncule  cylindrique  une  fois  plus 
long  que  les  feuilles,  accompagné  de  deux  ou  trois  écailles 
qui  tombent  vers  le  temps  de  l'épanouissement  de  l' Adanso- 
nia.  Cette  fleur  est  proportionnée  à  la  grosseur  de  l'arbre  ; 
elle  a,  lorsqu'elle  est  épanouie ,  quatre  pouces  de  longueur 
sur  six  pouces  de  large. 

Aux  branches  de  cet  arbre  répondent  à  peu  près  autant 
de  racines ,  presque  aussi  grosses ,  mais  beaucoup  plus 
longues.  La  racine  du  centre  forme  un  pivot  qui ,  sembla- 
ble à  un  fuseau ,  pique  verticalement  à  une  grande  pro- 
fondeur ,  pendant  que  celles  des  côtés  s'étendent  horizon- 
talement ,  et  tracent  près  de  la  superficie  du  terrain  ;  on  a 
observé  que  les  racines  d'un  individu  âgé  seulement  de  dix 
ou  douze  ans ,  et  d'une  circonférence  de  soixante-dix-sept 
pieds,  avaient  une  étendue  de  cent  et  dix  pieds.  L'ac- 
croissement de  cet  arbre ,  très  rapide  dans  les  premières 
années ,  diminue  ensuite  considérablement  ;  sa  durée  étonne 
l'imagination;  on  le  nomme  pour  cette  raison  arbre  de  mille 
ans.  Adanson ,  à  qui  nous  devons  une  histoire  très  étendue 
de  ce  végétal,  a  prétendu  que  parmi  ceux  qu'il  avait  ob- 
servés au  Sénégal ,  plusieurs  étaient  âgés  de  six  mille  ans  ; 
et  c'est  ce  qui  a  fait  dire  à  Huniboldt  que  cet  arbre  est  le 
plus  ancien  monument  organique  de  notre  planète.  Le 
fruit,  lorsqu'il  est  gâté,  et  son  écorce  ligneuse ,  servent  aux 
nègres  à  faire  un  excellent  savon ,  en  tirant  la  lessive  de  ses 
cendres  et  en  la  faisant  bouillir  avec  de  l'huile  de  palmier 
qui  commence  à  rancir.  Le  bois  est  blanchâtre ,  léger ,  et 
tellement  tendre ,  qu'en  Abyssinie  les  abeilles  y  forment 


60 


IVIAGASIN  UNIVERSEL. 


tin  trou  pour  y  déposer  leur  miel ,  qui  est  considéré  comme 
le  meilleur  de  ces  contrées.  Il  parait  que  le  bois  n'est  employé 
ni  pour  les  arts  ni  pour  l'industrie  ;  les  nègres  font  encore 
un  usage  bien  singulier  du  tronc  de  ces  arbres;  ils  agrandis- 
sent les  cavités  de  ceux  qui  sont  attaqués  de  la  carie;  ils  y 
pratiquent  des  espèces  de  chambres  où  ils  suspendent  les  ca- 
davres de  ceux  auxquels  ils  refusent  les  honneurs  de  la  sé- 
pulture ,  et  ils  en  ferment  l'entrée  avec  une  planche.  Ces 
cadavres  s'y  dessèchent  parfaitement,  et  y  deviennent  de 
véritables  momies  sans  aucune  autre  préparation  ;  le  plus 
grand  nombre  de  ces  corps ,  ainsi  desséchés ,  sont  ceux  des 
griots ,  ou  poètes  musiciens  qui  président  aux  fêtes  et  aux 
danses,  à  la  cour  des  rois  nègres,  voy.  pageS4.  Cette  espèce 
de  supériorité  de  talens  les  fait  respecter  des  autres  nègres, 
qui  les  regardent  comme  des  sorciers  ou  des  démons;  mais 


(Adansonia  digitata.  ) 

à  leur  mort  ce  respect  se  change  en  horreur  ;  les  nègres 
croient  que  si  on  enterrait  ces  corps ,  ou  si  on  les  jetait 
dans  les  eaux ,  ils  attireraient  la  malédiction  sur  leur  pays; 
c'est  pourquoi  ils  les  cachent  dans  les  troncs  des  Baobabs. 


DIUGENCES  ESPAGNOLES. 
(Suite.)  (i) 

Depuis  1820,  des  capitalistes  ont  eu  l'heureuse  et  lucra- 
tive idée  de  former  une  compagnie  royale  des  diligences. 
Les  routes  que  desservent  ces  voilures  sont  celles  de  Per- 
pignan à  Madrid,  en  passant  par  Barcelone  et  Valence;  de 
Bayonne  à  Madrid ,  par  Vittoria  et  Burgos  ;  et  de  Madrid 
à  Séville.  Enfin ,  depuis  deux  ans ,  un  bateau  à  vapeur  re- 
çoit les  voyageurs  qui  veulent  descendre  à  Cadix  par  le 
Guadalquivir,  ou  remonter  ce  fleuve  jusqu'à  Cordoue. 

Rien  de  plus  commode  ni  de  mieux  approprié  au  climat 
que  ces  diligences  de  la  compagnie  royale.  Des  espèces  de 
ventilateurs,  des  persiennes  adaptées  aux  portières,  enfin 
des  ouvertures  pratiquées  dans  les  cloisons  qui  partagent 
les  compartimeus  de  la  voiture,  garaatissent  les  voyageurs 

(f)  Voyez,  page  43. 


de  la  poussière  et  de  la  chaleur  tout  à  la  fois.  Assis  à  l'aise, 
et  au  milieu  d'un  demi-jour  que  laissent  arriver  les  jalou- 
sies ,  on  voyage  aussi  agréablement  que  possible ,  par  une 
chaleur  de  trente  degrés,  et  emporté  par  huit  ou  dix  mu- 
les qui  vont  comme  le  vent.  On  ne  rencontre  pas  à  beau- 
coup près  les  mêmes  commodités  dans  les  diligences  de 
France. — Tout  comme  dans  les  coches  de  cuUeras,  le  mayo- 
ral  est  assis  sur  le  siège,  tenant  les  rênes,  qu'il  n'abandonne 
jamais;  à  côté  de  lui  se  tient  le  zagal.  Celui-ci,  pour  peu 
qu'une  mule  ralentisse  son  allure,  s'élance  comme  un  trait,  et, 
la  frappant  du  bâton  noueux  de  son  fouet ,  accélère  le  pas  de 
la  pauvre  bête.  L'attelage  entier  reprend  une  nouvelle  ar- 
deur à  ce  bruit  bien  connu  qu'accompagne  ordinairement  un 
redoublement  de  reproches  à  la  capitana,  à  la  coronella ,  etc. 
C'est  là,  d'ailleurs,  une  criaillerie  qui  ne  cesse  pas  pen- 
dant toute  la  route. — Ce  qu'on  va  dire  donnera  une  idée  de 
la  rapidité  des  diligences  espagnoles  :  un  ordre  de  police 
défend  encore  aujourd'hui  de  voyager  la  nuit,  et  cela ,  di- 
sent les  affiches  municipales ,  pour  la  commodité  et  pour  la 
sûreté  des  voyageurs  (jpor  la  seguridaddeusted).  Des  esco- 
peteros  ou  gardiens,  payés  par  les  entrepreneurs  de  la  com- 
pagnie royale ,  escortent  leurs  diligences.  Ils  sont  quatre 
ou  six,  selon  les  pays  ou  les  époques;  toujours  perchés  sur 
l'impériale ,  ils  voyagent  armés  de  poignards ,  de  pistolets 
et  de  tromblons.  On  s'arrête  au  coucher  du  soleil,  et  ou 
repart  vers  trois  ou  quatre  heures  du  matin.  Néanmoins,  au 
bout  de  vingt-quatre  heures ,  on  a  fait  autant  de  chemin 
qu'une  diligence  française  qui  aurait  roulé  jour  et  nuit  pen- 
dant tout  ce  temps.  Ainsi  de  Lyon  à  Paris  l'on  compte  cent 
vingt  lieues  environ,  que  nos  voitures  publiques  parcou- 
rent ordinairement  en  trois  jours  et  trois  nuits ,  tandis  que 
les  diligences  espagnoles  vont  en  trois  jours  de  Madrid  à 
Bayonne  ;  or,  ces  deux  villes  sont  éloignées  de  cent  lieues, 
et  on  a  couché  deux  fois  en  route.  Il  est  vrai  que  les  routes 
d'Espagne ,  bien  qu'elles  n'exigent  pas  la  moitié  des  tra- 
vaux qu'occasione  l'entretien  des  nôtres,  sont,  en  général, 
plus  fermes  et  plus  unies.  Cette  différence  lient  à  la  rareté 
des  pluies  et  à  la  moindre  activité  du  charroi.  Il  faut  aussi 
faire  entrer  en  considération  le  prix  élevé  des  places  dans 
les  diligences  espagnoles  ;  il  en  coûte  de  cent  dix  à  cent 
qumze  francs  pour  faire  cent  lieues;  notez  que  dans  ce 
prix  ne  sont  pas  compris  les  frais  d'auberges.  Ces  auberges, 
dont  l'administration  a  calculé  les  distances  sur  les  routes , 
reçoivent  les  voyageurs  moyennant  une  rétribution  de  qua- 
rante-deux sous  pour  le  déjeuner,  et  du  double  pour  le  dî- 
ner et  la  couchée.— Ces  ventas^  ces  grandes  hôtelleries  iso- 
lées, qui  ont  conservé  dans  leur  pureté  originelle  les  mœurs 
de  la  vieille  Espagne,  rappellent  par  leur  aspect  les  scènes 
si  bien  décrites  dans  Don  Quicliotte  :  sous  le  hangard  qui 
règne  tout  autour  de  la  cour,  dorment  pêle-mêle  les  voya- 
geurs mendians  qui  reçoivent  l'hospitalité ,  les  muleliers , 
les  bestiaux  avec  leurs  gardiens.  Au  milieu  de  la  cour,  et 
bien  avant  dans  la  nuit,  le  mayoral,  avec  les  escopeteros, 
et  quelquefois  avec  l'hôtelier,  fument  et  boivent  grave- 
ment autour  d'une  table.  Réunis  dans  leur  chambre,  au 
nombre  de  six  et  même  davantage,  les  voyageurs  reposent 
au  premier  étage ,  jusqu'à  ce  que  la  voix  matinale  du  con- 
ducteur vienne  les  éveiller  en  criant  :  Al  coche,  al  coche! 
A  la  voiture,  à  la  voiture!  Il  faut  alors  se  lever  et  re- 
partir. ^___«. 

ACARUS  DE  LA  GALE. 

Dans  l'étude  de  l'histoire  naturelle  on  rencontre  souvent 
des  objets  qui,  après  avoir  fixé  quelque  temps  l'attentiou 
générale,  sont  ensuite  tombés  dans  l'oubli,  ou  du  moins 
qui  n'ont  plus  prêté  qu'à  de  rares  observations,  soit  parce- 
que  les  observateurs  se  sont  lassés  de  pousser  plus  loin 
leurs  recherches ,  soit  parce  qu'ils  ont  pensé  n'y  plus  rien 
découvrir.  C'est  ce  qui  est  arrivé  pour  Yacarus  de  la  gale, 
dont  l'existence  a  été  signalée,  depuis  près  de  trois  siècles, 
par  des  observateurs  dignes  de  foi,  et  qui  depuis  a  été  tour 


MAGASIN  UKrVERSEL. 


m 


à  tour  reconnu  et  décrit,  après  avoir  été  mis  eu  doute  et 
enfin  nié  positivement. 

Les  anciens  ont  connu  quelques  acarus  ou  cirons,  ainsi 
noraméspareuxjà  cause  de  leur  peliiesse  presque  atomisti- 
que,  ou  parce  qu'ils  se  creusent  des  espèces  de  galeries  dans 
la  substance  dont  ils  se  nourrissent.  En  effet,  Aristote  a  dit 
qu'il  s'engendre,  dans  la  cire  ou  dans  le  vieux  fromage, 
un  animal,  le  plus  petit  de  tous,  auquel  on  donne  le  nom 


d'acarus;  mais  il  ne  parait  pas  qu'il  ait  connu  l'animalcule 
parasite  de  l'espèce  humaine,  dont  la  présence  indique 
la  gale,  quoiqu'il  ait  probablement  connu  cette  maladie. 

C'est  dans  un  auteur  arabe  du  42"  siècle  que  se  trouvent 
les  indices  de  cette  découverte.  On  lit,  en  effet,  dans 
un  ouvrage  intitulé:  Taisir  Elmedaouar,  par  un  médecin 
arabe,  nommé  Ahoumeroand- Abdel  Maleck  ;  «  Il  y  a  une 
«  chose  connue  sous  le  nom  de  soab ,  qui  laboure  le  corps 


l'insecte  de 

LA  GALE , 
VU  AU  MICROSCOPE. 

(  Diamètre  réel  de 

l'acarus,    un   huitième  dn 

millimètre.) 


Les  dimensions  sous 
lesquelles  Tacarus  de 
la  gale  est  ici  représenté 
sont  «leiix  cent  cin- 
qua.trc  lois  environ  ses 
dimensions  réelles. 


(Centièmes  de  millimètres.) 


«  à  l'extérieur  ;  elle  existe  dans  la  peau ,  et  lorsque  celle-ci 
«  s'accroche  en  quelque  endroit ,  il  en  sort  un  animal  ex- 
«  trêmement  petit,  et  qui  échappe  presque  aux  sens;  » 
description  à  laquelle  il  ajoute  un  système  de  traitement 
qui  consiste  en  onctions  avec  de  l'huile  d'amandes  amères 
et  avec  une  décoction  de  feuilles  de  persicaire. 

Cependant,  malgré  ce  passage  du  médecin  arabe,  la  dé- 
couverte de  i'acarus  fit  peu  de  progrès  en  Occident;  en 
4557  seulement,  Scaliger  en  parle  d'une  manière  positive. 
«  Les  Padouaves  nomment  I'acarus  pedicelli ,  les  Turiniens 
«  scirones ,  les  Gascons  hrigant.  Il  est  si  petit  qu'on  peut 
M  à  peine  l'apercevoir.  li  se  loge  sous  l'épiderme;  en  sorte 
«  qu'il  brûle  par  les  sillons  qu'il  se  creuse.  Extrait  avec  une 
«  aiguille  et  placé  sur  l'ongle ,  il  se  met  peu  à  peu  en  raou- 
«  vement,  surtout  s'il  est  exposé  aux  rayons  du  soleil.  Eu 
«  l'écrasaat  entre  deux  ongles,  on  entend  un  petit  bruit, 
«  et  on  en  fait  sortir  une  matière  aqueuse.  » 

Le  dictionnaire  de  la  Crusca  ,  publié  pour  la  première 
fois  en  1612,  donne  déjà  une  définition  de  cet  acarus  au  mot 
pedicello ,  très  petit  ver  qui  se  forme  sous  la  peau  des 
galeux  et  dont  la  morsure  cause  une  énorme  démangeaison. 

La  lecture  de  cette  définition  engagea  le  docteur  Bononio 
à  vérifier  le  fait.  Il  découvrit  en  effet  l'insecte  et  en  doima 
la  première  figure. 

Cependant,  il  faut  l'avouer,  ce  que  l'on  savait  de  l'his- 
toire de  Vacarus  scabiei  était  dû  aux  travaux  des  Italiens 
ou  des  Allemands,  et  les  Français  n'y  avaient  eu,  pour 
ainsi  dire ,  aucune  part ,  lorsqu'en  1812 ,  M.  Gales ,  phar- 


macien en  chef  de  l'hôpital  Saint-Louis,  hôpital  où  tous 
les  galeux  de  Paris  et  des  environs  sont  traités ,  eut  l'idée 
de  profiter  de  cet  avantage  pour  éclaircir  et  confirmer  les 
faits  admis  par  les  pathologistes  étrangers.  Ses  observations 
et  ses  expériences ,  consignées  dans  une  thèse  inaugurale 
soutenue  à  la  Faculté  de  médecine  à  Paris,  avaient  été  sui- 
vies par  un  grand  nombre  de  médecins  et  de  naturalistes. 
Tous  avaient  pu  voir  le  ciron  de  la  gale.  M.  Gales  avait 
montré,  de  plus,  par  une  expérience  faite  sur  lui-même  et 
répétée  devant  les  commissaires  nommés  par  le  conseil  gé- 
néral des  hospices,  qu'un  acarus,  placé  convenablement  sur 
la  peau  d'un  homme  sain,  détermine  l'éruption  des  pustules 
psoriques ,  ce  que  ne  fait  nullement  Vacarus  de  la  farine. 

Les  figures  de  Vacarus  scabiei  fournies  par  M.  Gales 
furent  regardées  comme  incontestables  jusqu'au  moment 
où  M.  Raspail,  en  1829,  prouva  que  ces  figures,  au  lieu 
de  représenter  le  ciron  de  la  gale ,  n'étaient  que  la  repré- 
sentation de  celui  du  fromage. 

Dès  lors  les  doutes  sur  l'existence  de  Vacarus  reprirent 
le  dessus ,  et  par  un  excès  blâmable ,  on  contesta  tous  ces 
faits  et  les  expériences  de  M.  Gales,  comme  si  elles  étaient 
une  conséquence  rigoureuse  de  l'inexactitud-e  de  ses  figures, 
et  comme  si  l'Europe  savante  n'avait  pas  prononcé  de- 
puis long-temps  sur  ce  sujet.  On  fut  amsi  tenté  d'admettre 
avec  M.  Raspail  que  l'animal  parasite  de  la  pustule  de  ia 
gale  chez  l'homme  ne  s'y  trouve  pas  toujours,  et  bien  plus, 
qu'on  ne  l'y  rencontre  qu'accidentellement. 

MM.  Galeoti,  Chiorugi,  à  Florence,  et  MM.  Bielt,  Lugol, 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Mousonville,  Rayn,  Asselin ,  Henri ,  Pelletier,  en  France , 
après  des  tentatives  infructueuses ,  déclarèrent  que  ce  mal- 
encontreux insecte  n'existait  pas.  M.  Biett  cependant, 
ébranlé  par  l'autorité  des  savans  qui  l'avaient  vu,  demanda 
de  nouvelles  expériences ,  tandis  qu'au  contraire,  M.  Lugol 
défia  tous  les  entomologistes  de  le  trouver,  et  offrit  un 
prix  de  300  fr.  à  celui  qui  le  lui  ferait  voir. 

La  question  en  était  là,  lorsqu'on  i83i ,  Olymi,  le  jar- 
dinier d'Alfort,  et  deux  élèves  de  cet  établissement, 
adressèrent  à  M.  Raspail  des  débri«  de  la  gale  du  cheval , 
qui  grouillaient  à  la  vue  simple.  C'étaient  des  insectes  bien 
vivans  qu'il  se  hâta  d'observer  au  microscope  et  de  dessiner 
avec  soin.  Il  est  inutile  de  faire  observer  que  ces  insectes 
n'avaient  pas  le  moindre  rapport  de  ressemblance  avec  les 
figures  de  M.  Gales,  aux  yeux  d'un  homme  exercé  à  l'étude 
des  corps  microscopiques.  M.  Raspail  en  publia  la  descrip- 
tion ,  en  annonçant  que  l'on  retrouverait  sûrement  un  jour 
l'insecte  des  pustules  de  la  gale  humaine 

Ses  prévisions  se  sont  toutes  vérifiées ,  et  l'on  ne  peut 
encore  s'expliquer  comment  elles  ont  tant  tardé  à  l'être  ;  car, 
entre  autres  auteurs ,  Casai  nous  a  laissé  une  espèce  d'iti- 
néraire de  l'insecte,  qui  aurait  dû  mettre  les  médecins  sur 
les  traces  de  cet  animal.  En  effet ,  a  dit  cet  auteur  qui 
l'avait  bien  des  fois  observé  dans  les  Asturies ,  «  l'insecte 
s'engendre  sous  l'épiderme;  on  l'appelle,  et  ajuste  titre,  le 
laboureur,  car  il  laboure  la  peau  entre  le  derme  et  l'épi- 
derme ;  il  avance  à  la  manière  des  lapins ,  et  laisse  derrière 
lui  son  terrier  en  forme  d'un  sillon,  qui  est  très  visible  à  un 
œil  ordinaire ,  lorsqu'il  est  éclairé  par  une  lumière  assez 
vive.  Dans  les  pays  des  Asturies ,  il  n'est  pas  rare  de  trou- 
ver des  personnes  qui  savent  extraire  ces  animalcules  avec 
la  plus  grande  habileté  à  la  pointe  d'une  aiguille  j  elles  les 
placent  sur  un  verre  poli,  où  on  les  voit  courir.  » 

Ce  que  Casai  a  rapporté  des  Asturies ,  on  l'observe  de  la 
même  manière  dans  toutes  les-provinces  méridionales  de 
l'Europe,  et  les  bonnes  femmes  n'ont  pas  besoin  d'avoir 
recours  à  la  mystificalic»!  de  M.  Galès ,  pour  montrer  aux 
curieux  l'insecte  qui  dévore  la  peau  de  leurs  nourrissons. 
M.  Renucci ,  élève  en  médecine ,  natif  de  la  Corse ,  et 
qui  avait  eu  de  si  fréquentes  occasions  de  remarquer  dans 
cette  province  de  la  France  ce  que  Casai  avait  observé  dans 
les  Asturies,  M.  Renucci  apprit  avec  étonnement,  en  assis- 
tant aux  cours  de  la  capitale ,  qiie  l'existence  de  Vacarus  de 
la  gale  donnait  lieu  à  une  polémique  assez  animée.  Il  se 
mit  à  examiner  les  galeux  de  la  capitale ,  et  par  les  procé- 
dés usités  dans  son  pays ,  il  s'assura  que  cet  insecte  se  trou- 
vait à  Paris  comme  en  Corse.  Ses  indications  ont  été  si  po- 
sitives, que  chaque  médecin  peut  aujourd'hui  extraire  cet 
ttcanis  avec  la  même  dextérité  que  les  habitans  des  Astu- 
ries, de  Corse  et  de  Naples;  car,  au  bout  du  sillon  dont  a 
parlé  Casai ,  M.  Renucci  a  fait  remarquer  un  point  blanc 
qui ,  lorsqu'on  le  rencontre,  indique  infailliblement  la  pré- 
sence de  Vacarus  :  on  n'a  alors  qu'à  plonger  au-dessous  de 
ce  point  l'exlrémité  d'une  épingle ,  à  soulever  l'épiderme, 
pour  emporter  l'insecte  au  dehors,  tout  vivant  et  non  mu- 
tilé. Lepointd'un  i  peut  donner  une  idée  de  la  grosseur  de  cet 
insecte,  qui  a  un  peu  moins  d'un  huitième  de  millimètre  d'é- 
tendue. Le  grossissement  sous  lequel  il  est  représenté  dans 
la  figure  de  cet  article  est  de  plus  de  deux  cent  cinquante  fois 
son  diamètre.  L'acarus  est  blanc ,  opalin,  arrondi ,  bosselé , 
demi-transparent;  la  partie  supérieure  du  dos  est  cou- 
verte de  sillons  transversaux  et  de  petites  élévations  en 
forme  de  verrues;  les  bosselures  de  cette  partie  ressemblent 
assez  à  celles  que  présenterait  ime  vessie  distendue  et  enfon- 
cée en  quelques  points  par  des  brides;  la  partie  infé- 
rieure présente  les  sillons  transversaux  déjà  indiqués, 
mais  on  n'y  voit  point  les  petites  élévations  du  dos;  elle  pré- 
sente, entre  l'insertion  des  quatres pattes  antérieures,  trois  li- 
gnes roussâtres  qui  correspondent  à  des  enfonceraens,  et  qui, 
vues  sur  l'insecte  mort ,  paraissent  être  des  tendons  destinés 
à  mouvoir  les  pattes  ;  de  semblables  lignes  se  font  remarquer 
aux  pattes  postérieures,  elles  ont  une  même  couleur  et  pa- 


raissent destinées  aux  mêmes  fonctions.  Le  reste  du  coi-ps 
est  transparent ,  si  ce  n'est  au  centre  et  vers  la  partie 
antérieure ,  où  l'on  voit  une  tache  brune  qui  n'a  pas  élé 
figurée  sur  la  planche,  et  semblerait  être  l'estomac;  cette 
tache  s'est  présentée  sur  plus  de  douze  individus  que  nous 
avons  examinés  au  microscope.  La  tête  est  courte  et  de  cou- 
leur rouge  rouille,  ainsi  que  les  pattes;  en  avant,  sont  deux 
antennes  courtes  et  semblables  aux  poils  qui  existent  sur 
d'autres  parties  du  corps;  la  bouche  paraît  être  verticale, 
comme  celle  de  l'acarus  du  fromage  ;  les  yeux  sont  à  peine 
indiqués  sur  les  côtés  de  la  tête  ;  les  pattes  antérieures ,  au 
nombre  de  quatre,  sont  fortes  et  puissantes ,  puis  prolon- 
gées par  un  filet  mince  qui  paraît  plier  sous  le  poids  de  l'a- 
carus :  l'extrémité  de  ce  filet  est  terminée  par  une  petite 
ventouse  en  forme  de  pelotte  ,  et  réunie  avec  le  filet  au 
moyen  d'une  articulation.  Nous  avons  constaté  ce  fait  sur 
des  individus  morts,  chez  lesquels  ce  petit  tarse  faisait  un 
angle  droit  avec  la  jambe.  Les  pattes  postérieures  sont 
moins  fortes  que  les  pattes  antérieures  ;  elles  sont  terminées 
par  de  longs  poils  qui  égalent  quelquefois  la  longueur  du 
corps  de  l'insecte  ;  elles  ne  sont  point  comme  les  antérieu- 
res terminées  par  la  petite  ventouse  dont  nous  avons  parlé, 
et  que  M.  Raspail  a  trouvée  à  ces  pattes  postérieures  chez 
le  sarcopte  du  cheval.  Dans  l'état  ordinaire,  l'acarus  les 
traîne  derrière  lui ,  et  elles  ne  lui  servent  point  à  marcher, 
mais  elles  paraissent  avoir  pour  fonctions  de  servir  à  élever 
la  partie  postérieure  de  l'animal  lorsqu'il  veut  pénétrer 
dans  un  tissu ,  et  elles  lui  permettent  ainsi  de  plonger  avec 
la  tête  et  d'agir  avec  les  pattes  antérieures  ;  nous  avons  vu 
des  acarus  répéter  souvent  cette  manœuvre  sur  des  pla 
ques  de  verre  entre  lesquelles  nous  les  avons  conservés 
quatre  jours  vivans. 

Il  y  a  dans  l'organisation  de  cet  insecte  un  fait  fort  re 
marquable ,  c'est  que ,  destiné  à  vivre  sous  l'épiderme ,  où 
il  se  fraie  un  chemin ,  il  présente  une  organisation  analo 
gue  à  celle  de  la  taupe.  Ses  extrémités  antérieures  sont 
puissantes  et  développées ,  tandis  que  les  postérieures  sont 
presque  à  l'état  rudimcntaire.  Il  serait  curieux  de  vérifier 
si  le  sarcopte  du  cheval  qui  a  des  pattes  postérieures  pour- 
vues de  venlouses ,  quoique  moins  fortes  que  les  pattes  an- 
térieures, est  situé  plus  souvent  dans  la  vésicule  que  sous 
l'épiderme  ;  cette  différence  de  mœurs  serait  tout-à-fait  en 
rapport  avec  l'organisation  des  deux  insectes ,  et  servirait 
pour  ainsi  dire  à  l'expliquer. 


LE  DANTE. 

(Suite.)  (i) 

Né  à  Florence  au  mois  de  mai  1265,  de  la  famille  des 
Alighierri ,  ce  poète  avait  reçu  le  nom  de  Durante ,  qu'on 
changea  par  abréviation  en  celui  de  Dante.  On  ajoutait  alors 
beaucoup  de  foi  à  l'astrologie  judiciaire  ;  Brunetto  Latini , 
poète  et  philosophe  qui  passait  pour  un  savant  astrologue , 
prédit  que  cet  enfant  s'élèverait  un  jour  au  plus  haut  degré, 
et ,  chargé  du  soin  de  son  éducation  par  sa  mère  Bella ,  il 
ne  négligea  rien  pour  développer  ses  heureuses  dispositions. 
Dante  perdit  son  père  de  bonne  heure;  à  neuf  ans ,  il  vit 
pour  la  première  fois  une  jeune  fille  du  même  âge ,  Béatrix 
ou  Béatrice  Portinari;  il  reçut  dès  lors  des  impressions  qui 
purent  bien  s'affaiblir  dans  la  suite ,  mais  qui  ne  s'effacèrent 
jamais  ;  ce  fut  pour  Béatrice  qu'il  composa  ses  premiers 
vers  ;  il  a  écrit  dans  l'un  de  ses  ouvrages  en  prose ,  la  Vita 
nuova ,  l'histoire  de  leurs  innocentes  amours ,  et  lui  a  élevé 
un  monument  plus  célèbre  dans  son  grand  poème  qui  est 
en  quelque  sorte  plein  de  son  souvenir.  Il  ne  borna  pas  ses 
études  à  la  poésie  et  à  la  littérature  ;  la  philosophie  de  Platon 
et  celle  d' Aristote ,  l'histoire ,  la  théologie ,  l'occupèrent 
tour-à-tour;  il  savait  parfaitement  le  latin ,  le  provençal , 
et  même  un  peu  le  grec ,  ce  qui  était  alors  très  rare.  Il 
cultiva  aussi  la  musique  et  le  dessin  ;  on  le  voit  jusqu'^ 

(x)  Voyez  page  49> 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


as 


vingt-cinq  ans  se  livrer  sans  relâche  à  des  exercices  de  l'es- 
prit. Plusieurs  de  ses  essais  poétiques  en  l'honneur  de 
Béatrix ,  eurent  du  succès ,  mais  il  était  temps  qu'il  prît 
une  détermination  pour  son  avenir;  il  flotta  entre  des  partis 
très  divers,  et  songea  même  à  se  faire  moine j  il  porta, 
dit-on,  l'habit  de  Saint-François  ;  mais  ces  idées  ne  du- 
rèrent pas ,  car  c'est  à  la  guerre ,  à  la  bataille  célèbre  de 
Gampaldino,  en  1589,  qu'il  paraît  pour  la  première  fois 
comme  citoyen  de  Florence.  Il  servait  dans  la  cavalerie ,  et 
contribua  au  succès  de  la  journée  qui  anéantit  les  dernières 
espérances  des  Gibelins.  Dante  né  dans  une  famille  Guelfe, 
en  avait  épousé  les  passions  avec  toute  l'ardeur  de  son  ca- 
ractère; il  combattit  encore  l'année  suivante  dans  une  autre 
expédition  contre  les  Pisans ,  et  se  trouva  au  siège  et  à  la 
prise  du  château  de  Caprona  ;  mais  ses  talens  l'appelaient 
plus  particulièrement  aux  ambassades  ou  aux  missions  po- 
litiques ;  il  en  remplit  jusqu'à  quatorze. 
I  En  1290,  une  grande  douleur  l'attendait  à  Florence; 
Beatrix  mourut  dans  la  vingt-sixième  année  de  son  âge , 
mariée  depuis  quelque  temps  à  un  personnage  de  la  noble 
famille  des  Bardi.  Des  mois  se  passèrent  avant  qu'il  pût 
essayer  d'exhaler  ses  regrets  dans  des  vers  sur  sa  tombe  ; 
il  la  célébra  ,  la  pleura ,  la  divinisa  dans  maint  Canzone  ; 
il  écrivit  une  lettre  latine  adressée  aux  rois  et  aux  princes 
de  la  terre ,  pour  leur  peindre  la  désolation  où  la  mort  de 
Béatrix  venait  de  laisser  Florence  et  le  monde  entier.  Nous 
ne  nous  arrêterons  pas  à  l'opinion  récemment  émise,  d'après 
laquelle  Béatrix  ne  serait  qu'une  personnification  de  la  puis- 
sance impériale  que  Dante  appelait  de  tous  ses  vœux  ;  elle  a 
été  combattue  et  réfutée  avec  une  grâce  exquise ,  par  fau- 
teur de  la  Vie  intime,  M.  Antoine  de  Latour. 

Le  vif  chagrin  que  notre  poète  avait  ressenti  de  la  perte 
de  son  amie,  ne  l'empêcha  pas  de  se  marier  en  1291  ;  il 
épousa  Gemma  Donati  dont  il  eut  plusieurs  enfans ,  et  avec 
laquelle  il  ne  vécut  pas  long-temps  en  bonne  intelligence  ; 
elle  finit  par  le  quitter ,  et  ce  fut  sans  retour.  Cette  division 
jeta  Dante  dans  le  paiti  des  Blancs ,  et  fut  la  source  de  tous 
ses  malheurs. 

Les  Gibelins  avaient  été  expulsés  de  Florence ,  et  les 
Guelfes  tout-puissants  se  partagèrent  bientôt  en  deux  fac- 
tions ,  la  faction  des  Noirs  qui ,  appuyés  par  le  souverain 
pontife,  voulaient  appeler  Charles  d'Anjou  dans  leur  ville, 
et  la  faction  des  Blancs  qui  s'y  opposaient  violemment.  Les 
Donati  étant  du  premier  parti ,  Dante  embrassa  le  second; 
nommé  Prieur  en  1300,  il  ne  put  réprimer  les  discordes 
civiles ,  et  lorsque  Ciiarles  eut  passé  les  Alpes ,  il  fut  désigné 
comme  chef  de  l'ambassade  envoyée  au  pape  Boniface  VIII; 
c'est  alors  qu'il  tint  le  propos  si  fier  et  si  connu  :  Si  je  vais , 
qui  reste?  si  je  reste,  qui  va  ?  Pendant  qu'il  était  à  Rome  , 
Charles ,  après  avoir  reçu  le  titre  de  pacier  de  la  Toscane , 
entra  à  Florence  le  1"  novembre  1301 ,  et  malgré  des  pro- 
messes solennelles ,  prétextant  une  feinte  conspiration ,  il 
livrait  les  Blancs  aux  vengeances  de  leurs  adversaires.  Les 
Blancs  ft-appés  d'épouvante ,  se  mirent  à  fuir  de  tous  côtés  ; 
quand  ils  furent  partis ,  Charles  les  fit  citer  devant  lui ,  et 
condamner  comme  rebelles,  pour  n'avoir  pas  comparu. 
Leurs  biens  furent  confisqués ,  leurs  palais  démolis  ;  ceux 
qui  eurent  le  courage  de  se  présenter  ne  furent  pas  mieux 
traités  ;  la  plupart  furent  bannis ,  leurs  biens  confisqués  ou 
dévastés.  Le  nombre  des  proscrits  fut  de  plus  de  six  cents , 
sans  compter  les  enfans  et  les  femmes;  le  gouvernement 
de  Florence  y  gagna  des  sommes  immenses  ;  Charles  de 
Valois  eut  pour  sa  part  vingt-cinq  mille  florins  d'or  ,  et  ce 
fut  ainsi  qu'il  termina  sa  mission  de  pacier  en  Toscane. 

Dante  toujours  à  Rome  ne  pouvait  manquer  d'être  per- 
sécuté; il  fut  condamné,  par  une  première  sentence ,  à  l'exil 
et  à  la  confiscation  de  ses  biens ,  et  par  une  seconde  à  être 
brûlé  vif  lui  et  tous  ses  adhérens;  ces  sentences  existent 
écrites  en  latin  barbare.  Il  alla  donc  se  joindre  aux  autres 
bannis;  ils  firent  cause  commune  avec  leurs  anciens  ennemis 
les  Gibelins ,  et  les  Blancs-Gihelins  cherchèrent  vainement 
en  1304  à  rentrer  par  la  force  à  Florence.  Dante  ne  fit  plus  | 


que  changer  fréquemment  d'asile,  trouvant  partout  d'abord 
un  bon  accueil ,  et  fatigant  bientôt  ses  îiôtes ,  soit  par  la 
hauteur  et  l'âpreté  de  son  caractère,  que  le  malheur  aigris- 
sait ,  soit  par  son  malheur  même,  a  Je  réserve  ma  plus 
grande  pitié ,  écrivait-il ,  pour  ceux  qui,  se  consumant  dans 
l'exil ,  ne  revoient  leur  patrie  qu'en  songe.  »  L'arrivée  du 
nouvel  empereur,  Henri  de  Luxembourg,  en  Italie,  lui  donna 
quelques  espérances  que  la  mort  inopinée  de  ce  prince  fit 
évanouir.  Ce  fut ,  dit-on ,  vers  ce  temps  là  qu'il  vint  à  Paris 
et  qu'il  y  fréquenta  l'Université  ;  il  retourna  ensuite  en  Italie, 
et  recommença  sa  vie  errante;  il  mourut  à  Ravenne  ,  à 
l'âge  de  cinquante-six  ans,  après  une  courte  maladie,  et  fut 
enterré  dans  l'église  des  Frères  Mineurs  de  Saint-François, 
sous  une  simple  tombe  de  marbre  sans  inscription.  Ce  ne 
fut  qu'en  1483  que  Bernard  Bembo  lui  fit  élever  un  mo- 
nument digne  de  lui.  Ravenne  ne  voulut  jamais  consentir 
à  rendre  à  sa  patrie  les  restes  de  ce  grand  honnne. 
Voici  le  portrait  que  nous  en  a  laissé  Boccace  : 
Dante  était  de  taille  moyenne  et  légèrement  voûté  ;  sa 
démarche  était  noble  et  grave ,  son  air  bienveillant  et  doux; 
il  avait  le  nez  aquilin ,  les  yeux  grands,  la  figure  longue, 
et  la  lèvre  inférieure  un  peu  avancée  ;  il  avait  le  teint  très 
brun,  la  barbe  et  les  cheveux  noirs,  épais  et  crépus. 

Sa  physionomie  était  celle  d'un  homme  mélancolique  et 
pensif;  naturellement  rêveur  et  taciturne,  il  ne  parlait  guère 
à  moins  d'être  interrogé,  et  souvent  absorbé  comme  il 
l'était  dans  ses  réflexions ,  il  n'entendait  pas  toujours  les 
questions  qui  lui  étaient  faites.  Il  aimait  passionnément 
tous  les  beaux  arts  ;  doué  d'une  belle  voix ,  il  chantait 
agréablement ,  c'était  sa  manière  favorite  d'épancher  les 
émotions  de  son  ame ,  surtout  quand  elles  étaient  douces  et 
heureuses. 


GUILLAUME  TELL. 

L'histoire  de  Guillaume  Tell  est  sans  doute  assez  con- 
nue de  tous  nos  lecteurs  pour  que  nous  devions  nous  abste- 
nir de  la  produire  dans  notre  recueil.  Un  auteur  dont  les 
œuvres  se  retrouvent  dans  tous  les  coins  de  la  France , 
Fiorian,  a  fait  de  celte  histoire  un  roman  qui  est  loin  d'être 
sans  intérêt.  Lemierre  a  bâti  sur  cette  légende  une  tragé- 
die jouée  pour  la  première  fois  en  1766,  et  qui,  malgré  ses 
défauts,  est  restée  au  théâtre;  et  enfin,  le  grand  Schiller, 
l'un  des  régénérateurs  du  théâtre  allemand,  a  fait  paraître 
sur  le  même  sujet  un  drame  éminemment  remarquable.  La 
couleur  républicaine  de  cette  œuvre  dramatique  valut  à 
Schiller  un  brevet  de  citoyen  français ,  que  loi  décerna  la 
Convention.  Cette  terrible  assemblée  avait  cependant  reçu 
de  Schiller  ,  lors  du  procès  de  Louis  XVI,  un  mémoire  en 
faveur  de  cet  infortuné  monarque.  Lorsque  le  brevet  fut  ex- 
pédié en  Allemagne  ,  pas  un  seul  des  conventionnels  qui 
l'avaient  signé  n'avait  survécu;  chose  remarquable,  ils 
avaient  tous  péri  de  mort  violente.  La  musique  et  la  danse 
ont  aussi  payé  leur  tribut  à  la  gloire  de  Guillaume  Tell.  Le 
divin  Rossini  a  fait  la  musique  d'un  opéra  qui  porte  le  nom 
du  libérateur  de  la  Suisse,  et  que  les  amateurs  vont  tou- 
jours entendre  avec  empressement  à  l'Académie  royale  de 
musique;  et  dans  ces  derniers  temps,  le  théâtre  Nautique 
a  donné ,  sous  le  même  titre ,  un  ballet  dont  l'attrait  est 
rehaussé  par  de  magnifiques  décorations. 

La  réalité  de  l'existence  et  des  hauts  faits  de  Guillaume 
Tell  n'est  pas  admise  par  tous  les  historiens.  On  retrouve, 
en  effet,  la  même  légende  dans  une  histoire  des  rois  et 
héros  saxons,  écrite  au  xii^  siècle  par  un  Danois,  Saxo- 
Grammaticus.  Dans  ce  recueil  curieux  de  traditions  popu- 
laires ,  de  chants  nationaux  et  de  documens  sur  les  peuple* 
du  nord,  qui  ont  les  premiers  adopté  une  sorte  de  gouveir 
nement  constitutionnel ,  nons  trouvons,  sous  un  nom  diffé- 
rent, un  autre  Guillaume  Tell,  dont  la  biograplde  semble 
avoir  servi  de  modèle  à  celle  que  les  Suisses  donnent  de  leur 
héros,  ou  qui  du  moins  «  ^té  copiée  littéralement  sur  cetlç  I6-; 


64 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


gende.  Guillaume  Tell,  suivant  les  chroniques  suisses,  au- 
rait vécu  dans  le  xiv'  siècle ,  tandis  que  l'ouvrage  de  Saxo 
G rammaiicus  remonte  au  douzième;  mais  la  plupart  des 
historiens  français  et  allemands  pensent  que  celte  histoire 
de  Guillaume  Tell  a  été  insérée  après  coup  dans  l'ouvrage 
danois. 


Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'est  pas  permis  en  Suisse  de  met- 
tre en  doute  le  généreux  dévonement  et  les  hauts  faits  du 
vengeur  de  ce  pays.  L'insurrection  des  trois  cantons  d'Uri, 
deSchwitz  et  d'Underwald ,  qui  les  premiers  ont  secoué  le 
joug  oppresseur  de  l'Autriche,  et  l'établissement  de  leur  ré- 
publique fédérative ,  sont  chez  eux  inséparables  des  noms 


(  Monument  élevé  à  Guillaume  Tell  dans  son  canton.) 


de  Gessler  et  de  Tell.  Le  refus  de  ce  dernier  de  rendre  hom- 
mage au  chapean  du  gouverneur  planté  sur  une  pique  au 
milieu  de  la  place  d'Altorf,  son  emprisonnement  dans  le 
château  fort  de  Kusnacht,  le  passage  du  lac,  la  tempête 
(|ui  force  Gessler  à  confier  la  conduite  de  sa  barque  à 
Guillaume  Tell,  l'évasion  de  ce  dernier,  la  mort  de  Gess- 
ler frappé  au  cœur  d'une  flèche  lancée  par  le  héros  siiijse , 
et  jusqu'à  la  scène  peu  vraisemblable  dans  laquelle  Guil- 
laume Tell ,  pour  recouvrer  sa  liberté ,  est  forcé  d'abattre 
une  pomme  placée  sur  la  lôte  de  son  fils ,  ce  sont  là  autant 
d'articles  de  foi  pour  les  bons  habitans  des  Waldstœtten. 
Chaque  année ,  quand  revient  cette  fcte  des  carabiniers 
suisses,  qui  entretient  parmi  leurs  chasseurs  une  émulation 
utile  à  la  défense  de  leur  territoire ,  le  souvenir  de  Guil- 
laume Tell  est  rappelé  avec  amour  et  vénération.  Faux  ou 
vrais ,  la  Suisse  fera  bien  de  respecter  et  de  conserver  ces 
récits  merveilleux  qui  enflamment  l'imaginalion  de  ses  en- 
fans,  elles  excitent  à  se  dévouer  pour  l'indépendance  de  leur 
pays. 


EPHEMERIDES. 

Le  mois  de  novembre  doit  son  nom  au  rang  qu'il  occupait 
dans  l'année  romaine ,  telle  que  l'avait,  dit-on,  conçue  Romulus  ; 
ce  rang  était  le  neuvième  {novem) ,  les  changemens  introduits 
plus  tard  dans  la  division  de  l'année ,  placèrent  ce  mois  à  la 
dixième  place,  puis  à  la  onzième,  qu'il  a  toujours  conservée  depuis. 
Une  seule  fois  il  changea  de  nom  chez  les  Romains,  ce  fut  sous 
l'empereur  Commode  dont  les  courtisans  substituèrent  au  nom 
de  november  celui  d'ex-superatorius  (triomphant). 

Les  chrétiens  ont  placé  dans  les  premiers  jours  de  novembre, 
deux  de  leurs  principales  fêtes,  la  Toussaint,  et  la  fête  des  morU. 

L'origine  de  la  première  de  ces  deux  fêtes  remonte  au  vu"  siè- 
cle. L'empereur  Phocas  ayant  permis  au  pape  Boniface  IV,  de 
consacrer  au  culte  chrétien  le  célèbre  temple  appelé  le  Panthéon, 
ce  pape  en  fit  une  église  qu'il  dédia  à  la  Vierge ,  et  à  tout  les 
martgrn  de  la  foi.  La  fôtc  de  tous  les  sainu  fut  dèj-lors  instituée, 


et  plus  tard,  le  pape  Grégoire  IV  ordonna  qu'elle  serait  observée 
dans  toute  la  cbrélienté ,  le  premier  jour  de  novembre. 

Les  anciens  avaient  donné  le  nom  de  Sagittaire  à  la  constella- 
tion du  zodiaque  à  laquelle  correspondait  alors  le  mois  de  novem- 
bre. La  figure  que  l'on  représente  dans  les  sphères  à  la  place 
de  cette  constellation,  a,  comme  les  centaures,  une  tète  et  un 
buste  d'homme ,  terminé  par  un  corps  de  cheval.  Ce  centaure  ect 
orné  d'un  arc ,  et  lire  une  flèche. 

i"""  novembre  644.  —  Assassinat  d'Omar  I*"" ,  second  successeur 
de  Mahomet.  On  raconte  qu'Omar  fut  converti  subitement  à  l'is- 
lamisme par  la  lecture  de  quelques  passages  du  Coran  dont  il 
avait  vu  un  exemplaire  dans  les  mains  de  sa  sœur.  Parent  de 
Mahomet  il  se  montra  l'un  de  ses  plus  zélés  sectateurs  ,  et  l'une 
de  ses  filles  devint  une  des  femmes  de  ce  faux  prophète.  Omar 
fut  successivement  chancelier  d'Abou-Keir ,  le  premier  kalife  après 
Mahomet ,  puis  kalife  lui-même.  Omar  s'étant  emparé  de  plu- 
sieurs villes  de  la  Syrie,  Jérusalem  se  rendit  à  ce  prince.  Il 
entra  suivi  d'une  escorte  peu  nombreuse  ,  fit  ses  prières  sur  les 
marches  de  l'église  de  la  Résurrection  et  ordonna  la  construction 
d'une  mosquée  sur  les  ruines  de  l'ancien  temple  de  Salomon. 
Devenu  maitre  de  l'Egypte,  Omar  fit  rouvrir  le  canal  qu'Ad/ien 
avait  fait  creuser  du  Nil  à  la  mer  Rouge ,  pour  faciliter  l'arri- 
vage des  blés  en  Egypte  par  l'Arabie. — Vers  le  même  temps 
Omar  s'empara  de  la  Perse.  Un  esclave  persan  auquel  il  avait 
refusé  une  diminution  de  tribut ,  le  perça  de  son  poignard  dans 
une  mosquée.  Ce  kalife  exerçait  l'état  de  corroyeur  pour  obéir  au 
Coran  qui  ordoune  de  vivre  du  travail  de  ses  mains.  Il  ne  se 
nourrissait ,  dit-un ,  que  de  pain  d'orge  et  d'eau. 

1"^'"  novembre  1700.  —  Charles  II ,  roi  d'Espagne,  meurt  un 
mois  après  avoir  signé  le  testament  dans  lequel  il  avait  désigné, 
comme  successeur  au  trône,  Philippe  d'Anjou,  petit-fils  de 
Louis  XIV.  (Nous  ne  faisons  qu'indiquer  ici  un  événement  qui  a 
exercé  une  si  grande  influence  sur  l'état  de  l'Europe ,  et  que  noua 
ne  saurions  renfermer  dans  le  cadre  étroit  de  nos  éphémérides). 


Les  Bureaux  d'Abonnement  «t  de  Vente  sont  transférés  rue  df 
8(etoe'Saint*Cermain,  9.  ^ 


(9 


Magasin  universel. 


65 


TOURS. 


(Vue  de  Saint- Gatiea.) 


Déjà  nous  avons  présenté  à  nos  lecteurs  des  articles 
spéciaux  sur  quelques-unes  des  villes  de  France  ;  aujour- 
d'hui nous  appellerons  leurs  regards  sur  le  chef-lieu  du 
département  d'Indre-et-Loire.  Située  dans  une  plaine 
magniflque ,  entre  la  Loire  et  le  Cher ,  entourée  de  champs 
fertiles  et  de  jardins  délicieux,  Tours  attire  dans  ses  murs 
un  grand  nombre  d'Anglais,  et  d'autres  étrangers.  La 
douceur  de  son  climat ,  l'agrément  de  son  site ,  le  bas  prix, 
l'abondance  et  la  bonne  qualité  des  productions  de  la  terre, 
contribuent  beaucoup  à  y  entretenir  l'affluence  des  visiteurs; 
mais  les  mœurs  douces  et  aimables  des  habitans  de  Tours 
sont  aussi  pour  quelque  chose  dans  cet  accroissement  de 
population. 

L'importance  de  Tours  est  de  vieille  date.  Dès  U70  elle 
vit  la  réunion  des  états  généraux  de  France,  qui  s'y 
assemblèrent  de  nouveau  en  ^484  et  en  1506.  Ce  fut  dans 
les  environs  de  Tours  que  les  Sarrasins  furent  mis  en  déroute 
par  Charles  Martel.  Tours  a  donné  le  jour  à  plusieurs 
célébrités  littéraires  et  industrielles ,  parmi  lesquelles  nous 
citerons  Destouches ,  l'auteur  comique  ;  L.  Leroy ,  l'un 
des  horlogers  du  xvii«  siècle  qui  aient  fait  faire  Iç  plus 
Tome  II.  —  Novembre  r834. 


de  progrès  à  leur  art  ;  Béranger ,  et  enfin  l'un  de  nos  plus 
sa  vans  géographes  vivans,  M.  Eyriès.  Les  lecteurs  des  An- 
nales des  voyages  reconnaîtront  la  plume  de  ce  spirituel 
écrivain  dans  les  lignes  que  l'on  va  lire  sur  l'état  actuel ,  et 
les  antiquités  de  la  ville  de  Tours. 

Quand  la  grande  route ,  venant  de  Paris  et  de  Chartres , 
traversait  le  faubourg  St.-Symphorien ,  elle  suivait  sur  la 
Loire  un  vieux  pont ,  qui  n'était  pas  l'œuvre  des  Romains , 
mais  d'Eudes,  dit  le  Champenois,  comte  de  Touraine,  qui 
le  fit  bâtir  en  4050  ou  1051.  Il  était  étroit,  sinueux  et  mal 
pavé.  Les  arches  en  étaient  d'inégale  largeur;  de  distance 
en  distance ,  des  angles  ou  des  demi-lunes  s'ouvraient  pour 
faciliter  le  passage  de  deux  voitures  qui  se  rencontraient. 
Il  y  avait  à  peu  près  au  milieu ,  c'est-à-dire  à  l'endroit  où 
un  îlot ,  dit  St.-Jacques ,  le  coupait  en  deux ,  de  misérables 
maisons  bien  vieilles ,  bien  délabrées ,  où  se  vendaient  aux 
paysans ,  aux  voituriers ,  des  graines ,  de  la  poterie ,  des 
étoffes  communes ,  et  aussi  l'Almanach  de  Liège ,  la  civilité 
pti^iïe  ci  fconn ^<e,  et  quelques  recueils  de  prières  impri- 
més sur  papier  gris,  avec  de  détestables  images  en  bois, 
seule  librairie  à  l'usage  des  passans ,  et  qui  faisait  alors  par- 


Ofi 


MAGASIN  UNWEî^fiL. 


tie  obligée,  comme  encore  à  présent  dans  nos  provinces  les 
plus  reculées ,  d'un  petit  fonds  d'épiceries. 

L'aspect  de  ces  constructions  irrégulières,  amassées  sur 
le  pont,  était  triste  et  repoussant.  Kl  cependant,  à  moins 
qu'on  ne  traversât  la  Loire  dans  une  toue,  il  n'y  avait  pas 
d'autre  route  pour  arriver  au  chemin  de  Château-Renault, 
de  Vendôme,  ou  sur  la  chaussée  de  Blois  et  d'Anjou. 

De  ces  constructions  si  solides ,  formées  d'une  agréga- 
tion de  petites  pierres  liées  avec  du  ciment  rouge,  et  dont 
les  pilotis  sont  devenus  noirs  comme  l'ébène,  on  ne  voit 
plus  surgir  que  trois  arceaux ,  espèce  de  squelettes  déchar- 
nés ,   qui   se  soutiennent  encore ,  mole  sud ,  contre  les 
glaces  et  les  grosses  eaux ,  non  loin  de  ces  quatorze  belles 
arches  si  larges,  »i  uniformes ,  qui  composent  le  nouveau 
1)ont.  L'avenue  qui  en  est  le  prolongement ,  avec  l'avenue 
(le  Grammont ,  ou  la  route  d'Espagne  d'un  côté ,  et  de 
l'autre  côté,  la  tranchée  qui  conduit  dans  le  Maine  ou  dans 
le  Vendômois,  forment  une  magnifique  enfilade  et  un  vaste 
coup  d'œil  :  celqi  qui  ne  suit  que  cette  ligne  prend  une 
idée  peut-être  trop  favorable  de  la  ville  de  Tours ,  dont 
toutes  les  rues  n'ont  pas  celte  élégance  et  cette  régularité. 
Je  reviens  aux  vieux  pouls.  Sans  doute  les  anciens  ent 
vu  la  porte  massive  et  chargée  de  fer  ,  avec  la  herse  aux 
dents  aiguës,  et  aussi  la  petite  figure  de  la  Vierge,  enluminée 
de  rouge  et  de  bleu ,  posée  au-dessus  de  celte  porte ,  dans 
inie  niche  sculptée.  Je  n'en  ai  point  de  souvenirs.  Mais  j'ai 
vu  quelquefois  le  château  qui  en  était  tout  près ,  monument 
historique  remarquable  seulement  par  sa  masse  et  son  anti- 
(luité ,  dont  on  voudrait  faire  remonter  (voyez  un  peu  les 
vanités  humaines  !  )  l'origine  à  Turnus.  Commencé  par  un 
seigneur  et  terminé  par  un  autre ,  réparé  et  augmenté  par 
un  troisième,  il  avait  de  grosses  et  de  petites  tours,  il  fut 
pris  et  repris,  coipme  tous  le»  châteaux  du  monde^  il  reçut 
des  comtes ,  des  ducs  et  des  rois,  une  foule  d'hôtes  joyeux, 
puissans  ;  puis  ses  murs  épais,  percés  de  petites  fenêtres , 
hérissées  de  barreaux  de  fer  dentelés  qui  se  croisaient , 
entourés  de  fossés ,  remplis  d'une  eau  verte  et  croupis- 
sante, servirent  à  renfermer  des  prisonniers  d'état,  de 
grandes  victimes  de  la  politique  ou  de  la  religion,  Mais 
toutefois ,  le  château  de  Tours,  bâti  sur  la  rive  gauche  du 
fleuve,  ne  pouvait  lutter  en  beauté  avec  les  grandes  con- 
structions de  Blois ,  d'Amboiseetde  Saumur,  si  éminem- 
ment pittoresques.  Les  bords  de  la  Loiro  sont  si  riches 
dans  ce  genre,  que  Tours,  sous  ce  rapport ,  n'a  pas  la  pré- 
tention de  soutenir  le  parallèle  avec  ses  voisins.  Mais  comme 
«  les  histoires   des  prisonniers  sont  plus  intéressantes , 
«  parce  que  la  perte  de  la  liberté  est  le  plus  grand  et  le 
«  plus  ancien  des  mall»eurs ,  »  laissez-n»oi  vous  parler  un 
peu  longuement  du  fils  de  Henri  de  Guise ,  dit  le  Balafré, 
qui  s'esquiva  avec  beaucoup  de  bonheur  de  ce  terrible 
donjon. 

Depuis  plus  de  trois  ans,  ce  jeune  prince  était  confiée  la 
garde  du  seigneur  de  Rouvray  et  de  Jean  d'O,  capitaine  de 
cent  hommes  de  la  garde  du  roi.  Il  était  surveillé  nuit  et 
jour  avec  une  telle  sévérité ,  que  pas  un  de  ses  domestiques 
ne  couchait  dans  sa  chambre.  Mais  le  45  août,  après  avoir 
donné  «vis  de  son  projet  d'évasion  à  ses  serviteurs  fidèles, 
chargés  de  lui  amener  des  chevaux  au  lieu  désigné ,  il  des- 
cendit à  la  chapelle ,  il  y  fit  ses  prières ,  et  avant  de  monter 
ù  la  grosse  tour  qui  lui  servait  de  prison ,  il  s'entretint  fami- 
lièrement, selon  sa  coutume,  avec  ses  gardes ,  leur  propo- 
fdut  un  défi  à  qui  moulerait  le  plus  tôt  à  cloche-pied  l'es- 
câlier  de  la  tour.  On  lui  laissa  n^onter  par  respect  les  pre- 
mières marche.i ,  il  profita  de  la  polilessse  ,  prit  sa  course , 
escalada  rapidement  l'escalier ,  et  s'empara  d'une  porte  de 
sûreté  qu'on  avait  fait  faire  exprès  pour  lui.  Il  la  ferma  aux 
verroux ,  la  mit  entre  lui  et  ses  gardes ,  ordonnant  à  ses 
gens  de  ne  l'ouvrir  à  personne,  quelque  menace  qu'on  pût 
leur  faire.  Ayant  pris  dans  sa  chambre  une  corde  que  la 
blanchisseuse  avait  glissée  dans  son  linge,  il  l'attacha  à  un 
bâton  place  entre  ses  jambes,  et  passant  par  la  fenêtre,  ses 
domestiques  le  desceftijirçnt,  Mais  des  gardas  l'aperçufeat, 


tirèrent  des  fenêtres  du  château  sur  lui ,  ce  qui  fit  que  ses 
gens  effrayés  laissèrent  aller  la  corde  tout  à  coup;   le 
duc  de  Guise  tomba  de  quinze  pieds  environ.  Sa  chute  ne 
l'empêcha  pas  de  se  relever,  et,  sans  songer  à  ramasser  son 
chapeau ,  il  s'enfuit  le  long  des  murs  de  la  ville ,  parce  que 
la  Loire  qui  les  baignait  était  alors  fort  basse.  Ainsi ,  malgré 
les  clameurs  d'une  vieille  femme  qui  ne  cessait  de  crier  : 
le  Guisard  se  savve  !  il  parvint  jusqu'au  faubourg  de  Notre- 
Dame-de-la-Riche ,  où  il  s'empara  du  cheval  tout  bâté  d'un 
boulanger  qui  le  menait  boire.  Plus  loin  un  obstacle  imprévu 
se  présenta  :  un  soldat,  qui  avait  été  au  service  de  la  Ligue , 
et  ancien  sergent  de  l'élection  de  Tours ,  lequel  était  fort 
bien  monté ,  aborda  le  prince  en  lui  commandant  de  des- 
cendre. L'échappé  voyant  que  c'était  un  soldat  de  la  garni- 
son ,  lui  dit  qu'il  se  rendait  et  consentait  à  rentrer  dans  la 
prison  du  château.   Le  soldat  étonné  lui  demanda  son 
nom.  Lorsque  le  prince  se  fut  fait  connaître ,  le  sergent 
descendit  de  cheval ,  baisa  respectueusement  ses  genoux , 
et  lui  offrit  sa  monture  qui  était  bien  meilleure  et  bien  plus 
commodément  harnachée.  Alors,  prenant  le  galop,  il  se  diri- 
gea vers  le  lieu  qu'il  avait  indiqué  à  ses  serviteurs  ;  et  ceux- 
ci  le  voyant  venir  à  cheval  et  nu-tête,  se  mirent  à  fuir  jus- 
qu'où ce  que  l'un  d'eus,  s' étant  retourné ,  le  reconnut  à  ses 
vêtemens. 

L'ancien  hôlel-de- ville ,  que  Charles  VII  et  Louis  XII 
ont  visité  plus -d'une  fois,  qui  vit  nos  pères  proclamer 
Henri  IV,  et  délibérer  avec  anxiété  pendant  les  troubles 
de  la  Ligue  et  de  la  Fronde  ;  l'ancien  hôtel-de-ville  où  les 
mesures  de  rigueur  et  de  clémence  étaient  prises  tour  à 
tour ,  soit  que  la  peste  décimât  la  population ,  soit  que  la 
famine  mît  le  poignard  aux  mains  des  mères  échevelées  ; 
l'hôtel-de-ville  avec  ses  sculptures  gothiques  et  ses  grandes 
salles  ,  a  disparu  peu  de  temps  avant  que  tant  d'institu- 
tions» bonnes  et  mauvaises ,  et  tant  d'édifices  précieux  peur 
les  arts  et  l'histoire,  fussent  renversés  par  la  révolution 
de  n89, 

Ce  monument,  qui  n'était  plus  en  harmonie  avec  les 
incpurs  actuelles ,  et  qui  se  trouvait  placé  dans  une  rue 
resserrée ,  ne  devait  pas  subsister  plus  long-temps.  Le  lieu 
des  séances  de  l'administration  municipale,  ainsi  que  le 
palais  de  justice ,  fut  transféré  sur  une  belle  place  demi- 
circulaire ,  en  face  du  pont  nouvellement  construit  dans 
une  situation  charmante,  sur  la  rive  de  la  Loire,  et  vis-à- 
vis  les  coteaux  si  rians  qui  la  bordent. 

L'édifice  était  convenable,  élégant  même  à  l'extérieur; 
mais  ce  qui  me  charmait  le  plus ,  c'était  de  voir  incrustée 
dans  les  parois  du  grand  escalier  une  longue  file  d'ccus- 
sons  en  pierre,  des  maires  et  échevins  de  la  cité.  Je  ne 
reconnais  pas  de  plus  belle  noblesse  que  celle  que  donnent 
des  services  gratuits,  modestes,  obscurs,  rendus  à  ses 
concitoyens  pendant  un  long  espace  de  temps.  Celui  qui 
maintient  l'ordre  et  la  paix  dans  une  ville ,  quelquefois  au 
péril  de  ses  jours  ;  celui  qui  nourrit  le  peuple  dans  les 
temps  de  disette;  celui-là,  certes,  à  l'éfioque  delà  raison 
où  nous  sommes  arrivés ,  mérite  bien  le  droit  de  laisser  à 
sa  famille  les  signes  honorables  de  son  illustration.  Ces 
témoignages  muets  et  innocens  de  l'estime  contemporaine , 
ces  archives  de  famille,  ont  péri  dans  le  déluge  universel 
de  89. 

Parlons  de  St.-Gatien.  C'est  une  église  bien  vieille  ;  ses 
tours  ne  sont  pas  sans  élégance,  et  certain  roi  (Henri  IV  ). 
pour  faire  sa  cour  aux  Tourangeaux,  disait  qu'il  fallait  à 
ces  tours  un  étui.  L'éloge  était  pompeux.  Ses  abords  et  ses 
alentours  sont  peut-être  peu  en  harmonie  avec  ce  grand  édi- 
fice :  son  intérieur ,  ses  vitraux ,  mutilés  et  mal  réparés , 
ne  peuvent  lutter  sans  doute  avec  ceux  des  églises  de  Char- 
tres ,  de  Rouen ,  de  Paris ,  de  Strasbourg  ;  on  a  fait  tomber 
les  arcs-boutans  qui  soutenaient  cette  basilique ,  et  on  a 
retouché  et  dégradé  les  figures  dont  les  portiques  étaient 
ornés.  Toutefois  la  cathédrale  de  St.-Gatien  est  encore  un 
des  plus  curieux  monumetis  qui  nous  restent  de  r^rchitcC" 
tv«  qu'on  appelle  Yulgajiremeot  gQUûqu«. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


07 


La  ville  de  Tours  est  une  de  celles  qui ,  en  France ,  ont 
retiré  le  plus  d'avantages  de  la  découverte  ou  du  perfec- 
tionnement des  puits  artésiens.  Placde  entre  deux  fleuves, 
elle  jouissait  en  outre  de  quelques  fontaines ,  mais  qui  taris- 
saient quelquefois  pendant  les  jours  de  sécheresse.  Aujour- 
d'hui aux  deux  extrémités  de  la  ville ,  dans  son  centre ,  et 
sur  d'autres  points  encore ,  des  eaux  abondantes  excèdent 
les  nécessités  les  plus  multipliées. 

Les  maisons  à  toits  pointus  et  saillans ,  avec  des  poutres 
sculptées,  et  ornées  de  figures  grotesques;  les  maisons  dont 
la  façade,  moitié  en  bois,  moitié  en  tuiles,  offrait  de  lon- 
gues et  tristes  lignes  d'ardoises  transversales ,  fmissent  par 
disparaître  ;  les  blocs  réguliers  de  pierre  blanche ,  si  suscep- 
tibles de  prendre  toutes  les  formes,  servent  aujourd'hui  aux 
nouvelles  constructions  ;  les  rues  s'alignent  et  sont  parées 
avec  plus  de  soin;  des  balcons  élégans ,  de  grands  carreaux 
et  des  Persiennes  donnent  aux  édifices  ordinaires  un  aspect 
plus  riant. 

Tours ,  comme  les  autres  villes  de  France ,  a  vu  tomber 
les  flèches  aiguës ,  les  hautes  tours  rondes  et  carrées  qui 
surgissaient  du  milieu  des  maisons  uniformes  et  se  dessi- 
naient avec  élégance  le  long  du  fleuve  ;  mais  la  Loire  n'a 
pas  cessé  de  baigner  ses  murs  ,  mais  la  rue  spacieuse  qui  la 
traverse ,  la  fraîche  ceinture  d'arbres  qui  l'entoure ,  mais 
l'élégance  de  ses  habitations,  la  douceur  du  langage ,  et  des 
mœurs  ,  devenues  plus  faciles  encore  par  le  séjour  des  An- 
glais et  des  militaires ,  et  par  sa  proximité  avec  la  capitale , 
feront  toujours  de  cette  cité  le  rendez-vous  des  étrangers 
et  un  lieu  de  plaisance. 

ÉPHÉMÉRIDES. 

6  novembre  r79a. — Victorieuse  à  Jemmapes,  la  France  chasse 
les  Autrichiens  de  la  Belgique. 

II  novembre  iai5. —  Concile  général  de  Latran. 

i4  novembre  i665 Les  trois  ordres  du  Danemarck  recon 

naissent  une  nouvelle  conslitiUion  qui  attribue  au  roi  un  pouvoir 
absolu. 

17  novembre  1796.  —  Mort  de  Catherine  II,  impératrice  de 
Russie.  Le  même  jour  Bonaparte  met  les  Autrichiens  en  déroule 
à  l'affaire  d'Arcole. 

i^  novembre  1703.— Mort,  à  la  Bastille,  du  prisonnier  an 
masque  de  fer. 

19  novemlf^e  lôGg. — La  Gazette  signale  comme  un  fait 
nouveau  ,  l'usage  du  café  ,  à  la  suite  d'une  audience  donnée  à  un 
envoyé  Turc,  par  le  marquis  de  Lyonne  ,  ministre  de  liOuis  XIV. 

10  novembre  i8i5.  —  Traité  de  Paris.  Envahie  par  les  puis- 
sances coalisées ,  la  Fiance  est  obligée  d'acheter  leur  départ  par 
d'immenses  sacrifices.  Elle  se  reconnaît  déi)ilrice  de  plus  de 
sept  cents  millions ,  et  perd  nne  partie  de  son  territoire. 

ai  novembre  1806. — Napoléon  lance  de  Berlin  le  décret 
qui  interdit  aux  Anglais  tout  rapport  avec  le  continent, 

21  novembre  1682.  —  Mort  de  Claude  Lorrain  ,  peintre  fran- 
çais.—  i8a3.  Exécution  de  Jean  Buckler  dit  Scftinderhannes  (Jean 
l'Ecorcheur),  chef  d'une  bande  de  brigands  qui  ravageaient  les  rives 
du  Rhin.  • 

■x5  novembre  i56o.  —  Mort  d'André  Doria,  le  libérateur  de 
Gènes. 

a6  novembre  1 8  r  a.  — Plusieurs  milliers  de  soldats  français  sont 
noyés  ou  tués  par  le  canon  des  Russes ,  au  passage  de  laBérésina. 

27  novembre  i8i3. — Après  avoir  défendu  la  place  de  Dantzick 
avec  un  rare  courage ,  le  général  Rapp  est  réduit  par  la  détresse 
à  capituler. 

a^  novembre  iSaS. — Mort  de  Foy,  l'un  des  pi  us  braves  géné- 
raux, et  des  plus  grands  orateuis  de  la  France.—  i5i6.  Le  fameux 
voleur  Cartouche  est  mis  à  mort  et  dénonce  se»  complices. 

ag  novembre  1 5 16.  —  La  France  et  la  Suisse  concluent  à  Frt- 
bourg  un  traité  de  paix  perpéluellie.  —  i83o.  Révolution  de  la 
Pologne. 

3o  novembre  i6;o. — Fondation  de  l'hôtel  royal  des  Invalides. 
—  i«o3.  Les  Français  évacuent  Saint-Dooxingue.  —  1807.  Entrée 
à  Lisbonne  de  l'armée  française,  commandée  par  Junot. 


LA  TAUPE. 

La  taupe  est  un  animal  essentiellement  souterrain  et  fait 
pour  fouir  ;  son  corps  est  trapu  ;  son  museau  est  allongé  et 
terminé  par  un  boutoir  mobile  servant  à  percer  la  terre  ;  ses 
membres  antérieurs  très  courts ,  mais  extrêmement  forts  et 
très  larges ,  sont  dirigés  en  dehors  et  terminés  par  d'énor- 
mes ongles  propres  à  fouir.  A  l'aide  de  ces  organes,  les  taupes 
creusent  dans  le  sol ,  avec  une  rapidité  extrême  et  un  art 
admirable ,  de  longues  galeries  au  milieu  desquelles  elles 
établissent  leur  demeure.  Les  petites  élévations  qu'on  voit 
souvent  sur  le  sol ,  et  qu'on  appelle  des  taupinières,  sont 
formées  par  les  déblais  que  ces  animaux  rejettent  au  dehors 
lorsqu'ils  exécutent  ces  travaux  souterrains.  Ces  animaux 
ne  sortent  presque  jamais  de  leurs  labyrinthes ,  et  se  nour- 
rissent des  vers  et  des  larves  d'insectes  qti'ils  y  trouvent. 

Admirablement  organisée  pour  la  vie  retirée  et  solitaire, 
la  taupe  n'éprouve  d'autres  désirs  que  céUx  qu'elle  satisfait 
aisément ,  mais  elle  n'a  rien  qu'elle  ne  doive  à  son  travail  ; 
son  lieu  de  refuge  ,  creusé  dans  les  profondeurs  de  la  terre, 
elle  ne  l'acquiert  qu'au  prix  de  travaux  patiens  et  péni- 
bles :  il  lui  faut  onvrager  la  terre ,  la  percer  d'outre  en 
outre ,  l'ouvrir  en  tous  sens ,  et  se  créer  un  moude  souter- 
rain à  travers  des  difficultés  innombrables.  La  main ,  qui 
termine  ses  membres  antérieurs,  remplit  l'office  d'une 
pioche  à  cinq  dents,  les  doigts  sont  terminés  par  des  ongles 
crochus  à  l'extrémité ,  tranchans  sur  les  bords ,  et  cette 
double  disposition  lui  permet  d'entailler  le  tuf,  et  de  le 
couper  en  même  temps.  La  taupe  s'aide  encore ,  pour  fouil- 
ler ses  galeries ,  de  son  museau  terminé  en  boutoir ,  et  de 
toute  sa  tête,  dont  les  inuscles  sont  volumineux  et  puissans; 
elle  peut  la  renverser  en  arrière ,  soulever  le  sol ,  l'ouvrir, 
et  à  l'aide  de  ses  pattes  larges  et  résistantes  repousser, 
comme  avec  une  pelle ,  la  terre  émiettée  qui  obstrue  l'in- 
térieur de  ses  galeries. 

Ce  que  se  propose  la  taupe  par  son  travail,  on  vient  de 
le  voir  :  elle  fouille  pour  vivre.  Elle  creuse,  dans  chaque 
occasion,  lui  boyau  à  plusieurs  embranchemens  ;  exploi- 
tant chaque  fois  d'autres  lieux,  elle  revient  sans  cesse  à  la 
charge.  Il  ne  faut  pas  beaucoup  de  temps  pour  que  la  terre 
soit  minée  en  plusieurs  sens.  Quelques  boyaux  débouchent 
fortuitement  les  uns  dans  les  autres,  et  d'autres  fois  avec 
intention  :  la  taupe  lie  ensemble  plusieurs  canaux ,  en  élar- 
git quelques-uns ,  et,  se  créant  des  routes  usuelles,  elle 
finit  par  soumettre  toutes  les  percées  qu'elle  a  faites  à  un 
système  parfaitement  combiné  ,  lequel ,  amené  à  sa  perfec- 
tion ,  s'appelle  le  cantonnement  de  la  taupe.  Son  gîte  en 
occupe  ordinairement  le  centre.  Le  nid  pour  l'éducation 
des  petits  >  est  une  chambre  écartée  et  différente  à  quelques 
égards. 

Nous  connaissons  les  travaux  de  la  taupe,  grâces  à  Ilenri 
Lecourt ,  qui  occupait  avant  la  révolution  un  emploi  au 
château  de  Versailles.  Entraîné  par  un  goût  irrésistible , 
il  fixa  de  bonne  heure  son  attention  sur  l'instinct  des  ani- 
maux ;  plus  tard ,  les  difficultés  de  l'observation  et  l'utilité 
de  l'entreprise ,  en  donnant  une  autre  direction  à  son  esprit, 
l'amenèrent  à  étudier  exclusivement  la  taupe.  Lecourt  se  fit 
taupier  à  Pontoise  ,  et  y  créa  une  profession  où  l'homme 
lutte  avec  les  forces  de  son  esprit  contre  une  industrie  et 
une  puissance  de  multi[ilication  vraiment  merveilleuses. 
M.  Cadet-de-Vaux  a  publié  les  observations  de  ce  prati- 
cien consommé,  dans  un  volume  in-t2  qui  a  pour  titre  : 
De  la  tavpe ,  dt  ses  mveurs,  dé  ses  habitudes,  et  des  moyens 
de  la  détruire. 

M.  le  professeur  Geoffroy'St.-Hilaire  a  communiqué  à 
son  auditoire ,  en  4829,  les  recherciies  auxquelles  il  s'était 
livrées  avec  letaupier  Lecourt.  Nous  arrivâmes,  dit-il,  à  une 
taupinière  que  nous  voulions  ouvrir  :  la  taupe  ne  craint  point 
et  n'a  pas  lieu  de  craindre  que  sa  demeure  soit  rendue  dis- 
tincte ,  par  le  volume  trop  grand  des  terres  entassées  ;  .ses 
précautions  la  ntettent  à  l'abri  de  toute  surprise ,  et  son 
asile  n'est  pas  là  :  elle  choisit  avec  discernement  le  lieu  de 


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(La  Taupe.) 

son  gtle  :  l'attention  qu'elle  a  de  le  placer  au  pied  d'un  mur, 
d'une  haie  ou  d'un  arbre ,  prévient  son  refoulement  et 
toute  pression.  Par  des  déblais  considérables ,  l'animal  se 


procure  une  grosse  taupinière  :  le  tout  en  est  bientôt 
façonné  au  moyen  d'une  galerie  circulaire  sous  clef.  Non 
contente  d'avoir  ouvert  celle  galerie ,  en  se  glissant  entre 
deux  terres ,  la  taupe  continue  ses  tassemens  de  dedans  sur 
le  dehors  par  des  poussées  de  son  corps  et  de  sa  tête.  (Celte 
galerie  est  marquée  ii  dans  la  figure  2 ,  A",  de  la  planche 
ci-joinle).  Une  autre  galerie  circulaire  (u  u ,  même  figure  ), 
au-dessous  de  la  première  ,  est  plus  grande  et  de  niveau 
avec  le  terrain  environnant.  La  taupe  y  fait  les  mêmes  tas- 
semens. Les  galeries  communiquent  entre  elles  par  cinq 
boyaux  également  espacés  ,  fig.  3  A ,  et  la  galerie  supé- 
rieure aboutit  au  sommet  du  gîte  par  trois  routes.  Le  gîte, 
ou  la  chambre  qu'habite  la  taupe ,  est  l'emplacement  cir- 
conscrit par  une  ligne  de  points  et  marqué  g.  Un  trou  ( 
est  à  son  fond  ;  il  fait  l'entrée  d'une  route  de  sauvetage 
pour  la  taupe ,  si  elle  est  menacée.  Ce  trou  est  à  l'ordinaire 
bouché  par  un  matelas  d'herbages.  Pour  que  le  tassement, 
sous  le  comble  de  la  taupinière ,  puisse  acquérir  la  plus 
rande  densité  possible ,  la  taupe  y  ouvre  encore  plusieurs 
autres  boyaux  aveugles,  dont  elle  fait  les  enduits  avec  son 


(  Travaux  de  la  Taupe. 


poil  lisse  et  les  pressions  de  toute  sa  masse.  Ces  boyaux  sont 
en  outre  comme  autant  de  sentinelles  avancées;  caries 
premiers  rompus ,  l'éboulement  de  leurs  flancs  intérieurs 
devient  un  objet  d'alarme.  A  ce  signal ,  qui ,  pour  ces 
demeures  profondes  et  paisibles ,  y  retentit  et  s'y  propage 
comme  un  coup  de  tonnerre,  la  taupe  est  réveillée,  si  elle 
était  endormie ,  et ,  prenant  l'épouvante ,  elle  se  cache  sous 
son  matelas  ou  fuit  par  son  trou  de  sauvetage. 

Dans  la  planche  ci  jointe ,  la  figure  3  montre ,  conune 
faisant  partie  du  tracé  général  des  roules,  le  gîte  en  i,  et 


les  galeries  latérales  par  où  la  taupe  s'échappe.  En  A  est  le 
gîte  grandi  et  vu  de  face ,  et  en  A"  (fig.  2)  est  cette  même 
habitation  aperçue  de  profil.  Enfin  la  ligne  courbe  z  z 
figure  la  coupe  de  l'extérieur  du  terrain. 

La  chambre  de  mise-bas,  ou  le  nid,  n'est  pas  toujours 
surmontée  d'un  dôme  à  l'extérieur  :  dans  le  cas  contraire, 
la  taupinière  du  nid  se  reconnaît  à  son  volume  quadruple 
de  celui  d'une  taupinière  de  déblais ,  et  à  sa  forme ,  qui  n'est 
ni  aplatie  ni  pyramidale,  et  dont  une  sébile  de  bois  ren- 
versée donne  une  idée  assez  exacte.  La  taupe  femelle  qui 


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construit  son  nid  se  borne  à  agrandir  un  des  carrefours 
formé  par  la  rencontre  de  trois  ou  quatre  routes.  La  lettre 
B  (fîg.  5)  montre  ce  nid  dans  ses  rapports  avec  le  terrier 
tracé  par  le  mâle ,  et  celle  E  (fig.  4)  un  nid  abandonné , 
celui  de  l'année  précédente.  Ces  figures  4  et  5 ,  montrent 
ces  nids  isolés  et  grossis  (comparativement  aux  autres  des- 
sins) ,  pour  donner  une  idée  de  leur  forme. 

{La  suite  à  un  prochain  numéro). 


BRIGANDS  NAPOLITAINS. 

Nous  avons  dit  dans  notre  article  sur  Salvator  Rosa  (i), 
que  les  montagnes  sauvages  et  élevées  des  Abruzzes  et 
de  la  Calabre  retinrent  long-temps  les  pas  errans  de  ce 
grand  peintre.  L'événement  le  plus  marquant  de  ces  cour- 
ses hardies,  est  sa  captivité  parmi  les  bandits  qui  étaient 
maîtres  de  ces  contrées ,  et  son  association  temporaire  avec 
eux.  On  ne  peut  douter  qu'il  n'ait  vécu  avec  ces  hommes 
terribles,  si  on  en  juge  par  l'étonnante  expression  de  ces  bri- 
gands pittoresques  dont  il  a  multiplié  les  portraits  à  l'infini. 

La  position  des  bandits  napolitains,  au  commencement  du 
XVII*  siècle ,  est  un  trait  curieux  dans  l'histoire  de  cette 
belle  contrée.  Dès  les  temps  les  plus  reculés ,  les  montagnes 
des  Abruzzes  étaient  sous  la  protection  de  Mercure ,  dieu 
des  Larrons,  de  même  qu'elles  sont  aujourd'hui  sous  la  garde 
de  Saint-Gologaro,  patron  de  la  Calabre.  Toutefois  le  vérita- 
ble bandit  du  xvii*  siècle  ressemble  fort  peu  aux  vulgaires 
brigands  des  temps  modernes  qui  bornent  leurs  exploits  à  des 
vols  de  grands  chemins ,  à  piller  et  à  assassiner  indistincte- 
ment. Il  se  rapprochait  davantage  du  hardi  condottiere , 
des  bandes  noires  et  blanches  de  Médicis  et  de  Suffolck , 
aux  xv^  et  xvi«  siècles ,  et  quoiqu'il  ne  reconnut  point  de 
lois  quand  il  n'était  pas  ù  la  solde  d'une  puissance  ou  d'un 
particulier,  il  avait  en  certaines  occasions  autant  d'im- 
portance que  le  soldat  régulier,  se  battait  bravement  et 
fidèlement  pour  celui  qui  le  payait,  quelle  que  fût  la 
bannière  de  ce  chef.  De  même  que  les  corsaires  munis  de 
lettres  de  marque ,  moitié  pirates ,  moitié  nationaux , 
ces  bandits  étaient  régulièrement  organisés,  et  obéis- 
saient à  une  discipline  particulière.  Leurs  rangs  étaient 
remplis ,  il  est  vrai ,  par  le  rebut  de  la  société ,  par  des 
êtres  que  leurs  crimes  avaient  fait  repousser  de  son 
sein  ;  mais  plusieurs  d'entr'eux  sortaient  des  castes  supé- 
rieures :  c'étaient  des  seigneurs  napolitains  échappés  à  la 
roue ,  à  l'échafaud ,  pour  avoir  embrassé  la  cause  de  leur 
patrie,  et  qui,  cherchant  un  asile  dans  les  Abruzzes,  y 
devenaient,  par  leurs  talens  ou  leur  rang ,  tes  chefs  de  cette 
foule  de  bandits  armés  contre  la  société  par  des  motife 
bien  différens. 

C'est  un  fait  reconnu  dans  l'histoire ,  que  le  nombre ,  la 
valeur ,  l'habileté  et  la  fidélité  de  ces  bandits  les  rendaient 
redoutables  au  gouvernement  austro- espagnol  et  intéres- 
saient le  peuple  à  leur  sort.  Tantôt  le  gouvernement  les 
employait  à  son  service  comme  les  troupes  régulières ,  tan- 
tôt il  les  faisait  poursuivre  par  celles-ci ,  quand  ils  étaient 
en  opposition  avec  lui ,  et  les  cherchant  jusques  dans  leurs 
retraites  les  moins  accessibles,  les  faisait  brûler  et  pendre  ou 
les  livrait  aux  tortures. 

«  Chaque  vice-roi ,  chaque  commandant  de  place ,  cha- 
que employé  du  gouvernement ,  dit  Sismondi  dans  son 
ouvrage  sur  la  littérature  du  midi ,  avait  des  bandits  sous  sa 
sauve-garde ,  auxquels  il  assurait  l'impunité  et  même  la 
récompense  des  violences  et  des  assassinats  qu'il  leur 
faisait  commettre  pour  son  compte.  Dans  une  conspiration 
dirigée  par  le  père  Campanella,  on  vit  avec  étonnement  que 
les  moines  de  la  Calabre  pouvaient  mettre  sur  pied  plusieurs 
milliers  de  bandits.  Les  brigands  campaient  presque  aux 
portes  des  villes ,  et  l'on  ne  pouvait  voyager  sans  escorte 
aux  environs  de  Naples.  » 

Si  l'on  en  croit  quelques  critiques,  la  gravure  que  nous 

(i)  Voyez  tome  I,  page  Z^S. 


avons  donnée  dans  notre  article  sur  Salvator  Rosa  {K)  expli- 
que clairement  l'histoire  de  la  captivité  de  ce  peintre  parmi 
les  bandits  des  Abruzzes*  Le  jeune  homme  assis  languis- 
samment  sur  un  roc,  au  milieu  du  groupe,  serait  Salvator 
Rosa  lui-même.  Ce  sont  bien  là ,  disent-ils,  ses  cheveux  qui 
tombent  en  profusion  sur  son  front  ;  le  peu  que  l'on  voit  du 
visage  ressemble  trop  aux  portraits  orignaux  de  ce  peintre 
pour  qu'on  puisse  les  méconnaître.  Sa  tête  penchée ,  ses 
bras  affaiblis ,  l'expression  de  désespoir  répandue  sur  toute 
sa  personne ,  indiquent  bien  ce  qu'il  devait  éprouver  dans  sa 
nouvelle  situation.  La  femme  qui  étend  sa  main  et  pose  un 


-or 


(Brigand  napolitain  d'après  Salvator  Rosa.  ) 


de  ses  doigts  sur  sa  tête ,  semble  plaider  pour  la  vie  du 
jeune  homme  dont  elle  fait  remarquer  la  faiblesse  et  le  peu 
d'importance. 

On  n'a  jamais  su  le  temps  précis  que  Salvator  a  passé  au 
milieu  de  ces  bandits  ;  il  n'est  pas  impossible  qu'il  ait  dû  la 
sécurité  dont  il  put  jouir  dans  ces  contrées,  à  l'exercice 
de  son  talent  poétique  et  musical,  non  moins  propre  i 
amuser  ses  terribles  hôtes ,  qu'à  charmer  le  monde  volup- 
tueux des  salons  napolitains.  On  ne  sait  pas  non  plus  de 
quelle  manière  Salvator  Rosa  fut  rendu  à  la  société ,  si  ce 
fut  en  s' échappant  des  Abruzzes,  ou  s'il  fut  mis  en  liberté 
par  les  bandits  eux  mêmes.  Ce  qui  est  certain ,  c'est  qu'après 
avoir  erré  à  travers  les  régions  sauvages  dont  il  a  si  bien 
reproduit  les  traits  grandioses,  il  revint,  pauvre  et  l'esprit 
déjà  porté  vers  de  sombres  idées,  à  Naples,  où  il  trouva  sa 
famille  dans  la  dernière  détresse.  Ce  spectacle  acheva  de 
bouleverser  son  ame,  et  donna  depuis  à  ses  œuvres,  même  à 
l'époque  où  la  fortune  daigna  lui  sourire ,  cette  teinte  mé- 
lancolique et  sombre  qui  en  est  un  des  principaux  caractères. 

I      («)  Voyez  tome  I,  page  396. 


tfO 


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DE  l'ARf  DE  FAIRE  LE  VIN 

CHEZ   LES   ANCIENS. 

Les  historiens  et  les  poètes  de  l'antiquitë  parlent  du  vin, 
et  cette  liquear  paraît  être  presque  aussi  anciennement  con- 
nue que  les  autres  [>roductions  végétales  ;  mais  on  ne  peut 
pas  assigner  l'époque  précise  où  les  hommes  commencèrent 
à  en  faire  avec  le  fruit  de  la  vigne.  Les  ouvrages  des  écri- 
vains les  plus  anciens  prouvent  nou  seulement  que  le  vin 
était  connu  de  leur  temps,  mais  encore  qu'on  avait  déjà  des 
idées  saines  sur  ses  diverses  qualités ,  sur  ses  vertus  et  sur 
ces  préparations.  Les  poètes  de  l'antiquité  font  l'éloge  de 
cette  liqueur,  et  la  regardent  comme  un  présent  des  dieux  : 
Homère,  qui  vécut  884  ans  avant  l'ère  chrétienne,  l'a 
qualifiée  de  divin  breuvage  ;  il  parie  des  différentes  espèces 
de  vins  et  de  leurs  qualités,  comme  en  ayant  souvent  éprouvé 
les  heureux  effets.  Les  législateurs  et  les  philosophes  eux- 
mêmes  font  son  éloge.  Le  patriarche  Melchisédech  offrait  à 
Dieu  du  pain  et  du  vin  en  sacrifice.  Pfaton,  tout  en  blâ- 
mant l'usage  immodéré  que  l'on  en  fafsait  de  son  temps 
(430  ans  avant  Jésus-Christ),  le  regarde  comme  le  plus  beau 
présent  (jue  Dieu  ait  fait  aux  hommes.  Caton ,  né  332  ans 
avant  .lésus-Christ ;"  Marcus-Varron ,  né  46  ans  plus  tard; 
Dioscoride,  Pline,  Athénée,  qui  vécurent  dans  Je  commen- 
cement de  notre  ère ,  et  beaucoup  d'autres,  ont  écrit  sur  la 
vigne  et  sur  les  procédés  employés  de  leur/emps  pour  la 
préparation  des  diïFérens  vins. 

Il  paraît  que  les  Egyptiens  donnèrent  les  premières  no- 
tions sur  la  culture  de  la  vigne  et  la  {^réparation  du  vin  aux 
peuples  de  la  Grèce ,  qui  portèrent  cet  art  à  un  très  haut 
degré  de  perfection.  Les  Italiens  l'apprirent  des  Grecs ,  et 
leur  sol  étant  très  favorable  à  la  vigne ,  cet  arbuste  devint 
en  peu  de  temps  uh  objet  important  de  la  culture  de  toute 
l'Italie. 

Les  anciens  pré^raient  leurs  vins  de  différentes  maniè- 
res :  les  uns  étaient  légers  et  délicats;  d'autres  étaient  plus 
ou  moins  colorés ,  corsés  et  spiritueux.  Ils  faisaient  sécher 
en  partie  les  raisins  an  soleil  pour  obtenir  des  vins  liquo- 
reux. Les  vins  faibles  étaient  conservés  dans  des  celliers 
frais ,  tandis  que  les  vins  forts  étaient  placés  dans  des  en- 
droits chauds ,  et  même  dans  des  étuves,  afin  d'accélérer 
leur  maturité  et  de  les  rendre  plus  spiritueux  ;  ces  étuves 
se  nommaient  fumaria.  Gelles  des  Romains  étaient  d'une 
construction  fort  simple;  mais  celles  des  Grecs  étaient 
disposées  pour  recevoir  de  grandes  quantités  de  vins  pré- 
cieux que  l'on  préparait  avec  soin ,  et  dont  on  avançait  la 
maturité  à  l'aide  d'une  température  maintenue  toujours  au 
même  degré.  Ignorant  l'art  d'extraire  l'alcool  du  vin  par  la 
distillation,  ils  ne  pouvaient  pas  employer  cette  liqueur  pour 
augmenter  la  force  de  leurs  vins  ;  mais  ils  y  ajoutaient,  pour 
remplir  Ce  bùl ,  beaucoup  d'autres  substances)  On  répan- 
dait sur  le  moût  de  la  poix  ou  de  la  résine  en  poudre  pen- 
tâant  la  fermentation ,  et  quand  elle  était  terminée ,  on  y 
'fcisaît  infuser  des  fleurs  de  vigne  ,-des  feuilles  de  pin  ou  de 
cyprès ,  des  baies  de  myrte  broyées ,  des  copeaux  de  bois  de 
'Cèdre ,  des  amandes  amëres ,  du  miel  et  beaucoup  d'autres 
ingrédions  ;  mais  le  procédé  le  plus  ordinaire  paraît  avoir 
été  de  Uiôler  ces  substances  dans  une  partie  de  moût,  de 
taitr  bouillir  le  tout  jusqu'à  épaisse  consistance,  et  de  le 
Verger  ensuite  à  diverses  proportions  sur  les  vins.  Pour  em- 
pêcher \a  dégénéralion  de  celle  liqueur,  on  employait  les 
fr<)<^nil\e.=  pulvérisées ,  le  sel  grillé ,  les  cendres  de  sarment, 
les  '.Ttoïs  cle  galle  ou  les  cônes  de  cèdre  rôtis ,  les  glands  et 
tes  iK  faux  d'olives  brûlés ,  et  diverses  autres  substances. 
<Jnelquefois  on  plongeait  dans  la  liqueur  des  torches  allu- 
Inées  on  des  fers  rougis.  Il  est  incertain  que  les  anciens 
nient  connu  le  soufrage.  Cependant  Pline,  qui  vécut  dans  le 
premier  siècle  de  notre  ère ,  parle  du  soufre  comme  étant 
lemployé  pour  clarifier  les  vins  ;  mais  il  ne  dit  pas  si  on 
l'employait  solide  ou  en  vapeur.  L'emploi  des  blancs  d'œufe 
paraît  avoir  fréquemment  eu  lieu  pour  celte  opération. 
Galien, né  à  Pergame,  enMysie,  vers  l'an  iSi  de  l'ère 


chrétienne,  parle  des  vins  d'Asie,  qui,  mis  dans  dfe  Man- 
des bouteilles  que  l'on  suspendait  dans  les  fchemlnées ,  ac- 
quéraient par  l'évaporation  la  dureté  du  sel.  Arislote ,  né 
ési  ans  avant  Jésus-Christ,  dit  que  les  vins  d'Arcadie  Se 
desséchaient  dans  les  outres,  dont  on  les  lirait  par  mor- 
ceaux ;  qu'il  fallait  les  délayer  avec  de  l'eau  chaude ,  et  lés 
passer  ensuite  dans  un  linge  pour  en  séparer  les  impuretés. 
Cette  filtration  étant  susceptible  d'altérer  leur  goût  et  leur 
saveur,  les  personnes  soigneuses  les  laissaient  reposer,  ex- 
posés à  l'air  pendant  la  nuit.  Baccius  dit  que  par  ce  dernier 
procédé  ils  acquéraient  la  couleur,  la  transparence  et  la  ri- 
chesse de  nos  meilleurs  vitis  de  Malvoisie  ;  ils  pouvaient 
être  limpides  et  d'un  fort  bon  goût;  mais  la  dessiccatiou  du 
moût  s'opposait  à  la  formation  de  l'alcool ,  et  la  liqueur  dé- 
layée, étant  exposée  à  l'air,  devait  perdre  le  peu  de  spiri- 
tueux qu'elle  pouvait  contenir. 

Comme  les  vins  ainsi  délayés  étaient  souvent  bus  chauds, 
l'eau  chaude  était  un  article  indispensable  dans  les  festiue. 
Les  Romains  avaient  des  lieux  publics  nommés  thermojiK)- 
lia ,  dans  lesquels  on  en  trouvait  toujours,  et  où  Twi  allait 
boire  les  liqueurs  préparées,  chaudes  ou  fix)ides,  comme 
dans  nos  cafés.  L'appareil  dans  lequel  on  faisait  chaufter 
l'eau,  tel  que  l'ont  décrit  Vitruveet  Sénèque,  qui  vivaient 
dans  les  premiers  temps  de  l'ère  chritieime^  se  composait  de 
trois  vases  placés  au-dessus  les  uns  des  autres,  et  commu- 
niquant entr'eux  par  des  tuyaux  :  celui  du  bas  fournissait 
de  l'eau  bouillante;  celui  du  milieu  de  l'eau  tiède,  et  celui 
du  haut  de  l'eau  froide  ;  ils  se  remplissaient  l'un  par  l'auti-c. 
Les  anciens  avaient  aussi  l'habitude  de  rafraîchir  leurs 
breuvages  avec  de  la  glace  ;  ils  conservaient  la  neige  dans 
des  glaciers.  Quand  Alexandre  assiégea  Pelra,  il  fit  creuser 
des  trous  profonds  qui  furent  remplis  de  neige  et  recouverts 
avec  des  branches  de  chêne.  Piutarque ,  vers  l'an  66  de  Jé- 
sus-Christ, indique  le  même  procédé;  seulement  il  propose 
la  paille  et  de  grosses  toiles  pour  couvrir  le  trou.  Les  Ro- 
mains adoptèrent  cette  méthode  pour  conserver  la  neige 
qu'ils  faisaient  venir  des  montagnes,  et  qui,  du  temps  de 
Sénèque ,  donnait  Heu  à  un  commerce  assez  considérable. 
Galien  et  Pline  décrivent  le  procédé  qui  est  encore  employé 
entre  les  tropiques  pour  rafraîchir  l'eau  en  la  faisant  éva- 
porer, pendant  la  nuit,  dans  des  vases  poreux. 

Les  plus  grands  vases  employés  daris  les  premiers  temps 
pour  contenir  le  vin,  étaient  des  peaux  d'animaux  rendues 
imperméables  avec  de  l'huile,  delà  graisse  ou  des  gommes- 
résines.  Quand  Ulysse  alla  dans  la  caverne  des  Cyclopes,.il 
avait  une  peau  de  clvèvre  pleine  de  vin  que  lui  avait  donnée 
Maron,  prêtre  d'Apollon.  Athénée  nous  apprend  que  dans 
la  célèbre  fêle  processionnale  de  Ptolon^ée-Philadelphe ,  qui 
régnait  32  ans  avant  Jésus-ChWst ,  un  char  de  53  coudées 
(environ  cinquante-deux  pieds)  de  longueur,  sur  4  4  (21  pieds) 
de  largeur,  portait  une  outre  faite  avec  des  peaux  de  pan- 
thères, contenant   5,000  amphores  ou  76,980  litres  de 
vin.  Ces  vases ,  que  l'on  emploie  encore  aujourd'hui  dans 
toute  la  Grèce,  dans  quelques  parties  de  l'Italie,  en  Espa-i 
gne,  dans  la  Grucinie  et  dans  plusieurs  autres  vignobles 
de  la  Russie  méridionale,  servaient  pour  transporter  l«s 
vins,  et  pour  conserver  ceux  destinés  à  être  bus  prompte-l 
ment;  mais,  dès  le  temps  d'Homère,  les  meilleurs  vins 
étaient  mis  dans  des  tonneaux,  où  ils  restaient  jusqu'à  ce, 
qu'ils  eussent  acquis  leur  maturité.  On  les  meitait  alorsl 
dans  des  vases  de  terre  enduits  intérieurement  avec  de  k; 
cire  et  extérieurement  avec  de  la  i)oix.  On  employait  aussi j 
pour  l'enduit  intérieur  des  compositions  grasses,  mêlé** de 
substances  aromatiques. 

Les  Grecs ,  quoique  très  policés ,  étaient  généralement 
accusés  d'aimer  beaucoup  le  vin  et  d'en  boire  avec  excès; ^ 
Ils  permettaient  à  leurs  femmes  d'en  faire  usage  en  parti- 
culier, mais  ils  ne  les  admettaient  jamais  dans  leurs  fes- 
tins. Les  dames  romaines ,  au  contraire,  étaient  admises 
dans  les  repas  les  plus  somptueux;  mais  le  vin  leur  était 
interdit,  quoique  les  hommes  en  fissent  une  ample  consom- 
mation en  leur  présence. 


MAGASIN  UNIVEllSEL. 


RUSSIE.— LES  OSTIAKS. 

(  Suite  )(i). 

Les  Osliaks ,  et  surtout  ceux  qui  demeurent  au-dessous 
de  Bérézof,  sont  encore  païens  j  ils  ont  autant  de  femmes 
qu'ils  en  peuvent  nourrir  :  ils  épousent  la  veuve  de  leur 
fi'ère,  leur  belle-mère,  leur  belle-fille,  ou  toute  autre  pa- 
rente du  côlô  des  femmes  ;  ils  se  marient  de  préférence  avec 
les  deux  sœurs,  dans  la  conviction  où  ils  sont  que  cela  porte 
bonheur  à  leur  ménage;  ils  regardent  comme  une  grande 
faute  et  môme  comme  une  tache  d'épouser  une  femme  de 
leur  famille  et  de  leur  nom,  Ils  comptent  seulement  leur 
généalogie  suivant  la  ligne  masculine.  Au  surplus,  tous  les 
mariages  sont  bons,  pour\u  que  les  pères  des  deux  époux 
.'loient  de  races  différentes.  Une  fille  mariée  évite  autant 
qu'il  lui  est  {lossible  la  présence  du  père  de  son  mari  tant 
qu'elle  n'a  pas  d'enfant ,  et  le  mari ,  pendant  ce  temps,  n'ose 
pas  paraître  devant  la  mère  de  sa  femme.  S'ils  se  rencon- 
•  lient  par  basaril ,  le  mari  lui  tourne  le  dos,  et  la  femme  se 
couvre  le  visai^e.  On  ne  donne  point  de  nom  aux  filles  os- 
tiakes;  lorsqu'elles  sont  mariées,  les  hommes  les  nomment 
imi  (femme)  ;  les  femmes,  par  respect  pour  leurs  maris,  ne 
les  appellent  pas  par  leur  nom,  elles  se  servent  du  mot 
ihaé  (homme).  Les  Ostiaks  ne  regardent  pour  ainsi  dire 
leurs  femmes  que  comme  des  animaux  domestiques  néces- 
saires; ils  leur  disent  à  peine  une  parole  de  douceur,  quoi- 
qu'elles soient  chargées  de  tous  les  travaux  pénibles  du 
ménage;  ils  ne  leur  infligent  cependant  aucun  châtiment 
corporel  sans  le  consentement  du  père,  quelque  grave  que 
puisse  être  leur  faute.  Si  la  femme  est  maltraitée,  elle  se 
sauve  chez  ses  parens;  elle  oblige  alors  son  père  de  rendre 
à  son  mari  le  présent  de  noces  que  ce  dernier  lui  a  donné 
et  de  lui  faire  épouser  un  autre  homme. 

Les  Ostiaks  enterrent  leurs  morts  dès  qu'ils  ont  rendu  le 
dernier  soupir;  une  personne  morte  le  matin  est  déjà  en- 
terrée à  niidi  :  on  fait  une  fosse  de  deux  pieds  de  profon- 
deur au  plus,  parce  que  le  sol,  qui  est  gelé  presque  par- 
tout, ne  permet  pas  de  pénétrer  plus  avant.  On  revêt 
le  mort  de  ses  meilleurs  habits;  on  l'expose,  en  mettant  à 
côté  de  lui  un  couteau,  une  hache,  une  corne  remplie  de 
tabac.  Lorsque  c'est  un  homme,  on  fait  suivre  le  convoi  par 
les  quatre  plus  beaux  rennes  que  possédait  le  défunt ,  bien 
harnachés  et  attelés  à  des  traîneaux.  Après  que  le  mort  est 
enterré,  on  attache  une  courroie  à  chaque  pied  de  derrière 
de  ces  rennes;  deux  hommes  les  tirent  ainsi  en  avant,  tan- 
dis que  quatre  autres  les  suivent  avec  des  pieux  épointés, 
en  les  enfonçant  de  tous  côtés  dans  le  corps  de  ces  animaux. 
■Quand  le  mort  est  riche,  on  en  tue  plusieurs  autres,  en 
leur  passant  des  cordes  au  cou  et  aux  jambes ,  et  en  les 
frappant  avec  des  perches  sur  le  dos,  jusqu'à  ce  qu'ils 
tombent  morts  sous  les  coups.  Ces  animaux  immolés  aux 
mânes  du  défunt  restent  sur  la  tombe. 

Les  Ostiaks  out  recours  à  leurs  princes ,  ou  bien  ils  se 
choisissent  parmi  eux  des  juges  pour  terminer  leurs  dispu- 
tes. Si  le  procès  passe  à  im  tribunal  russe,  et  que  l'affaire 
soit  tellement  embrouillée,  qu'elle  ne  puisse  être  jugée ,  on 
a  recours  à  la  prestation  de  serment  :  on  apporte  une  de 
leurs  idoles  de  bois; on  fuit  sentir  à  l'accusé  ou  à  celui  que 
l'on  croit  coupable  le  danger  auquel  s'expose  celui  qui 
prête  un  faux  serment;  on  l'oblige  de  prendre  une  hache 
ou  un  couteau  pour  couper  le  nez  à  l'idole,  ou  du  moins 
l'emlommyger,  en  récitant  le  serment  usité,  qui  est  lu  par 
un  interprèle  :  «  Je  veux  que  mon  nez  périsse  de  cette  ma- 
«  nière,  que  celle  hache  me  coupe ,  qu'un  ours  me  dévore 
«  dans  la  forêt,  et  qu'il  m'arrive  enfin  tous  les  malheurs 
«  possibles,  SI  je  ne  dis  pas  la  vérité  dans  la  cause  pour  la- 
«  quelle  je  comparais  ici.  »  Les  croyances  de  ce  peuple  le 
font  obéir  à  de  pareils  sermens  et  il  est  fort  rare  d'en  voir 
prêter  dç  faux  à  un  Ostiak. 

(i)  Vojez  page  So. 


Une  grossière  idolâtrie  est  encore  la  religion  dominante 
de  ce  peuple.  Les  Ostiaks,  qu'on  a  baptisés ,  ne  sont  chr^  • 
tiens  qu'en  secret;  les  païens  ont  des  idoles  particulières 
dans  leurs  cabanes ,  et  sont  dirigés  par  des  devins.  Les  fem^ 
mes  ont  aussi  leurs  idoles;  ce  sont  des  statues  à  figure 
humaine,  ou,  pour  mieux  dire,  des  poupées grossièremenl 
taillées  en  bois ,  dont  plusieurs  sont  revêtues  de  chiffons. 
On  les  place  dans  un  des  angles  de  la  yourte  ;  on  met  un 
petit  coffret  devant  celte  poupée  pour  y  déposer  les  offran- 
des de  celui  qui  lui  rend  un  culte.  Il  y  a  toujours  près  de 
ce  coffret  une  corne  remplie  de  tabac  en  poudre  et  de 
minces  copeaux  d'écorce  de  saule ,  pour  que  l'idole  puisse 
en  prendre  et  se  boucher  les  narines  connue  les  Ostiaks, 
Ils  ont  soin  de  barbouiller  souvent  la  bouche  de  l'idole  avec 
de  la  graisse  de  poisson ,  el  de  lui  rendre  taule  sorte  d'hon-f 
ueurs.  Malgré  la  vénérati-m  et  le  respect  qu'ils  ont  pour 
leurs  idoles ,  malhein-  à  elles  lorsqu'il  arrive  quelque  désa- 
grément aux  Ostiaks,  el  que  l'idole  n'y  remédie  pas  :  ils 
la  jettent  alors  par  terre,  la  frappent,  la  maltraitent  et  la  bri- 
sent en  morceaux  ;  cette  correction  arrive  fréquemment  : 
les  mêmes  accès  de  colère  sont  communs  à  tous  les  peu- 
ples idolâtres  de  la  Sibérie. 

L'idole  pour  laquelle  les  Ostiaks  ont  le  plus  de  vénération 
estdans  la  contrée  des  Voksarskoié,  à  soixaute-dix  werstes 
au  dessous  d'Obdorsk.  Elle  est  placée  dans  un  vallon  boisé, 
et  soigneusement  gardée  par  les  Ostiaks ,  !  qui  cherchent 
à  en  cacher  aux  Russes  toutes  les  avenues.  Ils  s'y  rassem- 
blent fréquemment  en  grand  nombre  pour  y  faire  leurs 
offrandes.  Cette  idole  représente  deux  personnes;  l'une 
est  habillée  en  homme,  et  l'autre  en  femme,  à  la  mode 
des  Ostiaks.  Leur  vénération  pour  elle  s'étend  même  jus- 
qu'à la  contrée;  ils  n'y  fauchent  aucune  herbe,  n'y  alwt- 
tent  aucun  arbre;  ils  n'y  chassent  point;  ils  n'osent  pas 
même  y  boire  de  l'eau  des  ruisseaux  qui  les  arrosent,  de 
peur  de  déplaire  à  leur  divinité. 

Leurs  chamans  ou  devins  sont  les  seuls  qui  les  dirigent 
dans  leur  croyance.  Lorsque  ceux-ci  exercent  leur  art,  ils 
se  mettent  dans  la  cabane  devant  un  grand  feu;  ils  font 
des  grimaces  et  des  contorsions  horribles  jusqu'à  ce  qu'ils 
aient  renvoyé  le  diable  qu'ils  ont  cité,  et  obtenu  réponse 
de  lui-même.  Tous  ceux  qui  assistent  à  cette  cérémonie 
font  un  bruit  épouvantable ,  en  battant  sur  des  chaudrons, 
de  la  vaisselle,  et  d'autres  objets,  et  en  jetant  des  cris 
jusqu'à  ce  que  leur  imagination  leur  fasse  voir  une  fumée 
bleue  8* élevant  au  dessus  de  la  tête  du  devin.  Celui  ci  fait 
alors  semblant  d'être  hors  d'haleine  et  épuisé  de  fatigue. 

Les  danses  des  Ostiaks  sont  remarquables  et  particuliè- 
res à  ce  peuple;  on  ne  peut  mieux  les  comparer  qu'à  des 
pantomimes  burlesques,  à  cause  du  grand  nombre  de  figu- 
res risibles.  Les  hommes  et  les  jeunes  garçons  sont  les  seuls 
qui  dansent.  Ces  danses,  très  pénibles  et  très  fatigantes, 
demandent  beaucoup  de  souplesse  et  d'agilité;  elles  repré- 
sentent, par  les  diverses  positions ,  par  les  pas  et  les  gestes 
du  danseur,  les  allures  des  différens  oiseaux  et  animaux 
lorsqu'on  les  chasse,  et  ceux  des  poissons  lors  de  la  pêche. 
Dans  d'autres  danses,  ils  con'.refont  adroitement  leurs  voi- 
sins, en  conservant  toujours  avec  exactitude  la  cadence, 
que  le  musicien  a  soin  de  varier  d'après  les  sujets  que  le 
danseur  veut  représenter  ;  ils  rendent  la  chasse  de  la  zibe- 
line, les  allures  de  la  grue  et  du  renne,  le  vol  de  la  bon- 
drée  et  la  manière  dont  elle  saisit  sa  proie,  la  posture  et  les 
gestes  des  femmes  russes,  lorsqu'elles  lavent  à  la  rivière , 
et  diverses  actions  plaisantes. 

Les  Osliaks  sont  très  hospitaliers  envers  les  étrangers  , 
et  font  tout  leur  possible  pour  les  bien  traiter;  ceux  qui 
ont  des  rennes  en  tuent  un  sur-le-champ,  et  servent  à  leur 
hôte  la  langue ,  la  cervelle ,  la  poitrine  el  les  filets  de  l'ani- 
mal, mets  qu'ils  estiment  être  les  plus  délicieux.  Ils  l»û 
font  des  présens  après  le  repas,  selon  leur  fortune.  Ilsi!<;  »o 
conduisent  pas  ainsi  dans  une  espérance  de  ïéàçïQUjjéi 
leur  libéralité  est  parfaitement  désintér€9si9. 


72 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


RICHELIEU. 

Montesquieu  a  dit  du  cardinal  de  Richelieu  :  «  Il  fît 
«  jouer  à  son  monarque  le  second  rôle  dans  la  monarchie 
«  et  le  premier  en  Europe.  II  avilit  le  roi ,  mais  il  illustra 
«  le  règne.  »  Esprit  fait  pour  gouverner  les  peuples,  grand 
dans  ses  projets,  ferme  dans  ses  résolutions ,  implacable 
envers  ses  ennemis,  infatigable  dans  le  travail,  jaloux 
d'honneurs,  désireux  d'une  immortalité  glorieuse,  Riche- 
lieu a  plus  fait  que  la  plu- 
part des  hommes  de  génie 
qui  ont  paru  sur  la  scène 
politique  aux  époques  de 
transition.  Ministre  d'un 
roi  de  France,  il  a  su 
marcher  à  son  but  et  do- 
miner son  souverain  sans 
le  flatter  et  sans  irriter  son 
amour-propre.  Il  a  gou- 
verné au  su  du  roi  lui- 
même  qui  obéissait  à  l'as- 
cendant du  génie ,  et  non 
comme  ces  favoris  qui  en- 
dorment ou  enivrent  leur 
maître  pour  commander 
en  son  nom  et  lui  cacher 
leur  usurpation. 

Mais  ce  n'était  pas  par  amour  pour  la  domination  seule 
que  le  cardinal  de  Richelieu  s'était  emparé  du  sceptre  et 
de  l'épée  du  roi  de  France  ;  à  un  homme  de  cette  trempe 
il  fallait  autre  chose  que  les  jouissances  du  pouvoir  absolu 
exercé  dans  l'intérieur  d'une  cour  et  sur  le  monde  des  cour- 
tisans; comme  Louis  XI,  conune  Pierre-le-Grand ,  il  vou- 
lait l'ordre  dans  le  royaume,  la  réforme  dans  le  gouver- 
ment ,  l'agrandissement  de  son  pays ,  et  pour  prix  de  ses 
travaux  les  respects  et  les  éloges  de  l'étranger.  Ami  des 
arts  et  des  sciences ,  il  fonda  l'Académie  française,  et  pro- 
tégea l'Université  qui  lui  doit  la  reconstruction  de  la  Sor- 
boune  où  son  tombeau  a  été  replacé ,  il  y  a  quelques  an- 
nées, par  les  soins  de  son  arrière  neveu ,  le  maréchal  de 
Richelieu. 

Il  serait  trop  long  de  rappeler  à  nos  lecteurs  tous  les 
faits  marquans  de  la  vie  de  ce  grand  ministre ,  qui  pen- 
dant dix  huit  ans  joua  le  premier  rôle  en  Europe.  Nos 
lecteurs  savent  comment,  destiné  d'abord  à  la  carrière  des 
armes ,  il,  entra  à  vingt  deux  ans  dans  les  ordres,  et  fut  sa- 
cré à  Rome,  évoque  de  Luçon;  comment  sa  carrière  poli- 
tique commença  aux  états-généraux  convoqués  en  i6\4; 
comment  il  s'attacha  à  Marie  de  Médicis ,  la  veuve  du 
grand  Henri,  et  devint,  par  son  appui,  secrétaire  d'état  au 
département  de  la  guerre  et  des  affaires  étrangères.  Nos 
lecteurs  savent  aussi  ses  succès  dans  les  guerres  contre  les 
protestans,  et  la  glorieuse  campagne  qu'il  fit  en  Italie. 
Nous  ne  retracerons  pas  non  plus  ses  démêlés  avec  la 
reine  mère  ;  l'acharnement  avec  lequel  il  poursuivit  tous 
les  partisans  de  cette  princesse  quand  il  eut  réussi  à  l'é- 
loigner de  son  fils.  Les  romanciers ,  les  auteurs  drama- 
tiques ont  voulu  partager  ,  avec  les  historiens ,  le  soin  de 
faire  connaître ,  dans  ses  moindre  détails ,  la  vie  du  cardi- 
nal. Il  était  déjà  atteint  du  mal  qui  le  fit  descendre  dans 
le  tombeau ,  quand  Cinq-Mars  et  de  ïhou  portèrent  leur 
tête  sur  l'échafaud.  Ramené  de  Lyon  à  Paris ,  dans  une 
espèce  de  chambre,  sur  le  dos  de  ses  gardes  qui  marchaient 
la  tête  nue ,  il  faisait  abattre  des  pans  de  muraille  quand 
les  portes  des  villes  étaient  trop  étroites  pour  lui  livrer  un 
passage. 

Il  laissa  à  Louis  XIII  un  million  et  demi,  en  espèces,  et 
le  Palais-Cardinal  (  aujourd'hui  Palais-Royal  ). 

«  Je  n'ai  jamais  eu  d'autres  ennemis  que  ceux  de  l'État, 
a  dit-il  en  mourant  ;  je  laisse  le  royaume  au  plus  haut  de- 
«  gré  de  gloire  où  il  ait  jamais  été.  » 

Si  les  faits  principaux  de  la  tîc  de  Richelieu ,  que  nous 


(Médaille  frappée  en  i63i  en  l'honneur  de  Richelieu.) 


venons  de  rappeler,  sont  connus  de  la  plupart  des  lecteurs, 
il  en  est,  et  en  grand  nombre,  qui  serviraient  à  mieux  faire 
connaître  son  caractère  et  qui  sont  enfouis  dans  des  ma- 
nuscrits et  des  livres  rares.  Ceux  que  nous  allons  raconter 
sont  extraits  de  la  collection  des  manuscrits  de  la  Biblio  • 
thèque  royale. 

Il  est  avéré  que  le  cardinal  de  Richelieu  avait  des  ac- 
cès de  frénésie,  et  dans  ces  momens  on  ne  laissait  entrer  per- 
sonne que  ceux  qui  pouvaient  le  servir,  ou  qui  étaient  dans 

l'habitude  de  le  divertir, 
comme  Boisrobert,  Vril- 
lon,  etc. 

Etant  à  Bois- le -Vi- 
comte ,  dit  un  auteur,  le 
concierge  me  fit  voir  un 
cabinet  boisé  où  l'on  en- 
fermait le  cardinal ,  et  où 
la  menuiserie  était  toute 
percée  de  coups  de  cou- 
teau pointu.  Le  concier- 
ge me  dit  que  Richelieu 
enfonçait  le  couteau  dans 
le  bois  le  plus  qu'il  pou- 
vait, et,  prenant  sa  cour- 
se ,  il  venait  appuyer  un 
pied  contre  la  muraille 
faisait  la  pirouette  sur  ce 
le  couteau  avec  l'autre. 


pied,  en  cherchant   à  abattre 
C'était  là  un  de  ses  amusemens  favoris. 

Richelieu  était  seigneur-suzerain  ,  non  seulement  d'une 
infinité  de  châteaux  forts ,  mais  d'arsenaux  et  même  de 
villes  dont  les  commandans  et  les  troupes  étaient  à  sa  dé- 
votion. Nous  citerons  entr'autres  Pontoise,  la  Bastille,  Bi- 
cêtre,  et  Vincennes ,  d'où  il  menaçait  constamment  Paris. 

La  mère  de  Louis  XIII,  retirée  à  Bruxelles  pendant  sa 
disgrâce,  énumérait  à  son  fils  les  sujets  de  défiance  que  de- 
vait lui  inspirer  la  puissance  de  son  favori.  «  Comment,  lui 
écrivait  -  elle  ,  souffrez -vous  qu'il  y  ait  en  France  un 
homme  qui  dispose  de  plus  de  richesses,  de  places  fortes  et 
de  soldats  que  vous.  »  Le  Caf/ioîicon,  satire  du  temps,  pré- 
tend que  le  cardinal  avait  pour  sa  garde  deux  mille  hommes 
de  pied  et  cinq  cents  chevaux. 

On  ne  doit  pas  s'étonner  que  le  cardinal  de  Richelieu 
ait  songé  à  trouver  pour  sa  nièce  un  gendre  dans  la  fa- 
mille royale.  Le  comte  de  Soissons  auquel  il  avait  d'abord 
songé ,  repoussa  ses  offres ,  et  paya  ce  refus  par  les  vexa- 
tions que  Richelieu  lui  fit  éprouver.  Plus  tard,  il  éleva  ses 
vues  jusqu'à  Gaston,  duc  d'Orléans,  frère  du  roi  lui- 
même;  mais  cet  espoir  fut  encore  déçu.  Le  cardinal  se  fai- 
sait suivre  de  sa  nièce  quand  il  allait  à  l'armée.  On  frappa 
dans  le  temps  une  médaille  en  l'honneur  de  cette  nièce; 
elle  y  était  représentée  habillée  en  Amazone,  un  casque  sur 
la  tête ,  et  sur  le  revers  on  lisait  une  inscription  qui  avait 
été  primitivement  composée  pour  Jeanne  d'Arc. 

Le  cardinal  ne  s'épargnait  pas  les  plaisanteries  envers 
les  courtisans ,  qui  supportaient  presque  toujours  patiem- 
ment ses  railleries.  Il  n'en  fut  pas  ainsi ,  un  jour  que  le 
cardinal-ministre  se  commit  avec  le  vieux  duc  d'Eper- 
non.  «  Mon  cher  duc,  lui  disait-il  malicieusement,  réfor- 
«  mez  donc  votre  humeur  altière ,  et  surtout  votre  accent 
«  gascon....  »  Et  en  parlant  ainsi,  le  cardinal  contrefaisait 
le  ton  de  voix  et  la  parole  du  bonhomme;  puis  il  ajouta, 
en  riant  aux  éclats  :  «  Ne  vous  en  offensez  pas  au  moins, 
«  mon  cher  duc,  ceci  est  sans  préjudice  de  vos  qualités.  » 
—  «  Et  pourquoi  m'en  offenserais-je,  répondit  le  gentil- 
«  homme  indocile ,  j'en  souffre  bien  d'autres  du  fou  du 
«  roi  qui  me  contrefait  tous  les  jours  en  votre  présence  ?...» 
Le  cardinal  fronça  le  sourcil,  mais  il  ne  répondit  rien. 


Les  Bureaux  d'Abonnement  et  de  Vente  sont  transférés  rue  de 
Seine -Saint-Cermaiii,  9.  —Prix:  2  soui  la  livraisQQ. 


(10 


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w 


MONUMENS  FUNERAIRES  DES  TEMPLES  ANGLAIS. 


(  Vue  des  Tombeaux  de  Newton  et  du  comte  Stanlioiic.  ) 

On  a  souvent  reproclié  aux  Français  d'être  ingrats  en-  !  l'intrigue;  rarement  on  a  pour  eux  l'admiration  qui  leur 
vers  les  hommes  qui ,  parleur  génie  on  leurs  belksactions,  est  due,  et  si  on  les  loue  quelquefois,  ces  éloges  stériles 
ont  été  l'illustration  de  leur  siècle.  Ce  reproche  n'est  certes  !  ne  peuvent  compenser  les  tracasseries  dont  on  les  accable, 
pas  sans  quelque  fondement.  Le  plus  souvent,  tant  que  vi-  i  Lorsqu'  ils  ne  sont  plus,  on  les  regrette,  on  les  pleure  ; 
vfnt  nos  grands  hommes,  ils  sont  en  butte  à  la  jalousie  et  à  puis  on  les  oublie,  on  du  moins  on  ne  s'occupe  point  de 
Tome  XI.  —Décembre  1884.  \Q. 


û^ 


MAGASIN  UiNiVERSEL. 


!) 


rendre  honneur  à  leur  mémoire.  En  vain  avons-nous  écrit , 
sur  le  frontispice  de  notre  Panthéon ,  celte  épigraphe  pom- 
peuse :  Aux  grands  hommes  la  patrie  reconnaissante ,  les 
caveaux  de  cette  admirable  basilique  sont  presque  déserts. 
Il  n'a  fallu  rien  moins  qu'une  révolution  pour  y  faire  porter 
le&  cendres  de  deux  ou  trois  grands  hommes  du  xviii*  siècle. 
Mais  où  reposent  les  restes  de  nos  grands  écrivains  du  siè- 
cle de  Louis  XIV,  des  Racine,  des  boileau ,  des  Molière  et 
de  tant  d'autres  ?  Leurs  tombes  modestes  sont  perdues  au 
milieu  des  mausolées  somptueux  du  Père-lMchaise. 

Ceci  rappelle  un  couplet  d'un  ancien  vatuleville,  où 
l'auteur  s'élève  en  justes  reproches  contre  notre  coupable 
indifférence  :  il  place  ces  vers  dans  la  bouche  d'un  An- 
glais : 

Convenez-en  ,  vous  êtes  économes 

Dans  les  honneurs  que  l'on  doit  aux  talem  : 

Si  moins  que  vous, nous  avons  de  grands  honunes^ 

Sur  leurs  autels  nous  brûlons  plus  d'encens. 

Rendez  au  moins  justice  à  l'Angleterre  : 

Ce  Molière  ,  applaudi  tant  de  fois , 

Obtint  chez  vous  à  peine  un  peu  de  terre; 

Garrick  repose  à  côté  de  nos  rois. 

En  effet ,  quand  on  visite  la  plupart  des  églises  de  l'An- 
gleterre ,  on  est  surpris  du  nombre  prodigieux  de  monu- 
mens  fttnéraires  qui  les  décorent.  Les  sépultures  de  la 
superbe  église  de  St.-Paul  de  Londres  et  celles  de  l'antique 
abbaye  de  Westminster,  sont  surtout  remarquables. 
St.-Paul  est  spécialement  consacré  aux  grands  capitaines, 
et  Westminster  généralement  à  tous  les  personnages  mar- 
tiuans ,  quelqu'ait  été  leur  genre  de  célébrité  :  on  nomme 
le  coin  dos  poètes  {ihe  poet's  corner) ,  la  partie  de  l'église 
réservée  aux  monumens  que  l'Angleterre  a  élevés  à  ses 
grands  écrivains  :  là  se  trouvent  la  statue  de  Shakespeare , 
les  tombeaux  de  Sbéridan,  de  Milton,  de  Gray,  de  Thotnp- 
son,  d'Addison,  de'Garrick  et  de  Dryden.  Non  loin  des 
restes  de  ces  grands  génies  reposent  Chatham ,  les  deux 
antagonistes  Pitl  et  Fox ,  Ganning ,  etc.  Ce  temple ,  sans 
rival  dans  le  monde,  est  ouvert,  selon  l'expression  d'un 
auteur  célèbre,  à  toutes  les  souverainetés  de  la  gloire  et  du 
génie;  le  républicain  y  repose  à  côté  du  royaliste,  et  le 
catholique  à  côté  du  protestant. 

Parmi  toutes  ces  tombes  illustres ,  il  en  est  deux  qui  se 
font  admirer  par  la  uiagnilicence  de  leur  architecture  :  ce 
sont  celles  de  Newton  et  du  comte  Stanhope  (Voyez  la  gra- 
vure qui  accompagne  cet  article).  Elles  sont  construites 
sous  les  arcades  d'une  espèce  de  Jubé,  qui  occupe  le  milieu 
de  la  nef.  Il  est  impossible  de  rien  voir  de  plus  délicieuse- 
ment travaillé.  Ce  chef-d'œuvre  de  sculpture  est  moderne, 
et  a  été  exécuté  aux  frais  du  doyen  et  du  chapitre  de  l'église. 
Cette  habile  imitation  de  l'architecture  du  moyen-âge  est 
d'autant  plus  précieuse  qu'on  a  su  conserver  les  gracieux 
évidemens  et  les  riches  arabesques  du  genre  gothique ,  tout 
en  évitant  les  exagérations  et  la  recherche  maniérée,  qui 
n'ont  que  trop  souvent  altéré  la  beauté  «les  ornemensdece 
style.  Le  superl)e  buffet  d'orgues,  en  bois  de  chêne  sculpté, 
qui  siu'monte  ces  arcades,  ajoute  encore  à  l'effet  du  monu- 
ment. 

LE  TYROL. 

Les  deux  versans  des  Alpes  rhétiennes  ou  rhcliques,  qui 
ne  sont  que  la  contiiuiatioi\  des  Alpes  de  la  Suisse,  consti- 
tuent la  plus  grande  partie  du  Tyrol,  Si  l'on  y  voit  moins 
de  pointes  élevées  qu'en  Suisse ,  on  y  remarque  des  masses 
plus  étendues  en  largeur;  des  montagnes  que  personne  n'a 
tenté  de  gravir,  et  «jai  paraissent  être  presque  aussi  hau- 
tes r|ue  le  Mont-Blanc;  des  profondeurs  effrayantes;  quel- 
ques cascades  magnifiques;  des  glaciers  de  plusieurs  lieues 
d'éleiuluc,  mais  moins  beaux  qu'en  Suisse;  des  torrens  et 
des  rui«se5inx([ui  sillonnent  des  vallées  étroites,  sinueuses, 


et  d'une  pente  rapide  :  d'un  côté ,  le  souffle  glacial  des 
vents  du  nord;  de  l'autre,  le  hùle  brûlant  du  sirocco;  tel 
est,  en  peu  de  mots,  le  tableau  de  ce  pays  montagneux. 

Le  Tyrol  doit  son  nom  à  un  ancien  château  situé  snr  une 
montagne  qui  domine  l'Adige,  près  de  Meran.  Il  devint 
par  héritage  la  propriété  des  ducs  d'Autriche  en  1363.  Ce 
comté  est  limité  au  nord  î)nr  la  Bavière;  à  l'ouest,  par  la 
Suisse  ;  au  sud  et  à  l'est  par  le  royaume  Lombardo- Vénitien, 
rillyrieet  la  Haute- Autriche. 

Le  travail  des  mines  est  un  moyen  d'existence  pour  le 
Tyrolien;  mais  elles  ne.sont  pas  d'un  grand  rapport  pour 
le  gouvernement,  qui  d'ailleurs  ne  les  fait  que  faiblement 
exploiter. 

L'habitant  tire  un  meilleur  parti  de  son  sol.  Il  a  porté 
l'agriculture  à  un  grand  point  de  perfection  :  il  ignore  ou 
dédaigne  l'usage  des  jachères.  On  dirait  que  le  sol  s'em- 
presse de  répondre  aux  soitis  assidus  et  à  l'activité  du  labou- 
reur. Chaque  espace  est  utilisé  :  la  terre  végétale  est  trans- 
portée sur  les  sommets  escarpés  ;  l'herbe  môme  (jui  croît 
sur  les  pentes  des  précipices  est  recueillie  pour  la  nourri- 
ture du  bétail.  L'action  de  la  nature  sur  les  roches,  qu'elle 
décompose,  est  mise  à  profit  par  l'homme  ;  il  transforme 
leur  dêiriHis  en  champs  cultivés.  11  faut  voir  le  paysan  ty- 
rolien ,  une  corbeille  sur  la  tête ,  descendre ,  à  l'aide  d'une 
corde  et  d'un  piquet,  le  long  des  roches  inaccessibles  jus- 
qu'au fond  des  précipices ,  pour  mettre  à  contribution  quel- 
quelques  pieds  de  terre,  qu'il  livre  à  la  culture. 

Malgré  toute  leur  activité ,  huit  cent  mille  habitans  ne 
pourraient  point  vivre  dans  cette  contrée ,  s'ils  ne  cher- 
chaient ailleurs  que  dans  l'agriculture  leurs  moyens  d'exis- 
tence. Quelques-uns  n'ont  d'autres  richesses  que  leurs  bes- 
tiaux. Mais  croirait-on  que  l'oiseau  qui,  des  îles  Canaries ,  a 
été  transporté  en  Europe ,  où  ses  chants  le  font  rechercher 
plus  que  son  beau  plumage  jaune,  soit,  élevé  chez  le  Tyrolien, 
un  objet  de  commerce?  Ce  peuple  tire  parti  de  tout,  et 
vendre  des  serins  hors  de  son  pays  n'est  point  un  métier 
qu'il  dédaigne.  Ce  commerce  d'ailleurs  fait  entrer  annuel- 
lement dans  le  pays  une  valeur  de  St)  à  60,0(>0  florins.  Il 
ne, borne  poirTt  là  son  industrie  :  le  Tyiol  renferme  peu  de 
fabriques ,  mais  aussi  chaque  habitant  est  ouvrier  ou  fa- 
bricant. A  défaut  d'autre  état ,  il  se  fait  colporteur  jusque 
dans  les  contrées  les  plus  lointaines,  et  revient  toujours 
dans  sa  patrie  jouir  du  fruit  de  ses  économies.  A  six  ans,  le 
Tyrolien  quitte  ses  montagnes,  part  pour  la  foire  de  Kemp- 
ten,  en  Bavière,  et  s'y  rend  utile  pour  la  garde  des  oies  ou 
des  bestiaux.  Plustaid,  il  émigrc  conmie  maçon ,  charpen- 
tier, mineur  ou  marchand  de  tableaux.  On  en  compte  plus 
de  trente  mille  qui  s'expatrient  tous  les  ans  :  l'un ,  entraîné 
par  une  sorte  d'amour  pour  la  guerre,  parcourt  les  monla- 
gnes  en  chasseur,  et  ne  craint  point  de  s'exposer  aux  plus 
grands  dangers  pour  atteindre  sa  proie  ;  l'autre  y  recher- 
che les  plantes  médicinales,  que  dès  l'enfance  il  apprit  à 
connaître  aussi  facilement  que  le  plus  habile  botaniste. 
Parmi  ceux  qui  n'émigrent  point,  il  en  est  qui  exécutent 
avec  la  plus  grande  adresse  divers  ouvrages  en  bois  ;  dans 
le  Vorarlberg ,  ils  profitent  de  leurs  vastes  forêts  pour  con- 
struire en  bois  des  boutiques ,  des  maisons  môme ,  dont  les 
différentes  pièces,  numérotées,  sont  expédiées  jusque  sur  les 
bords  du  lac  de  Constance ,  ci  transportées  de  là  dans  les 
pays  voisins.  Ce  genre  d'industrie  rapporte  au  Tyrol  près 
de  200,000  florins. 

Il  semble  que  le  Tyrolien  soit  né  mécanicien  :  les  ruis- 
seaux qui  parcourent  ses  vallées  sont  utilisés,  par  des  moyens 
ingénieux,  pour  obvier  au  défaut  de  bras  ;  les  eaux  font 
mouvoir  de  distance  en  distance  des  roues  façonnées  à  cet 
usage  :a-t-il  besoin  de  farine;  désire-t-il  se  procurer  de 
l'huile  pour  son  ménage;  comme  chaque  individu  se  suffit 
en  quelque  sorte  à  lui-même,  il  n'y  a  point  de  meunier,  il 
n'y  a  point  de  fabriques  d'huile  ;  mais  le  ruisseau  voisin  est 
chargé  de  moudre  le  grain  ou  de  pressurer  la  plante  oléa- 
gineuse. Un  voyageur  allemand  dit  avoir  vu  un  enfant 
dans  son  berceau  balancé  d'un  mouvement  uniforme  à 


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r*aide  d'une  roue  que  l'eau  faisait  mouvoir.  Tandis  que  les 
hommes  se  livrent  à  leurs  travaux,  les  feamies  s'adonnent 
à  des  occupations  productives  :  les  unes  tricotent  des  bas , 
les  autres  font  des  gants  de  peau  de  chèvre  ;  celles-ci  bro- 
dent des  mousselines ,  celles-là  tressent  la  paille,  qu'elles 
façonnent  ensuite  en  élégans  chapeaux.  L'industrie  manu- 
facturière se  borne  à  un  petit  nombre  d'objets.  Le  pays  s'en- 
richit encore  par  le  commerce  de  transit  entre  llAllemagne 
et  l'Italie.  ^ 

La  bonté ,  la  franchise ,  la  fidélilc  à  remplir  ses  engage- 
mens ,  l'attachement  à  son  souverain ,  et  l'amour  de  son 
pays,  sont  les  principales  vertus  qui  distinguent  le  Tyro- 
lien. Ami  de  l'indépendance  et  de  la  liberté,  il  a  horreur 
de  la  conscription ,  et  dédaigne ,  méprise  même  la  tactique 
militaire;  mais,  soldat  volontaire,  il  affronte  avec  calme  les 
dangers,  et  se  bat  en  héros  pour  là  défense  de  sa  patrie. 
Sévère  dans  ses  mœurs ,  loyal  dans  ses  relations ,  ami  géné- 
reux ,  la  [paix  et  la  gaîté  régnent  dans  son  intérieur.  Na- 
turellement dévot,  mais  superstitieux,  il  lui  faut  un  culte 
imposant  par  ses  cérémonies ,  une  religion  qui  parle  à  son 
cœur  comme  à  son  imagination,  et  qui  entretienne  son 
ignorante  crédulité.  Il  aime  à  peupler  les  sombres  forêts 
qui  l'entourent  ou  les  cimes  de  ses  montagnes  d'esprits,  de 
démons  et  d'êtres  surnaturels.  Il  se  plaît  dans  les  récits 
d'apparitions  de  fantômes.  Il  est  peu  de  villages  qui  ne 
renferment  une  sorcière  ou  un  sorcier  :  on  ne  voit  ni 
protestans  ni  luthériens  dans  le  Tyrol;  à  l'exception  de 
huit  ou  dix  familles  juives,  toute  la  population  est  catho- 
lique. 

«  Le  Tyrolien ,  a  dit  un  voyageur,  homme  d'esprit ,  est 
naturellement  gai,  sans  cependant  être  léger.  Dans  les  cam- 
pagnes, au  fond  des  bois,  le  long  des  routes,  sur  les  places 
des  villages  et  des  petites  bourgades,  on  entend,  pendant 
tout  le  jour,  les  éclats  de  rire  des  hommes  mêlés  au  chant 
des  femmes,  surtout  parmi  le  peuple  et  les  paysans.  La  classe 
moyenne  est  plus  allemande  ,  et  parmi  elle ,  vous  lencon- 
trez  souvent  de  ces  physionomies  longues  et  calmes ,  fu- 
mant avec  une  sorte  de  gravité  froide  et  fort  comique  l'é- 
norme pipe  d'écume  de  mer.  Peut-être  aussi  le  chapeau 
pointu  (remplaçant  la  casquette  plate  du  bourgeois  tyro- 
lien), la  veste  courte  et  les  culottes ,  contribuent-ils  à  don- 
ner au  campagnard  un  air  moins  grave ,  moins  rassis  et 
plus  éveillé.  • 

«  Les  femmes  sont  fortes ,  souvent  jolies ,  quelquefois 
fort  belles  :  le  calcul  sur  la  beauté  m'a  presque  toujours 
donné  trois  sur  douze.  Leur  costume ,  assez  éclatant,  varie 
peu  :  c'est  une  espèce  d'unifortne  qui  ne  diffère  que  par  le 
bonnet  et  les  paremens.  Les  jeunes  femmes  qui  ont  un  peu 
d'aisance  portent  volontiers  quelques  chaînes  ou  quelques 
bijoux  d'or  ou  d'argent.  Leur  gros  bonnet  d'ours  ou  de 
lame ,  leur  jupon  bleu  ou  noir,  leur  corsage  rouge  et  blanc, 
leur  donnent  dans  la  campagne,  lorsqu'une  procession  dé- 
file, l'aspect  d'un  bataillon  de  grenadiers. 

«  Cependant,  à  Inspriick,  le  cône  de  fourrure  qui  recou- 
vre la  tête  des  femmes  et  même  celle  des  hommes  est  tron- 
qué; peu  d'habitans,  au  reste,  font  usage  de  cette  plai- 
sante coiffure ,  et  beaucoup  de  femmes  n'en  portent  pas 
d'autre  que  celle  que  la  nature  leur  a  donnée;  elles  mê- 
lent toutefois  aux  tresses  de  leur  chevelure  de  longues  chaî- 
nes d'argent  et  toutes  sortes  d'ornemens  de  métal,  qui  pen- 
dent quelquefois  jusqu'à  terre.  Quant  à  l'ensemble  du  cos- 
tume, il  se  compose  communément  d'un  corsage  qui  pré- 
sente, d'une  épaule  à  l'autre,  une  ligne  droite  bridée,  fort 
laide  ;  leur  robe  forme  un  nombre  de  plis  incalculable ,  et 
leur  donnerait  assez  l'apparence  d'un  gros  sac  bien  rem- 
bouré,  n'était  leur  magnifique  tournure,  dont  les  formes 
rebondies  et  les  prodigieuses  dimensions  défient  la  nature 
la  moins  avare  :  d'ordinaire  leurs  jupons  arrivent  au-des- 
sous du  genou.  Trois  couleurs  dominent  dans  leurs  vôte- 
mens,  le  rouge,  le  bleu  léger  et  le  noir.  Cependant  leur 
corsage  et  les  bretelles  qui  le  retiennent  sont  ornés  de 


nuances  aussi  variées  que  le  pourrait  désirer  le  eolorinte  le 
plus  difficile.  » 

Il  y  a  plus  d'clcmens  de  liberté  politique  dans  le  Tyrol 
que  dans  les  autres  provinces  de  la  monarchie  autrichienne. 
Depuis  \S\6,  le  gouvernement  a  confirmé  les  anciens  droits 
dont  il  jouissait  :  il  lui  a  accordé  une  constitution  plus  ap- 
propriée à  ses  besoins.  Tandis  que  dans  les  autres  pays  au- 
trichiens, la  nation  n'est  représentée  que  par  le  clergé,  la 
noblesse,  et  quelques  députés  des  villes ,  les  États  tyroliens 
non-seulement  se  composent  de  députés  de  ces  différentes 
classes ,  mais  encore  de  celle  des  paysans.  Le  Vorarlberg 
jouit  de  quelques  prérogatives  particulières.  En  n'établis- 
sant point  la  conscription  dans  le  Tyrol ,  le  gouvernement 
a  senti  <|u'il  s'en  faisait  un  rempart  plus  sûr  contre  l'inva- 
sion étrangère  :  eu  temps  de  guerre,  chaque  TjTolien  de- 
vient soldat  ;  habitué  à  la  fatigue ,  adroit  et  bon  chasseur, 
il  est  peu  d'armées  qui  pourraient  résister  à  ce  peuple,  levé 
en  masse  pour  la  défense  de  ses  foyers  ;  il  ne  fournit  à  l'E- 
tat ,  qui  le  ménage ,  que  quatre  bataillons  de  chasseurs , 
formant  en  tout  cinq  à  six  mille  hommes ,  qui  ne  sont 
tenus  qu'à  un  service  d'intérieur.  Aucune  troupe  autri- 
chienne ne  peut  séjourner  dans  le  pays  qu'avec  l'autorisa- 
tion des  États  ;  et ,  délivré  des  douanes ,  ses  contributions 
forment  un  revenu  assez  considérable ,  que  l'on  évalue  à 
plus  de  2,500,000  florins  d'Autriche. 

Le  comté  du  Tyrol  renferme  vingt-et-une  villes ,  trente- 
deux  bourgs  et  qumze  cent  cinquante-huit  villages ,  dont 
quelques-uns  sont  aussi  peuplés  que  des  villes. 


ARCHERS,  ARBALÉTRIERS  ET  ARQUEBUSIERS. 

Il  est  bien  difficile  de  préciser  l'époque  de  la  formation 
du  corps  des  archers;  l'origine  de  cette  milice  remonte  aux 
premiers  temps  de  la  monarchie  :  sous  Charlemagne ,  à 
Roncevaux ,  sous  Phili[)pe-Auguste,  à  Bovines ,  les  archers, 
(arcuarii)  jouèrent  un  rôle  important.  Ce  n'étaient  alors  que 
des  troupes  légères,  ne  pouvant  soutenir  que  difficilement 
le  choc  des  forts  gendarmes,  grosse  cavalerie,  armée  de 
pied  en  cap  ;  aussi  avaient-ils  une  manière  de  combattre 
qui  devait  être  pour  eux  d'un  grand  avantage  :  à  la  force 
ils  opposaient  l'adresse.  Dans  les  plaines  de  Bovines ,  on 
vit  les  archers  et  leurs  compagnons  les  cousteliers  poursuivre 
les  autres  troupes  et  empêcher  leur  ralliement,  après  la 
grande  bataille  qui  délivra  Philippe-Auguste  de  l'insolence 
des  Anglais  ;  la  mission  des  archers  était  d'escarmoucher, 
tantôt  à  pied,  tantôt  à  cheval  ;  et  là  se  montrait  la  supériorité 
que  leur  donnait  leur  armure  légère  sur  les  lourds  gendar- 
mes et  arbalétriers,  que  la  pesanteur  de  leurs  armes  enipê- 
chait  de  se  remuer  aisément.  •■ 

De  Philippe- Auguste  à  Charles  VI,  les  archers  firent  tou- 
jours preuve  de  vaillance  et  de  fidélité  ;  JVIonslrelet ,  dans 
sa  chronique  si  piquante ,  si  pleine  de  faits ,  raconte  qu'à  la 
bataille  de  Sauatron ,  gagnée  par  le  duc  de  Bourgogne  con- 
tre les  Liégeois ,  «  qu'icelle  bataille  ne  dura  pas  longuement, 
car  les  archers  bourguignons  estoient  embastonnés  de  lon- 
gues épées  par  l'ordonnance  que  leur  en  avoit  fait  le  duc  de 
Bourgogne  ;  et  après  le  trait  lancé ,  ils  donnèrent  dé  si 
grands  coups  d'épée ,  dit  le  naïf  historien,  qu'ils  coupoient 
un  homme  par  le  milieu  du  corps ,  et  un  bras  ou  une  cuisse 
selon  que  le  coup  donnoit.  » 

Sur  la  fin  du  xiv«  siècle ,  le  nouveau  système  militaire, 
adopté  par  Charles  VII ,  avait  favorisé  le  développement  de 
certaines  corporations  armées,  exclusivement  destinées  à  la 
guerre  ;  dans  toutes  les  villes  il  y  avait  des  compagnies  d'ar- 
chers, habiles  à  atteindre  un  but,  des  arbalétriers  qui 
chaque  jour  s'exerçaient  au  tir;  les  bons  compagnons  de 
l'arc  se  réunissaient  le  dimanche:  un  pigeon  était  attaché 
au  bout  d'un  mât ,  de  manière  cependant  à  pouvoir  se 
perdre  dans  les  nues  ;  Farcher  liabile  devait  l'atteiiulre  au 
l>reiuier  coup;  alors  U  était  proclamé  roi  de  l'arc,  U  gagnait 


76 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


un  notable  présent ,  une  coupe  ciselée  et  une  bonne  armure. 
Ces  compagnies  d'archers  avaient  de  nombreux  privilèges  j 
elles  étaient  organisées  en  corporations  avec  des  maîtres , 
des  syndics.  Rien  n'était  comparable  aux  compagnies  des 
villes  de  Flandre ,  de  Saint-Omer,  Gand ,  etc.;  en  Norman- 
die ,  Lisieux  était  célèbre  par  ses  tireurs  d'arcs. 

En  1445,  Charles  VII  institua  aussi  régulièrement  un 
corps  spécial  de  francs-archers ,  hommes  braves  et  capa- 
bles de  tirer  l'arc  avec  justesse,  qu'il  était  urgent  d'opposer 
aux  habiles  pointeurs  d'Angleterre.'  Alors  les  francs-archers 
formaient  la  plus  grande  force  des  armées  ;  la  cavalerie 
avait  perdu  sa  haute  réputation  de  courage  dans  les  plaines 
de  Crécy  et  d'Azincourt,  oii'les  archers  anglais  l'avaient 
vaincue  et  complètement  déconfie,  pour  nous  servir  de 
l'expression  du  temps. 

A  l'époque  de  la  formation  de  ces  francs-archers ,  l'armée 
était  en  France  assez  mal  composée.  «  On  y  comptoit,  dit 
Brantôme,  force  marauts,  belistres  mal  armés,  mal  com- 
plexionnés,  fainéants,  pilleurs  et  mangeurs  de  peuples.  « 
Aussi  le  roi  jugea-t-il  nécessaire  de  réorganiser  ces  troupes; 
il  disait  dans  son  ordonnance  :  «  Ordonnons  qu'en  chacune 
paroisse  de  notre  royaume  y  aura  un  archer  qui  sera  et  se 
tiendra  continuellement  en  habillement  suffisant  et  conve- 
nable, avec  dague,  épée  et  arc;  lesquels  seront  choisis 
parmi  les  plus  adroits  et  aisés  pour  le  fait  d'exercice  de 


i«;sE5TRi^ 


(Archers  de  Paris.  — 1490.) 

l'arc ,  et  seront  tenus  de  tirer  de  l'arc  les  jours  et  fêtes  non 
ouvrables,  afin  qu'ils  soient  plus  habiles  et  usités  audit 
exercice.  »  Le  nombre  en  fut  porté  à  16,000,  divisés  par 
quatre  compagnies ,  ayant  chacune  un  capitaine  sous  les 
ordres  immédiats  d'un  commandant-général. 

Aussi  quelles  belles  prouesses  ne  firent  pas  ces  bons  ar- 
chers? Au  siège  de  Caen,  en  1450,  on  en  vit  4,500  qui 
entouraient  le  comte  de  Dunois  ;  ils  firent  plusieurs  beaux 
traits  d'armes ,  écrit  encore  Monstrelet ,  et  se  comportèrent 
très-vaillamment  ;  «  ils  s'emparèrent  de  tous  les  boulevards 
et  tuèrent  grand  foison  d'Anglois,  ce  qui  grandement  les 
estonnèrent.  » 

Charles  VII ,  ayant  mis  fin  à  la  guerre  étrangère  et  aux 
troubles  civils  qui  désolaient  depuis  si  long-temps  le  royau- 
me,  on  dut  congédier  en  masse  les  nombreuses  troupes  qui 
coûtaient  tant  de  bons  deniers;  le  pauvre  peuple  avait  été 
si  cruellement  dépouillé  par  les  Anglais ,  qu'il  fallait  bien 
aux  jours  de  la  victoire  lui  procurer  quelque  soulagement. 
On  vit  alors  se  former  eu  France  ces  grandes  compagnies 


d'aventuriers  qui  produisirent  à  elles  seules  plus  de  mal 
par  leurs  pilleries  nombreuses ,  que  n'  en  avaient  fait  les 
troupes  réglées  du  duc  de  Bedfort.  Ces  compagnies  ne  se 
formaient  pas  d'inconnus  armés ,  gens  sans  nom  et  sans  for- 
tune. Quels  en  étaient  les  principaux  chefs?  presque  tous 
les  archers  qui  avaient  du  cœur  et  du  courage  ;  y  avait-il  un 
castel  élevé  où,  selon  la  tradition ,  le  sire  châtelain  renfer- 
mait de  gros  trésors  ?  aussitôt  les  archers  allaient  s'offrir  à 
lui  pour  son  service  contre  ses  voisins ,  et  ils  n'avaient  de 
repos  que  lorsque  le  vieux  seigneur  avait  vidé  l'escarcelle  ! 

Louis  XI,  par  une  de  ses  ordonnances  qui  étaient  toujours 
le  résultat  d'une  pensée  d'ordre  et  décentralisation,  cassa 
à  perpétuité  le  corps  nombreux  des  archers.  Dès  lors,  on 
ne  les  vit  plus  aux  armées ,  si  ce  n'est  comme  corps  privi- 
légié, et  servant  de  gardiens  à  la  personne  royale; 
Louis  XI  avait  ses  archers  écossais ,  et  Louis  XII ,  éciit  un 
contemporain,  «  Paroissoit  toujours  au  milieu  de  ses  vingt- 
quatre  arcliers  de  la  garde;  ils  étoient  à  pied ,  la  hallebarde 
en  main ,  armés  bien  à  point  et  très  richement  accoutrés; 
un  des  plus  grands  plaisirs  du  roi  étoit  de  voir  tirer  ses 
archers.  »  C'étaient  tous  des  gentilshommes  de  nom  et  de 
race  ,  ayant  manoir  féodal  et  armure  blasonnée  ;  cet 
emploi  était  beaucoup  recherché  sous  le  règne  de  Fran- 
çois I*""  ;  le  maréchal  de  Montluc  nous  apprend  dans  ses 
commentaires  qu'il  y  avait  toujours  deux  ou  trois  seigneurs 
pour  une  place  d'archer. 

Le  nom  d'arciier  subsista  jusqu'à  la  fin  duxviii^  siècle; 
les  exécuteurs  des  ordres  du  lieutenant  de  police  étaient 
appelés  archers ,  quoique  armés  de  hallebardes  et  de  fusils  ; 
il  y  avait  les  archers  du  grand  prévôt  de  l'hôtel ,  du  prévôt 
des  marchands,  les  archers  de  la  ville,  les  archers  de  guet  et 
de  nuit  ;  et  les  gens  de  la  maréchaussée,  qui  étaient  chargés 
de  veiller  à  la  sûreté  des  grandes  routes ,  recevaient  égale- 
ment le  nom  d'archers. 

Les  archers  de  la  ville  de  Paris  faisaient  partie  àe  celte 
ancienne  garde  urbaine ,  dont  l'institution  remonte  à 
la  première  formation  des  milices  gauloises  organisées  par 
les  Romains  à  l'époque  de  la  conquête.  Les  arbalétriers , 
qui  faisaient  aussi  partie  des  gardes  de  la  ville  de  Paris,  fu- 
rent créés  par  Louis-Ie-Gros.  Sous  Charles  VI ,  la  compa- 
gnie ou  confrérie  d'archers  était  de  cent  vingt  hommes ,  celle 
des  arbalétriers  de  soixante.  Les  arquebusiers ,  entrés  de- 
puis peu  dans  la  composition  de  cette  garde,  étaient  au  nom- 
bre de  cent. 

Les  principales  villes  du  royaume  avaient,  comme  Paris, 
une  ou  plusieurs  compagnies  d'archers,  chargées  spéciale- 
ment d'y  maintenir  l'ordre  et  la  police.  Les  archers  de  la 
ville  de  Paris  se  faisaient  parliculièrement  remarquer  par 
leur  zèle  et  leur  fidélité  dans  le  service.  On  les  vit  plus  d'une 
fois  solliciter  l'honneur  d'aller  combattre  les  ennemis  de  la 
patrie ,  et  se  signaler  par  de  brillantes  actions  La  gravure 
qui  accompagne  cet  article  faisant  suffisamment  connaître  la 
nature  du  costume  et  de  l'armement  de  ces  milices  bour- 
geoises, nous  ajouterons  seulement  que  la  trousse  que  l'on 
voit  suspendue  à  la  cuisse  gauche  de  l'homme  contenait 
douze  à  dix-huit  flèches. 

Les  cent  vingt  archers ,  les  soixante  arbalétriers  et  les 
cent  arquebusiers,  qui  formaient  la  garde  de  Paris,  furent 
réunis  en  un  seul  corps  en  1594  ;  mais  cette  troupe ,  deve- 
nue insuffisante  pour  le  service  de  la  capitale ,  fut  succes- 
sivement augmentée  :  elle  était  de  douze  cents  hommes  au 
moment  de  la  révolution  de  1789.  Une  partie  de  cette 
garde  occupait  encore,  à  cette  époque ,  une  maison  n°  (90) 
dans  la  rue  de  la  Roquette.  On  lisait  sur  la  porte  :  Hôtel  de 
la  compagnie  royale  des  chevaliers  de  l'Arbalète  et  de  l'Ar- 
quebuse de  Paris. 

Parmi  les  privilèges  dont  jouissaient  les  gardes  de  Paris, 
on  remarquait  celui  qui  leur  donnait  le  droit  de  vendre 
quatre  mille  quatre  cents  muids  de  vin  sans  payer  aucun 
droit.  Ce  privilège  fut  remplacé  par  une  somme  annuelle 
de  trois  mille  huit  cents  livres,  à  prendre  sur  la  ferme  gé- 
nérale. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Tî 


En  4658,  les  moines  dn  couvent  des  Grands-Aiigustins 
refusèrent  de  donner  un  asile  aux  juges  qui  occupaient  le 
bâtiment  du  chàtelet  auquel  on  faisait  des  réparations  im- 
portantes. Un  arrêt  du  parlement  allait  contraindre  ces 
religieux  à  céder  une  partie  du  local  qu'on  leur  demandait, 
lorsque  tout  à  coup ,  se  décidant  à  défendre  leur  propriété 
et  à  soutenir  un  siège,  ils  firent  des  provisions  d'armes,  de 
cailloux,  et  murèrent  leiu's  portes. 

«  Les  archers  de  la  ville,  désignés  pour  entreprendre  ce 
singulier  siège ,  ne  pouvant  entrer  dans  ce  monastère  forti- 
lié ,  résolurent  d'escalader  les  murs.  L'assaut  fut  donné  et 
repoussé  avec  une  égale  vigueur  :  on  se  battait  avec  fureur 
sur  un  point,  tandis  que  sur  un  autre  une  troupe  d'archers 
faisait  une  brèche  au  mur  de  clôture  qui  se  trouvait  du  côté 
de  la  rue  Christine.  Les  moines  assiégés ,  voyant  le  péril 
où  les  jetait  cette  tentative,  tirèrent  de  son  sanctuaire  l'ob- 
jet le  plus  sacré  de  la  religion ,  le  Saint-Sacrement ,  et  le 
posèrent  sur  la  brèche ,  afin  de  désarmer  les  assaillans. 
Cette  ressource  avait  quelquefois,  dans  des  cas  semblables, 
été  mise  anciennement  en  usage  avec  succès.  L'objet  vénéré, 
placé  entre  les  combattans ,  n'en  imposa  point  aux  archers, 
et  les  moines  furent  obligés  de  capituler.  Des  otages  furent 
donnés  de  part  et  d'autre  :  alors  les  moines  abandonnèrent 
la  brèche  et  livrèrent  leur  poste.  »  Le  principal  article  de  la 
capitulation  portait  qu'ils  auraient  la  vie  sauve.  Les  com- 
missaires du  parlement  en  firent  arrêter  onze ,  qui  furent 
mis  en  liberté ,  vingt-sept  jours  après ,  par  ordre  du  car- 
dinal Mazarin ,  qui  les  protégeait ,  et  qui  n'aimait  pas  le 
parlement. 

Nous  ferons  connaître,  dans  un  autre  article,  les  diver- 
ses gardes  de  Paris  qui  ont  succédé  à  celle  dont  nous  ve- 
nons d'esquisser  l'histoire. 


LANSQUENETS. 


i&ui^fcUAUi 


(Lansqiieaet  sous  François  I'^''.) 


Au  commencement  du  xv*  siècle ,  on  donnait  le  nom  de 
lansquenets  à  une  sorte  d'infanterie  allemande  dont  la  bra- 
voure était  en  grande  réputation.  De  U83  à  U98,  Char- 
les VIII  prit  beaucoup  de  ces  troupes  à  son  service ,  et  c'est 
à  la  valeur  de  ces  auxiliaires  qu'il  dût  ses  victoires  en  Ita- 
lie et  sa  conquête  du  royaume  de  Naples.  Lorsque  ce  prince 
quitta  l'Italie  pour  rentrer  en  France,  il  confia  à  huit  cents 
lansqucHCts  la  garde  des  places  et  des  provmces  con- 
quises. 


Ces  troupes  combattaient  en  ligne,  comme  notre  infante- 
rie :  elles  étaient  armées  d'une  dague  ou  épée  longue,  et 
de  la  lance;  leur  costuftie  militaire  consistait  en  une  jac- 
quette  recouverte  par  une  double  cuirasse.  Au  bas  de  cette 
cuirasse  étaient  adaptées  deux  pièces  en  fer  servant  à  ga- 
rantir les  cuisses.  Elles  portaient  une  culotte  large  à  bandes 
horizontales  de  diverses  couleurs,  et  un  casque  surmonté  d'un 
panache.  Leur  chaussure  se  composait  d'une  espèce  de  san- 
dale garnie  d'une  lame  de  fer  ou  de  laiton,  remontant  jus- 
qu'au défaut  du  genou. 

Les  lansquenets  continuèrent  à  servir  en  France  jusqu'à 
la  fin  du  règne  de  Henri  IV.  Louis  XIII  les  remplaça  par 
des  milices  régulières  de  la  même  nation,  qui  furent  enré- 
gimentées comme  nos  troupes  nationales;  elles  formèrent, 
sous  Louis  XIV,  les  régimens  d'Alsace,  de  Saxe,  de 
La  Maick  et  de  Lensk. 


LES  NIDS  DE  TONQUIN. 

La  gastronomie,  qui  chaque  jour  étend  son  domaine,  qui 
met  à  contribiuion  les  connaissances  du  naturaliste,  l'intré- 
pidité du  marin,  la  science  dn  chimiste;  la  gastronomie, 
qui  demande  au  médecin  des  recettes  pour  augmenter  les 
facultés  digérantes  de  l'estomac,  est  cependant  encore  loin, 
en  Europe,  d'avoir  atteint  le  degré,  nous  ne  dirons  pas 
de  perfection ,  mais  de  raffinement  auquel  l'ont  portée  les 
Chinois.  Ils  attachent  le  plus  grand  prix  à  des  objets  que 
nous  trouverions  sans  doute  peu  délicats ,  mais  qui ,  pour 
ces  hommes  blasés  par  la  satisfaction  facile  de  toutes  les 
jouissances  matérielles ,  ont  l'attrait  de  l'étrangelé ,  et  satis- 
font la  vanité  par  l'élévation  de  leur  prix.  De  ce  nombre 
sont  les  nids  de  Tonquin ,  objet  d'un  commerce  important 
à  la  Chine ,  et  que  l'on  voit  sur  la  table  des  riChes ,  comme 
chez  nous  la  truffe  parfumée.  Ce  comestible  n'est  autre 
chose  que  le  nid  d'une  certaine  espèce  d'hirondelle ,  l'a- 
rundo  escuhnta ,  moilié  oiseau,  moitié  chauve-souris  ;  ce 
nid,  bâti  dans  la  forme  qu'ont  à  peu  près  les  nids  de  toute 
cette  famille,  est  composé  d'une  substance  visqueuse  ag- 
glomérée, assez  semblable  à  une  masse  de  colle  de  pois- 
son fibreuse  et  demi-transparente.' Les  uns  disent  que  cette 
matière  provient  de  l'animal  lui  même,  les  autres  qu'il  la 
recueille  au  milieu  des  écumes  de  la  mer;  mais  cette  in- 
certitude n'est  pas  pour  le  consommateur  un  objet  d'inquié- 
tude ou  de  souci. 

C'est  surtout  dans  les  cavernes  des  côtes ,  dans  les  îles  de 
l'Océan ,  qu'on  va  chercher  les  nids  de  tonquin.  Pour  at- 
teindre à  l'entrée  des  cavernes  battues  par  la  mer,  il  faut 
descendre  un  rocher  à  pic  de  plusieurs  centaines  de  pieds 
de  hauteur,  rester  suspendu  sur  l'abîme  pendant  plusd'une 
heure,  sans  autre  soutien  que  les  légères  échelles  de  rolia 
et  de  bambou  qui,  d'espace  en  espace ,  tapissent  le  rocher. 
Arrivé  à  l'entrée  des  grottes ,  on  allume  les  Uambeaux  et 
l'on  procède  à  la  recherche  des  nids,  placés  le  plus  souvent 
dans  des  fentes  et  des  crevasses ,  où  il  faut  pénétrer  avec 
précaution  ;  il  y  règne  une  nuit  éternelle ,  et  on  n'y  en- 
tend d'autre  bruit  que  le  mugissement  des  vagues  qui  se 
précipitent  avec  fracas  au  fond  de  ces  abîmes.  Il  faut  avoir 
le  pied  bien  sûr  et  la  tête  bien  calme  pour  escalader,  sans 
tomber,  ces  roches  humides  et  glissantes;  une  hésitation,  un 
faux  pas,  seraient  suivis  d'une  mort  certaine.  Les  accidens 
sont  loin  d'être  sans  exemples  :  quelquefois,  au  milieu  du 
silence  qui  préside  à  la  cueillette,  un  cri  se  fait  entendre, 
un  flambeau  disparaît ,  et  le  bruit  effroyable  d'une  portion 
de  roche  détachée  qui  roule  au  fond  du  précipice ,  et  dont 
l'écho,  semblable  au  grondement  du  tonnerre,  se  prolonge 
dans  toutes  les  parties  de  la  caverne ,  annonce  aux  chas- 
seurs consternés  la  perle  d'un  de  leurs  camarades.  Les  nids 
les  plus  estimés  sont  ceux  qu'on  recueille  dans  les  cavernes 
les  plus  humides,  et  que  les  oiseaux  n'ont  pas  encore  salis 
par  la  couvée  :  ils  sont  plus  blancs ,  plus  nets  et  plus  traiis- 
I  parens  que  les  autres. 


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MAGASIN  UNIVERSEL. 


La  cueillelte  se  fait  deux  fois  par  an ,  et  si  l'on  a  soin  de 
ne  pas  dégrader  les  roches  en  prenant  les  nids ,  le  nombre 
est  à  peu  près  égal  à  chaque  fois.  On  a  essayé  de  ne  des- 
cendre dans  les  grottes  qu'une  fois  chaque  année ,  mais  on 
ne  trouvait  pas  au  bout  de  ce  temps  une  quantité  de  nids 
plus  considérable  que  celle  qu'on  recueille  à  chaque  visite 
semestrielle. 

La  seule  préparation  que  reçoivent  les  nids  de  Tonquin , 
avant  d'être  livrés  aux  Chinois,  est  ladessication  :  on  a  soin  d'y 
procéder  à  l'abri  des  rayons  du  soleil,  qui  en  détérioreraient 
la  couleur  et  la  qualité;  puis  on  les  assortit  en  première, 
deuxième  et  troisième  qualité ,  et  on  les  emballe  dans  de 
petites  boîtes  en  bois  de  la  contenance  d'un  demi-pécul 
(ou  de  trente  kilogrammes  environ).  Les  cavernes  qui  sont 
exploitées  avec  soin  donnent  environ  55  p.  400  des  nids  de 
première  qualité,  35  de  ceux  de  la  seconde,  et  ii  de  ceux 
de  la  troisième  :  ces  derniers  sont  gâtés  par  les  excrémens 
des  petits.  Croirait-on  que  cette  denrée  est  achetée  par  les 
Chinois  à  raison  de  150  fr.,  et  plus,  la  livre  de  première  qua- 
lité !  On  peut  se  faire  une  idée ,  d'après  ces  prix ,  du  rang 
des  consommateurs.  Une  quantité  considérable  de  ces  nids 
est  destinée  aux  tables  de  la  cour.  Les  Chinois  disent  que 
nen  n'est  plus  stomachique,  plus  stimulant,  plus  salutaire, 
que  cette  nourriture  ;  mais  son  sei)I  mérite  est  certaine- 
ment le  prix  auquel  elle  est  vendue  ;  ce  prix  flatte  la  vanité 
des  riches,  qui  en  sont  ainsi  les  seuls  consommateurs.  La 
quantité  annuelle  de  ces  nids  qu'on  importe  en  Chine  s'élève 
à  deux  cent  quarante-deux  mille  livres  environ  :  estimant 
chaque  livre  à  une  moyenne  de  50  fr.,  on  trouve  que  pour 
ce  seul  article  les  Chinois  paient  aux  îles  de  l'Archipel  plus 
de  12  millions  de  francs.  C'est  un  monopole  important  pour 
les  souverains  des  diverses  îles  où  se  trouvent  les  cavernes. 
Aussi  la  possession  lie  ces  lieux  est-elle  souvent  la  seule 
cause  des  guerres  que  se  font  ces  petits  peuples.  On  conçoit 
qu'une  marchandise  si  précieuse  excite  la  cupidité  ;  aussi 
les  cavernes  qui  sont  les  moins  difficiles  à  aborder,  ont-elles 
été  souvent  exposées  aux  déprédations  des  flibustiers  et  des 
autres  pirates,  qui  non-seulement  enlevaient  la  récolte,  mais 
dégradaient  les  roches,  et  diminuaient,  par  ces  dévastations, 
la  récolte  des  années  suivantes.  Dans  les  lieux  où  régnent 
l'ordre  et  la  tranquillité ,  et  où  l'accès  des  cavernes  est  dif- 
ficile, on  n'a  pas  cesaccidens  à  craindre,  et  le  revenu  est 
assez  régulier.  TeUes  sont  les  cavernes  de  Karang-Boland  à 
Java  :  elles  donnent  annuellement  près  de  sept  mille  livres 
de  nids,  qui  valent,  au  prix  du  marché  de  Batavia,  cent 
trente-neuf  mille  dollars  espagnols  ou  près  de  700,000  fr. 
Les  frais  d'exploitation ,  de  curage,  d'emballage,  ne  s'élè- 
vent pas  à  plus  deiOkH  p.  400. 


SECTES  IIELIGIEUSES  AUX  ÉTATS-UNIS. 

UN     REVIVAL    DAMS     UNE     ÉGLISE     PAESBYTÉRIËNNE. 

Les  sectes  américaines,  n'ayant  point,  comme  la  plupart 
de  nos  religions  d'Europe,  l'avantage  d'être  nationales,  ont 
besoin,  pour  se  soutenir,  de  ranimer  de  temps  en  temps  le 
zèle  et  l'exaltation  de  leurs  partisans.  Tous  les  ans,  à  des 
époques  fixes  ,  les  membres  les  plus  ardens  du  clergé  se 
mettent  en  route  à  cet  effet,  et  parcourent  le  pays.  On  voit 
ces  missionnaires  arriver  dans  les  bourgs  et  dans  les  villes, 
par  douzaines  ou  par  centaines,  selon  l'importance  du 
lieu,  et  y  planter  leurs  tentes,  tantôt  pour  huit  jours, 
tantôt  pour  quinze,  et  quelquefois  même  pour  un  mois, 
si  la  population  est  considérable.  Durant  cet  intervalle , 
des  journées  entières ,  et  souvent  la  plus  grande  partie 
des  nuits,  sont  consacrées  à  des  prédications  et  à  des 
prières  dans  les  différentes  églises  et  chapelles  du  lieu.  — 
C'est  là  ce  qu'on  appelle  un  revival. 
"  Ces  prêires  ambulans  appai  tiennent  à  toutes  les  croyan- 
ces, excepté  à  celles  des  unilairiens,  des  catholiques ,  des 
épiscopaux  et  des  cjuakers.  Presbytériens  de  toutes  les  es- 
pèces ,  anabaptistes  de  toutes  les  variété» ,  méliwcUsles  de 


toutes  les  dénominations,  participent  à  cet  usage.  Il  n'y  a 
pas  de  mémoire  assez  bonne  pour  retenir  les  simeles 
noms  de  toutes  ces  sectes ,  et  l'on  n'en  finirait  pas  si  l'on 
voulait  expliquer  toutes  les  nuances  de  ce  christianisme  à 
mille  faces.  Quoi  qu'il  en  soit,  ces  missionnaires  visitent 
successivement  toutes  les  cités,  tous  les  bourgs,  tous  les 
villages  de  l'Union.  Ils  logent  en  général  dans  les  maisons 
de  leurs  coréligionaires ,  et  tant  que  dure  leur  station  dans 
un  lieu  ,  toutes  les  soirées  qui  ne  sont  point  employées  à 
des  prédications  dans  les  églises  et  maisons  publiques  d'as* 
semblées ,  il  les  consacrent  à  ce  que  d'autres  appelleraient 
des  parties  de  plaisir,  mais  à  ce  qu'ils  appellent  eux  des 
réunions  de  prières;  ils  y  passent  .leur  temps  à  manger,  à 
boire,  à  priei-,  à  chanter  ,  à  entendre  des  confessions  et  à 
convertir. 

Les  plus  beaux  appartemens ,  les  plus  belles  toilettes,  les 
raffraîchissemens  les  plus  délicats ,  rien  n'est  épargné  pour 
rentbre  le  meeting  aussi  brillant  que  possible.  Pendant  que 
les  personnes  invitées  arrivent,  des  conversations  à  demi- 
voix  abrègent  l'ennui  de  l'attente.  Les  personnes  qui  en- 
trent sont  saluées  du  nom  de  frères  et  de  sœurs,  et  les  dé- 
monstrations de  bienvenue  sont  1res  tendres.  Quand  la 
chambre  est  pleine,  la  compagnie,  qui  est  toujours  compo 
sée,  en  très  grande  majorité ,  de  femmes,  prend  place  et 
s'assied.  Alors  commence,  de  la  part  des  ministres,  les  in- 
vitations tour  à  tom  les  plus  véhémentes  et  les  plus  douces, 
les  plus  sévères  et  les  plus  caressantes  aux  frères  et  aux 
sœurs  de  confesser  devant  leurs  sœurs  et  leurs  frères  tou- 
tes leurs  pensées,  toutes  leurs  fautes,  toutes  leurs  folies. 

Ces  confessions  sont  d'étranges  scènes;  comme  les 
fautes  avouées  en  font  l'intérêt ,  plus  on  en  avoue ,  plus  on 
est  encouragé  et  caressé.  Lorsqu'elles  sont  terminées, 
tout  le  monde  s'agenouille,  et  le  prêtre  improvise  une 
prière;  après  quoi  on  mange  et  on  boit;  les  chants,  les 
hymnes,  les  piières  recommencent  de  nouveau  ;  puis  vien- 
nent les  exhortations ,  puis  encore  la  prière  et  le  chant , 
jusqu'à  ce  que  l'exaltation  des  assistans  atteigne  enfin  le 
plus  haut  degré  d'énergie.  Telles  sont  les  scènes  qui  se  pas 
sent  chaque  soir,  tantôt  dans  une  maison,  tantôt  dans  une 
autre ,  aussi  longtemps  que  dure  le  revival  ;  souvent 
même,  elles  ont  lieu  simultanément  dans  plusieurs,  car  les 
églises  ne  peuvent  donner  de  l'occupation  à  la  moitié  des 
missionnaires ,  bien  qu'elles  demeurent  ouvertes  toute  la 
journée  et  une  partie  de  la  nuit,  et  que  les  ministres  s'y 
succèdent  l'un  à  l'autre  sans  interruption. 

L'auteur  des  Mœurs  domestiques  des  Américains ,  ra- 
conte, en  ces  termes,  la  scène  dont  il  fut  témoin  dans  une 
église  presbytérienne. 

a  Nous  étions  au  miliea  de  i  été,  mais  le  service  auquel 
on  nous  avait  priés  d'assister  ne  devait  pas  commencer 
avant  la  nuit.  Le  temple  était  bien  éclairé ,  et  il  y  avait  un 
concours  de  monde  à  n'y  pas  tenir.  Nous  aperçûmes ,  en 
entrant,  trois  ministres  debout  et  rangés  côte  à  côte,  dans 
une  espèce  de  tribune  élevée  à  l'endroit  où  se  trouve  or- 
dinairement l'autel. 

«  Le  minisire  qui  était  au  milieu  priait;  la  prière  était 
d'une  extravagance  véhémente  et  d'ane  familiarité  d'expres- 
sions ch<x}uante.  Après  la  prière,  il  clianla  un  hymne ,  et 
ensuite  un  autre  ministre  se  mit  au  milieu,  et  commença  à 
prêcher  :  il  déploya  dans  son  sermon  une  éloquence  rare , 
mais  le  sujet  qu'il  avait  choisi  était  affreux.  Il  décrivit, 
avec  une  excessive  minutie,  les  derniers  et  tristes  mo- 
mens  de  la  vie  humaine  ;  ensuite  il  peignit  les  changemens 
affreux  que  le  corps  subit  graduellement  après  la  mort,  et 
il  arriva  au  tableau  de  la  décomposition ,  puis,  il  fit  de 
l'enfer  une  affreuse  description.  Il  suait  à  grosses  gouttes  ; 
ses  yeux  roulaient  avec  horreur ,  ses  lèvres  étaient  cou- 
vertes d'écume ,  et  cliacun  de  ses  traits  respirait  la  pro- 
fonde terreur  qu'il  aurait  ressentie  s'il  eût  été  réellement 
témoin  de  la  scène  qu'il  décrivait.  Puis  les  deux  autres 
ministres  se  levèrent  et  entonnèrent  un  hymue  ;  tous  les 
1  assisiaiis ,  le  visage  couvert  de  la  pâleur  de  k  mort,  étaienjl 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Tfr<t 


frappés  de  stapear,  et  ce  ne  fnt  que  quelques  instans  après 
qu'ils  purent  unir  leurs  voix  à  celles  des  ministres.  Loi-s- 
que  les  chants  eurent  cessé,  un  autre  ministie  occupa  la 
place  du  milieu,  et  d'une  voix  douce  et  pleine  d'affection, 
il  demanda  aux  fidèles  si  ce  qu'avait  dit  son  frère  était  ar- 
rivé jusqu'à  leur  cœur,  s'ils  désiraient  éviter  l'enfer  qu'il 
leur  avait  fait  voir.  S'il  en  est  ainsi ,  venez,  conlinua-t-il, 
en  étendant  les  bras  vers  les  assistans;  venez  à  nous ,  nous 
allons  vous  ouvrir  le  chemin. 

«  Les  bancs  destinés  aux  pécheurs  inquiets  vont  vous  être 
ouverts;  venez  donc,  venez  vous  asseoir  sur  le  banc 
d'anxiété  (  anxious  bench  ),  et  nous  vous  ferons  voir  Dieu  : 
venez ,  venez ,  venez  î 

«  On  entonna  un  hymne  ;  alors  un  des  ministres  fit  éva- 1 
cuer  un  ou  deux  bancs  qui  longeaient  la  balustrade ,  et  | 
renvoya  au  fond  de  l'église  ceux  qui  s'y  étaient  assis,  j 
Les  cliants  ayant  cessé,  un  des  trois  ministres  exhorta  encore  | 
les  assistans  à  venir  prendre  place  sur  le  banc  d'anxiété,  | 
et  à  reposer  leurs  têtes  sur  son  sein.  —  Nous  allons  en- 
core chanter  un  hymne,  continua  le  ministre,  afin  de  vous 
donner  tout  le  temps  de  vous  résoudre.  —  Et  les  chants  | 
recommencèrent.  En  ce  moment,  dans  toutes  les  parties  | 
du  temple,  il  se  fit  un  mouvement,  léger  d'abord,  mais  qui , 
jM-it  par  degrés  un  caractère  plus  décidé.  De  jeunes  filles 
se  levèrent ,  s'assirent ,  et  puis  se  levèrent  de  nouveau  :  | 
alors  les  portes  des  bancs  s'ouvrirent,  et  l'on  vit  s'avancer,  j 
eu  chancelant,  plusieurs  jeunes  filles ,  les  mains  joiqtes ,  la  j 
lêle  penchée  sur  la  poitrine  ,  et  tremblant  de  tous  leurs  ^ 
ntembres.  Les  chanls  continuaient  toujours;  ces  pauvres  ^ 
créatures  a[)prochèrent  des  bancs,  et  leurs  sanglots  et  leurs  : 
goniissemens  conunencèrent  à  se  faire  entendre;  elles  s'as-  ! 
sirentsur  les  bancs  d'anxiété  :  l'hymne  fut  suspendu,  et  j 
deux  ministres,  descendant  de  îa  tribune,  s'avancèrent,  ; 
l'un  à  droite,  l'autre  à  gauche  du  banc,  et  murmurèrent  | 
des  paroles  à  l'oreille  des  jeunes  filles  qui  tremblaient 
toujours.  Ces  paroles  n'arrivaient   point  jusqu'à   nous  : 
mais  en  ce  moment ,  les  cris  et  les  sangiots  s'accrurent 
(lune  mauière  horrible.  Ces  faibles  créatures,  les  traits  al- 
térés et  couverts  de  pâleur ,  tombèrent  à  genoux  sur  les 
({ailes,  et  bientôt  leur  visage  alla  frapper  la  terre.  Des  cris 
cl  (les  gémissemens  extraordinaires  se  faisaient  entendre, 
et  de  temps  en  temps,  une  voix  s'écriait ,  avec  des  ac- 
cens  convulsifs  :  Oh?  mon  Sauveur  ?  venez  à  mon  secours  ? 
Un  grami  nombre  de  ces  créatures  étaient  en  proie  à 
d'horribles  convulsions;  et  quand  le  tumulte  fut  parvena 
à  son  plus  haut  point,  le  ministre,  qui  était  resté  à  la  tri- 
bune, entonna  un  hymne  d'une  voix  forte,  comme  pour 
essayer  de  couvrir  les  cris  des  pénitentes. 

«  C'était  un  spectacle  horrible ,  de  voir  ces  jeunes  filles, 
à  peine  au  matin  de  la  vie,  frappées  de  terreur,  livrées  à 
d'affreuses  convulsions,  affaiblies  et  énervées  pour  tou- 
joui-s.  Je  remarquai  une  de  ces  pauvres  créatures,  qui  ne 
devait  pas  avoir  plus  de  quatorze  ans ,  soutenue  dans  les 
bras  de  ses  compagnes  plus  âgées  ;  son  visage  était  cou- 
vert de  la  pâleur  de  la  mort ,  ses  yeux  hagards  étaient 
privés  de  tout  sentiment ,  et  des  fiots  d'écume  ruisselaient 
s(n'  son  menton  et  sa  poitrine.  Sur  tous  ses  traits ,  étaient 
empreintes  les  apparences  d'un  idiotisme  complet;  un 
ministre  s'approcha ,  et  prenant  la  main  délicate  de  cette 
convulsionnaire  :  Dieu  est  avec  elle  !  Dieu  soit  béni  !  dit-il 
froidement  ;  et  il  passa. 

«  Les  femmes  seules  obéirent  à  l'appel  des  ministres,  et 
vinrent  s'asseoir  sur  les  bancs  d'anxiété;  la  plus  grande  par- 
tie d'eiltre  elles  étaient  de  très  jeunes  femmes.  La  congréga- 
tion avait  revêtu  ce  jour-là  ses  habits  de  fêle,  et  les  dames 
les  plus  jolies  et  les  plus  élégantes  de  la  ville  assistaient  à 
cette  cérémonie.  Pendant  toute  la  durée  du  revival ,  un 
immense  concours  de  monde  afflue  toujours  dans  les 
temples. 

•   «  Tels  sont  les  plaisirs  des  dames  de  Cincinnati.  Il  est  dé- 
ïendu  d'aller  au  spectacle;  les  jeux  de  caries  sont  inter- 


dite; elles  travaillent  assiduement  dans  leurs  maisons;  elles 
ont  cependant  besoin  de  distractions  !  » 


BERNADOTIE. 

Nous  allons  tracer  la  conduite  et  les  principales  actions 
d'un  guerrier  qui ,  sorti  des  rangs  des  armées  françaises , 
est  venu  se  placer,  par  la  seule  impulsion  de  son  mérite , 
sur  les  marches  du  trône  des  Wasa ,  trône  sur  lequel ,  de- 
puis la  mort  de  Charles  XIII,  il  siège  avec  gloire. 

L'iiistoire  a  ses  hyperboles  comme  le  roman  ses  fictions. 
Le  biographe  se  plait  à  relever  les  qualités  et  à  faire  éclater 
d'un  plus  grand  jour  les  vertus  de  son  héros.  Les  auteurs 
même  qui  travaillent  à  l'histoire  générale  ne  sont  pas  tou- 
jours exempts  de  ce  défaut  ;  ils  aiment  à  einbellir  leurs  ou- 
vrages aux  dépens  de  la  vérité.  Nous  nous  sommes  efforcés 
de  nous  garantir  d'une  telle  illusion  ;  la  vérité  la  dédaigne, 
et  n'en  a  pas  besoin  pour  faire  ressortir  les  grandes  choses 
faites  par  l'homme  célèbre  qui  est  l'objet  de  cet  article. 

Bernadotte  (Jean -Baptiste -Jules),  aujourd'hui  roi  de 
Suède  et  de  Norwége,  sous  le  nom  de  Charles  XIV  (Jean), 
est  né  à  Pau  ,  en  Béarn  ,  le  26  janvier  4704 ,  d'une  respec- 
table famille  de  robe.  A  l'âge  de  seize  ans ,  son  inclination 
pour  les  armes  le  porta  à  interrompre  ses  éludes ,  pour  en- 
trer, comme  simple  soldat,  au  régiment  do  Royal -Ma- 
rine (i).  C'est  dans  ce  régiment  qu'il  fil  ses  premières  ar- 
mes. Bernadotte  était  dans  l'Inde  à  l'époque  de  la  prise  de 
Pondichéry.  De  retour  en  Europe ,  il  suivit  son  draiieau 
en  Corse.  Partout  lise  fil  (iislinguer;  mais  la  paix  n'offrant 
aucun  aliment  à  l'ardeur  d'un  jeune  homme  qui  semblait 
né  pour  la  guerre,  il  avaii  pris  la  résolution  de  quitter  le 
service  pour  le  barreau.  Toutefois ,  un  de  ces  instincts  im- 
périeux qui  ont  conduit  si  rapidement  tant  d'hommes  su- 
périeurs, à  la  gloire,  le  retint  sous  les  armes.  Il  n'était  que 
sergent  en  1789;  mais  alors  les  circonstances  donnèrent  au 
génie  et  aux  talens  de  Bernadotte  un  essor  qui  fonda  sa  re- 
nommée. Il  monta  de  grade  en  grade ,  et  en  4792,  il  fnt 
nommé  colonel,  et  envoyé  à  l'armée  cie  Custines. 

On  sait  qu'à  (îetle  époque,  l'insubordination  se  manifes- 
tait souvent  dans  nos  armées  :  un  jour,  Bernadotte  apprend 
que  des  soldats ,  après  avoir  assassiné  un  de  leurs  généraux, 
se  vantaient  de  leur  crime  ;  son  indignation  est  à  son  com  - 
ble,  mais  elle  n'est  point  partagée  par  les  troupes,  qui 
oseiit  applaudir  à  ce  meurtre.  Alors,  il  les  fait  ranger 
en  bataille ,  et ,  avec  cette  éloquence  militaire  qui  lui  est  si 
naturelle,  il  dépeint  l'horreur  du  crime  qu'on  a  commis,  et 
les  suites  funestes  qui  pouvaient  en  résulter  pour  toute  l'ar- 
mée. La  fureur  (ju'il  exciie  contre  les  coupables  est  telle , 
qu'un  cri  universel  se  fait  entendre  pour  réclamer  leur 
punition  ;  la  troupe  demande  même  à  marcher  contre  eux 
et  à  en  faire  un  exemple.  Tel  était  l'ascendant  irrésistible 
que  Bernadotte  avait  pris  sur  le  soldat ,  et  son  respect 
pour  la  subordination ,  la  première  de  toutes  les  vertus 
militaires.  —  Voici  un  autre  trait  du  même  genre  :  quel- 
ques grenadiers  d'un  régiment  que  commandait  le  général 
Marceau  s'élant  livrés  à  des  excès  contre  leurs  supérieurs 
immédiats ,  leur  chef  voulut  les  faire  arrêter.  Cet  ordre  fut 
le  signal  d'une  révolte;  ces  furieux  sejeièrent  sur  Mar- 
ceau, qu'ils  entraînèrent  avec  eux.  Bernadotte  sortait  de 
son  camp:  aussitôt  il  tire  son  sabre  et  fond  sur  cette  troupe, 
en  lui  reprochant  sa  lâcheté.  L'indignation  qu'il  manifesta, 
et  surtout  l'action  courageuse  qui  l'accompagna,  frappèrent 
les  grenadiers  d'une  espèce  de  terreur;  les  uns  prirent  la 
fuite;  les  autres,  intimidés,  demandèrent  leur  pardon  et 
la  punition  des  chefs  de  la  révolte. 

(i)  Uo  compatriote  et  ancien  camarade  de  Bernadotte  raconte 
qu'allant  en  semestre  à  Pau  ,  il  rencontra  ce  dernier  qui  venait 
joindre  le  régiment  ;  qu'ils  changèrent  leurs  habit»  ,  et  qu'il  dit  en 
passant  l'uniforme  à  son  nouveau  compagnon  d'armes  :  Va ,  je  te 
fais  maréchal  de  France.  Ce  compatriote  était  loin  de  se  croire 
prophète,  et  de  penser  qu'il  y  eût  sous  cet  h^bit  un  roi  de  Suède. 


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Ses  premières  campagnes  sur  le  Rhin  lui  méritèrent  l'es- 
time et  la  recommanda  lion  du  général  Custines.  Il  servit 
ensuite  sons  Kléber,  qui,  en  1793,  obtint  pour  lui  le  grade 
de  général  de  brigade.  Il  se  trouva  à  la  bataille  de  Fleurus, 
gagnée  par  les  Français  le  26jiiin<79-5  ,  et  participa  par  son 
courage  au  succès  de  cette  glorieus«ijournée.  En  1797,  le 
directoire  ordonna  le  départ  de  vingt  mille  hommes  de 
l'armée  de  Sambre-et-Meuse  pour  celle  d'Italie ,  à  la  tôle 


(  Bernadolle  ,  roi  de  Suède.  ) 

desquels  il  mit  Bernadotte.  Celui-ci ,  après  avoir  rassemblé 
les  troupes  à  Metz ,  fit  un  règlement  de  discipline,  et  se  mit 
en  marche.  Depuis  Metz  jusqu'à  Dijon,  l'ordre  fut  parfait: 
près  de  cette  dernière  ville ,  il  s'éleva  une  rixe  entre  trois 
soldats  et  des  paysans  ;  un  de  ces  derniers  fut  atteint  d'un 
coup  de  feu;  une  patrouille  qui  survint  arrêta  les  soldats, 
qui  furent  aussitôt  jugés  et  punis  par  un  conseil  de  guerre. 
Ayant  ensuite  rassemblé  ses  troupes  sur  la  place  d'armes  de 
Dijon,  il  les  harangua  pour  leur  rappeler  leurs  obligations 
envers  les  citoyens,  Bernadotte,  à  cettcépo  que,  était 
peu  fortuné;  cependant  il  donna  800  fr.  à  la  famille  du 
paysan  qui  avait  perdu  la  vie ,  et  lui  fit  remettre  environ 
4200  fr.  par  le  payeur  de  l'armée,  sur  sa  responsabilité;  il 
fit  plus ,  il  ouvrit  une  souscription  parmi  les  officiers ,  qui 
s'éleva  à  près  de  3000  fr. 

A  l'armée  d'Italie ,  il  marqua  sa  présence  par  la  prise 
de  l'importante  forteresse  de  Gradisca  et  de  la  ville  de 
Venise.  Si  nous  décrivions  toutes  les  actions  où  Bernadotte 
se  signala  dans  cette  armée,  un  volume  ne  suffirait  pas. 

Après  la  révolution  du  50  prairial  an  VII  (49  juin  4799), 
il  fut  nommé  ministre  de  la  guerre.  A  son  entrée  au  cabi- 
net ,  il  trouva  tout  dans  la  confusion  :  il  avait  à  lutter  con- 
tre les  plus  grands  obstacles,  au  milieu  des  désastres  de  nos 
armées ,  des  déprédations  et  des  embarras  d'un  gouverne- 
ment désorganisé.  L'armée  d'Italie  avait  été  forcée  d'aban- 
donner toutes  ses  positions;  l'artillerie  était  perdue  ou 
prise  ;  les  places  fortes  étaient  tombées  au  pouvoir  de  l'en- 
nemi. L'armée  qui  menaçait  Vienne  deux  ans  auparavant, 
retranchée  sur  les  Apennins  liguriens,  était  sans  munitions 
et  sans  vivres.  La  chaîne  des  Alpes  était  occupée  par  l'en- 
nemi ;  une  partie  des  départemens  des  Hautes-Alpes  et  du 
Mont-Blanc  était  menacée.  L'IIelvétie,  jusqu'à  Zurich,,  était 
aux  Autrichiens;  le  Bas-Rhin  était  dégarni  de  troupes; 
l'armée  en  Hollande  était  réduite  à  quinze  mille  hommes. 
Ajoutez  la  Belgique  sans  défense ,  les  pUces  fortes  du  Nord 


,  mal  approvisionnées ,  les  côtes  de  la  France  dépourvues  dj 
soldats ,  la  Vendée  recommençant  à  s'agiter,  et  la  discordf 
dans  le  midi  ;  tel  était  le  tableau  que  présentait  alors  la  r6 
publique. 

Quant  aux  finances,  elles  offraient  une  situation  non 
moins  alarmante  :  la  paye  des  troupes  suspendue  pendant 
six  mois  ;  un  entier  dénuement  d'armes ,  d'habits  et  d'équi- 
pemens;  les  hôpitaux  remplis  de  soldats  nus  et  affamés;  la 
famine  dans  les  camps;  enfin  l'épuisement  du  trésor  pu- 
blic. 

A  de  si  grarids  maux  quels  remèdes  à  opposer?  Il  y  avait 
de  quoi  rebuter  la  volonté  la  plus  ferme  et  le  courage  le 
plus  éprouvé;  et  cependant  Bernadotte  ne  désespéra  point 
de  la  république.  Le  premier  jour  de  son  ministère,  il  dit 
à  plusieurs  membres  du  corps  législatif  ces  paroles  remar- 
qHa])les  :  Nous  aurons  encore  d-sux  mois  de  revers;  dans 
quatre  mois ,  nous  serons  au  cœur  de  l'Allemagne. 
Bernadotte  tint  parole  ;  et  s'il  ne  remplit  pas  lui-môme  cette 
promesse ,  c'est  qu'une  intrigue  l'éloigna  du  pouvoir.  Mais 
il  avait  pris  des  mesures  si  excellentes,  que  son  successeur 
au  ministère  de  la  guerre  dit  au  directoire,  en  lui  présen- 
tant les  drapeaux  enlevés  à  l'ennemi  :  «  Je  ne  puis  m'attri- 
«  huer  aucune  part  dans  ces  victoires ,  car  elles  ont  été  prê- 
te parées  par  mon  prédécesseur.  » 

Après  avoir  vécu  quelque  temps  à  la  campagne  dans  une 
profonde  retraite,  il  fut  nommé  ,  par  le  gouvernement  con- 
sulaire ,  consciller-d'Etat  et  général  en  chef  de  l'armée  de 
l'Ouest.  Il  battit  en  plusieurs  rencontres  les  royalistes 
insurgés,  et  empêcha,  le  16  mai  1800,  le  débarquement 
des  Anglais  à  Quiberon.  Ces  importans  services  n'empêchè- 
rent pas  que,  l'année  suivante,  il  fût  disgracié ,  exilé,  et 
faillit  passer  à  un  conseil  de  guerre.  Mais  Joseph  Bonaparte 
intervint  en  sa  faveur;  Napoléon  oublia,  et,  le  19  mai, 
Bernadotte  fut  élevé  à  la  dignité  de  maréchal  de  l'empire. 
Il  remplaça  le  maiéchal  Mortier  dans  le  commandement 
de  l'armée  de  Hanovre,  et  fut  nommé,  peu  de  temps 
après,  chef  de  la  huitième  cohorte  de  la  Légion  d'Hon- 
neur. En  1805,  le  département  des  Hautes-Pyrénées  l'élut 
candidat  au  sénat  conservateur,  et ,  à  la  même  épo((ue , 
il  reçut  les  ordres  prussiens  de  l' Aigle-Noir  et  de  l'Aigle- 
Rouge,  et  la  grand'croix  de  celui  de  Saint-Hubert  de 
Bavière. 

A  la  bataille  d' A usterlitz,  Bernadotte  forma  avec  ses 
braves  le  premier  corps  de  l'armée ,  et  enfonça  le  centre 
de  l'armée  russe.  A  la  suite  de  cette  campagne,  en  1806, 
l'empereur  conféra  au  maréchal  Bernadotte  la  souve- 
raineté de  Ponte-Corvo ,  avec  le  titre  de  prince  et  duc. 

Après  la  bataille  d'Iéna ,  le  général  Blucher  s'élant  sé- 
paré de  la  ligne  d'opérations  avec  les  différens  corps  qu'il 
était  parvenu  à  rallier,  le  prince  de  Ponte-Corvo  fut  chargé 
de  le  poursuivre  avec  son  corps  et  ceux  de  Murât  et  Soult. 
Il  l'atteignit  plusieurs  fois,  mais  le  général  prussien  battit 
en  retraite  jusqu'à  Lubeck,  où  il  s'enferma.  Bernadotte  y 
arrive  sur  ses  pas  le  6    novenibre ,   l'attaque ,   emporte       i 
d'assaut  l'une  des  portes  de  la  ville  défendue  par  une  artil- 
lerie formidable,  et  le  poursuit  jusqu'au  village  de  Badkan. 
Le  lendemain,  le  général  Blucher  capitula,  et  le  prince  de 
Ponte-Corvo  envoya  à  l'empereur  soixante-quatre  drapeaux 
tombés  en  son  pouvoir.  Bientôt  après,  il  livra  aux  Busses 
un  brillant  combat  près  de  Morungen,  en  Pologne;  le  5       ' 
juin,  il  repoussa  leur  attaque  contre  le  pont  de  S|»anden,  et       * 
leur  causa  une  perte  considérable.  Dans  celte  dernière  af- 
faire, Bernadotte  fut  blessé  d'un  coup  de  feu  à  la  tête;  il 
continua  néanmoins  à  commander ,  mais ,  peu  d'heures 
après,  la  fièvre  survint  et  le  força  de  quitter  son  corps 
d'armée,  regretté,    comme  un  père,  de  sa  nombreuse       " 
famille. 

{La  suite  à  un  prochain  numéro.)  ' 


Les  Bureaux  ^Abonnement  et  de  Vente  sont  transférés  rue  de 
Seine-Saint-Germain ,  9, 


il) 


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MARTIN   LUTHER. 


(  Chambre  de  Luther  à  Erfurt.) 
Dans  l'année  <  505,  un  jeune  homme  de  vingt  et  un  ans,  i  fait  naître  les  plus  grandes  espérances.  Son  imagination, 


entrait  au  couvent  des  Auguslinsd'Erfurt,  malgré  les  priè- 
res et  les  exhortations  pressantes  de  ses  parens  ;  c'était 
Martin  Luther  d'Eisleben ,  maître  en  philosophie  depuis 
quelques  mois ,  et  dont  l'esprit  vif  et  pénétrant  avait  déjà 
Tome  II.  —  Décembre  i834. 


prompte  à  s'enflammer,  venait  d'être  frappée  de  la  mort  im- 
prévue d'un  de  ses  amis  tué  à  sescôtés  par  un  coup  de  tonnerre, 
et  ses  tristes  réflexions  lui  avaient  fait  prendre  une  résolu- 
tion irrévocable.  Assisdans  cette  cellule,  restée  même 

H 


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MAGASIN  UNIVERSEL. 


aujourd'hui  l'objet  d'un  religieux  respect ,  et  où  l'on  a  con- 
servé sa  table,  son  encrier  et  tout  ce  qui  lui  a  appartenu  , 
Luther ,  s'ignorant  encore ,  s'abandonnait  à  une  mélancolie 
profonde  qui  ne  lui  permettait  de  contempler  d'autres  idées 
que  celles  des  jugemens  célestes;  il  n'en  fut  guéri  que  par 
l'étude  des  langues  mortes,  qui  appliqua  sa  vague  inquiétude 
à  des  objets  positifs  et  précis.  Le  vicaire-général  des  augus- 
tins,  Staupitz,  reconnaissant  des  talens  au  jeune  moine,  le 
prit  en  affection  et  l'envoya  à  Rome  pour  des  affaires  de 
l'ordi-e  ;  là  le  luxe  et  la  mollesse  du  grand  monde  lui  inspi- 
rèrent, dit-on,  de  violentes  préventions  contre  le  chef  de 
l'Église  et  toute  sa  cour.   Cependant  dans  les  premiers 
temps  sa  conduite  ne  le  fit  point  voir ,  car  à  son  retour  en 
Saxe ,  il  obtint  une  chaire  de  théologie  dans  l'université  de 
Wittemberg ,  et  après  s'y  être  montré  partisan  outré  de 
l'autorité  pontificale,  il  déclara  qu'il  serait  le  premier  à  pqr- 
ter  des  bîiclies  pour  faire  brûler  Erasme,  qui  avait  osé  atta- 
quer la  messe  et  le  célibat  ecclésiastique;  bientôt,  toute- 
fois, il  se  laissa  entraîner  dans  une  route  nouvelle,  et  passa 
peu  à  peu  à  une  haine  toujours  croissante  pour  les  prati- 
ques de  l'Eglise.    La  fameuse  querelle  des  indulgences 
allait  lui  fournir  un  aUmènt  de  plus.  Léon  X ,  pour  subve- 
nir aux  dépenses  que  nécessitait  la  construction  de  la  basi- 
lique de  Saint-Pierre  ,  résolut  d'avoir  recours  à  un  moyen 
souvent  employé  par  ses  prédécesseurs,  la  vente  des  indul- 
gences ;  les  dominicains  en  furent  chargés  à  l'exclusion  des 
augustins  qui  avaient  joui  jusque  là  de  ce  privilège.  Luther 
monte  en  chaire  pour  défendre  les  intérêts  de  son  ordre;  il 
commence  par  flétrir  l'abus  dont  quelques  hommes  se  sont 
rendus  coupables;  puis  il  va  plus  loin,  et  publie  un  pro- 
granune  renfermant  quatre-vingt-quinze  propositions  où  il 
combat  directement  les  indulgences  en  elles-mêmes;  les 
dominicains,  armés  des  foudres  de  l'inquisition ,  font  brûler 
les  éci  ils  de  letu*  antagoniste  dont  les  disciples  usent  de 
représailles  en  livrant  la  réplique  du  moine  Tetzel  aux 
flammes.  C'est  une  déclaration  de  guerre;  une  foule  de 
livôologiens  se  mêlent  de  la  dispute;  Luther  relève  habile- 
.  ment  les  exagérations  de  ses  adversaires  sur  l'autorité  du 
pape,  et  tandis  qu'il   écrit  au  souverain  pontife  des  lettres 
soumises  et  respectueuses  pour  le  supplier  de  ne  point  se 
laisser  prévenir  par  ses  ennemis,  il  l'attaque  sourdement. 
Celte  première  étincelle  alluma  bientôt  un  vaste  incendie. 

On  a  dit  qu'avec  un  chapeau  de  cardinal,  on  eût  fait  dis- 
paraître le  réformateur;  celte  opinion  est  peut  être  hasardée. 
Luther  avait  une  ame  d'une  trempe  forte  et  vigoureuse  ; 
ennemi  des  demi-mesures ,  il  ne  connaissait  pas  le  doute,  et 
ne  le  souffrait  pas  chez  les  autres;  infatigable  au  travail , 
audacieux  dans  l'attaque ,  intrépide  dans  la  défense ,  étran- 
ger aux  concessions  que  l'éducation  et  l'usage  du  monde 
inspirent,  dur  pour  les  autres  comme  pour  lui-même, il 
avait  toutes  les  qualités  requises  pour  devenir  l'apôtre  fana- 
tique de  la  nouvelle  secte. 

Léon  X ,  éclairé  trop  tard  sur  le  danger  des  propositions 
du  novateur,  ne  peut,  ni  par  ses  averlissemens,  ni  par  ceux 
du  cardinal  Cajetan ,  obtenir  un  desaveu.  Il  les  condamne 
comme  scandaleuses  et  contraires  aux  bonnes  mœurs, 
déclare  leur  auteur  hérétique  obstiné,  livre  son  corps  à  Satan, 
et  ordonne  aux  princes  de  le  saisir  et  de  le  punir  de  ses  cri- 
mes ;  cette  bulle  est  reçue  avec  indignation  par  quelques 
villes  d'Allemagne,  et  Luther,  après  en  avoir  appelé  du 
pape  mal  informé  au  pape  mieux  inforvnè ,  rompt  ouver- 
tement avec  la  cour  de  Rome ,  et  brûle  solennellement  sur 
la  place  de  Wittemberg  la  bulle  de  condamnation  et  les 
volumes  du  droit  canonique. 

Fort  de  l'appui  de  l'électeur  de  Saxe ,  il  écrit  à  Fran- 
çois I*""  et  à  Charles-Quint  pour  les  éclairer  ;  il  s'attache 
aussi  à  gagner  le  peuple ,  et  pour  lui  plaire  ne  garde  ni 
mesure  ni  décence.  Les  injures  grossières ,  les  plaisanteries 
amères ,  les  sales  quolibets  que  les  poètes  de  l'ancienne 
comédie  mettent  dans  la  bouche  des  valets,  se  reprodui- 
sent sous  sa  plume ,  et  s'appliquent  sans  distinction  de 
rang  ni  d'état  à  tous  ceux  qu'il  redoute.  Il  appelle  les  pré- 


lats ,  des  loups  dévorans ,  les  moines  des  pharisiens  et  des 
sépulcres  blanchis  ;  nos  lecteurs  auront  peine  à  comprendre 
la  manière  dont  il  traite  ses  adversaires ,  et  surtout  le  pape  : 
«  Petit  pape,  petit  j)apelin,  vous  êtes  un  âne,  un  dnon, 
et  encore,  un  âne  sait  qu'il  est  un  âne,  une  pierre  sait 
qu'cl/e  est  pierre ,  mais  ces  petits  ânons  de  papes  ne  savent 
pas  qu'ils  so^H  ânons.  »  De  telles  invectives  ne  révoltaient 
pas  les  esprits  grossiers  de  ces  temps.  Luther  ,  avec  ce  style 
barbare ,  triomphait  dans  son  pays  de  toute  la  politesse 
romaine. 

Cependant  quelques  petits  princes  d'Allemagne  s'étaient 
fait  un  prétexte  de  ces  nouveautés  pour  leurs  inlérêls  par- 
ticuliers ;  on  vit  en  peu  de  temps  l'embrasement  se  répan- 
dre dans  la  plupart  des  états  du  nord  ;  la  France  même 
n'en  fut  pas  tout  à  fait  à  l'abri. 

Charles  V ,  ayant  à  ménager  le  pape  pour  ses  desseins  en 
Italie ,  voulut  satisfaire  les  légats  du  pontife  qui  deman- 
daient la  condamnation  de  Luther  comme  déjà  excommunié 
et  jugé  hérétique;  il  fut  cité  à  la  diète  de  Worms  (4S2I  ) 
afin  d'y  déclarer  nettement  s'il  renonçait  ou  non  à  ses 
opinions  ;  muni  d'un  sauf-conduii  de  l'empereur ,  le  réfor- 
mateur n'hésita  pas  à  s'y  rendre;  ses  amis  lui  rappelaient 
le  sort  de  Jean  Huss.  Je  suis  sommé  légalement  de  compa- 
raître à  Worms,  répondit-il,  et  je  m'y  rendrai  au  nom  du 
Seigneur,  dussé-je  voir  conjurés   contre  moi  autant  de 
diables  qu'il  y  a  de  tuiles  sur  les  toits.  Et  celui  qui  deux 
ans  auparavant  n'avait  pas  pu  se  procurer  un  cheval  de 
louage  pouraller  à  Augsbourg,  devenuil'apôtre  d'une  partie 
considérable  de  l'Allemagne ,  se  fit  alors  escorter  par  cent 
gentilshommes  armés  de  toutes   pièces.    Son  entrée  à 
Worms  eut  l'air  d'un  triomphe ,  il  traversa  les  rues  monté 
sur  un  char  au  milieu  d'un  concours  prodigieux  que  sa  répu- 
tation avait  attiré.  Introduit  dans  l'assemblée ,  il  reconnut 
ses  ouvrages  et  offrit  de  les  défendre  dans  une  conférence 
publique  qui  lui  fut  refusée.  N'ayant  point  voulu  se  rétracter, 
malgré  les  sollicitations  des  princes  et  des  électeurs,  et  me- 
nacé d'être  mis  au  ban  de  l'empire,  il  quitta  la  ville.  Peu  de 
jours  après  son  départ,  on  publia  qu'il  était  criminel  endurci, 
et  on  somma  quiconque  lui  donnerait  asile  de  se  saisir  de 
lui.  Charles  V ,  pressé  de  le  livrer  comme  Sigismond  avait 
livré  Jean  Huss ,  répondit  :  Je  ne  veux  point  avoir  à  rougir 
comme  Sigismond.  Cependant  ce  prince  se  prononçait 
contre  la  réforme.  Son  titre  d'empereur  et  de  premier 
souverain  de  l'Europe,  le  constituait  le  défenseur  de  l'an 
cienne  foi.  La  nouvelle  hérésie  fut  aussi  condamnée  en 
France  par  l'université  de  Paris  ;  enfin  le  jeune  roi  d' A  ngle- 
terre  Henri  VIII ,  qui  se  disait  théologien ,  écrivit  un  livre 
contre  Luther.  Mais  celui-ci  trouva  de  zélés  défenseurs 
dans  les  princes  allemands ,  et  surtout  dans  l'électeur  de 
Saxe ,  qui  paraît  même  l'awir  mis  en  avant.  Ce  prince 
avait  été  vicaire  impérial  dans  l'interrègne  qui  avait  pré- 
cédé l'élection  de  Charles  V,  et  c'est  alors  que  Luther 
avait  osé  brûler  la  bulle  du   pape.  L'électeur  de  Saxe 
voulant  le  préserver  de  ses  propres  emportemens,  le  fil 
arrêter  par  des  cavaliers  masqués,  comme  il  s'enfonça! i 
dans  la  forêt  de  Thuringe  en  revenant  de  la  dièie ,  cl  le 
cacha  dans  le  château  de  Wartbourg,  près  d'Eisenach. 
La  suite  à  un  prochain  numéro. 


LA  FOIRE  AUX  FEMMES. 

Dans  une  contrée  élevée,  à  l'extrémité  orientale  de  la 
Hongrie,  s'élève  une  montagne  appelée  Bihar.  Ce  coin 
isolé  n'est  habité  que  par  une  race  de  pâtres  d'origine  va- 
laque,  à  moitié  sauvages,  qui  n'ont  que  peu  de  relations 
avec  le  reste  du  monde,  et  demeurent  étrangers  à  toute 
civilisation. 

Tous  les  ans,  à  la  fête  de  Saint-Pierre,  les  Valaques  du 
Bihar  se  rendent  dans  la  plaine  de  Kalinasa  pour  assister  à 
une  foire  où  ils  traitent  d'affaires  de  tout  genre ,  mais  qui  a 
un  intérêt  particulier  pour  les  jeunes  gens  des  deux  sexes  ; 
car  il  s'y  conclut  aussi  des  mariages,  et  on  y  choisit  des 


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femmes  comme  on  y  achète  des  meubles  ou  des  denrées. 
Tous  les  pères  de  famille  y  amènent  leurs  grandes  filles 
avec  leur  dot,  entassées  sur  des  charrettes  ou  à  pied.  Cette 
dot  se  ressent  de  la  pauvreté  des  montagnards ,  et  se  borne 
à  des  pièces  de  bétail,  des  moulons ,  des  porcs ,  des  volail- 
les. On  n'oublie  pas  la  parure  des  femmes ,  c'est-à-dire  des 
pièces  de  monnaie  percées  pour  être  attachées  aux  tresses  de 
cheveux.  C'est  avec  cette  suite  que  chaque  fille  qui  veut  un 
mari  s'achemine  à  la  foire. 

De  leur  côté ,  les  garçons  qui  veulent  se  marier  arrivent 
à  la  foire  revêtus  de  peauxde moulons.  Leurs  yeux  hagards, 
(jui  snfliraient  pour  mettre  en  fuite  toutes  nos  dames ,  font 
alors  l'inspection  des  jeunes  filles  que  leurs  parens  ont  ame- 
nées. Chacun  choisit  selon  son  goût.  Le  choix  fait,  on  s'a- 
drt'sse  aux  parens,  on  demande  ce  qu'ils  exigent,  ce  qu'ils 
donnent,  ce  qu'ils  ont  apporté.  On  marchande,  et  si  l'on 
ne  peut  tomber  d'accord,  l'amateur  passe  à  une  aulre  per- 
sonne. Dans  le  cas  coniraire,  les  deux  parties  se  frappent 
'!ans  la  main  de  manière  à  se  faire  entendre  de  tout  le  voi- 
sinage :  c'est  un  avis  pour  les  concurrens  que  tout  est  con- 
clu et  que  leurs  vœux  sont  exaucés. 

La  famille  entoure  alors  les  deux  fiancés  :  l'eau-de-vie  se 
verse  à  plein  bord;  on  appelle  le  prêtre,  et,  sans  désempa- 
rer, celui-ci  tire  de  sa  poche  le  livre  de  prières,  et  prononce 
la  bénédiction. 

Vient  ensuite  le  moment  de  la  séparation.  La  jeune 
femme  prend  congé  de  sa  famille ,  à  laquelle  elle  n'appar- 
tient déjà  plus  ;  elle  monte  sur  la  charrette  de  son  mari , 
qu'elle  ne  connaissait  pas  il  y  a  peu  d'heures ,  et ,  suivi  de 
ses  troupeaux ,  elle  est  conduite  dans  la  maison  qui  va  être 
la  sienne,  et  où  l'attendent  des  devoirs  sur  lesquels  elle  n'a 
pas  eu  le  temps  de  méditer. 

Souvent,  dès  la  première  entrevue,  le  pouvoir  du  mari 
se  fait  sentir,  et  quelquefois ,  à  la  foire  même ,  il  éclate  des 
rixes  sanglantes  entre  les  montagnards.  Le  gouverne- 
ment hongrois  cherclie  depuis  long-temps  les  moyens  de 
su,n[»rinier  cette  foire  ;  mais  une  défense  contrarierait  trop 
les  anciennes  coutumes,  et  même  les  besoins  de  la  peu- 
plade pastorale  de  Bihar,  pour  qu'elle  pût  être  efficace. 
Aiis-si  la  foire  continue-t-elle.  On  s'y  marie,  on  s'y  enivre, 
on  s'y  bat;  et  pourtant  tous  les  Valaques  du  pays  soutien- 
nent que  c'est  une  fêle,  superbe. 


LA  NOUVELLE-ORLEANS. 

Quand  vous  descendez  le  cours  du  Mississipi ,  venant  du 
pays  des  Natchez  ou  de  (pielque  autre  lieu  de  commerce  de 
l'intérieur ,  porté  par  une  de  ces  nombreuses  embarcations 
qui  vont  et  viennent  sans  cesse  sur  ce  fleuve  magnifique, 
vous  commencez  à  remarquer,  à  mesure  que  vous  appro- 
cliez  de  la  Nouvelle-Orléans ,  les  dévastations  causées  par 
intervalles  dans  les  campagnes  riveraines  par  les  déborde- 
mens.  Jusqu'à  150  milles  au-dessus  de  celte  ville,  les  plan- 
leurs  voisins  ont  été  obligés  d'encaisser  la  rivière,  en  for- 
mant une  immense  levée  de  six  à  dix  pieds  au-dessus  du 
rivage  naturel.  Celte  levée  continue  des  deux  côtés  de  l'eau 
jusqu'au-dessous  de  la  Nouvelle-Orléans,  aussi  loin  que  les 
plantations  peuvent  s'étendre.  Au-delà  de  celle  digue ,  vous 
apercevez  une  vaste  étendue  de  terrains  bien  cultivés  et 
divisés  en  belles  plantations  qui  produisent  des  cannes. à 
sucre  et  du  riz  en  abondance. 

Les  habilpjLionsdes  planteurs  et  les  huttes  des  nègres  réu- 
nis en  groupes  nombreux  forment  unesuccession  deconstruc- 
tions  non  interrompue  et  d'un  aspect  singulier  et  frappant. 
Les  maisons  des  planteurs  sont  fort  propres ,  quelques-unes 
même  magnifiques.  Elles  sont  toutes  entourées  de  bosquets 
d'orangers  et  de  jasmins ,  auxquels  se  mêlent  la  rose  à  mille 
fleurs  et  d'autres  arbustes  touffus.  Ce  pays  est  assuré- 
ment la  partie  la  plus  riche  des  Etats-Unis;  il  offre  le  coup 
d'œil  le  plus  enchanteur  et  le  plus  délicieux  que  l'imagina- 
tion puisse  se  représenter,  Derrière  ces  cultures  on  voit 


d'épaisses  forêts  d'arbres  verts  ou  des  terrains  unis  et  maré- 
cageux qui  s'étendent  aussi  loin  que  l'œil  peut  atteindre  j 
les  chênes  et  les  cyprès  qui  croissent  sur  leur  surface  inter- 
rompent seuls  la  monotonie  de  leur  aspect. 

A  3S  lieues  au-dessous  de  l'embouchure  du  Mississipi ,  est 
située  la  Nouvelle-Orléans ,  cette  grande  capitale  maritime 
de  la  vallée  du  Mississipi.  Elle  est  bâtie  dans  une  position 
fort  commode ,  sur  la  rive  nord  du  fleuve.  Sa  fondation 
remonte  à  4719,  et  sa  population  fixe  s'élève  aujourd'hui 
à  environ  50  mille  âmes;  une  popiilalion  mouvante  de 
25  mille  âmes  s'y  réunit ,  en  outre ,  pendant  l'hiver ,  qui  est 
la  saison  des  échanges.  Quand  on  monte  sur  la  levée,  et 
qu'on  suit  de  l'œil  tout  le  cours  du  fleuve,  ou  voit  au- 
dessus  et  au-dessous  de  la  ville  le  rivage  bordé  d'une  mul- 
titude de  grands  bateaux  plaLs  descendus  de  tous  les  pohits 
supérieurs  de  la  vallée.  Les  uns  sont  chargés  de  fiuine  ,  de 
grains ,  de  comestibles  de  toute  espèce  ;  les  autres  portent  du 
gros  bétail ,  des  porcs ,  des  chevaux ,  des  mules.  Quelques- 
uns  ont  des  marchandises  d'exportation  ;  on  en  voit  qui 
sont  chargés  de  nègres  ou  de  wisky,  cette  boisson  enivrante 
source  de  tant  de  maux. 

Dans  le  bas  de  la  rivière  vous  voyez  une  forêt  de  mâts, 
tandis  que  dans  la  partie  supérieure  20  à  30  bateaux  à  va- 
peur sont  rangés  le  long  de  la  levée  ou  mêlés  aux  bateaux 
plats  des  pays  du  nord  ;  chaque  jour  on  en  voit  quelques- 
uns  arriver  et  d'autres  partir  pour  aller  faire  le  commerce 
à  500,  à  600  lieues,  à  St,-Louis ,  à  Louisville ,  à  Nashville , 
à  Pittsbourg  et  en  cent  autres  lieux ,  car  les  dislances  ne 
sont  comptées  pour  rien  dans  ce  pays;  les  machines  à 
vapeur  les  font  disparaître.  Chaque  jour  s'offre  aux  yeux  le 
spectacle  d'une  flolle  tout  entière  remontant  le  fleuvesans  le 
secours  d'une  seule  voile  ni  d'une  rame,  marchant  avec 
vitesse  à  la  suite  d'un  bateau  remorqueur  d'une  force 
redoutable.  Je  restai  stupéfait  la  première  fois  que  je  fus 
témoin  de  ce  spectacle.  C'était  le  Grampus,  le  Purpoise  ou 
le  Requin  ,  reuiorquant  deux  grands  navires  attaches  à  ses 
flancs  avec  des  grappins ,  plus  deux  ou  trois  bricks  suivant 
derrière  à  la  portée  d'une  encablure ,  et  plus  loin  encore 
un  où  deux  schooners  et  deux  ou  trois  sloops  !  Toute  cette 
flotte  s'avançait  majestueusement. 

Que  si  vous  jetez  les  yeux  vers  la  ville ,  un  autre  tableau 
vous  attend.  D'un  côté  c'est  le  négociant ,  à  l'air  empressé 
et  soucieux ,  faisant  charger  ou  décharger  son  coton ,  son 
sucre ,  ses  mélasses ,  son  tabac ,  son  café ,  ses  caisses  de 
marchandises  qui  couvrent  à  la  ronde  un  large  espace  du 
quai.  Tout  le  long  du  rivage  sont  les  maîtres  des  baleaux 
plat^  du  haut  pays,'  occupés  à  traiter  avec  les  boutiquiers 
de  la  ville.  De  longues  files  d'Anglais  çt  d'Américains  ven- 
dent en  détail  toutes  ces  petites  denrées  qui  peuvent  se 
transporter  à  bras  ou  dans  des  paniers.  D'un  autre  côté,  et 
surtout  vers  la  partie  du  quai  qui  longe  la  halle,  c'est  une 
foule  de  négresses  ou  de  quarteronnes  portant  chacune  sur 
leur  tête  toute  une  table  couverte  de  gâteaux ,  de  pommes , 
d'oranges,  de  figues,  de  bananes  ou  détruits  de  plantain, 
de  pommes  de  pain ,  de  noix  de  cocotier ,  etc.  Si  vous  par- 
courez la  ville ,  où  tout  annonce  des  progrès  lapides ,  vous 
verrez  le  moulin  à  scier ,  les  macliines  à  presser  le  coton , 
mues  par  la  vap'îur,  la  halle, le  palais  des  états,  édifice 
d'un  style  antique ,  des  hôtels ,  des  théâtres ,  la  cathédrale , 
la  prison,  l'hospice  de  la  Charité,  et  enfin  la  dernière  statiou 
de  tout  voyage  ici-bas ,  l'asile  où  reposent  les  anciens  habi- 
tans  de  cette  cité  maintenant  si  pleine  de  vie ,  d'activité ,  ds 
plaisirs.  Tout  homme  réfléchi  ne  peut  voir  sans  intérêt  les 
cimetières  catholique  et  protestant  couverts  de  mausolées 
élégans,  dont  quelques-uns  ont  plusieurs  pieds  d'élévation , 
les  uns  isolés,  les  autres  groupés  dans  ces  enceintes  paisibles. 

La  population  de  la  Nouvelle-Orléans  est  très  mélangée. 
Une  grande  partie  des  habitans  parlent  français ,  à  cause 
de  l'origine  française  delà  colonie;  quelques-uns  parlent 
espagnol  et  d'autres  anglais.  Ceux  qui  parlent  français  sonl, 
en  général ,  catholiques  :  ils  forment ,  sous  le  rapport  du 
caractère  et  des  manières ,  une  [)opulalion  intéressante  par 


«4 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


sa  politesse  et  son  affabilité  ;  de  pins ,  leurs  habitudes  sont  I  sujet ,  obtînt  tout  ce  qu'il  demandait.  Le  mariage  fut  arrêté , 


lioiuiêtes ,  frugales  et  inoffensives.  Quant  aux  Américains 
ctal>iis  dans  ce  pays ,  ils  s'adonnent  tout  entiers  à  leur 
objet  exclusif,  celui  de  s'enrichir.  Ainsi  que  toutes  les 
grandes  villes,  celle-ci  renfernie  une  classe  de  peuple 
abrutie.  Mais  la  population  permanente  offre  tous  les  carac- 
tères d'une  vive  intelligence.  Plusieurs  journaux  quotidiens 
se  publient  à  la  Nouvelle-Orléans;  leur  rédaction  n'est  pas 
ut'i>ourvue  de  talent. 

On  a  beaucoup  reproché  le  vice  d'intempérance  aux 
hal)itaus  de  cette  ville;  un  tel  reproche  ne  doit  s'appliquer 
(ju'à  ces  honnnes  du  nord,  à  demi  sauvages,  qui  mènent 
une  vie  vagabonde  et  ne  subsistent  que  d'un  travail  dur  et 
grossier  ;  encore  ceux-là  même  ont-ils  subi ,  dans  ces  der- 
niers temps,  une  certaine  réforme,  et  il  est  à  remarquer 
«pie  celte  j-éforme  a  été  la  suite  de  l'introduction  des  machi- 
nes à  vapeur  qui,  en  les  dispensant  d'une  partie  de  leurs 
laligans  travaux ,  leur  ont  laissé  moins  d'excuses  pour  cher- 
cher des  déJonunagemens  dans  l'usage  des  liqueurs  en- 
ivrantes. 

Tel  est ,  en  raccourci ,  le  tableau  de  la  Nouvelle-Orléans, 
aujourd'hui  place  de  grand  commerce ,  qui  ne  peut  man- 
quer de  trouver  de  nouveaux  moyens  d'accroissement  et  de 
spleiuleur  dans  son  heureuse  situation  à  l'ouverture  de  la 
grande  vallée  du  fllississipi,  au  centre  de  l'Amérique  sep- 
iciilrionale,  et  qui,  par  tous  ces  motifs,  sera  toujours 
regardée  connue  la  ca[ùlale  du  midi  des  États-Unis. 


MARIAGE  DE  HENRI  IV 

J^T  VE  UMilli  DU  MÉUICIS. 


Henri  IV  était  en  guerre  avec  le  duc  de  Savoie ,  au  sujet 
du  marquisat  de  Saluées ,  pendant  qtie  se  négociait  son 
mariage  avec  Hlarie  de  Méclicis ,  princesse  de  Florence. 
Celle  ncgocialion,  f|ui  ne  pouvait  que  faire  fort  grand 
plaisir  au  pape,  ne  fut  pas  inutile  au  roi  pour  empêcher  le 
iSaint  Père  de  s'intéresser  pour  le  duc(^).  D'Alincourt,  qui 
était  celui  que  Sa  Majesté  avait  envoyé  à  Rome  pour  ce 

(i)  Nous  empruntons  ces  parlicularitcs  aux  lHémories  de 
Sully  ■■  nom  en  avons  cousi-rvé  le  style  original  autant  qu'il  nous 
a  été  possible,  en  débariassantle  récit  de  toutes  les  circouitances 
etrangnrcn  au  s'ijct  de  cet  article. 


et  il  ne  s'agissait  plus  que  d'envoyer  à  Florence  une  per- 
sonne qui  pût  l'accomplir  par  procureur.  Bellegarde  solli- 
cita fort  cet  honneur,  mais  il  ne  put  obtenir  que  d'être 
porteur  de  la  procuration,  qui  le  déférait  au  duc  de  Flo- 
rence. 

Pendant  que  celte  cérémonie  s'exécutait  à  Florence, 
Henri  croyait  ne  devoir  paraître  occupé  que  de  ballets,  de 
comédies  et  de  fêles. 

Peu  de  temps  après,  Marie  de  Médicis  arriva  à  Lyon. 
Le  roi  ne  l'eut  pas  plus  lot  appris,  qu'il  quitta  ses  quartiers 
de  guerre,  et  s'y  achemina  par  un  temps  extrêmement 
pluvieux,  courant  en  poste  avec  une  grande  partie  des  sei- 
gneurs de  sa  cour.  Il  était  onze  heures  du  soir  lorsqu'ils 
arrivèrent  au  bout  du  pont.de  Lyon,  et  ils  y  attendirent 
une  heure  entière  qu'on  vînt  leur  ouvrir,  pénétrés  de  froid 
et  de  pluie  ,  parce  que  le  roi,  pour  le  plaisir  de  surprendre 
la  reine,  ne  voulut  point  se  nommer;  ils  ne  s'étaient  point 
encore  vus  l'un  l'autre.  Les  cérémonies  de  mariage  se  iirenl 
sans  aucune  pompe.  (Novembre  4C00.) 

La  reine  ne  prit  pas  incontinent  après  la  route  de  Paris. 
Elle  visita  plusieurs  villes  de  France.  Elle  menait  avec  elle 
don  Joan ,  son  oncle ,  et  Virgile  Ursin ,  son  cousin.  Plusieurs 
autres  Italiens  et  Italiennes  étaient  à  sa  suite,  entre  autres 
un  jeune  homme  nommé  Concini,  et  une  fille  nommée 
Léonore  Galigal,  qui  jouèrent  dans  la  suite  un  grand  rôle  (I  ). 
«  Je  la  précédai  à  Paris  de  huit  jours,  dit  Sully,  pour  y  fane 
ordonner  la  cérémonie  de  son  entrée,  qui  fut  des  plus 
magnifiques  en  toutes  manières.  Le  lendemain,  le  roi 
l'emmena  dîner,  avec  toute  sa  cour,  chez  moi  à  l'Arsenal. 
Elle  était  suivie  de  toutes  ses  filles  italiennes ,  qui ,  trouvant 
le  vin  d'Arbois  fort  de  leur  goiit ,  en  burent  un  peu  plus 
que  de  besoin.  J'avais  d'excellent  vin  blanc,  et  aussi  clair 
qu'eau  de  roche  ;  j'en  fis  remplir  les  aiguières,  et  lorsqu'elles 
demandaient  de  l'eau  pour  tremper  le  vin  de  Bourgogne, 
ce  fut  celte  liqueur  qu'on  leur  présenta.  Le  roi,  les  voyant 
de  si  bonne  humeur,  se  douta  que  je  leur  avais  joué  pièce. 
La  conjoncture  du  mariage  du  roi  fit  qu'on  ne  parla  pen- 
dant tout  l'hiver  que  de  parties  de  plaisir.  » 

La  cérémonie  du  sacre  de  la  reine  fut  différée  fort  long- 
temps. Neuf  années  s'écoulèrent  sans  qu'il  en  fiit  question  : 
vainement  Marie  de  Médicis  témoignait  au  roi  le  désir 
d'êlre  couronnée  solennellement  :  Henri  s'y  opposait  tou- 
jours. La  discorde  qui  souvent  divisa  les  deux  époux  était 
la  principale  cause  de  la  résistance  du  roi.  Enfin ,  il  fut 
arrêté  que  le  sacre  aurait  lieu  ,  le  i5  février  IGIO,  à  Saint- 
Denis.  Les  cérémonies  eurent  lieu  en  effet ,  mais  elles  ne 
fiu'cnt  point  terminées  ce  jour-là  :  le  lendemain  étant  un 
vendredi ,  on  suspendît  les  fêtes.  Le  roi  vint  à  Paris ,  et  il 
se  rendail  en  voilure  à  l'Arsenal,  lorsqu'il  fut  assassiné  par 
Ravaillac  dans  la  rue  de  la  Féronnerie. 


DES  EGAILLES. 

Dans  les  poissons ,  on  désigne  sous  le  nom  d'écaillés  tou- 
tes les  plaques  solides  dont  la  peau  de  certains  animaux  est 
recouverte.  Le  plus  communément  elles  sont  imbriquées, 
c'est-à-dire  disposées  en  recouvrement  les  imes  au-dessus 
des  autres,  comme  les  ardoises  des  toits  de  nos  maisons. 
Elles  sont  rarement  adhérentes  entr'elles  :  chez  quelques 
espèces  néanmoins  elles  sont  serrées  et  unies  de  manière  à 
ne  former  qu'une  seule  pièce ,  qu'on  appelle  cuirasse.  Une 
élude  superficielle  avait  fait  croire  que  quelques  poissons 
étaient  entièrement  privés  d'écaillés;  des  naturalistes  en 
avaient  refusé  au  Cépole  ïœnia,  au  Rémora,  à  l'Ammo- 
dyte,  à  l'Anguille  et  à  l'Anarrhique;  mais  en  examinant 
avec  plus  d'allenlion ,  on  a  reconnu  l'existence  des  écailles 
dans  la  poussière  brillante  qui  se  détache  du  corps  de  ces 

.   (i)  Léonore  Dori,  dite  Galigaï,  épousa  Concino  Concini.  qtii 
devint  mai  échal  Ae  France ,  et  prit  le  nom  de  maréchal  d'Ancre. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


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animaux,  lorsque  sa  t>ean ,  qui  les  recouvre,  a  été  dessé- 
cliée. 

La  manière  de  vivre  et  la  forme  de  chaque  espèce  de 
poissons  influent  ordinairement  sur  la  poskion  des  écailles. 
Elles  sont  à  découvert  et  retenues  par  de  minces  vaisseaux 
chez  les  poissons  qui  nagent  ordinairement  dans  de  grands 
fonds ,  et  ne  sont ,  par  conséquent ,  exposés  à  aucun  frois- 
sement contre  les  rochers  ou  les  plantes  marines.  Elles  sont 
adhérentes  et  recouvertes  par  la  peau  chez  ceux  qui  vivent 
près  des  rivages,  et  qui,  ne  s'éloignant  que  rarement  des 
bords ,  semblent  faits  pour  vivre  dans  la  vase  où  des  chocs 
norjibreux  détacheraient  ou  déchireraient  des  écailles  moins 
solidement  assurées. 

C'est  à  leurs  écailles  que  les  poissons  doivent  l'éclat  de 
leur  brillante  peau  ;  ce  sont  ces  lames  qui  sont  enrichies  des 
couleurs  métalliques  les  plus  variées  et  qui ,  tantôt  arrau  - 
gées  symétriquement,  tantôt  disposées  sans  ordre,  reflètent, 
à  la  surface  des  eaux ,  toutes  les  nuances  des  pierres  jné- 
cieuses ,  toutes  les  ondulations  étincelantes  du  soleil-  Les 
poissons  ne  conservent  leur  teinte  que  tant  qu'ils  sont  dans 
l'eau  ;  hors  de  ce  fluide ,  leur  vie  s'affaiblit ,  la  couleur  de 
leurs  écailles  se  fane,  s'altère,  et  souvent  même  disparait 
entièrement.  Vivans ,  les  poissons  changent  quelquefois 
subitement  de  couleur  :  ce  phénomène  parait  appartenir 
chez  eux,  comme  chez  les  caméléons ,  aux  transitions  brus- 
ques d'une  température  à  une  autre,  ou  à  des  mouvemens 
particuliers  de  leur  circulation  sanguine. 

On  trouve  encore  des  écailles  à  la  surface  du  corps  de  la 
plupart  des  reptiles  j  les  dimensions  ,  le  nombre  et  les  for- 
mes de  ces  plaques  cornées  varient  presque  dans  chaque 
espèce,  et  ne  fournissent  que  des  caractères  de  distinction 
fort  incertaines;  car,  non  seulement  ces  écailles  ne  sont  pas 
constantes  dans  tous  les  individus,  mais  elles  dépendent 
souvent  de  l'âge,  d'une  difformité  ou  d'une  circonstance 
locale. 

Parmi  les  reptiles ,  ceux  dont  les  écailles  offrent  le  plus 
d'intérêt ,  ce  sont  les  tortues ,  dont  la  carapace  est  recou- 
verte de  grandes  plaques  cornées ,  plus  ou  moins  épaisses , 
substance  qu'on  trouve  dans  le  commerce  sous  le  nom 
d'écaUle,  et  qu'on  emploie  dans  les  arts  à  une  foule  d'usages. 
Celle  écaille  est  principalement  recueillie  dans  les  mers 
d'Asie  et  d'Afrique  :  elle  se  présente  sous  trois  couleurs 
différentes,  la  blonde,  la  brune  et  la  noirâtre;  quelquefois 
elle  est  jaspée ,  souvent  elle  est  demi-transparente.  L'écaillé 
est  fragile  et  fusible  par  l'action  du  feu;  on  a  tiré  parti  de 
cette  dernière  circonstance  pour  en  souder  plusieurs  pièces 
ensemble,  pour  la  mouler,  la  redresser,  etc. 

La  préparation  de  l'écaillé  pouvant  présentait  un  certain 
intérêt  à  nos  lecteurs ,  nous  entrerons  dans  quelques  détails 
à  ce  sujet  :  — 

Les  feuilles  a' écaille  sont  ordinairement  bombées  sur  les 
surfaces  ;  c'est  pourquoi  la  première  chose  à  faire ,  pour  les 
rendre  propres  ù  être  employées ,  est  de  les  redresser;  ce 
qui  se  fait  de  la  manière  suivante  : 

Après  avoir  fait  choix  des  feuilles  qu'on  veut  redresser, 
on  fait  chauffer  del'eau  dans  un  chaudron,  ou  dans  tout  autre 
vase  découvert  et  capable  de  contenir  les  feuilles  d'écaillç 
sans  qu'elles  touchent  aux  bords  du  vaisseau ,  de  crainte 
que  la  chaleur  de  ce  dernier  ne  les  brûle. 

Quand  l'eau  est  bouillante,  on  y  trempe  les  feuilles  d'é- 
caille ,  et  on  les  y  laisse  séjourner  jusqu'à  ce  qu'elles  soient 
suflisamment  amollies ,  ce  qu'on  connaît  en  retirant  une 
feuille  avec  des  pinces  ou  même  avec  les  doigts  ;  car  l'é- 
caille  perd  sa  chaleur  très  promptement  :  si,  elle  ploie 
facilement  par  son  propre  poids,  c'est  un  signe  cer- 
tain qu'elle  est  amollie  au  degré  nécessaire  ;  alors  on  a  une 
petite  presse  de  la  grandeur  de  la  plus  grande  feuille  d'é- 
caille  ;  dans  celte  presse  on  met  les  feuilles  ainsi  amollies 
en  ayant  soin ,  s'il  yen  a  plusieurs ,  de  mellre  entre  chacune 
d'elles  des  plaques  de  fer  ou  de  cuivre  d'environ  deux  lignes 
d'épaisseur,  bien  droites  sur  leurs  surfaces,  et  qu'on  a  soin 
de  faire  chauffer  d'avance ,  afin  de  conserver  plus  long- 


temps aux  feuilles  d'écaillé  la  ductilité  qu'elles  viennent 
d'acquérir  par  l'action  de  l'eau  bouillante. 

Quand  les  feuilles  d'écaillé  sont  par  trop  bombées ,  et 
qu'on  craittt  qu'elles  ne  se  prêtent  pas  assez  à  l'aclion  de  la 


"^^ 


Écaille  de  sole. 

presse  ,  soit  par  rapport  à  leur  bombage,  soit  parce  qu'elles 
refroidissent  trop  vile ,  il  faut,  lorsqu'on  a  mis  deux  ou  (rois 
fouilles  dans  la  presse ,  serrer  médiocrement  cette  dernière, 
la  plonger  dans  l'eau  bouillante  pour  ramollir  l'écaillé; 
après  quoi ,  on  achève  de  serrer  la  presse ,  et  on  la  relire 
de  l'eau  pour  laisser  refroidir  peu  à  peu,  ce  qui  vaut  mieux 
que  de  la  tremper  dans  de  l'eau  froide,  qui  saisit  trop  vile 
l'écaillé,  et  la  rend  plus  cassante  et  plus  sujette  à  se  déjeter. 
V  Quand  l'écaillé  est  totalement  refroidie ,  on  la  retire  de 
dessous  la  presse  ;  alors  elle  se  trouve  parfaitement  droite, 
et  conserve  toujours  cette  nouvelle  forme,  pourvu  qu'on  ne 
la  trempe  plus  dans  l'eau  bouillante ,  car  elle  deviendrait 
courbe  comme  auparavant. 

Il  faut  aussi  faire  attention  que  l'écaillé  s'étend  et  se  di- 
late à  l'eau  chaude ,  mais  «pi' elle  se  relire  en  se  refroidissant  ; 
c'est  pourquoi ,  quand  on  la  contourne  dans  des  moules ,  il 
faut  que  ces  derniers  soient  un  peu  plus  grands  que  le  mo- 
dèle dont  on  veut  reproduire  la  ligure,  atin  de  laisser  à  l'é- 
caillele  temps  de  se  dilater  librement. 

Les  ébénistes  ,  pour  redresser  l'écaillé ,  se  contentent  de 
la  mettre ,  au  sortir  de  l'eau  chaude ,  entre  des  planches 
d'environ  un  pouce  d'épaisseur,  et  de  les  serrer  avec  un  ou 
deux  valets. 

Mais  cette  méthode  n'est  pas  bonne,  parce  que,  pour 
peu  que  l'écaillé  ne  soit  i)as  assez  chaude ,  on  s'expose  à  la 
faire  casser;  ou,  supposé  qu'elie  prêle  à  un  médiocre  degré 
de  chaleur ,  elle  ne  reste  [)as  droite  quand  on  l'ôte  de  des- 
sous les  valets,  ce  qui  oblige  de  recommencer  l'opération. 
C'est  pourtiuoi  il  vaut  mieux  faire  usage  d'une  presse  et  de 
fers  chauds,  comme  on  l'a  dit  ci-dessus. 

Quand  on  veut  mouler  ^e  l'écaillé,  on  ne  la  met  pas 
toute  droite  dans  le  moule;  mais,  après  l'avoir  dressée  et 
mise  d'épaisseur,  on  la  trempe  dans  l'eau  bouillante,  et 
quand  elle  est  amollie,  on  commence  par  la  ceintrer  à  la 
main,  à  peu  près  selon  la  forme  qu'elle  doit  avoir;  ensuite 
on  la  met  dans  le  moule,  et  on  place  ce  dernier  dans  la  presse, 
qu'on  ne  serre  qu'autant  qu'il  est  nécessaire  pour  empô- 


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MAGASIN  UNIVERSEL. 


cher  l'écailie  de  glisser  ;  cela  fait ,  on  trempe  le  tout  dans 
l'eau  bouillante ,  et  on  serre  la  vis  de  la  presse  à  mesure 
qu'on  s'aperçoit  que  i'écaille  ne  fait  pas  de  résistance. 

Quand  le  dessus  du  moule  est  descendu  autant  qu'il  est 
nécessaire ,  et  que  par  conséquent  l'écaillé  a  pris  la  forme 
du  moule,  on  relire  la  presse  de  l'eau ,  et  on  laisse  refroi- 
dir le  tout  ensemble. 

Les  moules  dont  on  vient  de  parler  sont  ordinairement 
faits  de  bois  dur;  ce  qui  est  suffisant  quand  on  n'a  pas 
beaucoup  de  pièces  semblables  à  mouler. 

Pour  souder  des  plaques  d'écaillé ,  ou  taille  en  biseau  les 
deux  morceaux  que  l'on  veut  réunir  ;  on  met  en  contact 
les  deux  sections  inclinées,  puis  on  les  entoure  d'une  grande 
quantité  de  papier,  et  on  presse  fortement  celte  ligne  de 
réunion  avec  une  pince  chaude.  La  chaleur  met  en  fusion 
la  substance  gélatineuse  de  chacun  des  bords  accolés,  et 
leur  adhérence  est  invariablement  assurée. 


PRUSSE. 

Près  du  quart  de  la  population  de  la  Prusse  est  répartie 
dans  les  villes ,  dont  le  nombre  s'élève  à  mille  vingt-et-une, 
et  parmi  lesquelles  vingt-six  ont  plus  de  dix  mille  habitans  ; 
le  reste  occupe  deux  cent  quatre-vingt-douze  bourgs  et 
trente-six  mille  sept  cent  quatre  villages  et  hameaux. 

La  nation  est  divisée  en  cinq  classes  bien  distinctes  :  les 
nobles ,  les  ecclésiastiques ,  les  bourgeois ,  les  militaires  et 
les  paysans.  Les  nobles  forment  environ  vingt  mille  famil- 
les ,  les  ecclésiastiques  sont  au  nombre  de  près  de  cinquante 
mille. 

Les  divers  cultes  jouissent  en  Prusse  de  la  plus  grande 
liberté.  Chaque  citoyen  est  admissible  à  tous  les  emplois , 
quelle  que  soit  d'ailleurs  sa  religion;  mais  celle  de  l'État 
est  le  protestantisme ,  et  l'on  comprend  sous  ce  nom  la 
confession  d'Augsbourg  et  la  communion  réformée.  Les 
deux  cultes  y  sont  unis  et  presque  confondus.  Les  habitans 
qui  les  professent  forment  près  des  deux  tiers  de  la  popula- 
tion, et  le  catholicisme  est  professé  par  plus  d'un  tiers  de 
ceile-ci.  Les  deux  principaux  cultes  ont  chacun  leurs  prélats 
el  leurs  ministres.  L'Église  évangélique  n'a  que  deux  évo- 
ques, l'un  à  Berlin  et  l'autre^à  Kœnigsberg  ;  mais  elle  a  ses 
surintendans ,  ses  archiprètres ,  ses  inspecteurs,  ses  doyens, 
ses  prévôts  et  ses  pasteurs.  Chaque  province  et  chaque  cer- 
cle a  son  synode  ;  il  y  a  en  outre  un  consistoire  par  pro- 
vince ,  et  Berlin  est  tous  les  cinq  ans  le  siège  d'un  synode 
général.  L'Église  catholique  a  deux  archevêques ,  celui  de 
Cologne  et  cehii  de  Gnesen  et  Posen  ,  et  six  évéchés ,  dont 
les  sièges  sont,  Breslau.,  Culm,  Ermeland  ,  Munster, Pa- 
(lerl)orn  et  Trêves. 

Le  gouvernement  prussien  est  une  monarchie  absolue  ; 
le  pouvoir  du  souverain  est  à  peine  limité  par  les  états  pro- 
vinciaux. Ces  états ,  qui  existent  maintenant  dans  toute 
La  Prusse,  n'ont  presque  aucune  influence  clans  les  af- 
faires du  gouvernement  ;  ils  ne  s'assemblent  que  pour  ré- 
gler ce  (jui  concerne  la  perception  des  contributions  et  les 
caisses  du  crédit  que  possèdent  plusieurs  provinces.  En  gé- 
néral, quoiqu'il  n'y  ait  pas  en  Prusse  de  véritable  liberté 
poliliciue,  on  peut  dire  que  la  liberté  civile  y  est  tout  aussi 
respectée  que  dans  les  monarchies  constitutionnelles. 

Cet  esprit  de  liberté,  qui  anime  le  public  et  qui  se  monfcre 
dans  tous  les  écrits,  a  commencé  à  dominer  dans  le  code 
prussien,  publié  en  4794,  el  qui  régit  encore  le  pays,  à  l'ex- 
ception des  provinces  occidentales,  dans  lesquelles,  à  quel- 
ques modifications  près,  on  a  conservé  le  code  français.  Le 
code  prussien  consacre  le  système  de  la  féodalité ,  qui  règne 
surtout  dans  les  campagnes;  mais  il  en  interdit  les  abus,  il 
en  allège  le  fardeau  ;  en  un  mot ,  il  le  régularise ,  ce  qui  était 
beaucoup  à  l'époque  où  il  fut  promulgué ,  mais  ce  qui  n'est 
déjà  plus  en  rapport  avec  les  lumières  qui  se  sont  répandues 
en  Prusse.  L'administration  judiciaire  se  partage,  en  trois 
degiés  :  le  premier  consiste  en  juridictions  patrimoniales 


pour  les  paysans,  en  justice  urbaine  et  territoriale  pour  les 
bourgeoii ,  et  en  quelques  cours  de  baillages  héréditaires 
pour  les  nobles;  le  second  degré  comprend  les  cours  supé- 
rieures :  il  y  en  a  une  par  régence  ;  le  troisième  degré  ap- 
partient à  la  cour  suprême  d'appel ,  qui  siège  à  Berlin. 

Le  roi  est  assisté  dans  l'exercice  du  pouvoir  législatif  par 
un  conseil-d'élat  composé  de  quinze  membres.  Le  minis- 
tère est  divisé  en  neuf  départeniens  :  4  °  les  affaires  étran- 
gères; 2°  le  trésor  et  le  crédit  national  ;  3"  la  justice;  4°  les 
affaires  ecclésiastiques ,  la  médecine  et  l'instruction  publi- 
que ;  5»  le  commerce,  l'industrie  el  l'agriculture;  6"  l'inté- 
rieur; 7"  la  police;  8"  la  guerre;  9°  les  finances.  Chaque 
province  est  administrée  par  un  président  supérieur ,  et 
chaque  cercle  par  un  collège  de  régence  et  par  des  conseils 
composés  des  employés  supérieurs.  Sur  le  pied  de  paix , 
l'armée  est  composée  de  cent  vingl-deux  nulle  honmies  ; 
mais  en  temps  de  guerre,  la  Prusse  peut  mettre  facilement 
cinq  cent  mille  hommes  sous  les  armes.  L'armée  permanente 
se  compose  de  volontaires  qui  s'é(iuipeut  et  s'entrelieunent 
à  leurs  frais  pendant  un  an  ;  d'enrôlés  volontaires  soldés  et 
âgés  de  dix-sept  à  quarante  ans  ;  d'une  partie  de  la  jeunesse 
requise,  de  vingt  à  vingt-cinq  ans;   de  vélcrans  qui  se 
vouent  au  métier  des  armes  au-delà  du  temps  prescrit  par 
la  loi;  enfin  des  jeunes  gens  de  famille  qui  sont  nommés  of- 
ficiers après  avoir  subi  des  examens.  La  réserve  comprend 
les  corps  de  la  Landwehr,  espèce  de  milice  qui  forme  irente- 
six  régimens ,  et  qui  se  divise  en  deux  bans  :  tons  les  jeu- 
nes gens  qui  n*ont  pas  servi  pendant  cinq  années  dans  l'ar- 
mée active  font  partie  du  premier  ban  juscju'à  trente-deux 
ans  accomplis;  le  deuxième  est  formé  d'honunes  plus  âgés. 
En  temps  de  paix,  les  deux  bans  restent  dans  leurs  foyers, 
où  ils  sont  régulièrement  instruits  au  métier  des  armes.  En 
cas  de  guerre  ,  le  premier  ban  est  destiné  à  renforcer  l'ar- 
mée permanente ,  et  le  deuxième  à  former  la  garnis(»n  des 
places  fortes ,  quelquefois  même  à  compléter  aussi  les  ca- 
dres de  l'armée.  La  landwehr  se  compose  d'infanterie,  de 
cavalerie  et  d'artillerie.  Dans  les  momens  (ie  danger  inuni- 
nent,  le  roi  appelle  à  la  défense  du  pays  la  levée  en  masse 
des  hommes  de  dix-sept  à  cinquante  ans  ;  c'est  ce  que  l'on 
nomme  la  Landsturm.  Tout  citoyen  prussien  est  astreint  au 
service  militaire  depuis  vingt  jusqu'à  cinquante  ans;  mais  il 
n'est  tenu  à  un  service  régulier  que  pendant  les  cinq  pre- 
mières années  ;  il  ne  passe  même  que  trois  ans  sous  les 
drapeaux,  après  lesquels  il  est  renvoyé,  en  temps  (ie  jiaix  , 
dans  ses  foyers,  d'où  il  ne  sort  que  pour  un  service  tem- 
poraire, jusqu'à  la  cinquième  année,  après  laquelle  H  est 
inscrit  sur  les  contrôles  du  second  ban  de  la  landwehr. 
Les  provinces  sont  divisées  en  huit  circonscriptions  terri- 
toriales, qui  fournissent  chacune  au  recrutement  d'tm  corps 
d'armée.  Les  remontes  de  la  cavalerie  ne  coûtent  rien  à  l'é- 
tat :  tout  individu  qui  possède  trois  chevaux  est  tenu  d'en 
fournir  un  à  l'escadron  de  son  cercle  ou  canton.  Si  cette 
réquisition  ne  suffit  pas ,  les  autorités  locales  obligent  les 
propriétaires  fonciers  de  les  fournir,  ou  se  chargent  elles- 
mêmes  de  cette  fourniture ,  qu'elles  font  payer  ensuite  aux 
contribuables.  Les  seuls  chevaux  de  cuirassiers  sont  ache- 
tés à  l'étranger,  c'est-à-dire  dans  le  Holstein  el  le  Mecklen- 
bourg.  L'avancement  dans  l'armée  n'a  lieu  ([ue  par  rang 
d'ancienneté.  Bien  que  la  discipline  avilissante  instituée  par 
Frédéric-Guillaume  ait  été  abolie  en  4818,  on  infligeait 
encore  en 4832  la  punition  humiliante  des  laites;  aujour- 
d'hui celle-ci  n'existe  plus  ;  les  autres  sont  la  prison ,  k;s 
arrêts  et  la  corvée.  Le  contingent  que  la  Prusse  fournit  à  la 
confédération  germanique  est  de  cent  mille  hommes. 

Puissance  entièrement  militaire,  la  Prusse  esl,  après  la 
France,  celle  qui  possède  le  plus  grand  nombre  de  places 
de  guerre.  Les  armes  royales  sont  une  aigle  noire  cou- 
ronnée,  portant  le  chiffre  F.  R.  sur  la  poitrine.  Le  pavillon 
prussien  est  noir  et  blanc,  de  manière  que  deux  bandes  noi- 
res sont  séparées  par  une  îjande  blanche.  Le  pavillon  royal 
esl  blanc,  avec  l'aigle  royale  au  milieu ,  et  sur  la  parlie  gau- 
che du  haut ,  est  une  croix  de  fer. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


87 


Le  roi  de  Prusse  n'a  point  de  liste  civile;  l'état  lui  fait 
une  dotation.  Ce  souverain ,  le  plus  puissant  de  l'Allema- 
gne après  celui  de  l'Autriche,  se  plaît  à  éviter  l'éclat  qui 
entoure  la  plupart  des  têtes  couronnées.  Cette  simplicité  n'a 
point  sa  source  dans  une  avare  parcimonie,  mais  dans  une 


de  long ,  et  le  papier  en  est  aussi  blanc  et  beaucoup  plus 
uni  que  le  nôtre.  Au  lieu  de  colle,  on  y  passe  de  l'alun ,  ce 
qui,  non-seulement  l'empêche  de  boire,  mais  encore  le  renil 
quelquefois  si  éclatant  qu'il  paraît  argenté  ou  co\ivert  de 
vernis.  Il  est  extrêmement  doux  sous  la  plume  et  plus 


sage  économie ,  et  dans  le  caractère  du  prince ,  ennemi  du  encore  sous  le  pinceau ,  qui  demande  un  fond  uni  ;  car,  dès 
faste  et  de  la  représentation.  Le  roi  dîne  à  une  heure,  comme  qu'il  est  raboteux ,  comme  notre  papier,  les  filets  se  sépa- 
le simple  citoyen  ,  et  tout  excès  co!  'vmni  de  sa  table  et  de  rent  et  les  lettres  ne  sont  jamais  bien  terminées.  En  général 
la  cour.  Lorsqu'il  sort ,  rien  ne  distingue  sa  voiture  de  celle  le  papier  de  Chine  est  de  peu  de  durée  ;  il  se  coupe  lacile- 


d'un  particulier;  elle  est  attelée  de  deux  chevaux  seulement. 
Lui-même  est  ordinairement  habillé  d'une  simple  redin- 
gotte,  sans  aucune  marque  de  sa  haute  dignité,  et  il  tra- 
verse le  plus  souvent  les  rues  de  Berlin  sans  se  faire  remar- 
quer :  son  exemple  est  suivi  par  les  princes  de  sa  maison , 
(jui,  en  général,  se  distinguent  très  peu,  quant  à  l'extérieur, 
des  riches  particuliers.  Tout  le  personnel  attaché  aux  princes 
du  sang  mariés  se  réduit  à  trois  dames  pour  une  princesse, 
et  à  trois  grands  officiers  pour  un  prince  ;  mais  celte  écono- 


ment  ;  l'humidité  et  la  poussière  s'y  attachent,  et  parce.qu'il 
est  d'écorce  d'arbre,  les  vers  s'y  mettent  infailliblemeni , 
si  l'on  n'a  soin  de  battre  souvent  les  livres  et  de  les  exposer 
au  soleil.  Ainsi ,  on  ne  peut  à  la  Chine  conserver  que 
rarement  de  vieux  manuscrits,  et  l'on  renouvelle  conti- 
nuellement les  bibliolhè(jues ,  qui  ne  sont  anciennes  que 
parce  que  ce  sont  des  copies  fidèles  des  anciens  originaux. 
Cependant  il  existe  en  France  beaucoup  de  manuscrits 
orientaux  écrits  sur  des  feuilles  de  deux  {)it'ds  de  long  envi 


mie  dans  les  équipages,  dans  le  service  domestique,  dans  ;  ron  sur  deux  ou  trois'  pouces  de  large,  qui  ont  très-bien 
la  table,  n'exclut  pas  la  bienfaisance  :  jamais  l'infortune  ne    résisté  aux  injures  du  temps. 


•s'adresse  vainement  à  la  munificence  de  la  famille  rovale  ; 
le  roi  l'exerce  surtout  pour  l'embellissement  ,de  la  capitale. 

Les  fêtes  de  la  cour  ne  sont  ni  nombreuses  ni  brillantes  ; 
elles  se  bornent  ordinairement  à  quelques  bals  donnés  par 
le  roi  et  les  princes  ;  mais  dans  les  occasions  extraordinai- 
res ,  on  a  vu  la  cour  de  Prusse  déployer  une  pompe  vrai- 
ment royale  :  telles  furent  les  cérémonies  qui  eurent  lieu 
lors  du  mariage  de  la  princesse  Charlotte  avec  le  grand-duc 
Nicolas ,  aujourd'hui  empereur  de  Rus.sie. 

Dans  des  occasions  solennelles ,  à  l'arrivée  de  quelque 
prince  étranger,  aux  fêles  publiques ,  il  y  a  réunion  géné- 
rale à  la  cour.  Ces  cercles  n'ont  jamais  lieu  à  la  demeure 
du  roi ,  dite  le  palais ,  mais  au  château.  Tous  les  employés 
de  l'administration  el  de  l'armoe,  depuis  le  simple  réfé 


Aujourd'hui  les  Persans  fabriquent  des  papiers  de  diver- 
ses couleurs ,  du  blanc ,  du  jaune ,  du  rose  ;  ils  en  ont  aussi 
de  doré  et  d'argenté.  Quand  on  adresse  une  lettre  très-res- 
pectueuse à  un  haut  personnage ,  par  exemple  à  un  monar- 
que ,  on  se  sert  de  papier  blanc  orné  de  fleurs  d'or.  La 
feuille  est  plus  grande  ou  plus  petite  selon  le  rang  des  per- 
sonnes auxquelles  on  écrit.  Les  lettres  du  shah  de  Perse 
à  Louis  XIV  avaient  trois  pieds  de  longueur.  En  Tuniiiie, 
le  papier  est  plus  grand,  et  les  écrits  adressés  par  le  sultan 
ou  le  grand-visir  au  roi  de  France  étaient  ([uehiuefois  de 
sept  pieds.  La  grandeur  de  la  lettre  ,  adressée  à  un  prince 
quelconque ,  diffère  selon  le  besoin  plus  ou  moins  grand 
qu'on  a  de  lui.  Les  sultans  lartares  de  la  lace  de  Gcn- 
giskhan,  qui  dans  le  xiir  siècle  possédaient  la  Perse  et  uju 


lendair-e  elle  lientenant,  peuvent  s'y  montrer  sans  être  in-  partie  de  l'Asie  Mineure,  écrivaient  d'abord  des  lettres  de 
vités ,  el  le  roi  aime  à  les  y  voir  afiluer.  Les  dames.doivent  deux  pieJs  aux  souverains  de  l'Europe  ;  plus  tard,  l'amitié 
être  présentées ,  mais  sans  avoir  besoin  de  faire  preuve  de  ;  des  princes  chrétien^  leur  devenant  plus  nécessaire,  les  di- 
noblesse.  Il  y  a,  en  général,  peu  de  cérémonie,  et  l'an-  ;  mensiùns  de  leurs  lettres  grandi;  eut  el  allèrent  jusqu'à  neuf 
cienne  étiquette  est  eniièicuient  toiubée  en  désuétude;  elle  ;  pieds.  Telles  sont  les  deux  letlies  du  sultan  mongol  do 
ne  s'est  conservée  dans  toute  sa  rigueur  que  i)Our  les  ma-  ,  Perse  adressées  à  Piiilippe-le-Bel,  qui  sont  conservées  dans 
riages  des  princes  et  princesses  de  la  famille  royale.  j  les  archives  du  royaume,  et  que  M.  Abél  Remusat  a  pu- 

Si  nous  considérons  (pie  l'ensemble  des  provinces  sou-  '  bliéeset  commentées.  Tamerlau,  voulant  honorer  le  sultan 
mises  à  cette  puissance  présente ,  de  l'orient  à  l'occident ,  i  d'Egypte  d'une  manière  particulière ,  lui  adressa  une  lettre 
deiiuis  les  bords  du  Niémen  jusqu'aux  rives  de  la  Sarre  , 
tme  étendue  de  près  de  trois  cents  lieues;  que  du  midi  au 
nord,  sa  plus  grande  largeur  est  d'environ  cent  trente 
lieues  ;  que,  dans  sa  largeur  moyenne ,  elle  n'en  a  pas  qua- 
rante; que  plusieurs  princes  étrangers  po.ssèdenl  des  terri 


de  soixante-dix  coudées  de  longueur, 

Quand  les  Perses  écrivent,  ils  coupent  un  coin  du  papier 


de  sorte  que  la  feuille  ne  forme  pas  un  carié  régulier;  c'est , 

disent-ils,   pour   indiquer  que  rien  sous   le  soleil  n'est 

parfait,  et  que  celle  qualité  ne  se  trouve  que  dans  Dieu.  Les 

toires  plus  ou  moins  considérables  enclavés  dans  ses  Etats  ;    formules  de  politesse  qu'ils  emptoient  dans  leurs  lettres  sont 

qu'elle-même  a  plusieurs  possessions  au  milieu  d'autres  ter-    u-ès  nombreuses.  Il  faut  principalement  remarquer  q:ie  ie 

nom  du  supérieur  précède  toujours  celui  de  l'inférieur. 


quelle-même  a  plusieurs  possession 
res  étrangères  ,  nous  ne  craindrons  pas  de  dire  un  terri- 
toire si  démesurément  alongé,  si  irrégulièrement  découpé; 
des  terres  éparses,  si  inégalement  réparties  relativement  à 
l'influence  que ,  d'après  la  civilisation  moderne ,  la  métro 


Cette  coutume  est  très  ancienne.  La  lettre  que  Mahomet 
envoya  au  roi  de  Perse  commençait  par  ces  mots  :  Maho- 
met, fils  d'Abdallah,  apôtre  de  Die.u.à  Khosroës,  roi  de 


pôle  doit  exercer  au  sein  d'un  empire;  enfin  une  super-  1  Perse».  Ce  manqne  de  respect  mit  le  roi  dans  une  si  forte 
licie  aussi  considérable  que  la  sienne ,  puisqu'elle  s'élève  à  '  colère,  qu'il  déchira  la  lettre  sans  l'avoir  lue.  La  même  chose 


treize  mille  neuf  cent  trente-six  lieuis  carrées ,  sont  plutôt 
des  élémens  de  faiblesse  que  de  puissance. 


PAPIER  DES  ORIENTAUX. 


Le  papier  de  la  Chine  paraît  si  fin  qu'on  s'est  imaginé 
en  France  qu'il  était  de  soie  ou  de  coton  ;  mais  cette  opinion 
est  fausse.  Tout  le  papier  chinois  se  fait  d'écorce  de  bam- 
bou ;  c'est  une  espèce  d'arbre  plus  uni,  plus  gros,  plus 
droit  et  plus  fort  que  le  sureau.  On  rejette  la  première  en- 
veloppe, qui  est  trop  épaisse  el  trop  dure;  celle  de  des.sous, 
plus  blanche  et  plus  molle,  broyée  avec  de  l'eau  claire, 
sert  de  matière  au  papier,  qu'on  fabrique  comme  nous  le  fai- 
sons avec  des  formes  au.ssi  longues  el  aussi  larges  qu'on  \  l'or,  et  à  l'autre  la  couleur  bleue. 
le  désire.  Il  y  a  des  feuilles  de  dix  et  de  douze  pieds  ' 


eut  lieu  deux  cents  ans  plus  tard.  Un  empereur  de  Constan- 
tinople  écrivant  à  Mamoun,  fils  d'Haroun  al  Raschild,  ayant 
placé  son  propre  nom  le  premier,  le  khalife  en  fut  vivement 
offensé. 

Si  l'on  veut  honorer  quelqu'un  d'une  manière  particu- 
lière, on  écrit  son  nom  et  ses  titres  en  lettres  d'or  ou  au 
moins  en  couleur.  Quelquefois  on  déplace  les  noms  et  on  les 
met  sur  la  marge  ou  en  tête  de  l'écrit,  pour  indiquer  que 
la  lettre  même  n'est  pas  digne  de  les  coiitenir.  Si  l'on  veut 
distinguer  plusieurs  noms  ou  litres,  ondonne  à  chacun  d'eux 
une  couleur  particulière;  quand  on  parle  de  dieu ,  d'im  saint 
ou  d'un  prince  souverain,  on  écrit  le  nom  de  dieu  en  or, 
celui  du  saint  en  bleu ,  et  celui  du  prince  en  rouge.  Ne 
parle-t-on  que  d'un  saint  et  d'uu  roi ,  on  donne  au  premier 


88 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


LA  VIA-MALA. 


On  appelle  Via-iJala  ou  défilé  des  Boffles,  un  chemin, 
situé  en  Suisse  dans  le  canton  des  Grisons ,  et  qui  mène  de 
Tusis  à  la  vallée  de  Schains.  Celle  gorge  effrayante,  qui 
s'étend  entre  les  monts  Béverin  et  Miitlerliorn,  surpasse 
tout  ce  qu'on  peut  voir  de  plus  extraordinaire  dans  cet  ad- 
mirable pays ,  tant  par  la  coupe  hardie  des  rochers  et  leur 
élévation  perpendiculaire ,  que  par  la  manière  bizarre  dont 
îls  sont  entassés.  Une  végétation  sauvage  ajoute  encore  à 
l'effet  de  celle  nature  imposante.  Des  sapins ,  d'une  taille 
gigantesque ,  descendent  le  long  des  parois  les  moins  rapi- 
des des  montagnes ,  couronnent  tes  sommités  de  la  gorge , 
o;i  croissent  isolés  au  milieu  d'énormes  blocs  de  granit  cou- 
verts d'une  mousse  épaisse.  On  ne  peut  se  défendre  d'une 
vive  émotion  en  s'enfonçant  parmi  ces  ruines  croulantes 
des  Alpes  ,  surtout  quand  on  côtoyé  les  effrayans  abîmes 
qui  bordent  la  route ,  et  qui ,  en  certains  endroits ,  n'ont 
pas  moins  de  trois  ou  quatre  cents  pieds  de  profondeur; 
n»ais  la  frayeur  involontaire ,  (lu'on  éprouve  d'abord ,  ne 
larde  pas  à  faire  place  à  l'admiration  produite  par  ce  site 
pitlores(iue.  D'ailleurs  le  danger  est  plus  apparent  que  réel  : 
la  route  est  assez  bien  entretenue ,  et  l'Iiabileté  des  ingé- 
nieurs l'a  prémunie  contre  toute  espèce  d'accidens.  Eu  été 
surtout,  on  n'a  aucun  péril  à  redouter,  et  ce  n'est  guère 
qu'en  hiver  et  au  printemps,  lorsqu'il  y  a  beaucoup  de 
ne-ge ,  qu'on  y  est  exposé  aux  avalanches. 

Le  Rhin ,  torrent  déjà  large  et  impétueux  ^  occupe  le 
fond  des  précipices ,  forcé  d'engouffrer  ses  eaux  dans  une 


crevasse  ou ,  pour  parler  plus  exactement ,  dans  une  fissure, 
qui  divise  ces  prodigieux  rochers.  Le  lit  de  ce  fleuve  y  est 
extrêmement  resserré ,  et  du  haut  du  chemin ,  c'est  à  peine 
si  on  le  distingue  à  la  blancheur  de  son  écume,  sans  pou- 
voir entendre  le  fracas  de  ses  ondes.  Des  troncs  d'arbres 
brisés ,  des  quartiers  de  rocs  ont  roulé  dans  cet  étroit  abîme, 
et  sont  restés  suspendus  au-dessus  des  eaux.  De  nouveaux 
débris ,  successivement  accumulés ,  formeront  à  la  longue 
une  voûte  naturelle,  sous  laquelle  le  Rhin  disparaîtra 
tout-à-fait,  et,  l'on  viendra  un  jour  contempler  en  cet 
endroit  un  phénomène  bien  plus  remarquable  que  la  perle 
du  Rhône. 

On  traverse  le  Rhin  sur  trois  ponts.  Pour  les  construire , 
il  a  fallu ,  du  haut  des  parois  du  défilé,  descendre  avec  des 
cordes ,  des  sapins  hauts  comme  des  mAts  de  vaisseau , 
dont  on  fixait  l'un  des  bouts  à  une  rive,  avant  d'établir 
l'autre  sur  la  rive  opposée  ;  ces  ouvrages  sont  d'une  har- 
diesse vraiment  merveilleuse  ;  on  les  dirait  posés  là  tout 
exprès  pour  concourir  à  l'effet  sublime  du  paysage.  L'un 
des  ponts ,  formé  d'une  seule  arche ,  a  quarante  pieds  de 
longueur,  et  s'élève  de  cent  cinquante  mètres  au-dessus  du 
fleuve.  A  quelque  distance  de  là ,  le  Rhin  forme  une  cluile, 
où  briile  de  mille  couleurs  un  iris  magnifique ,  lorsque  le 
soleil  donne  dans  la  gorge.  Bientôt  on  arrive  dans  la  riante 
et  gracieuse  vallée  de  Schams ,  dont  les  sites  enchanteurs 
présentent  le  plus  séduisant  contraste  avec  les  horreurs  de 
la  Via-Mala, 


VI) 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


ÏAITI. 


(  Cession  du  district  de  Matavai  aux  missionnaires  anglais.  ) 


§  I*'.  —  ÉTAT  DES  TAÏTIENS  AVANT  L'ARRIVÉE  DES 
MISSIONNAIRES. 

Il  est  peu  de  lieux  qui  aient  aiUaiit  excité  radmiralioii 
des  voyaijeurs  que  l'île  de  Taïti.  La  beauté  de  son  aspect, 
la  richesse  et  la  fertilité  de  son  sol,  qui  ne  demande  pres- 
que aucune  eullure,  la  douceur  de  son  climat,  l'hospitalité 
et  les  mœurs  pacifiques  de  ses  habitans,  en  ont  fait  un  lieu 
de  délices  pour  les  navigateurs  qui  ont  relâché  dans  cette 
île.  Placée  au  milieu  de  la  mer  du  Sud,  loin  de  toutes  les 
grandes  terres ,  elle  est,  grâce  à  l'Océan  qni  la  baigne  et 
l'cilliédit,  exempte  des  chaleurs  extrêmes,  auxquelles  sa 
position  voisine  de  l'équateur  semblerait  devoir  la  sou- 
mettre. 

Il  n'y  a  peut-être  pas  dans  le  monde  entier  de  canton  d'un 
aspect  [)lus  riche  que  la  partie  sud-est  de  Taïti.  Les  collines 
y  sont  élevées ,  d'une  pente  raide,  et  escarpées  en  bien  des 
endroits  ;  mais  des  arbres  et  des  arbrisseaux  les  couvrent 
tellement  jusqu'au  sommet,  qu'en  les  voyant  on  a  bien  de 
la  peine  à  ne  pas  attribuer  aux  rochers  le  don  de  produire  et 
d'entretenir  cette  charmante  verdtu'e.Les  plaines  qui  bordent 
les  collines  vers  la  mer,  les  vallées  adjacentes,  offrent  une  mul- 
titude de  productions  d'une  force  extraordinaire;  et  à  la  vue 
de  ces  richesses  tlu  sol ,  le  spectateur  est  convaincu  qu'il  n'y 
a  pas  sur  le  globe  de  terrain  d'une  végétation  plus  vigou- 
reuse et  plus  belle.  La  nature  y  a  répandu  des  eaux  avec  la 
même  profusion;  on  trouve  des  ruisseaux  dans  chaque  vallée; 
ces  ruisseaux,  à  mesure  qu'ils  s'approchent  de  l'Océan,  se 
divisent  souvent  en  deux  ou  trois  branches.qui  fertilisent  les 
plaines  sur  leur  passage. 

Visitée  successivement  par  plusieurs  navigateurs  célè- 
bres, Wallis,  Bougainville  ,  Cook  ,  Vancouver,  Taïti  prit 
une  place  importante  dans  les  relations  qu'ils  publièrent  de 
leurs  voyages ,  et  attira  enfin  l'attention  de  la  société  des 
missions  anglaises ,  qui  y  envoya ,  en  4796 ,  trente  de  ses 
membres ,  dont  quelques-uns  étaient  accompagnés  de  leurs 
femmes  et  de  leurs  enfans.  L'expédition  aborda,  au  mois  de 
piars  1797,  dans  la  baie  de  Matavai,  à  Taïti,  et  après  s'être 
Tome  II.  —  Décembre  i834 


concilié  les  esprits  des  habitans  de  celte  île  par  des  présens, 
obtint  du  chef  Poniane  la  cession  du  district  de  Mata  rai. 

Avant  d'exposer  à  nos  lecteurs  les  résultats  obtenus  pw  les 
missionnaires  anglais,  nous  croyons  devoir  leur  dire  quelles 
étaient  auparavant  les  mœurs  et  les  coutumes  des  Taïliens, 
en  citant  ici  quelques  extraits  des  récitsdes  navigateurs  que 
nous  avons  nommés  plus  haut.  ^ 

Les  Taïliens ,  estimant  les  avantages  extérieurs ,  recou- 
rent à  plusieurs  moyens  pour  les  augmenter  :  ils  sont  accou- 
tumés, surtout  parmi  les  chefs  d'un  certain  rang,  qui  restent 
célibataires ,  à  se  soumettre  à  ime  opération  médicinale , 
afin  de  blanchir  leur  peau  :  pour  cela  ils  passent  un  mois 
ou  deux  sans  sortir  de  leurs  maisons  ;  durant  cet  intervalle 
ils  portent  une  quantité  considérable  d'étoffes,  et  ils  ne  man- 
gent que  du  fruit  à  pain ,  auquel  ils  attribuent  la  propriété 
de  blanchir  le  corps.  Ils  semblent  croire  aussi  que  leur  em- 
bonpoint et  la  couleur  de  leur  peau" dépendent  d'ailleurs 
des  diverses  nourritures  qu'ils  prennent  habituellement;  le 
changement  des  saisons  les  oblige  en  effet  à  changer  leur 
régime  selon  les  différentes  époques  de  l'année. 

Leur  conduite,  dans  presque  toutes  les  pccasions,  annonce 
de  la  franchise  et  un  caractère  généreux.  Néanmoins  les 
Taïliens  sont  quelquefois  cruels  envers  leurs  ennemis;  ils  les 
tourmentent  de  propos  délibéré  ,  ils  leur  enlèvent  de  petits 
morceaux  de  chair  en  différentes  parties  du  corps ,  ils  leur 
arrachent  les  yeux,  ils  leur  coupent  le  nez,  et  enfin  ils  les 
tuent  et  ils  leur  ouvrent  le  ventre  :  mais  ces  cruautés  n'ont 
lieu  qu'en  certaines  circonstances.  Si  la  gaieté  est  l'indice 
d'une  ame  pure,  on  doit  supposer  que  leur  vie  est  rarement 
souillée  par  des  crimes  ;  «  je  crois,  dit  Cook,  qu'il  faut  plutôt 
attribuer  cette  disposition  à  la  joie,  à  leurs  sensations,  qui 
malgi  é  leur  vivacité ,  ne  paraissent  jamais  durables  ;  car 
lors(iu'il  leur  survenait  des  malheurs,  je  ne  les  ai  jamais 
vus  affectés  d'une  manière  pénible  après  les  premiers  momens 
de  crise.  Le  chagrin  ne  sillonne  point  leur  front  ;  l'appro- 
che même  de  la  mort  ne  semble  pas  altérer  leur  bonheur. 
J'ai  observé  des  malades  près  de  rendre  le  dernier  soupir  ou 
des  guerriers  qui  se  préparaient  au  combat ,  et  je  n'ai  pa» 

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90 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


remarqué  que  la  mélancolie  ou  des  réflexions  tristes  répan- 
«lissent  des  nuages  sur  leur  physionomie. 

«  Les  Taltiens  sont  loin  d'être  sévères  dans  leurs  mœurs. 
Ils  ne  s'occupent  que  des  choses  propres  à  leur  donner 
du  plaisir  et  de  la  joie.  Ils  aiment  passionnément  à  chanter, 
et  le  plaisir  est  aussi  l'objet  de  leurs  chansons.  Ils  se  plai- 
sent à  célébrer  leurs  triomphes  à  la  guerre ,  leurs  travaux 
durant  la  paix,  leurs  voyages  sur  les  terres  voisines,  et  les 
aventures  dont  ils  ont  été  les  témoins  j  les  beautés  de  leur 
Ile,  et  ses  avantages  sur  les  pays  des  environs,  ou  ceux  de 
quelques  cantons  de  Taïli  sur  des  districts  moins  favorisés. 
La  musique  a  pour  eux  beaucoup  de  charmes  ;  et  quoiqu'ils 
montrassent  une  sorte  de  dégoût  pour  nos  compositions  sa- 
vantes ,  les  sons  mélodieux  que  produisait  chacun  de  nos 
instrumens  en  particulier,  approchant  davantage  de  la  sim- 
plicité des  leurs ,  les  ravissaient  toujours  de  plaisir. 

«  Les  cochons ,  les  chiens  et  les  rats  étaient ,  dit-on ,  les 
seuls  quatirupèdes  existans  dans  l'Ile  avant  l'arrivée  des  Eu- 
ropéens. La  chair  de  ces  cochons  n'a  rien  de  celte  saveur 
fade  qui  fait  qu'on  s'en  dégoûte  si  tôt  en  Europe,  et  rap- 
pelle jusqu'à  un  certain  point  le  goût  de  celle  du  veau.  Ces 
animaux  appartiennent  presque  tous  aux  chefs,  dont  ils  font 
une  des  principales  richesses. 

«  Quand  la  classe  inférieure  fait  usage  d'une  nourriture 
animale,  ce  ne  sont  jamais  que  des  poissons  ou  d'autres 
productions  marines  ;  il  est  rare  qu'elle  mange  du  cochon , 
si  même  cela  lui  arrive  quelquefois.  Le  roi  seul  est  as- 
sez riche  pour  avoir  du  porc  tous  les  jours ,  et  les  chefs 
subalternes  ne  peuvent  guère  en  tuer  qu'une  fois  par  se- 
maine ,  par  quinzaine  et  par  mois ,  selon  leur  fortune.  Il  y 
a  même  des  temps  où  ils  sont  obligés  de  se  passer  de  celte 
friandise  ;  car,  lorsque  la  guerre  ou  d'autres  causes  ont  ap- 
pauvri l'île ,  le  roi  défend  à  ses  sujets  de  tuer  ces  animaux  ; 
et  on  nous  a  dit  qu'en  certaines  occasions  la  défense  subsis- 
tait plusieurs  mois,  et  même  une  année  ou  deux.  Les 
porcs  se  mulliplient  tellement  durant  cette  prohibition  qu'on 
les  a  vus  abandonner  l'état  de  domesticité  et  devenir  sau- 
vages. Lorsqa'il  paraît  convenable  de  lever  la  défense ,  tous 
les  chefs  se  rendent  auprès  du  roi,  et  chacun  d'eux  lui  ap- 
porte des  cochons.  Le  roi  ordonne  d'en  tuer  quelques-uns 
qu'on  sert  aux  chefs ,  et  ceux-ci  s'en  retournent  avec  la  li- 
berté d'en  tuer  désormais  pour  leur  table. 

«  L'ava  est  surtout^n  usage  parmi  les  insulaires  d'un  rang 
distingué;  ils  versent  une  très  petite  quantité  d'eau  sur  la 
racine;  et  quelquefois  ils  grillent  les  tiges  ou  les  cuisent  au 
four  et  les  broient  sans  les  hacher.  Ils  emploient  aussi 
les  feuilles  broyées  de  la  plante  et  y  versent  de  l'eau 
comme  sur  la  racine.  Elle  ne  tarde  pas  à  enivrer,  ou  plutôt 
à  donner  de  la  stupeur  à  toutes  les  facultés  du  corps  et  de 
l'esprit  :  ceux  d'entre  nous  qui  avaient  abordé  autrefois  sur 
ces  îles  furent  surpris  de  voir  la  maigreur  affreuse  d'un 
grand  nombre  d'insulaires  que  nous  avions  laissés  d'un  em- 
bonpoint et  d'un  grosseur  remarquables;  nous  demandâmes 
la  cause  de  ce  changement ,  et  on  nous  répondit  qu'il  fallait 
l'attribuer  à  l'ava  ;  la  peau  de  ces  ïaïliens  était  desséchée  et 
couverte  d'écaillés  ;  on  nous  assura  que  ces  écailles  tombaient 
de  temps  en  temps  et  que  la  peau  se  renouvellait.  Pour  jus- 
tifier l'usage  d'une  liqueur  si  pernicieuse,  ils  prétendent 
qu'elle  empêche  de  devenir  trop  gras  ;  mais  il  est  évident 
qu'elle  les  énerve,  et  il  est  très  probable  qu'elle  abrège  leurs 
jours. 

a  Ils  font  beaucoup  de  repas  dans  un  jour.  Les  femmes 
éprouvent  non  seulement  la  mortilication  de  manger  seules, 
et  dans  une  partie  de  la  maison  éloignée  de  celle  où  sont 
les  hommes ,  mais,  ce  qui  est  bien  plus  étrange  encore , 
on  ne  leur  donne  aucune  portion  des  mets  délicats  ;  elles 
n'osent  goûter  ni  d'un  poisson  de  l'espèce  du  thon,  qui  est 
fort  estimé ,  ni  de  quelques  unes  des  meilleures  bananes,  et 
on  leur  permet  rarement  le  porc,  même  à  celles  des  classes 
supérieures.  Les  petites  filles  et  les  petits  garçons  prennent 
aussi  leurs  repas  séparément.  En  général ,  les  fcnmies  ap- 
prêtent les  choses  dont  elles  se  nourrissent;  car  les  hommes 


les  laisseraient  mourir  de  faim  plutôt  que  de  leur  rendre  ce 
service. 

«  Le  système  religieux  des  Taïtiens  ne  ressemble  à  aucun 
de  ceux  des  autres  peuples  sauvages  ;  il  y  a  peu  d'indi- 
vidus du  bas  peuple  qui  le  connaissent  parfaitement  :  cette 
connaissance  se  trouve  concentrée  parmi  les  prêtres  dont 
la  classe  est  très  nombreuse.  Ils  croient  qu'il  y  a  plusieurs 
dieux,  dont  chacun  est  très  puissant  ;  mais  ils  ne  paraissent 
pas  admettre  une  divinité  supérieure  aux  autres.  Si  le  dieu 
qu'ils  ont  choisi  ne  satisfait  pas  leurs  espérances ,  ils  ne  pen- 
sent pas  qu'il  soit  impie  d'en  changer.  Pour  eux,  toute  la 
nature  est  animée.  Les  montagnes,  les  fleuves,  sont  peuplés 
d'esprits  auxquels  ils  attribuent  une  giande  puissance.  » 

«Les  habitans  de  celle  île, dit  Wallis,  sont  grands,  bien 
faits,  agiles  et  d'une  figure  agréable  :  la  taille  des  hommes  est 
en  général  de  cinq  pieds  sept  à  dix  pouces,  et  il  y  en  a  peu 
qui  soient  plus  petits  ou  d'une  taille  plus  haute.  Celle  des 
femmes  est  de  cinq  pieds  six  pouces  ;  le  teint  des  honnnes 
est  basané ,  et  ceux  qui  vont  sur  l'eau  l'ont  beaucoup  plus 
bronzé  que  ceux  qui  vivent  toujours  à  (erre  ;  leurs  cheveux 
sont  ordinairement  noirs ,  mais  quelquefois  bruns,  rouges 
ou  blancs,  ce  qui  est  digne  de  remarque,  parce  que  les 
cheveux  de  tous  les  naturels  d'Asie ,  d'Afrique  et  d'Amé- 
rique, sont  noirs  sans  exception.  Ils  les  nouent  parfois  en  une 
touffe  sur  le  milieu  de  la  tête,  ou  en  deux  touffes ,  une  de 
chaque  côté  ;  la  plupart  pourtant  les  laissent  flottans,  ou  les 
bouclent  avec  beaucoup  de  grâce. 

«  C'est  un  usage  universel  parmi  eux  de  s'oindre  la  tête 
aTec  de  l'huile  de  coco,  dans  laquelle  ils  infusent  la  poudre 
d'une  racine  qui  a  nne  odeur  approchant  de  celle  de  la 
rose.  Toutes  les  femmes  sont  jolies ,  et  quelques-unes  d'une 
très  grande  beauté. 

«  L'habillement  des  hommes  et  des  femmes  est  de  bonne 
grâce ,  et  leur  sied  bien  ;  il  est  fait  d'une  espèce  d'étoffe 
blanche  que  leur  fournit  l'écorce  d'un  arbuste  et  qui  res- 
semble beaucoup  au  gros  papier  deJa  Chine.  Deux  pièces 
de  cette  étoffe  forment  leur  vêlement  :  l'une  qui  a  un  trou 
au  milieu  pour  y  passer  la  tête ,  pend  depuis  les  épaules 
jusqu'à  mi-jambe  devant  et  derrière;  l'autre  a  quatre  ou  cinq 
verges  de  longueur  et  à  peu  près  une  de  largeur  ;  ils  l'enve- 
loppent autour  de  leur  corp  sans  la  serrer;  celte  étoffe  n'est 
point  tissée  ;  elle  est  fabriquée  comme  le  papier ,  avec  les 
fibres  ligneuses  d'une  écorce  intérieure  qu'on  a  mises  en  ma- 
cération et  qu'on  a  ensuite  étendues  et  battues  les  unes  sur 
les  autres.  Les  plumes,  les  fleurs,  les  coquillages  et  les  perles, 
font  partie  de  leurs  ornemens  et  de  leur  parure  ;  ce  sont  les 
femmes  surtout  qui  portent  les  perles.  » 


PARIS.  —  L'HOTEL  DE  SAINT-PAUL 

L'hôlel  de  Saint-Paul ,  dont  il  est  si  souvent  parlé  dans 
notre  histoire,  occupait,  avec  ses  jardins,  tout  le  terrain 
compris  entre  la  rue  Saint- Antoine  et  la  Seine,  depuis  la 
paroisse  St.-Paul  jusqu'aux  fossés  de  l'Arsenal  et  de  la  Bas- 
tille. Ce  fut  le  dauphin  Charles,  régent  de  France ,  qui, 
pendant  la  caplivilé  du  roi  Jean  en  Angleterre,  acheta 
plusieurs  hôtels,  maisons  et  jardins,  et  en  composa  un 
ensemble  qui  fut  appelé  Hôtel  ch  Saint-Paul,  du  nom  de 
l'église  voisine.  Le  prix  de  ces  diverses  acquisitions  fut 
acquitté  par  les  Parisiens ,  sur  lesquels  ce  prince  établit  une 
taille  particulière.  En  i5(i4,  Charles,  devenu  roi,  déclara 
cet  hôtel  réuni  au  domaine  de  la  couronne ,  et  le  désigna , 
dans  son  édit,  sous  le  titre  d'hôtel  solennel  des  grands 
esbattemens.  Bientôt  après ,  il  l'aggrandit  des  hôtels  de 
Sens,  de  Saint-Maur  et  du  Puteymuce. 

Le  roi  logeait  dans  la  partie  des  bàlimens  qui  avait  été 
précédemment  l'hôlel  de  l'archevêque  de  Sens  :  son  appar- 
tement était  composé  d'une  ou  deux  chambres ,  d'une  anti- 
chambre, d'une  garde-robe,  d'une  chambre  de  parade, 
d'une  autre  chambre  appelée  la  chambre  où  gît  le  roi,  et 
de  la  chambre  des  nappes.  Il  y  avait  aussi  une  chîipelle . 


MaCtASîN  universel. 


î>l 


haute  et  basse ,  nne  ou  deux  galeries ,  la  grand' chambre 
du  retrait,  la  cliambrede  l'estude,  la  chambre  (/es  estuves, 
et  plusieurs  pièces  nommées  chauffe-doux ,  à  cause  des 
poêles,  qui,  pendant  l'hiver,  y  entretenaient  une  douce 
chaleur.  Les  dépendances  se  composaient  d'un  jardin ,  d'un 
parc ,  d'une  voUère ,  d'un  colombier  et  d'une  ménagerie  où 
étaient  enfermés  des  sangliers  et  des  lions. 

L'ancien  hôtel  de  Saint-Maur,  qu'on  appelait  aussi  hôtel 
de  la  Conciergerie ,  était  habité  par  le  daupliin  Charles  et 
par  Louis ,  duc  d'Orléans.  Les  apparlemens  y  étaient  aussi 
nombreux  que  dans  l'hôtel  de  Sens ,  où  logeait  le  roi.  On  y 
remarquait  une  pièce  nommée  le  retrait  où  dit  ses  heures 
Monsieur  Louis  de  France.  La  salle  de  Maithebrune  s'appe- 
lait ainsi  parce  qu'on  y  avait  peint  sur  les  murailles  les 
aventures  de  cette  héroïne  ;  de  même ,  les  peintures  de  la 
salle  de  Théséus  représentaient  les  exploits  du  héros  grec. 
Deux  chambres  seules  étaient  lambrissées  :  l'une  d'elles 
était  connue  sous  le  nom  de  chambre  verte. 

Chaque  hôtel  avait  sa  chapelle.  Charles  V  entendait  la 
messe  de  préférence  dans  celle  de  l'hôtel  du  Puteymuce,  où 
les  cérémonies  du  culte  étaient  accompagnées  par  le  son 
des  orgues. 

L'hôtel  de  Saint-Paul ,  comme  toutes  les  maisons  royales 
de  ce  temps-là ,  était  défendu  par  de  grosses  tours  :  on 
trouvait  que  ces  tours  donnaient  aux  bâtimens  un  air  de 
domination  et  de  grandeur. 

Quant  aux  jardins,  ils  n'étaient  pas  comme  ceux  de  nos 
jours,  percés  de  belles  allées,  ni  plantés  d'arbres  majes- 
tueux :  on  y  voyait  des  vignes ,  des  pommiers ,  des  poiriers 
et  autres  arbres  à  fruits ,  au  milieu  desquels  croissaient  la 
lavande ,  le  romarin  ,  les  pois  et  les  fèves. 

Nous  joindrons  à  cette  description  quelques  détails  sur 
l'intérieur  des  appartemens  :  ils  feront  connaître  à  nos  lec- 
teurs les  usages  et  l'état  des  arts  et  du  luxe  au  xiV  siècle. 

Les  poutres  et  les  solives  des  principaux  appartemens 
étaient  enrichies  de  fle(irs-de-lys  d'étain  doré.  Il  y  avait  des 
barreaux  defer  à  toutes  les  fenêtres  avec  un  treillage  de  fil 
d'archal ,  pour  empêcher  les  pigeons  de  venir  faire  leurs 
ordures  dan  s  les  chambres.  Les  vitres,  peintes  de  différentes 
couleurs  et  chargées  d'armoiries,  de  devises,  d'images  de 
saints ,  ressemblaient  assez  aux  vitraux  de  nos  anciennes 
églises.  Les  sièges  étaient  des  escabelles ,  des  formes  et  des 
bancs  :  le  roi  avait  des  chaises  à  bras ,  garnies  de  cuir  rouge 
avec  des  franges  de  soie.  Quatre  paires  de  chenets  en  fer 
ouvré,  fabriqués,  en  1367,  suivant  la  dernière  mode,  or- 
naient des  cheminées  d'une  grandeur  vraiment  extraordi- 
naire :  la  paire  la  plus  légère  pesait  quarante-deux  livres , 
et  la  plus  lourde  cent  quatre-vingt-dix-huit  livres.  Les  lits 
étaient  nommés  couches  ,  quand  ils  avaient  dix  ou  douze 
pieds  de  long  sur  autant  de  large ,  et  couchettes ,  quand  ils 
n'avaient  que  six  pieds  de  long  et  six  de  large  :  du  reste, 
il  était  nécessaire  que  les  lits  fussent  d'aussi  grande  dimen- 
sion ,  car  à  cette  époque  il  était  d'usage  en  France  de  rete- 
nir à  coucher  avec  soi  ceux  qu'on  affectionnait. 

Le  dîner  avait  lieu ,  sons  Charles  V,  à  onze  heures  ,  le 
souper  à  se'pt,  et  toute  la  cour  était  ordinairement  couchée 
à  neuf  heures  en  hiver  et  à  dix  en  été.  La  reine  ,  durant 
le  repas  ,  dit  Christine  de  Pisan ,  par  ancienne  et  raison- 
nable coutume  ,  ^iour  obvier  à  vagues  paroles  et  pensées , 
avait  un  prud'homme  au  botd  de  la  table ,  qui  sans  cesse 
disait  gestes  et  mœxirs  rf'ancttu  bon  trépassé. 

L'usage  ù' armorier  les  habits  s'introduisit  sous  ce  règne  : 
les  femmes  portaient  sur  leur  robe ,  à  droite  l'éeu  de  leur 
mari,  et  à  gauche  le  leur  :  cette  mode  dura  près  de  cent  ans. 

Charles  V  ne  résidait  pas  seulement  à  l'hôtel  de  Saint- 
Paul  :  il  logeait  alternativement  dans  plusieurs  autres 
palais  ,  tels  que  le  palais  de  la  Cité  ,  le  Louvre ,  le  château 
de  Vincennes ,  et  le  château  de  Beauté ,  où  il  mourut. 

Lorsque  l'empereur  vint  à  Paris  ,  en  1373 ,  Charles  V  le 
reçut  et  le  fêta  au  palais  de  la  Cité ,  puis  au  Louvre  :  la  reine 
lai  donna  à  dîner  à  l'hôtel  Saint-Paul ,  et  de  là  il  se  rendit 
«u  château  de  Yincennes,  d'où  il  partit  pour  l'Allemagne. 


Les  successeurs  de  Charles  V  allèrent  habiter  l'hôtel  des 
Tournelles ,  et  abandonnèrent  celui  de  Saint-Paul ,  dont 
une  partie  fut  vendue  par  François  P'  à  Jacques  de  Ge- 
nouillac,  dit  Galliot,  grand-maître  de  l'artillerie.  Le  reste 
fut  vendu  ,  en  1531,  à  diffcrens  particuliers ,  qui  commen- 
cèrent à  bâtir  et  à  percer  les  nies ,  que  nous  voyons  aujour- 
d'hui sur  ce  vaste  emplacement.  Quelques-unes  de  ces  rues 
ont  pris  les  noms  que  portaient  les  anciens  élablissemens  de 
cet  hôtel  royal.  La  rue  BeautreilUs ,  celle  de  la  Cerisaie  y 
occupaient  la  partie  des  jardins  plantée  de  cerisiers  et  de 
treilles  ;  la  rue  des  Lions  désigne  l'ancienne  ménagerie  ; 
enfin ,  à  la  place  de  l'hôtel  du  Puteymuce,  se  trouve  la  rue 
que ,  par  corruption  ,  on  a  nommée  rue  du  Petit-Musc. 

(Dans  un  prochain  numéro  nous  parlerons  d'un  éta- 
blissement fort  important  et  très-curieux  (l'établissement 
royal  des  eaux  clarifiées) ,  qui  occupe  une  partie  de  l'em- 
placement de  l'ancien  hôtel  de  Saint-Paul.  ) 


MARTIN  LUTHER. 

(Suite)  (i). 

Enfermé  près  d'un  an  dans  ce  donjon  qui  semble  dominer 
toute  l'Allemagne ,  et  qu'il  appelait  son  Pathmos ,  le  réfor- 
mateur commença  sa  traduction  de  la  bible  en  langue  vul- 
gaire, et  inonda  l'Europe  de  ses  écrits.  Ces  pamphlets 
théologiques,  aussitôt  imprimés  que  dictés,  pénétraient  dans 
les  provinces  les  plus  reculées;  on  les  lisait  le  soir  dans  les 
familles ,  et  le  prédicateur  invisible  était  entendu  de  tout 
l'empire.  Jamais  écrivain  n'avait  si  vivement  sympathisé 
avec  le  peuple.  Ses  violences ,  ses  bouffonneries ,  ses  apos- 
trophes auxpuissans  du  monde  qu'il  traitait  avec  un  magni- 
fique mépris  d'eux  et  de  Satan ,  et  à  la  cour  de  Rome ,  qu'il 
appelait /a  nouvelle  Babylone,  charmaient  l'Allemagne ,  et 
la  partie  burlesque  de  ces  drames  populaires  n'en  rendait 
l'effetque  plus  sûr.  Les  princes  applaudissaient  à  une  réforme 
faite  à  leur  profit;  d'ailleurs  Luther,  tout  en  soulevant  les 
passions ,  défendait  l'emploi  de  toute  autre  arme  que  celle 
de  la  parole  :  C'est  la  parole ,  disait-il ,  qui,  pendant  que  je 
dormais  tranquillement  et  que  je  buvais  mabièreavec  mes 
amis ,  a  tellement  ébranlé  la  papauté  q%te  jamais  empereur 
n'en  a  fait  autant.  C'est  pendant  son  séjour  à  Wartbourg 
qu'il  eût  avec  le  diable  sa  célèbre  conférence  nocturne,  qui 
se  termina  par  l'abolition  des  messes  privées  des  mohies 
mendians.  Dans  sa  retraite,  il  laissa  croître  sa  barbe  et  en 
sortit  avec  épée ,  cuirasse ,  bottes  et  éperons ,  sous  le  nom 
du  chevalier  George.  Il  était  temps  :  partout  la  confusion 
était  extrême.  Sa  seule  présence  suffit  pour  réprimer  les 
excès  de  son  disciple  Carlostadt ,  qui ,  à  la  tête  du  peuple 
ameuté ,  parcourait  les  églises  de  la  Basse-Saxe ,  brisant 
les  images  et  renversant  les  autels;  mais  les  paysans,  en 
entendant  les  savans  et  les  princes  parler  de  liberté  et  d'af- 
franchissement s'appliquèrent  ce  qu'on  ne  disait  pas  pour 
eux.  L'éternelle  haine  du  pauvre  contre  le  riche  se  ralluma, 
aveugle  et  furieuse ,  et  Luther  vit  avec  une  profonde  dou- 
leur que  sa  parole  devenait  impuissante  pour  prévenir  les 
crimes  des  nouveaiLX  sectaires.  Le  mot  de  ralliement  des 
anabaptistes,  qu'il  appelait  gens  endiablés,  perdiablés, 
transdiablés ,  était  la  nécessité  d'un  second  baptême ,  le 
but,  une  guerre  terrible  contre  toute  espèce  d'ordre  et 
contre  la  propriété.  A  Wiltemberg,  les  écoliers  brûlèrent 
leurs  livres  sous  les  yeux  même  de  Luther.  Les  paysans  de 
Thuringe  suivirent  l'enthousiaste  Muncer ,  bouleversèrent 
Mulhausen,  appelèrent  à  la  révolte  les  ouvriers  des  mines 
de  Mansfeld ,  et  massacrèrent  tous  les  gentilshommes  qu'ils 
purent  rencontrer.  Dix  ans  plus  tard  (1333),  dans  les  Pays- 
Bas  et  la  Westphalie,  les  désordres  arrivèrent  au  comble. 
Un  tailleur,  Jean  de  Leyde,  à  Munster,  en  prêchant  l'égalité 
se  fit  proclamer  roij  unissant  la  débauche  à  l'austérité, 

(i)  Voyez  page  8i. 


dâ 


MAGASIN  UNIVERSEL 


et  à  la  cruauté  le  fanatisme ,  il  prit  douze  femmes ,  tran- 
cha la  tête  à  l'une  d'elles  qui  méconnaissait  son  autorité 
spirituelle,  et  dansa  avec  les  onze  autres  autour  de  son  cada- 
vre; tous  les  princes  s'armèrent  contre  ces  forcenés  et  les 
traitèrent  comme  des  bêtes  fauves;  les  uns  périrent  sur 
l'échafaud ,  les  autres  furent  tenaillés  avec  des  instrumens 
ardens,mais  la  plaie  qu'ils  avaient  ouverte  devait  saigner 
long-temps  encore. 

Luther  tonna  en  vain  contre  les  forfaits  de  ces  fanatiques; 
il  avait  quitté  le  froc  en  1525 ,  pour  prendre  la  robe  de  doc- 
teur ,  et  sa  morale  relâchée  entraînait  des  conséquences 
désastreuses  qu'un  désaveu  ne  suffisait  plus  pour  arrêter. 
Si  les  femmes  sont  opiniâtres,  s'écriait-il  un  jour  en  chaire, 
il  est  à  propos  que  leurs  maris  leur  disent  :  Si  vous  ne 
voulez  pas ,  une  autre  le  voudra;  sila  maîtresse  refuse  de 
venir ,  que  la  servante  approche  ;  le  landgrave  de  Hesse,  du 
vivant  de  sa  première  femme ,  en  épousa  une  seconde  et 
fut  approuvé  par  le  réformateur  ;  lui-même  épousa  en  1525, 
Catherine  Boren,  religieuse  de  famille  noble,  qui,  à  la  lec- 
ture de  ses  écrits ,  s'était  échappée  du  couvent  de  Nimptsch 
avec  huit  de  ses  sœurs.  Il  en  eut  six  enfans ,  et  le  dernier 
descendant  de  cette  famille  s'est  éteint  en  1759. 

La  réforme  avait  bientôt  pris  un  caractère  politique  ;  les 
deux  opinions  avaient  produit  deux  partis,  la  ligue  catholique 
de  Ratisbonne  (1524),  et  de  Dessau  (1526),  la  ligue  des 
novateurs  de  Torgau  (1526).  Luther  se  trouva  le  chef  d'une 
confédération  qui  disposait  des  forces  d'une  partie  de 
l'Allemagne.  La  diète  de  Spire ,  en  1526,  établit  la  liberté 
de  conscience;  celle  de  1529  ayant  voulu  restreindre  cette 
liberté ,  il  en  résulta  une  protestation  solennelle  de  la  part 
de  tous  ses  partisans ,  d'où  leur  est  venu  le  nom  de  protes- 
tans ,  d'abord  particulier  aux  Luthériens ,  puis  rendu 
commun  aux  autres  sectes.  L'année  suivante  Luther  ne  put 
se  trouver  à  la  diète  d'Augsbourg ,  parce  qu'il  était  au  ban 
de  l'empire  en  vertu  du  décret  de  Worms,  mais,  de  Cobourg 
où  il  s'était  rendu ,  il  en  dirigeait  toutes  les  opérations.  Les 
protestans  y  présentèrent  leur  fameuse  confession  de  foi 
qui  en  a  pris  le  nom.  L'empereur  l'y  fit  proscrire  par  les 
députés  catholiques  qui  formaient  la  majc/rité.  De  là  la  ligue 


de  Smalkalde  entre  les  princes  luthériens.  Luther,  malgré 
ses  déclarations  antérieures,  toutes  pacifiques,  l'autorisa. 
Il  sonna  le  tocsin  contre  le  pape,  voulant  qu'on  lui  enfon- 
çât le  poignard  dans  le  sein,  et  qu'on  traitxit  tous  ses 
adhérens  comme  des  brigands.  Si  j'étais  maître  de  l'em- 
pire, écrivait-il ,  je  ferais  un  même  paqxiet  du  pape  et  des 
cardinaux ,  et  je  leur  ferais  prendre  dans  la  mer  de  7"os- 
cane  un  hain  qui  les  gtiér irait.  Comme  il  n'était  guère 
plus  traitable  avec  ceux  qui  ne  partageaient  pas  aveuglément 
ses  idées ,  les  anabaptistes  l'appelaient  nouveuu  pape ,  nou- 
vel antechrist;  s'il  y  a  deux  jjajjes ,  ajoutaient-ils  ,  c'est 
Luther  qui  est  le  plus  dur  ;  il  n'tj  a  plus  moyen  de  souffrir 
ses  emportemens.  On  répétait  qu'il  avait  la  colère  d'un 
Achille,  et  les  mouvemens  impétueux  d'\m  Hercule;  je 
ne  saurais  nier ,  avouait-il ,  que  je  ne  sois  plus  violent 
que  je  ne  devrais  l'élre;  mais,  puisqu'ils  le  savent,  ils 
n'auraient  pas  dû  lâcher  le  chien. 

Il  fit  rejeter  à  Smalkalde  toutes  les  propositions  modé- 
rées ,  et  détruisit  tout  espoir  de  rapprochement ,  en  exi- 
geant des  conditions  impossibles  à  remplir  pour  la  tenue 
d'un  concile  général;  il  n'eut  que  le  temps  de  voir  les  pre- 
mières séances  du  concile  de  Trente  contre  lequel  il  décla- 
mait lorsque  la  mort  mit  fin  à  sa  bruyante  mission,  le 
18  février  1546,  dans  le  lieu  où  il  était  né.  Il  fut  enterré 
avec  pompe  dans  l'église  du  château  de  Wittemberg;  sa 
maladie  fut  courte  ;  il  paraît  que  c'était  une  indigestion  ou 
une  apoplexie  ;  mais  il  fallait  bien  trouver  du  merveilleux 
dans  la  mort  de  cet  homme  extraordinaire  ;  ses  ennemis 
débitèrent  qu'il  s'était  pendu ,  que  le  diable  l'avait  étranglé; 
que  son  tombeau  ayant  été  ouvert  le  lendemain  de  son 
enterrement,  on  n'avait  plus  retrouvé  son  corps ,  et  qu'il  en 
était  sorti  une  odeur  de  soufre  insupportable.  Luther  mou- 
rut à  propos  pour  échapper  au  douleureux  spectacle  de  la 
ruine  momentanée  de  son  parti ,  sous  les  efforts  de  Charles- 
Quint.  Il  fut  à  la  fois  le  premier  auteur  d'une  révolution 
politique  et  religieuse  qui  enleva  aux  lois  de  Rome  la  moi- 
tié de  l'Europe  chrélienne ,  et  qui  en  dernier  résultat 
amena  l'indépendance  des  princes  allemands  à  l'égard  des 
empereurs. 


CHINE. 


(Vue  Je  la  Tour  do  porcelaine  à  Naukin. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


95 


Au  milieu  de  la  ville  de  Nankin  s'élève  une  tour  d'une 
construction  singulière  que  les  voyageurs  européens  ont 
toujours  admirée.  — Elle  est  recouverte  de  porcelaine  ;  sa 
hauteur  est  de  deux  cents  pieds  environ ,  et  elle  est  divisée 
en  neuf  étages  auxquels  on  parvient  par  un  escalier  compose 
de  cent  qualie-vingl-quatre  maiclies  d'une  granUe  dimen- 
sion. A  chaque  éiage  est  une  galerie  eniourée  d'une  colon- 
nade et  pro  égée  par  un  toit  reievé  à  la  manière  des  Chinois, 
aux  angles  duquel  sont  suspendues  des  cloches  de  bronze 
qui,  lorsque  le  vent  les  agile,  rendent  des  sons  harmoni- 
ques d'un  effet  surprenant. 

La  tour  est  peinte  au  dehors  de  couleurs  brillantes  qui 
ajoutent  au  pittoresque  de  son  aspect ,  et  son  sommet  est 


couronné  par  une  flèche  en  bois  que  les  Chinois  disent  être 
recouverte  d'une  lame  d'or  lin.  Du  haut  de  cet  édifice  l'œil,. 
embrasse  non  seulement  l'immense  étendue  de  Nankin,, 
mais  toute  la  coiiiree  environnante.  La  vue  de  celte  cité 
magnifique  et  de  ce  paysage  nche  et  varié  qn'  enveloppe  le 
fleuve  dans  ses  immenses  sinuosités ,  est  un  des  plus  ])ea4ix 
spectacles  qui  puissent  s'offrir  aux  voyageurs. 

L'origine  de  celle  lour  est  peu  connue.  —  Les  uns  veu- 
lent y  voir  un  monument  de  pieté ,  les  autres  un  monument 
de  la  victoire  remportée  par  les  Chmois  sur  les  Tarlares,  il 
y  a  sept  cents  ans.  Ce  qu'il  y  a  de  bien  positif,  c'est  que  ces- 
derniers  l'ont  respectée  lors  de  leur  dernière  irruption  et 
lie  la  dévastation  de  Nankin. 


TOMBEAU  DES  FILS  DE  CHARLES  \m  DANS  LA  CATHEDRALE  DE  TOURS. 


(Voyez  page  65.) 


Il  existait  autrefois  dans  l'église  de  Saint-Martin  de  Tours 
un  tombeau  qui  renfermait  les  cendres  des  deux  enfans  de 
Charles  VIII  et  d'Anne  de  Bretagne.  Depuis  la  destruction 
de  l'église  où  il  était  placé ,  ce  tombeau  avait  été  successi- 
vement déposé  dans  les  divers  établissemens  publics  de  la 
ville  de  Tours  :  ses  débris  gisaient  en  dernier  lieu  dans  une 
des  salles  de  la  préfecture.  Enfin  ils  ont  été  réunis  en  18^5 , 
et  transférés  dans  l'église  métropolitaine. 

Ce  monument ,  érigé  en  <506,  est  dû  à  la  tendresse  ma- 
ternelle d'Anne  de  Bretagne  qui  en  fit  tous  les  frais  :  il  rap- 
pelle des  souvenirs  historiques,  particuliers  à  la  ville  de 
Tours ,  puisque  c'est  là  que  naquirent  les  deux  princes.  Il 
honore  aussi  le  talent  des  artistes ,  dont  il  fut  l'ouvrage ,  et 
auxquels  cette  ville  se  glorifie  d'avoir  donné  le  jour  :  ce  sont 
les  frères  Juste,  habiles  sculpteurs,  qui  fleurirent  sous 
François  I'"'".  Ce  tombeau  prouve  le  progrès  des  arts  à  cette 
époque  :  la  forme  en  est  à  la  fois  gracieuse  et  noble ,  et  les 
sculptures  d'un  travail  délicat.  Il  est  surmonté  des  figures 
en  marbre  des  jeunes  princes ,  dont  les  corps  y  étaient 
renfermés  dans  deux  urnes ,  l'une  de  plomb ,  l'autre  d'un 
bois  précieux ,  recouvertes  d'un  voile  de  soie.  Sur  la  partie 
inférieure  sont  deux  génies  soutenant  l'écusson  des  armes 
de  France ,  semé  de  fleurs  de  lys.  Des  dauphins  sont 
sculptés  aux  angles  du  monument,  qui  semble  reposer  sur 
eux  :  au-dessus,  et  tout  à  l'entour  du  tombeau ,  règne  nne 
frise  d'une  belle  exécution ,  représentant  divers  sujets  tirés 
de  la  fable  et  de  l'écriture  sainte ,  tels  que  les  travaux 
d'Hercule,  ceux  de  Samson,  elc.  Dans  deux  cartouches  de 
figure  ronde  sont  inscrites  les  épilaphes  suivanles  : 

Charles,  hujlièmeroi,  preux  et  excellent, 
Eût  d'Anne,  rojne  et  duchesse  en  Bretagne, 
Son  premier  fils  nommé  Charles  OiIant, 
Lequel  régna  sans  murt  qui  rien  n'épargne, 


Trois  ans,  trois  mois,  dauphin  du  Viennois, 

Comte  d'Izoir  et  de  Valentiuois. 

Mais  l'an  cinq  cent  moins  cinq  il  rendit  l'âme, 

A  Amboise ,  le  seizième  du  mois 

De  décembre  ,  puis  fut  mis  soubs  la  lame. 

Par  Atropos ,  qui  les  coeurs  humains  fent 
D'un  dard  mortel  de  cruelle  souffrance, 
Cy-dessoubs  gist  Charles,  second  enfant 
Du  roi  Charles  et  d'Anne,  royne  de  France,. 
Lequel  vesquit  dauphin  du  Viennois  , 
Comte  d'Izoir  et  de  Valenlinois, 
Vingt-cinq  jours ,  puis  les  Tours  au  PlessiS' 
En  octobre  mourut  au  deux  du  mois 
Mil  quatre  cent  avec  nonante  et  six. 


SYSTEME  MILITAIRE  BE  LA  FRANCE 

SODS  LE    RÉGIME  FÉODAL. 

Aux  diverses  époques  qu'embrasse  la  grande  peribdt 
de  l'histoire  de  France ,  toutes  les  fois  qu'il  y  avait  danale 
royaume  des  ennemis  extérieurs  à  repousser,  ou  des  rebelles 
à  soumettre ,  voici  comment  nos  rois  formaient  et  rassem- 
blaient leurs  armées.  Ils  ordonnaient  à  leurs  vassaux  de  se 
trouver  dans  un  endroit  fixé ,  avec  leur  contingent  militaire 
dont  l'importance  dépendait  de  la  nature  du  fief  et  des 
conditions  originaires  auxquelles  ils  étaient  soumis.  Les  sei- 
gneurs feudataires,  de  leur  côté,  faisaient  publier  dans 
toute  l'étendue  de  leur  (erre ,  l'ordre  que  leurs  hommes 
eussent  à  se  trouver  en  armes  au  lieu  indiqué  pour  assister 
à  l'osl  du  roi ,  à  raison  de  leurs  arrière-fiefs ,  et  ce  à  peine 
d'amende  et  de  confiscation. 

La  richesse  du  fief  réglait  non-seulement  le  nonibre 
d'hommes  exigé  de  chaque  seigneur  ,  mais  encore  le  genre 


94 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


de  services ,  ou  la  nature  des  prestations ,  les  différentes 
pièces  de  i'armure  des  guerriers  et  la  qualité  des  équi- 
pages. Les  hauts  et  puissans  seigneurs,  tels  que  les  ducs 
de- Bourgogne,  de  Bretagne,  les  comtes  de  Flandres,  de 
Blois ,  amenaient  un  très  grand  nombre  de  chevaliers  ou 
bannerets  :  chaque  banneret  commandait  à  vingt-cinq 
hommes  d'armes  complètement  équipés  ;  chaque  homme 
d'armes  était  accompagné  de  deux  archers ,  et  avait  trois 
chevaux ,  l'un  pour  lui ,  les  deux  autres  pour  son  valet  et 
pour  son  page. 

Celui  qui  avait  dans  son  fief  une  terre  et  un  château , 
devait  le  service  à  armes  pleines ,  et  ne  pouvait  se  présen- 
ter au  rendez-vous  qu'avec  une  cuirasse ,  un  armet ,  des 
gantelets ,  des  brassards ,  des  harnais  de  jambes ,  un  casque 
à  visière,  uneépée  et  une  lance.  Le  feudataire  ou  arrière- 
feudataire,  qui  ne  possédait  qu'un  fief  simple,  n'était  assu- 
jetti qu'à  porter  l'écii  et  la  lance. 

Tel  ou  tel  pays  fournissait  un  corps  de  telle  ou  telle  arme  : 
au  sein  de  ces  armées  tumul  tueuses  et  presque  toujours  indis- 
ciplinées ,  on  voyait  s'entasser  pêle-mêle  les  vougiis,  ainsi 
nommés  parce  qu'ils  portaient  à  la  main  des  vougesou 
épieux  ferrés  ;  les  coutelliers  qui  s'armaient  de  glaives  longs, 
minces  et  tranchans  :  les  archers  revêtus  de  leur  tricot 
d'acier,  leurs  haches  à  la  main,  et  leurs  dagues  au  côté  (1); 
elles  arbalétriers,  qui  ne  pouvaient  couvrir  leur  tête  que  d'un 
casque  sans  visière ,  qui  s'entouraient  presque  tout  le  corps 
d'un  lissu  de  mailles  de  fer,  et  seuls  avaient  le  droit  de  lan- 
cer la  flèche  au  milieu  des  combats.  C'étaient  là  les  trois 
principaux  corps  des  armées  françaises  ;  parmi  les  armes  des 
autres  corps,  on  distinguait,  outre  la  lance  etl'épée,  les 
massues,  les  brandavères,  les  badelaires,  les  hallebardes, 
les  hanicroches ,  les  fourches  fières  et  les  pieux  ou  pertui- 
sanes.  Chaque  vassal  devait  à  son  seigneur  un  service  gra- 
tuit de  trois  mois  dans  l'intérieur  du  royaume  et  de  qua- 
rante jours  au-delà  des  frontières;  quand  les  nécessités  de 
la  guerre  dépassaient  ses  limites ,  les  seigneurs  devaient 
entretenir  leurs  vassaux  à  leurs  frais. 

Les  femmes  qui  possédaient  des  fiefs  envoyaient  des 
hommes  d'armes  en  leur  nom  ;  les  évêques ,  abbés ,  tous 
les  ecclésiastiques  enfin ,  qui  pour  raison  de  leurs  posses- 
sions féodales,  relevaient  d'une  puissance  supérieure  étaient 
contraints  de  se  rendre  en  personne  à  l'assemblée  du  ban;  il 
n'y  avait  ecclésiastique ,  dit  Belleforêt,  tant  grand  et  saint 
fût-il,  qui  ne  vînt  faire  service  à  peine  de  voir  son  fief 
saisi.  Ils  se  trouvaient  au  rendez-vous  général ,  revêtus  de 
leurs  ornemens  sacerdotaux,  coiffés  d'un  casque,  et  ceints 
d'une  épée.  Souvent  ils  bornaient  leur  service  à  célébrer  les 
saints  mystères  pour  les  troupes  dont  ils  faisaient  partie,  et 
à  bénir  les  bannières,  mais  plus  souvent  encore  ils  servaient 
rl'une  manière  active,  se  distinguaient  dans  la  mêlée,  et 
sur  la  brèche,  et  nos  prélats  suivant  l'expression  de 
^ïonstrelet,  portaient  un  bassinet  pour  mître  ,  uhc  pièce 
d'acier  pour  chasuble,  et  pour  crusse  tine  hache  d'armes. 
Aux  plus  scrupuleux  de  ces  prêtres  guerriers  on  permettait 
[le  se  servir  de  massues  au  lieu  d'épées;  on  pensait  alors 
qu'assommer,  ce  n'étaitpoint  verser  le  sang. 

Les  ecclésiastiques  tenant  fiefs  qui,  admonestés  pour  le 
service  du  roi,  négligeaient  de  se  rendre  à  l'assemblée  du 
ban ,  étaient  notés  d'infamie  et  privés  de  leur  temporel. 
Dans  les  derniers  temps  du  régime  féodal ,  on  revint  à  des 
idées  plus  convenables  sur  les  devoirs  des  prêtres ,  et  on  ne 
les  assujettit  plus  au  service  actif,  mais  ils  furent  astreints  à 
;  e  faire  représenter  et  à  fournir  pour  les  besoins  de  l'armée 
dfts  chariots ,  des  charrettes ,  des  pièces  d'équipage  de  toute 
sorte. 

A  mesure  que  les  sénéchaux  ou  officiers  des  grands 
vassaux  de  la  couronne  arrivaient  au  lieu  de  l'ost,  ils  lais- 
saient montre  ou  preuve  de  leurs  contingens respectifs;  les 
contrôleurs  commis  à  la  vérification  procédaient  à  celte 
grande  revue;  cette  cérémonie  qu'on  appelait  montre  avait 

(i)  Voyez  page  75. 


lieu  dans  un  grand  champ  après  qu'on  avait  dit  la  messe  , 
sous  un  chêne.  Chaque  seigneur  ou  sénéchal  répondait  à 
l'appel  de  son  nom ,  et  justifiait  à  son  tour  du  nombre  de 
ses  hommes  et  de  la  qualité  de  leurs  armes.  Les  revues 
faites ,  toutes  ces  troupes  se  mettaient  confusément  en  mar- 
che, et  pendant  la  campagne,  chaque  soldat  reconnaissait 
sa  compagnie ,  non-seulement  à  la  barmière  de  son  sei- 
gneur ,  mais  encore  au  cri  particulier  à  la  maison  de  ce 
gentilhomme  ;  car  le  cri  de  guerre  faisait  partie  de  l'héri- 
tage féodal  comme  le  nom  et  les  armoit  ies  paternelles. 


LES  HARENGS,  —  leur  pêche. 

(Suite.)  (i) 

Dès  le  coipmencement  du  xv«  siècle,  les  Hollandais 
employèrent  à  la  pêche  des  harengs ,  de  grands  filets ,  et 
des  bâtimens  considérables  et  allongés,  auxquels  ils  donnent 
le  nom  de  buys;  et  depuis  ce  même  siècle  il  y  a  eu  des  an- 
nées où  ils  ont  mis  en  mer  trois  mille  vaisseaux  et  occupé 
quatre  cent  cinquante  mille  hommes  pour  la  pêche  de  ces 
osseux. 

Les  filets  dont  ces  mêmes  Hollandais  se  servent  pour 
prendre  les  harengs ,  ont  de  mille  à  douze  cents  mètres  de 
longueur  :  ils  sont  composés  de  cinquante  ou  soixante  nap- 
pes ,  ou  parties  distinctes.  On  les  fait  avec  une  grosse  soie 
que  l'on  fait  venir  de  Perse,  et  qui  dure  deux  ou  trois  fois 
plus  que  le  chanvre.  On  les  noircit  à  la  fumée ,  pour  que 
leur  couleur  n'effraie  pas  les  harengs.  La  partie  supérieure 
de  ces  instrumens  est  soutenue  par  des  tonnes  vides  ou  par 
des  morceaux  de  liége;  et  leur  partie  inférieure  est  main- 
tenue ,  par  des  pierres  ou  par  d'autres  corps  pesants ,  à  la 
profondeur  convenable. 

On  jette  ces  filets  dans  les  endroits  où  une  grande  abon- 
dance de  harengs  est  indiquée  par  la  présence  des  oiseaux 
d'eau,  des  squales,  et  des  autres  ennemis  de  ces  poissons, 
ainsi  que  par  une  quantité  plus  ou  moins  considérable  de 
substance  huileuse  ou  visqueuse  que  l'on  nomme  graissin 
dans  plusieurs  pays ,  qui  s'étend  sur  la  surftice  de  l'eau  au- 
dessus  des  grandes  troupes  de  ces  dupées,  et  que  l'on  re- 
connaît facilement  lorsque  le  temps  est  calme.  Cette  matière 
graisseuse  peut  devenir,  pendant  une  nuit  sombre,  mais 
paisible,  un  signe  évident  de  la  proximité  d'une  co- 
lonne de  harengs,  parce  qu'étant  phosphorique ,  elle  parait 
alors  répandue  sur  la  mer,  comme  une  nappe  un  peu  lumi- 
neuse. Cette  dernière  indication  est  d'autant  plus  utile, 
qu'on  préfère  l'obscurité  pour  la  pêche  des  harengs.  Ces 
animaux,  comme  plusieurs  autres  poissons,  se  précipitent 
vers  les  feux  qu'on  leur  présente  ;  et  on  les  attire  dans  les 
filets  en  les  trompant  par  le  moyen  des  lumières  que  l'on 
place  de  la  manière  la  plus  convenable  dans  différens  en- 
droits des  vaisseaux ,  ou  qu'on  élève  sur  des  rivages  voisins. 

Tant  de  soins  n'ont  pas  été  seulement  l'effet  de  spécula- 
tions particulières  :  depuis  long-temps  plusieurs  gouverne- 
mens,  pénétrés  de  cette  vérité  importante,  que  l'on  ne  peut 
pas  avoir  de  marine  sans  matelots,  ni  de  véritables  matelols 
sans  de  grandes  pêches ,  et  voyant  d'un  autre  côté  que  de 
toutes  celles  qui  peuvent  former  des  hommes  de  mer  expé- 
rimentés et  enrichir  le  commerce  d'un  pays,  aucune  ne 
peut  être  plus  utile,  ni  peut-être  même  aussi  avantageuse 
à  la  défense  de  l'État  et  à  la  prospérité  des  habitans,  que 
la  pêche  du  hareng,  ont  cherché  à  la  favoriser  de  manière 
à  augmenter  ses  heureux  résultats,  non  seulement  pour  le 
présent ,  mais  encore  pour  l'avenir.  Des  sociétés ,  dont  tous 
les  efforts  doivent  se  diriger  vers  ce  but  important,  ont  été 
établies  et  protégées  par  le  gouvernement,  eu  Suède,  on 
Danemarck ,  en  Prusse.  Le  gouvernement  hollandais  sur- 
tout n'a  jamais  cessé  de  prendre  à  cet  égard  les  plus  gran- 
des précautions.  Redoublant  perpétuellement  de  soins  pour 
la  conservation  d'une  branche  aussi  précieuse  de  l'industrie 
publique  et  privée,  il  a  multiplié  depuis  deux  siècles,  et 

(i)  Voyez  page  Sa. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


95 


varié  suivant  les  circonstances,  les  actes  de  sa  surveillance 
attentive  pour  le  maintien,  a-t-il  toujours  dit ,  (ht,  grand 
commerce  et  de  ïa  principale  mine  d'or  de  sa  patrie.  Il  a 
donné,  lorsqu'il  l'a  jugé  nécessaire,  un  prix  considérable 
pour  chacun  des  vaisseaux  employés  à  la  pêche  des  harengs. 
Il  a  désiré  que  l'on  ne  cherchât  à  prendre  ces  poissons  que 
dans  les  saisons  où  leurs  qualités  les  rendent ,  après  leurs 
différentes  préparations,  d'un  goût  plus  agréable  et  d'une 
conservation  plus  facile.  Il  a  voulu  principalement  qu'on  ne 
miisît  pas  à  l'abondance  des  récoltes  à  venir,  en  dérangeant 
le  frai  des  harengs ,  ou  en  retenant  dans  les  fdets  ceux  de 
ces  poissons  qui  sont  encore  très  jeunes.  Eu  conséquence,  il 
a  ordonné  que  tout  matelot  et  tout  pêcheur  seraient  obli- 
gés ,  avant  de  partir  pour  la  grande  pêche ,  de  s'engager 
par  serment  à  ne  pas  tendre  les  filets  avant  le  2S  de  juin  ni 
après  le  premier  janvier,  et  il  a  déterminé  la  grandeur  des 
mailles  de  ces  instrumens. 

Il  a  prescrit  les  précautions  nécessaires  pour  que  les  ha- 
rengs fussent  encaqués  le  mieux  possible.  D'après  ses  or- 
dres, on  ne  peut  se  servir  pour  cette  opération  que  du  sel 
de  la  meilleure  qualité.  Les  harengs  pris  dans  le  premier 
mois  qui  s'écoule  après  le  24  juin,  sont  préparés  avec  du 
,  gros  sel  j  ceux  que  l'on  pêche  entre  le  24  juillet  et  le  ^S  sep- 
î  tembre ,  sont  conservés  avec  du  sel  fin.  Il  n'est  pas  permis 
I  de  mêler  dans  un  même  baril  des  harengs  au  gros  sel  et 
|des  harengs  au  sel  fin.  Les  barils  doivent  être  bien  reni- 
jplis.  Le  dernier  fond  de  ces  tonnes  presse  les  harengs.  Le 
Inombre  et  les  dimensions  des  cercles,  des  pièces,  des  fonds 
*et  des  douves ,  sont  réglés  avec  exactitude  ;  le  bois  avec  le- 
quel on  fait  ces  douves  et  ces  fonds,  doit  être  très  sain  et 
dépouillé  de  son  aubier.  On  ne  peut  pas  encaquer  avec  les 
bons  harengs  ceux  dont  la  chair  est  mollasse,  le  frai  délayé, 
ou  la  salaison  mal  faite  ;  des  marques  légales,  placées  sur 
les  caques ,  indiquent  le  temps  où  l'on  a  pris  les  harengs 
que  ces  barils  renferment,  et  assurent  que  l'on  n'a  négligé, 
pour  la  préparation  de  ces  poissons,  aucun  des  soins  con- 
venables et  déterminés. 

On  n'a  pas  obtenu  moins  de  succès  dans  les  tentatives 
faites  pour  accoutumer  les  harengs  à  de  nouvelles  eaux, 
que  dans  les  procédés  relatifs  à  leur  préparation.  On  est 
parvenu ,  en  Suède ,  à  les  transporter,  sans  les  faire  périr, 
dans  les  eaux  auxquelles  ils  manquaient.  Dans  l'Amérique 
septentrionale ,  on  a  fait  éclore  des  œufs  de  ces  animaux ,  à 
l'embouchure  d'un  fleuve  qui  n'avait  jamais  été  fréquenté 
par  ces  poissons ,  et  vers  lequel  les  individus  sortis  de  ces 
œufs  ont  contracté  l'habitude  de  revenir  chaqiie  année ,  en 
entraînant  vraisemblablement  avec  eux  un  grand  nombre 
d'autres  individus  de  leur  espèce. 


EPHEMERIDES, 

Le  mois  de  décembre  doit  son  nom  à  la  place  qu'il  occupait  dans 
l'année  primitive  des  Romains.  Il  devint  le  onzième  sous  Numa , 
et  enfin  le  douzième,  lors  du  changement  opéré  par  les  décemvirs. 

!*'■  décembre  1640. —  Le  Portugal  secoue  le  joug  espagnol  qu'il 
subissait  depuis  soixante  ans ,  et  proclame  roi  le  duc  de  Bragance. 
(Nous  donnerons  dans  une  prochaine  livraison  un  article  spécial 
sur  ce  grand  fait  politique  qui  a  fourni  la  matière  d'un  drame  dont 
les  représentations  font  aujourd'hui  sensation.)  —  iSaS.  Mort 
d'Alexandre  l*"",  empereur  de  Russie. 

a  décembre  1804. — Napoléon  Bonaparte,  reconnu  empereur 
des  Français  par  le  Sénat,  et  fort  de  l'assentiment  de  3,575,000 
signataires,  est  sacré  à  Notre-Dame,  à  Paris,  par  le  pape,  et 
prononce  le  serment  suivant,  prescrit  par  le  sénatus-consulte  or- 
ganique du  16  mai.  «Je  jure  de  maintenir  l'intégrité  du  territoire 
de  la  république;  de  respecter  et  de  faire  respecter  les  lois  du 
concordat  et  la  liberté  des  cultes  ;  de  respecter  et  de  faire  respec- 
ter l'égalité  des  droits,  la  liberté  politique  et  civile,  l'irrévocabi- 
lité  des  ventes  des  biens  nationaux;  de  ne  lever  aucun  impôt,  de 
n'établir  aucune  taxe  qu'en  vertu  d'ime  loi;  de  maintenir  l'institu- 
tion de  la  Légion-d 'Honneur,  de  gouverner  dans  la  seule  vue  de 


l'intérêt,  du  bonheur  et  delà  gloire  du  peuple  français.» —Le  même 
Jour,  à  la  même  heure,  Louis  XVIII  protestait  dans  son  exil  contre 
l'usurpation  du  troue  de  ses  pères. —  i8o5.  Un  an  après  son  sacre, 
jour  pour  jour,  Napoléon  remporte  l'importante  bataille  d'Auster- 
litz  sur  les  Autrichiens  et  les  Russes  réunis ,  et  force  ces  deux 
puissances  à  lui  demander  la  paix.» 

3  décembre  i8ro.  —  Les  Anglais  s'emparent  de  l'Ile-de-Fran- 
ce ,  restée  depuis  en  leur  possession  sous  le  nom  d'île  Maurice. 

i décembre  1789.  —  Mort  de  Claude  Joseph  Vernet,  célèbre 
peintre  français ,  père  de  Carie  Vernet  et  aïeul  d'Horace  Vernet , 
dignes  héritiers  de  son  nom. 

4  décembre  lôSa.  — Mort  du  Cardinal  de  Richelieu  (voyez 
page  72).  —  1808.  Madrid  se  rend  à  l'armée  française  commandée 
par  l'Empereur. 

-7  décembre  181 5,  —  Condamné  à  mort  parla  Chambre  dei 
Pairs,  érigée  en  cour  prévôtale,  comme  coupable  de  haute  trahison 
envers  le  gouvernement  du  roi ,  le  maréchal  Ney  est  fusillé 
dans  l'avenue  qui  joint  le  jardin  du  Luxembourg  à  l'Observatoire. 
8  décembre  i83o.  —  Mort  de  Benjamin  Constant. — 1836. 
Mort  de  JohnFlaxman,  sculpteur  anglais.  (Voyez  page  a37,  i""" 
année  du  Magasin  Universel.) 

10  décembre  1720. —  L'Écossais  Lavv  se  soustrait  par  la  fuite  à 
la  haine  du  peuple  dont  ses  opérations  financières  l'avaient  peu  de 
temps  avant  rendu  l'idole.  Il  pouvait  prendre  dans  les  coffres  de 
la  Banque  des  sommes  immenses  et  alla  en  exil ,  mourir  pauvre  et 
oublié. 

11  décembre  171 8. — Charles  XII,  roi  de  Suède,  meurt  frappé 
d'une  balle  dans  les  tranchées  qu'il  venait  d'ouvrir  contre  la  for- 
teresse de  Frédéricshall  en  Norwége,  après  avoir  épuisé  son  pays 
et  l'avoir  fait  déchoir  du  rang  où  l'avait  placé  Gustave-Adolphe. 


TANCARVILLE  ( Seine-Inférieure ). 

Sur  les  rives  de  la  Seine,  non  loin  de  son  einbouchure , 
à  environ  une  lieue  de  Quillebœuf  et  à  deux  lieues  de  Lille- 
bonne  (1),  cette  ville  si  fameuse  par  ses  belles  antiquités  ro- 
maines ,  s'élèvent ,  sur  le  sommet  d'une  haute  falaise ,  les 
ruines  imposantes  du  château  de  Tancarville.  Qu'elles  sont 
nobles  et  pittoresques  ces  murailles  menaçantes ,  ces  tours 
démantelées,  réfléchies  dans  les  eaux  de  la  Seine  !  Mais  com- 
bien plus  sublime,  plus  admirable  encore,  est  le  spectacle 
qui  se  développe  aux  regards,  lorsqu'on  arrive  par  terre  à 
Tancarville  !  Jamais  paysage  mieux  composé  n'est  éclos 
sous  la  main  de  l'artiste  :  à  droite ,  ces  vieux  murs  ruineux, 
ces  tourelles  enlacées  de  lierre  et  de  ronces ,  cette  porte 
avec  sa  herse  rouillée  ;  à  gauche ,  une  végétation  vigou- 
reuse, des  chênes  séculaires,  aux  rameaux  noueux  et  con- 
tournés ,  et,  entre  ces  premiers  plans  si  fortement  accen- 
tués ,  une  échappée  à  perle  de  vue ,  un  horizon  sans  bornes, 
la  Seine  large,  rapide,  presqu'une  mer,  sillonnée  d'in- 
nombrables barques  de  pêcheurs  à  la  voile  blanche ,  qui  se 
détache  étincelante  sur  l'azur  des  eaux.  Ce  site  a  fourni  ù 
l'un  de  nos  premiers  paysagistes,  M.  Régnier,  le  sujet 
d'un  tableau  charmant,  que  tout  le  monde  a  pu  admirer  au 
Louvre,  il  y  a  quelques  années,  et  qui,  lithographie  par 
une  main  habile ,  est  un  des  plus  beaux  ornemens  du  co- 
lossal ouvrage  de  la  France  romantique. 

Quand  on  pénètre  dans  l'intérieur  des  ruines,  le  spectacle 
change;  le  cœur  se  serre  en  parcourant  ces  vastes  salles  dé- 
sertes, jadis  retentissantes  de  l'orgie  des  chevaliers,  ces  res- 
tes d'ogives  qui  fment  une  chapelle ,  ces  appartemens  en 
décombres  où  reposèrent  les  damoiselles  et  les  guerriers. 

Ce  morne  silence  n'est  troublé  que  par  les  cris  rauques 
du  corbeau ,  la  voix  sinistre  du  hibou  ou  le  sifflement  de  la 
couleuvre. 

C'est  surtout  au  clair  de  lune  que  ces  nobles  ruines  frap- 
pent l'esprit  d'une  plus  vive  impression.  Combien  de  fois , 
assis  sur  le  tronçon  d'une  statue  ou  sur  un  fût  de  colon- 
nettes  accouplées,  je  me  suis  plû  à  reconstruire  ce  vieux 

(i)  Voyez  page  20. 


06 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


nianoir  féodal  au  gré  de  mon  imagination  !  Dans  cette  vaste 
conr,  je  voyais  les  piqueurs,  les  pages,  les  varlets,  hâtant 
les  apprêts  d'une  chasse  ;  la  noble  dame ,  l'oiselet  au  poing, 
«'élançant  sur  la  haquenée,  que  retenait  un  chevalier.  Sur 
les  murailles  crénelées  se  promenait  lentement  l'archer , 
l'arlwlète  sur  l'épaule ,  l'œil  et  l'oreille  au  guet,  alteniif  au 
moindre  bruit ,  à  la  moindre  apparition.  Tout  à  coup,  le 
cor  sonne  :  un  duc ,  un  roi  vaincu  et  fugitif,  demande  hos- 
pitalité et  protection.  Le  pont-levis  s'abaisse  pour  se  relever 
derrière  lui,  Bienlôt  l'ennemi  paraît  :  les  hommes  d'armes, 
abrités  derrière  les  créneaux ,  lancent  une  grêle  de  traits,  ou 
font  pleuvoir  l'huile  bouillante  par  les  larges  mâchicoulis. 
J'entends  les  gémissemens  des  mourans,  les  blasphèmes 
des  blessés.  Puis,  au  moment  où  la  victoire  est  le  plus  vive- 
ment disputée ,  où  les  deux  partis  font  des  prodiges  de  va- 
leur, la  chanson  aux  finales  traînantes  d'un  pêcheur  nor- 
mand ,  ou  un  de  ces  orages  si  fréquens  sur  les  côtes  de  la 
Manche ,  viennent  me  réveiller  et  nie  ramener  à  la  réalité. 
Et  c'est  vraiment  dommage  !  car  ici ,  la  réalité  est  pauvre , 
et  l'histoire  ne  nous  apprend  aucun  fait  important  dont  le 
château  de  Tancarville  ait  été  témoin. 

Quelques  étymologistes ,  il  est  vrai ,  trouvant  dans  Tan- 
credi- Villa  l'origine  de  Tancarville,  veulent  que  ce  lieu  ait 
appartenu  à  la  famille  du  fameux  Tancrède ,  qui ,  Sicilien 
du  côté  de  son  père ,  était  Normand  du  fait  de  sa  mère 
Emma ,  fille  de  Tancrède  de  Hauteville,  et  sœur  du  fameux 
Robert  Guiscar,  duc  de  Calabre.  Mais  malheureusement, 


les  anciens  historiens ,  et  surtout  Raoul  de  Caen ,  qui  écri- 
vit l'histoire  de  Tancrède,  ne  nous  apprennent  rien  de  po- 
sitif à  ce  sujet. 

Il  n'en  est  pas  de  même  des  sires  de  Tancarville.  Nous 
savons  que  le  roi  Jean  II  érigea  la  seigneurie  de  Tancar- 
ville en  comté,  le  4  février  ^5S^ ,  en  faveur  du  grand  cham- 
bellan, Jean  II,  vicomte  de  Melun,  en  récompense  du  cou- 
rage qu'il  avait  déployé  à  la  défense  de  Caen  contre  les 
Anglais,  qui  le  firent  prisonnier. 

Plus  lard,  ce  même  Tancarville,  pris  de  nouveau  avec  le 
roi  à  la  bataille  de  Poitiers,  en  13S6,  resta  en  Angleterre 
jusqu'en  < 338  qu'il  fut  envoyé  en  France  pour  faire  ratifier 
par  les  Etats  les  conditions  au  prix  desquelles  le  monarque 
anglais  consentait  à  rendre  la  liberté  au  roi  captif. 

Guillaume  IV de  Tancarville,  son  fils,  joua  un  grand 
rôle  sous  Charles  VI ,  et  dans  presque  tous  les  actes  qui 
nous  sont  restés  du  gouvernement  de  ce  prince,  le  nom  du 
comte  de  Tancarville  figure  à  la  tête  de  ceux  des  membres 
du  grand  conseil.  Ce  fut  lui  qui,  en  1396,  alla  prendre  pos- 
session de  l'état  de  Gènes,  qui  s'était  donné  au  roi.  Il  fut 
tué,  en  14<5,  à  la  bataille  d'Azincourt,  ne  laissant  qu'une 
fille,  nommée  Marguerite ,  qui  porta  la  vicomte  de  Melun 
et  le  comté  de  Tancarville  dans  la  maison  de  Harcourt,  par 
son  mariage  avec  Jacques  de  Harcourt,  dont  elle  eût  une 
fille,  nommée  Marie ,  qui  épousa  le  célèbre  Dunois. 

Les  sires  de  Tancarville  étant  sans  cesse  aux  armées  ou  à 


(  Vue  de  Tancarville.) 


la  cour  des  rois,  leur  château  ne  joua  jamais  un  rôle  bien 
important. 

I^  chronique  de  Normandie  ne  le  cite  guère  que  pour 
mentionner  les  longues  querelles ,  les  inimitiés  particulières 
des  sires  de  Tancarville  et  des  comtes  de  Harcourt ,  leurs 


voisins;  et,  je  vous  le  demande,  comment  trouver  de  la 
poésie  dans  ces  combats  livrés  pour  la  conquête  d'un  pâtu- 
rage ou  d'un  moulin  ? 

Les  Bureaux  d'Abonnement  et  de  Vente  sont  transférés  rue  de 
Seine-Saint-Germain,  9. 


(15 


MAGASIN  UiNIVERSÈL. 


97 


PERONNE.  .     LOUIS  XI  PRISONNIER  DE  CHARLES-LE-TEMERAIRE. 


(  Vue  de  la  place  de  Péroune.  ) 


La  ville  de  Péronne ,  bâlie  sur  un  monticule,  et  défendue 
par  des  fortifications  importantes ,  serait  une  des  plus  fortes 
places  de  France ,  si  elle  n'était  dominée  par  des  hauteurs  : 
touiefois ,  malgré  ce  désavantage ,  elle  a  toujours  su  repoiiSr 
ser  victorieusement  les  attaques  ennemies,  et  peut  se  glori- 
fiera juste  litre  de  n'avoir  jamais  été  prise.  Parmi  les  sièges 
qu'elle  eut  à  soutenir,  on  cite  celui  de  1S36  :  elle  avait 
alors  à  lutter  contre  une  armée  nombreuse  et  aguerrie, 
commandée  par  Henri  de  Nassau  :  mais  elle  se  défendit 
avec  le  plus  héroïque  courage ,  et  força  ce  prince  à  lever  le 
siège ,  après  avoir  essuyé  de  terribles  échecs. 

La  plupart  des  maisons  de  cette  ville  sont  construites  en 
briques ,  de  même  que  ses  remparts ,  qui  offrent  de  jolies 
promenades ,  ombragées  par  de  beaux  arbres,  et  embellies 
encore  par  le  cours  de  la  Somme.  v, 

Divisée  en  haute  et  basse  ville ,  et  précédée  de  deux 
faubourgs,  Péronne  renferme  quelques  belles  rues,  une 
place  assez  remarquable,  et  plusieurs  églises  curieuses.  Sa 
population  s'élève  à  près  de  quatre  mille  habilans ,  dont  le 
principal  commerce  consiste  dans  la  fabrication  des  tissus 
de  fil  et  de  coton. 

Péronne  est  la  patrie  du  savant  orientaliste  Langlès. 

Mais  cette  ville  est  surtout  intéressante  par  ses  souve- 
nirs histoi^ques.  Elle  fut  le  théâtre  d'iui  des  évène- 
niens  les  plus  importans  qui  aient  marqué  le  règne  de 
Louis  XI.  Le  lecteur  sait  les  luttes  continuelles  que  ce  prince 
entretint  contre  les  seigneurs  féodaux  de  son  royaume 
TO.MIî  II.  -  -  Décembre  1 8  3  4 . 


et  principalement  contre  le  plus  puissant  et  le  plus  redou 
table  d'entre  eux,  Charles-le-Téméraire ,  duc  de  Bourgo 
gne.  C'était  surtout  en  divisant  ses  ennemis  que  le  roi  espé- 
rait en  triompher  :  cette  tactique  lui  avait  plusieurs  fois 
réussi.  A  force  de  tromperies  et  de  ruses ,  il  en  était  venu 
au  point  de  détacher  du  parti  de  Chai  les,  ses  alliés  même 
les  plus  fidèles;  aussi  ne  doutait-il  pas  que  le  moment  ne 
fût  favorable  pour  traiter  avantageusement  avec  le  duc  de 
Bourgogne.  Mais  pendant  qu'il  entamait  des  négociations 
avec  lui,  il  entretenait  toujours  de  secrètes  intelligences 
avec  les  Liégeois ,  qu'il  excitait  à  la  révolte  pour  augmenter 
les  embarras  de  Charles.   • 

Afin  de  mieux  abuser  le  duc  par  une  apparente  bonne 
foi ,  il  lui  fit  proposer  une  entrevue  à  Péronne.  Après  quel- 
ques hésitations ,  le  duc  de  Bourgogne ,  qui  occupait  avec 
son  armée  les  environs  de  cette  ville,  consentit  à  cette 
entrevue ,  et  envoya  au  roi  un  sauf-conduit  ainsi  conçu  : 
«  Monseigneur ,  très  humblement  à  votre  bonne  grâce  je 
«  me  recommande ,  si  votre  plaisir  est  de  venir  en  cette 
«  ville  de  Péronne  pour  nous  entrevoir,  je  vous  jure  et 
«  vous  promets  par  ma  foi  et  sur  mon  honneur,  que  vous 
«  y  pouvez  venir ,  demeurer,  séjourner ,  et  vous  en  retoar- 
«  ner  sûrement ,  à  votre  bon  plaisir ,  toutes  les  fois  qu'il 
«  vous  plaira,  franchement  et  quitteraent,  sans  qu'aucun 
«  empêchement  soit  donné  à  vous,  ni  à  nul  de  vos  gens, 
a  par  moi  ni  par  d'autres,  pour  quelque  cas  qui  soit  et  qui 
«  puisse  advenir.  En  témoignage  de  ce ,  j'ai  écrit  et  signé 

45. 


98 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


«  cette  cédille  de  ma  main ,  en  la  ville  de  Péronne ,  le 
«  huitième  jour  d'ociobre  ,•  l'an  mil  quatre  cent  soixante- 

«  huit. 

«  Votre  très  humble  et  très  obéissant  sujet ,_ 

«  Charles.  » 


Le  roi  partit  presque  aussitôt  en  assez  petit  cortège , 
n'emmenant  avec  lui  que  le  connétable,  le  cardinal  Balue, 
le  duc  de  Bourbon ,  le  sire  de  Beaujeu ,  l'archevêque  de 
Lyon ,  et  l'évèque  d'Avranches ,  son  confesseur  :  sa  garde 
se  composait  seulement  de  quatre-vingts  Ecossais  et  d'une 
soixantaine  de  cavaliers ,  tant  il  voulait  montrer  au  duc 
une  parfaite  confianee.  Les  archers  de  Bourgogne ,  com- 
mandés par  Philippe  de  Crèvecœur ,  allèrent  à  sa  rencon- 
tre :  le  duc  vint  lui-même  hors  de  la  ville  jusqu'à  la  petite 
rivière  de  Doing.  Le  roi  l'embrassa  et  lui  fit  accueil.  Cha- 
cun se  réjouissait  de  les  voir  si  bons  amis.  Ils  entrèrent 
ensemble  dans  Péronne ,  causant  familièrement ,  et  le  roi 
appuyant  sa  main,  eu  signe  d'amitié ,  sur  l'épaule  du  duc. 
Louis  XI  prit  son  logement  au  château ,  avec  une  douzaine 
de  personnes ,  composant  toute  sa  maison. 

Dès  le  lendemain ,  les  pourparlers  commencèrent  entre 
les  conseillers  des  deux  princes,  et  en  leur  présence  ;  mais  la 
discussion  d'intérêts  opposés  ne  tarda  pas  à  changer  les  bon- 
nes dispositions  qu'on  avait  manifestées  d'abord  de  part  et 
d'autre.  Les  esprits  commençaient  à  s'aigrir,  lorsque  arrivè- 
rent des  nouvelles  de  Liège,  qui  excitèrent  un  grand  émoi. 
Les  Liégeois ,  disait-on,  avaient  repris  les  armes,  et  au  nom- 
bre de  deux  mille ,  étaient  allés  à  Tongres,  où  s'étaient  réfu- 
giés leur  évêque  et  le  sire  d'Himbercourt ,  qui  une  fois 
déjà  les  avait  fait  rentrer  dans  le  devoir.  Les  révoltés , 
après  avoir  surpris  la  ville ,  les  avaient  emmenés  prison- 
niers ,  et  on  ne  doutait  pas  qu'ils  ne  les  eussent  ensuite  mis 
à  mort. 

On  peut  juger  de  la  fureur  du  duc ,  qui  devina  à  l'instant 
quel  pouvait  être  l'instigateur  de  ces  désordres.  «  Il  est  donc 
«  vrai ,  s'écria-t-il ,  que  le  roi  n'est  venu  ici  que  pour  me 
«  tromper  et  m'empêcher  de  me  tenir  sur  mes  gardes  ! 
-.  «  c'est  lui  qui,  par  ses  émissaires,  a  excité  ces  mauvais  et 
«  cruels  gens  de  Liège  ;  mais ,  par  Saint-Georges ,  ils  en 
«  seront  rudement  punis ,  et  il  y  aura  sujet  de  s'en  repen- 
«  tir.  »  Aussitôt  il  ordonna  que  les  portes  de  la  ville  et  du 
château  fussent  fermées  et  gardées  par  ses  archers.  Pen- 
dant ce  temps ,  le  roi ,  à  qui  l'on  avait  rapporté  les  nouvelles 
de  Liège  et  les  paroles  furieuses  du  duc ,  ne  se  voyait  pas 
sans  crainte  enfermé  dans  l'étroite  enceinte  du  château, 
tout  auprès  de  cette  grcsse  tour ,  où  jadis  Herbert ,  comte 
de  Verniandois ,  avait  tenu  prisonnier  et  fait  périr  son  roi , 
Charles-le-Simple  ;  un  tel  souvenir  était  effrayant  dans  une 
circonstance  si  critique.  Toutefois  il  ne  se  troubla  point  et 
ne  songea  qu'aux  moyens  de  se  tirer  d'un  si  mauvais  pas, 
employant  .les  promesses  les  plus  brillantes ,  et  répandant 
l'or  à  pleines  mains ,  pour  gagner  les  serviteurs  du  duc. 

Quand  Charles  fut  un  peu  plus  calme,  il  assembla 
son  conseil.  On  discuta  avec  chaleur:  les  ennemis  du 
roi,  et  particulièrement  le  maréchal  de  Bourgogne, 
l'emportèrent  d'abord  :  c'en  était  fait  de  la  vie  et  de  la 
couronne  de  Louis  XI;  mais  des  conseillers  plus  sages  firent 
changer  ces  résolutions  hostiles.  D'ailleurs  les  nouvelles  de 
Liège  étaient  moins  terribles  que  ne  les  avaient  faites  les 
bruits  populaires.  L'évêtpie  avait  été  conduit  avec  une  sorte 
d'égards  dans  son  palais  :  le  sire  d'Himbercourt  avait  été 
mis  en  liberté ,  et  chargé  par  le  peuple  d'apaiser  le  duc  de 
Bourgogne  :  Jean  de  Wilde ,  que  les  révoltés  avaient  pris 
pour  chef,  avait  réussi  à  les  modérer  et  à  leur  faire  écouter 
la  raison. 

On  arrêta  que  des  commissaires  seraient  nommés  par  le 
roi  et  le  duc  pour  conclure  un  traité  entr'eux;  mais  il  est 
inutile  de  dire  que  les  conditions  devaient  en  être  onéreuses 
pour  Louis  XI.  ïoqtes  les  difficultés  qui  les  avaient  si  long- 
temps divisés  se  trouvaient  résolues  en  faveur  de  la  Bour- 
gogne :  tout  ce  qui  foisait  l'espérance  du  roi  était  abandonné 


en  un  jour.  Vainement  les  commissaires  de  France  présen- 
taient quelques  objections  ;  on  leur  répétait  :  «  Il  le  faut , 
«  monseigneur  le  veut.  » 

Quand  le  projet  de  traité  fut  fait ,  le  duc  alla  trouver  le 
roi  prisonnier.  Il  s'efforça  de  lui  montrer  une  courtoisie 
humble  et  respectueuse;  mais  sa  voix,  tremblante  de 
colère,  ses  gestes  brusques  et  menaçans  démentaient  ses 
paroles.  «  Mon  frère ,  lui  dit  le  roi  un  peu  ému ,  ne  suis-je 
a  donc  pas  en  sûreté  dans  votre  maison  et  votre  pays?  — 
a  Oui,  monsieur,  répondit  le  duc,  et  si  sûr  que,  si  je  voyais 
a  un  trait  d'arbalète  venir  vers  vous ,  je  me  mettrais  de- 
ce  vaut  pour  vous  garantir.  Mais  ne  voulez-vous  pas  jurer  le 
<c  traité  tel  qu'il  a  été  écrit?  —  Oui,  dit  le  roi,  et  je  vous 
«  remercie  de  votre  bon  vouloir.  —  Et  ne  voulez- vous  point 
a  venir  avec  moi  à  Liège  pour  m'aider  à  punir  la  trahison 
«  que  m'ont  faite  ces  Liégeois ,  à  cause  de  vous  et  de  votre 
a  voyage  ici?  •—  Oui,  Pâques-Dieu,  et  je  suis  fort  émer- 
«  veillé  de  leur  méchanceté  ;  mais  commençons  par  jurer  le 
«  traité;  puis  je  partirai  avec  autant  ou  aussi  peu  de  mes 
«  gens  que  vous  le  voudrez.  » 

Alors  on  tira  des  coffres  du  roi  le  bois  de  la  vraie  croix, 
que  l'on  nommait  la  croix  de  Saint- Laud,  Suivant  ce  qu'on 
racontait ,  elle  avait  jadis  appartenu  à  Charlemagne ,  et  se 
nommait  alors  la  croix  de  victoire.  Nulle  relique  n'était 
autant  adorée  par  le  roi ,  et  il  croyait  qu'on  ne  pouvait 
manquer  au  serment  juré  sur  ce  bois  vénérable  sans  mourir 
dans  l'année.  Il  n'y  eut  sorte  de  promesses  et  d'assurances 
qu'il  ne  s'empressât  de  faire  à  son  beau-frère  de  Bour- 
gogne ,  qui  fit  aussi  son  serment. 
Ainsi  fut  signé  à  Péronne  ce  fameux  traité  de  1468. 
Cet  épisode  de  notre  histoire  a  fourni  au  célèbre  Walter- 
Scott  le  sujet  de  Quentin  Durward,  l'un  de  ses  romans  les 
plus  intéressans  :  il  a  aussi  inspiré  un  auteur  dramatique , 
qui  a  su  le  reproduire  avec  assez  de  bonheur  sur  notre 
scène  française. 


LES  INDES  ORIENTALES. 

§  I.  —  VOYAGES   DE  VICTOR  JACQUEMONT. 

Le  26  août  1828,  la  corvette  de  S.  M.,  la  Zélée,  appa- 
reilla de  Brest ,  en  destination  pour  le  Bengale ,  ayant  à 
bord  M.  de  Meslay ,  nommé  gouverneur  de  Pondichéry ,  et 
Victor  Jacquemont ,  jeune  naturaliste  français ,  envoyé  par 
le  gouvernement  pour  entreprendre  un  voyage  scientifique 
dans  les  Grandes-Indes. 

Victor  Jacquemont  consacre  à  ses  livres ,  à  ses  cahiers , 
tout  le  temps  qu'il  ne  passe  pas  à  philosopher  sur  le  pont 
avec  M.  de  Meslay ,  le  seul  philosophe  du  bord  après  lui. 
Jacquemont  travaille,  compulse,  dessine,  et  écrit  sans  relâ- 
che. Toutes  ses  lettres  datées  de  la  Zélée  sont  remplies  d'ob- 
servations positives ,  d'ingénieux  récits ,  de  réflexions  neuves 
et  piquantes  sur  tous  les  pays  où  le  bâtiment  relâche, 
Sainte-Croix  de  Ténériffe ,  le  Brésil ,  le  Cap ,  l'île  Bourbon  ; 
Jacquemont  visite  ces  contrées  en  courant,  et  il  en  parle 
avec  savoir  et  profondeur. 

Nous  arrivons  dans  l'Inde.  La  Zélée  vient  de  mouiller 
devant  le  fort  William  de  Calcutta;  c'est  le  5  mai  1829, 
huit  mois  après  son  départ  de  Brest.  Victor  Jacquemont , 
habillé  de  noir  de  la  tête  aux  pieds ,  et  dans  la  plus  grande 
tenue ,  saute  sur  le  rivage ,  se  jette  dans  un  palanquin  avec 
un  énorme  paquet  de  lettres  de  recommandation.  Et  le  voilà 
parti  pour  la  maison  de  M.  Pearson ,  avocat-général ,  par 
laquelle  il  commence  le  cercle  de  ses  visites  aux  notables 
Anglais  de  Calcutta. 

Il  nous  faut  connaître  maintenant  avec  plus  de  détails  ce 
jeune  Français  ainsi  jeté  par  un  vaisseau  du  roi  sur  une  terre 
étrangère,  à  quelques  mille  lieues  de  son  pays,  seul,  abso- 
lument seul,  avec  tant  de  dangers,  tant  d'aventures,  tant 
de  misères  en  perspective;  il  nous  faut  le  connaître  tel  qu'il 
est;  car  nous  avons  bien  peur  qu'avec  son  habit  noir,  ses 
2000  écus  de  haute  solde  et  son  bagage  épistolaire,  il  ne 
soit  médiocrement  recommandé  auprès  des  nobles  repré- 


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sentans  de  la  Royale  Compagnie ,  s'il  ne  paie  prodigieuse- 
ment de  sa  personne,  s'il  n'a  du  cœur,  de  l'esprit,  beau- 
coup de  bonne  humeur,  beaucoup  de  science,  des  qualités 
solides,  des  mœurs  élégantes,  l'indépendance  de  l'àrae  et 
du  caractère.  Fort  heureusement  Victor  Jacqueraont  est 
tout  cela. 

Victor  Jacquemont  était  un  de  ces  hommes  nés  avec  le 
siècle,  qui  n'avaient  connu  de  l'empire  que  sa  gloire  mili- 
taire, qui  s'étaient  associés  avec  quelque  confiance  a  toutes 
les  espérances  d'amélioration  et  de  progrès ,  qu'avait  géné- 
ralement inspirées  l'avènement  du  ministère  Martignac. 
Passionné  pour  l'étude,  avide  d'émotions  scientifiques, 
impatient  de  trouver  une  carrière  à  l'incroyable  activité  de 
son  esprit  ;  mais  obscur ,  sans  autres  antécédens  que  quel- 
ques essais  de  critique  et  des  voyages  de  recherches  géolo- 
giques en  France,  en  Suisse  et  en  Amérique ,  où  de  cruels 
chagrins  l'avaient  quelque  temps  exilé ,  sans  autre  fortune 
qu'une  instruction  immense,  Victor  Jacquemont  avait 
accepté  avec  enthousiasme  la  mission  que  lui  avait  confiée 
ce  choix  intelligent  du  Conservatoire  d'Histoire  naturelle; 
et  il  avait  compris  que  sa  destinée ,  en  le  conduisant  aux 
ludes  pour  y  faire  collection  de  plantes ,  de  couches  coquil- 
lières  et  d'animaux ,  le  chargeait  aussi  de  représenter  la 
France,  et  particulièrement  cette  génération  si  ardente,  si 
estimable  dans  sa  vivacité  même ,  à  laquelle  il  appartenait. 
Toute  cette  jeunesse  vraiment  studieuse ,  vraiment  sérieuse, 
qui  se  pressait  autour  de  la  chaire  de  Villemain,  qui  assié- 
geait le  laboratoire  de  Thénard  et  l'amphithéâtre  de  Guvier, 
Victor  Jacquemont  fut  pendant  trois  ans  son  véritable 
représentant ,  son  plénipotentiaire  habile  et  fidèle  aux 
Grandes-Indes.  Suivons  le  maintenant. 

La  première  découverte  que  fit  Victor  Jacquement,  après 
avoir  parcouru  pendant  quelques  jours  ces  salons  anglais  si 
riches,  si  brillans,  de  Calcutta ,  ce  fut  qu'avec  sa  lettre  de 
change  de  6,000  fr.  sur  M.***  et  C,  il  était  effroyablement 
pauvre.  En  effet,  qu'allait-il  faire  aux  Grandes-Indes? 
Voyager.  Or ,  à  quel  prix  voyage-t-on  dans  les  Indes  ?  Telle 
fut  la  première  question  que  notre  jeune  compatriote  se 
posa ,  et  voici  ce  qu'il  apprit. 

Un  capitaine  d'infanterie  anglaise ,  un  simple  capitaine 
ne  se  mettait  pas  en  route  sans  être  accompagné  de  vingt- 
cinq  domestiques  pour  le  moins,  savoir  ;  un  pour  sa  pipe,  un 
pour  sa  chaise  percée ,  sept  ou  huit  pour  planter  sa  tente , 
trois  ou  quatre  pour  sa  cuisine  ;  plus  un  relai  continuel  de 
douze  hommes  pour  porter  le  palanquin  dans  lequel  le 
héros  s'étendait  lorsqu'il  était  las  d'aller  à  cheval.  Un  collec- 
teur anglais  en  tournée,  emmenait  sa  femme,  son  enfant.  Il 
avait  un  éléphant ,  huit  charriots  pour  les  bagages,  deux 
cabriolets ,  un  char  pour  l'enfant ,  six  chevaux  de  selle  et 
de  voiture,  et,  pour  le  transporter  d'un  bungalow  (auberge 
officielle  où  il  y  a  les  quatre  murs)  à  l'autre,  60  à  80  por- 
teurs, indépendamment  d'une  soixantaine  de  domestiques  de 
sa  maison.  Ilfaisait  trois  toilettes  par  jour,  déjeunait,  liffinait, 
dînait,  et  le  soir  prenait  son  thé  comme  à  Calcutta,  sans  en 
rien  rabattre  ;  cristaux,  porcelaiuesétaientdépaquetés,  empa- 
quetés du  malin  au  soir;  argenterie  brillante ,  linge  blanc, 
tout  le  reste  à  proportion. 

'  Ce  train  de  vie  coûtait  cher,  et  pourtant ,  un  Anglais  qui 
se  respectait  ne  pouvait  voyager  à  moins  de  frais.  Mais  la 
vieille  dame  (c'est  la  Compagnie  anglaise,  dans  le  langage 
des  Indiens)  avait  généreusement  pourvu  à  ces  dépenses. 
Un  capitaine  anglais  avait  30,000  fr.  de  traitement;  le  sur- 
intendant du  Jardin  Botanique  80,000;  uji  collecteur 
100,000,  sans  compter  les  profits  ;  le  chief-jusiice  200,000; 
l'avocat-général ,  le  respectable  M.  Pearson ,  de  4  à  300,000; 
le  gouverneur  de  l'Inde  avait  glus  d'un  million.  Lord  Wil- 
liam Bentink  voyagaitavcc  trois  cents  éléphans,  treize  cents 
chameaux,  huit  cents  chars  à  bœufs;  et  deux  régimens, 
l'un  d'infanterie ,  l'autre  de  cavalerie ,  lui  servaient  d'es- 
corte. 

Victor  Jacqueraont  fut  très  émerveillé  de  tant  de  raagni- , 
ficence;  puis  il  calcula  ce  qu'il  lui  en  coûterait  pour  voya-'l 


I  ger  comme  le  moins  magnifique  de  ces  seigneurs  ;  mais 
s'apercevant  que  le  plus  modeste  équipage  dépasserait 
encore  ses  moyens,  il  résolut  de  solliciter  du  gouvernement 
français,  le  mieux  justifié  de  tous  les  crédits  supplémentai- 
res ,  et  d'attendre  à  Calcutta  l'effet  de  celte  demande ,  i\ue 
devaient  appuyer  à  Paris  les  plus  honorables  amitiés.  Il 
attendit  long-temps  ! 


FOURMILIER. 

Ce  nom  a  été  donné  à  des  animaux  d'une  organisation 
très-singulière ,  qui  se  nourrissent  principalement  de  four- 
mis, et  dont  on  a  formé  un  genre  particulier,  dans  le 
groupe  assez  peu  naturel  qui  constitue  l'ordre  des  édenlés, 
et  qui  différent  beaucoup  entr'eux.  La  privation  de  dents 
fait  leur  caractère  distinclif.  La  langue  est  le  seul  instru- 
ment avec  lequel  ils  saisissent  leur  proie  :  elle  est  longue , 
en  forme  tle  ver,  et  couverte  d'une  matière  glutineuse.  Le 
grand  fourmilier  a  quelquefois  huit  ou  neuf  pieds  de  lon- 
gueur, depuis  le  museau  jusqu'à  l'extrémité  de  la  queue. 
Il  est  couvert  de  poils  courts  et  épineux;  ses  mouvemens 
sont  lents,  mais  il  est  bon  nageur.  > 

Ces  animaux  sont  tous  d'Amérique;  et,  jusqu'à  présent, 
ils  sont  trop  peu  connus ,  pour  que  les  naturalistes  soient 
d'accord  sur  le  nombre  d'espèces  qu'on  doit  admettre; 
ceux  que  l'on  a  eu  occasion  de  bien  observer  et  de  bien 
décrire,  diffèrent  assez  entr'eux  par  leur  organisation  et 
par  leur  genre  de  vie ,  pour  qu'on  soit  autorisé  à  en  former  ■ 
deux  groupes  distincts  ;  en  effet ,  les  uns  ont  une  queue 
prenante,  qu'ils  emploient  comme  un  cinquième  organe  da  ' 
mouvement  ;  tandis  que  les  autres ,  au  contraire ,  ont  une  ' 
queue  lâche ,  qui  ne  peut  leur  être  d'aucune  utilité  pour  se 
mouvoir  ;  et  ils  diffèrent  tous  les  uns  des  autres  par  le  nom- 
bre des  doigts. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  fourmiliers  sont  des  animaux  dont 
les  formes  sont  épaisses,  les  allures  très  lentes  et  les  facultés 
de  l'intelligence  très  bornées  ;  le  plus  grand  et  le  plus  re- 
marquable des  fourmiliers  est  le  Camanors,  dont  la  figure 
accompagne  cet  article.  C'est  un  animal  grand  comme  un 
fort  chien ,  et  dont  la  tête  fait  le  quart  de  la  longueur  du 
corps.  Son  museau  est  presque  cylindrique,  et  sa  bouche, 
d'un  coin  à  l'autre,  n'a  que  quatorze  lignes;  ses  narines  ont 
la  figure  d'un  C;  sa  langue  est  douce,  pointue,  flexible, 
plus  large  qu'épaisse,  et  l'animal  peut  la  faire  sortir  de  près 
d'un  çied  et  demi  ;  ses  oreilles  sont  petites  et  arrondies ,  et 
son  œil  est  petit  et  sans  cils  aux  paupières.  Il  a  quatre  doigts 
aux  pieds  de  devant  ;  l'interne  est  petit ,  et  n'a  qu'un  ongle 
assez  faible  ;  mais  les  trois  autres  sont  très  forts  et  armés 
d'ongles  plus  forts  encore  à  proportion.  Les  doigts  de  der- 
rière sont  au  nombre  de  cinq  ;  ce  sont  les  trois  du  milieu  qui 
sont  les  plus  grands.  La  queue  est  extraordinairement 
épaisse  à  sa  base,  et  aplatie  sur  les  côtés;  l'animal  la  porte 
horizontalement. 

La  principale  nourriture  du  fourmilier,  comme  nons 
l'avons  dit ,  sont  les  fourmis  ;  mais  tous  les  insectes  lui 
conviennent;  et  l'on  assure  qu'on  peut  le  nourrir,  en  escla- 
vage, avec  de  la  mie  de  pain,  de  petits  morceaux  de 
viande  ou  de  la  farine  délayée  dans  de  l'eau ,  et  que  c'est 
ainsi  qu'on  est  parvenu  à  en  amener  en  Europe. 

Cet  animal  est  toujours  seul.  Tous  ses  moyens  de  défense 
paraissent  être  dans  la  force  de  ses  ongles  et  dans  les  mus- 
cles vigoureux  de  ses  jambes  de  devant.  Lorsqu'il  est  atta- 
qué ,  il  s'assied  sur  son  train  de  derrière,  et  embrasse  son 
ennemi,  qu'il  serre  jusqu'à  ce  que  l'un  ou  l'autre  péiisse. 
Lorsqu'un  homme  le  rencontre,  il  peut  le  chasser  devant 
lui  comme  une  bêle  de  somme,  sans  que  cet  animal  montre 
de  colère  ;  mais  dès  qu'on  le  presse ,  son  humeur  se  mani- 
feste par  de  violens  mouvemens  de  la  queue.  Enfin ,  on  peut 
l'assommer  à  coups  de  bâton  en  toute  sûreté ,  et  sans  qu'il 
puisse ,  par  aucun  moyen ,  se  soustraire  à  la  mort. 

Il  paraît  que  la  femelle  ne  fait  habituellement  qu'un  seul 


A  m 


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petit ,  qui  s'attache  à  sa  mère ,  et  se  ïait  ainsi  porter  partout 
avec  elle. 


RUBENS. 

Rubens  naquit  à  Cologne,  le  29  juin  4577,  d'une  famille 
noble,  originaire  de  Slyrie,  qui  \int  s'établir  à  Anvers  à  l'é- 
poque du  couronnement  de  Charles-Quint.  Jean  Rubens , 
son  père ,  exerça  dans  celte  ville  les  premières  magistra- 
tures j  mais  les  troubles ,  excités  par  les  sectaires  du  xvi^ 
siècle,  l'ayant  dégoûté  du  séjour  d'Anvers,  il  transporta 
sa  résidence  à  Cologne.  La  mère  de  Rubens  eut  sept  en- 
fans  ,  dont  Pierre-Paul  fut  le  dernier.  On  le  destina  d'abord 
à  la  robe,  et  il  se  faisait  déjà  remarquer  par  son  intelli- 
gence,  lorsque  son  père  mourut  en  1587.  Sa  mère  étant 
alors  retoiirnée  habiter  Anvers ,  il  y  continua  ses  études , 
et  fit  sa  rhétorique  d'une  manière  si  distinguée ,  qu'il  par- 
lait et  écrivait  le  latin  aussi  facilement  que  sa  langue  ma- 
ternelle. Il  fut  alors  placé,  en  qualité  de  page,  chez  la  com- 
tesse de  Lalain ,  d'une  des  plus  nobles  familles  de  Flandre; 
mais  il  ne  se  plut  pas  dans  cette  condition,  et  obtint  de  sa 
mère,  à  force  d'instances,  la  permission  de  s'adonner  à  la 
peinture.  Il  fut  admis  dans  l'école  d'Adam  Van-Ort,  qu'il 
quitta  bientôt  pour  travailler  sous  Otlo  Vœnius ,  peintre 
fort  estimé  à  cette  époque.  Après  quatre  années  d'études, 
il  se  montra  supérieur  à  ses  deux  maîtres ,  et  partit  pour 
l'Italie  en  1600.  Il  se  rendit  d'abord  à  Venise  pour  y  étu- 
dier les  chefs-d'œuvre  du  Titien ,  du  Tintoret  et  de  Paul 
Véronèse.  Le  duc  de  Mantoue,  informé  de  ses  succès,  l'at- 
tira à  sa  cour,  et  lui.confia  une  mission  auprès  du  roi  d'Es- 
pagne,  Philippe  III.  Rubens  s'en  acquitta  à  l'entière  salis- 
faction  des  deux  princes,  et  revint  à  Mantoue,  d'où  le  duc 
l'envoya  à  Rome  pour  y  copier  les  plus  beaux  tableaux  de 
l'école  romaine.  De  Rome  il  alla  à  Florence  et  y  étudia  les 
grands  ouvrages  de  la  sculpture  antique  et  ceux  du  célèbre 
Michel-Ange;  puis  il  se  rendit  à  Bologne,  pour  y  voir  les 
peintures  des  Carraches  :  après  quoi  il  retourna  à  Venise , 
guidé  par  la  prédilection  qu'il  avait  pour  les  grands  colo- 
ristes de  celte  école.  Après  un  assez  long  séjour  dans  cette 
ville ,  il  alla  de  nouveau  à  Rome  et  y  fit ,  pour  le  pape  et 
les  cardinaux ,  une  foule  de  tableaux  qu'il  serait  trop  long 
d'énumérer.  Quoiqu'il  fût  en  Italie  depuis  sept  ans ,  il  n'a- 
vait vu  ni  Milan ,  ni  Gènes.  Il  résolut  de  visiter  ces  deux 
villes.  A  Milan,  il  dessina  la  fameuse  Cène  de  Léonard  de 
Vinci  ;  et  c'est  d'après  ce  dessin,  rapporté  par  lui  en  Flan- 
dre, que  Wildoock  en  exécuta  la  gravure  au  burin.  Sa  ré- 
putation l'avait  devancé  à  Gênes  ;  aussi  y  reçut-il  l'accueil 
le  plus  flatteur ,  ce  qui  l'engagea  à  y  séjourner  assez  long- 
temps. Parmi  les  tableaux  qu'il  fit  pour  cette  ville,  il  en  est 
deux  que  les  Génois  regardent  comme  ses  chefs-d'œuvre. 
An  milieu  de  ses  travaux,  il  apprend  lout-à-coup  que  sa 


mère  est  dangereusement  malade.  Tout  cède  à  cette  consi- 
dération :  il  prend  la  poste;  mais  en  route  il  reçoit  la  nou- 
velle qu'elle  a  cessé  de  vivre.  Il  se  retire  alors  dans  l'ab- 
baye de  Saint-Michel ,  auprès  de  Bruxelles ,  pour  s'y  livrer 
sans  distraction  à  sa  douleur,  occupé  uniquement  d'élever 
im  monument  à  sa  mère.  Lorsqu'il  reparut  à  Anvers,  cha- 
cun s'empressa  de  le  combler  d'honneurs  :  loulefois  il  son- 
geait à  retourner  en  Ilalie,  dont  le  climat  convenait  mieux 
à  ses  goûts  et  à  sa  santé;  mais  l'archiduc  Albert  et  son 
épouse  Isabelle  ne  voulurent  pas  laisser  partir  un  artiste 
qui  faisait  la  gloire  de  son  pays  :  ils  l'appelèrent  à  la  cour 
de  Bruxelles,  lui  donnèrent.une  pension  considérable  et  le 
litre  de  chambellan.  Rubens  ne  résista  pas  à  tant  de  fa- 
veurs; mais  il  obtinl  la  permission  de  résider  à  Anvers,  où 
il  pouvait  se  livrer  à  ses  travaux  favoris,  sans  être  distrait 
par  le  tourbillon  de  la  cour.  Il  acheta  dans  cette  ville  une 
maison  spacieuse  ,  qu'il  fit  rebâtir  à  la  romaine,  et  où  il  dé- 
ploya la  magnificence  d'un  prince  :  il  orna  d'une  collection 
de  belles  peintures  et  de  précieux  morceaux  de  sculpture 
antii|ue  ,  une  rotonde  qu'il  avait  fait  élever  exprès  entre 
cour  et  jardin,  et  qui  était  percée  de  grandes  fenêtres  cein- 
Irées  et  surmontée  d'un  dôme.  En  1610,  il  épousa  Isabelle 
Brant ,  nièce  de  la  femme  de  son  frère  aîné ,  Philippe  Ru- 
bens, secrétaire  de  la  ville  d'Anvers.  Le  duc  Albert  voulut 
tenir  sur  les  fonts  de  baptême  le  premier  enfant  de  Rubens, 
et  lui  donna  son  nom. 

Doué  d'une  prodigieuse  facilité,  ce  grand  peintre  exé- 
cuta, pendant  son  séjour  à  Anvers ,  une  multitude  innom- 
brable de  tableaux  de  tous  genres  ,  dont  la  plupart,  après 
avoir  fait  partie  du  musée  du  Louvre,  ont  été  rendus  aux 
Pays-Bas  en  1815.  Parmi  ces  admirables  peintures,  nous 
devons  citer  la  fameuse  Descente  de  croix. 

Rubens  était  aussi  habile  architecte  que  grand  peintre. 
C'est  lui  qui  présida  à  la  construction  de  la  superbe  église 
des  jésuites  à  Anvers.  Il  en  fit  tous  les  plans ,  et  pour  ache- 
ver d'embellir  cet  édifice,  il  y  peignit  trente-six  plafonds, 
qui  ont  été  reproduits  deux  fois  par  la  gravure  sur  ses  des- 
sins originaux.  Malheureusement  un  incendie,  causé  par  la 
foudre,  en  1718,  dévora  tout  l'édifice,  à  l'exception  du  grand 
chœur,  de  deux  chapelles  et  du  portail. 

La  réputation  de  Rubens,  répandue  dans  toute  l'Europe, 
attira  l'attention  de  Marie  de  Médicis,  qui  résolut  de  lui 
confier  l'embellissement  de  son  palais  du  Luxembourg.  En 
1620,  elle  le  fit  inviter  à  se  rendre  à  Paris.  Il  y  fut  reçu 
avec  distinction.  Après  avoir  pris  les  ordres  de  la  reine,  il 
retourna  à  Anvers  pour  y  exécuter  les  tableaux  qu'on  lui 
avait  commandés ,  et  ne  revint  à  Paris  que  lorsqu'il  les  eut 
terminés.  Ce  sont  tous  ces  tableaux  allégoriques  qu'on  ad- 
mire dans  les  galeries  du  Louvre  :  il  les  fit  en  vingt  mois. 
Ici  commence  pour  Rubens  une  nouvelle  carrière ,  où  il 
se  distingua  par  les  brillantes  qualités  de  son  esprit.  Marie 
de  Médicis,  s'étant  brouillée  avec  son  fils,  était  venue  cher- 
cher un  refuge  à  Bruxelles,  et  réclamer  la  médiation  de 
l'infante  et  archiduchesse  Isabelle ,  et  du  roi  d'Espagne. 
L'archiduchesse,  qui  connaissait  la  capacité  de  Rubens ,  et 
qui  savait  le  cas  particulier  qu'en  faisait  la  reine-mère ,  le 
choisit  pour  conduire  cette  négociation.  S'il  ne  réussit  pas, 
c'est  qu'il  rencontra  des  obstacles  insurmontables  ;  et  la 
reine,  quittant  alors  la  Belgique,  trouva  un  asile  à  Cologne, 
où  elle  mourut  de  misère ,  en  1643 ,  dans  la  maison  même 
où  Rubens  était  né. 

Pendant  son  séjour  à  Paris ,  Rubens  avait  fait  connais- 
sance avec  le  duc  de  Buckingham,  qui  était  venu  chercher 
la  princesse  Henriette  de  France ,  destinée  à  Charles  I". 
Ce  seigneur  lui  témoigna  le  désir  de  voir  cesser  la  mésin- 
telligence qui  régnait  depuis  long-temps  entre  les  cours 
d'Espagne  et  d'Angleterre.  Rubens  fit  part  de  celte  ouver- 
ture à  l'archiduchesse ,  et  en  reçut  l'ordre  d'entretenir  un 
commerce  de  lettres  avec  le  duc,  tandis  qu'  elle  prendrait 
de  son  côté  les  ordres  de  la  cour  d'Espagne.  Ces  diverses 
négociations  ,  qu'il  menait  de  front  avec  ses  travaux ,  lui 
valurent  les  plus  grandes  marques  d'estime. 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


«Oft 


Ayant  perdu  sa  femme,  en  1626,  il  résolut  de  parcourir 
la  Hollande,  pour  faire  diversion  à  sa  douleur.  Pendant 
tout  ce  voyage ,  il  ne  traversait  jamais  une  ville  sans  visiter 
les  artistes ,  laissant  partout  des  preuves  éclatantes  de  son 
amour  [lour  les  arts,  de  sa  générosité  et  de  son  affection 
pour  ses  rivaux.  Il  s'acquitta  en  même  temps ,  avec  zèle  et 
talent ,  d'une  mission ,  dont  l'avait  chargé  Isabelle  auprès 
des  états-généraux  de  La  Haye.  A  son  retour,  il  avait  repris 
ses  pinceaux,  lorsque  la  politique  vint  encore  l'arracher  aux 
arts.  Il  fut  envoyé  à  Madrid  pour  suivre  les  négociations 
qu'il  avait  déjà  entamées  avec  le  duc  de  Buckiugham.  Le  roi 
d'Espagne  s'entretint  souvent  avec  lui  en  particulier,  et  con- 
çut une  opinion  si  avantageuse  de  ses  rares  talens,  qu'il 
n'hésita  pas  à  lui  faire  délivrer  les  patentes  de  secrétaire  du 
conseil  privé  de  l'archiduchesse.  Pendant  qu'il  était  en  Es- 
pagne, le  roi  de  Portugal,  désirant  connaître  un  artiste 
d'une.si  grande  renommée,  lui  fit  dire  de  se  trouver,  sur  la 
frontière ,  à  sa  maison  royale  de  Villa- Viciosa.  Rubens  se 
rendit  à  cette  invitation  avec  un  grand  nombre  de  seigneurs 
espagnols,  curieux  de  voir  la  cour  portugaise.  Mais  le  roi 


de  Portugal ,  craignant  sans  doute  d'avoir  à  défrayer  tant 
de  monde ,  envoya  un  de  ses  gentilshommes  à  Rubens  pour 
l'informer  que  sa  majesté  avait  été  forcée  de  retourner  en 
toute  liâte  à  Lisbonne ,  et  lui  offrit ,  de  sa  part ,  une  bourse- 
de  SO  pisloles  pour  les  dépenses  de  son  voyage.  Rubens  dit 
à  l'envoyé  :  «  Je  vous  prie ,  monsieur,  de  présenter  me» 
«  très-humbles  respects  à  S.  M.  ;  je  regrette  de  ne  pouvoir 
«  prendre  moi-même  les  ordres  dont  elle  aurait  voulu  m'ho- 
a  norer.  Quant  au  motif  de  mon  voyage ,  je  la  prie  d'être 
«  convaincu  que  je  n'y  ai  pas  été  déterminé  par  l'appât  d'un 
a  présent  de  50  pistoles,  puisque  j'en  avais  apporté  1,000 
a  avec  moi ,  pour  ma  dépense  et  celle  de  ces  messieurs  qui 
«  m'accompagnent,  pendant  notre  séjour  à  Villa-Viciosa.  » 
Et  il  reprit  la  route  de  Madrid.  Enfin ,  après  un  séjour  de 
dix-huit  mois  dans  cette  ville ,  le  roi  lui  fit  remettre  ses 
instructions  et  ses  lettres  de  créance  pour  la  cour  de  Lon- 
dres, et  lui  fit  présent  d'une  bague  enrichie  de  superbes 
diamans ,  et  de  six  beaux  chevaux  andalous.  En  Angleterre  y 
il  ne  reçut  pas  un  accueil  moins  flatteur.  Par  son  adresse , 
il  parvint  à  remplir  de  la  manière  la  plus  satisfaisante  le  but 


LA  MAISON  DE  RUBENS. 


(Vue  de  la  façade  du  jardiu  de  Rubens,  dessinée  par  lui-même.) 


de  sa  mission ,  et  Charles  I*'"  fut  si  content  de  lui ,  qu'il  le 
créa  chevalier  en  plein  parlement ,  et  ne  le  renvoya  à  Ma- 
drid qu'après  l'avoir  comblé  de  présens. 

De  retour  à  Anvers ,  il  épousa  sa  seconde  femme ,  Hélène 
Froment  (iCSO) ,  et  se  délassa  de  ses  travaux  diplomatiques 
en  reprenant  ses  occupations  accoutumées.  Mais  Isabelle 
réclama  encore  ses  services ,  et  le  députa  de  nouveau  auprès 
des  états  de  Hollande ,  qui  lui  faisaient  la  guerre  et  dont  lés 
pi  ogres  commençaient  à  l'effrayer.  Rubens ,  sous  le  prétexte 
d'acheter  des  tableaux ,  se  rendit  à  La  Haye  et  eut  quelques 
conférences  secrètes  avec  le  prince  Maurice  de  Nassau  :  .!! 
conduisit  si  habilement  celte  affaire  qu'il  en  assura  la  réus 
site,  et  que  les  négociateurs,  qui  lui  succédèrent,  n'eurent 
qu'à  suivre  la  route  tracée  par  ses  premières  démarches. 

Quelques  temps  après,  lorsque  le  prince  Ferdinand  fit 
son  entrée  à  Anvers,  n'ayant  pu  se  présenter  à  lui,  à  cause 
d'un  violent  accès  de  goutte,  il  reçut  la  visite  de  ce  prince 
dans  son  atelier,  qui  déjà  avait  été  honoré  de  la  présence  de 
plusieurs  souverains.  C'est  ainsi  que  chacun  s'empressait  de 
rendre  hommage  à  ses  vertus  et  à  ses  talens. 

Rubens  mourut  le  30  mai  1640,  et  fut  inhumé  dans 
l'église  St.-Jacques  d'Anvers. 

Ce  grand  artiste  possédait  toutes  les  qualités  les  plus  pré- 
cieuses. Son  extérieur  était  agréable ,  ses  manières  distin- 
guées, sa  conversation  brillante.  Étranger  à  tout  sentiment 


d'envie ,  il  faisait  un  noble  usage  de  la  grande  fortune  qu'il 
avait  acquise.  Il  est  peu  de  peintres  qui  aient  autant  produit  : 
ses  ouvrages,  connus  par  la  gravure,  sont  au  nombre  de  près 
de  quinze  cents.  On  l'a  vu  souvent  faire  plusieurs  esquisses 
du  même  sujet,  et  toutes  différentes.  Suivant  l'impétuosité 
de  sa  pensée  et  la  reproduisant  avec  chaleur,  il  sacrifiait  à  la 
magie  de  sa  couleur,  l'exactitude  du  trait,  et  son  suprême 
mérite  consiste  dans  le  grandiose  de  l'effet ,  dans  l'enthou- 
siasme et  la  variété  de  sa  composition.  Rubens  eut  un  grand 
nombre  d'élèves,  dont  la  plupart  le  secondèrent  dans  ses 
travaux  ;  les  plus  célèbres  sont  Van  Dyck ,  Diepenbeck , 
Wildens,  Sneyders,  Van  Mol,  Van  Tulden,  Jacques  Jor- 
darus ,  Erasme  Quelliniis ,  Gérard  Séghers ,  et  David  Te- 
niers ,  dit  U  Vieux. 


LE  THIBET. 

Le  Thibef  comprend  toutes  les  contrées  qui  s'étendent 
au  nord  de  l'Hindoustan,  à  l'est  de  la  grande  Bukharie,  au 
sud  de  la  petite  Bukharie ,  à  l'ouest  de  la  Chine  et  au  nord- 
ouest  de  l'empire  des  Birmans ,  entre  les  28  et  57  degrés  de 
latitude  N. ,  et  les  T\  et  97  degrés  de  longitude  E.  Ce  pays, 
qui  consiste  principalement  en  un  vaste  plateau ,  vraisem- 
blablement le  plus  élevé  du  globe,  est  borné  et  traversé 


103 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


par  des  montagnes  d'une  hauteur  prodigieuse,  entr'autres 
la  chaîne  de  l'Hymalaya.  La  capitale  Lassa  est  le  siège  du 
gouvernement  thibétain  et  des  mandarins  cliinois ,  qui  en 
ont  la  surveillance  depuis  que  l'empereur  du  céleste  efhinre 
a  re«du  le  Thibet  tribulatre  (^24). 

La  religion  des  habitans  est  le  lamamisme,  qui  a  beau- 
coup de  rapport  avec  celle  des  Hindous;  ils  adorent  une 
idole  appelée  Mahamonni  (le  Bouddha  du  Bengale)  ;  mais 
ils  ont  la  plus  grande  vénération  pour  leur  grand  Lama , 
qu'ils  regardent  comme  l'agent  de  Dieu  sur  la  (erre  ;  il  est 
investi  des  soins  de  l'administration,  et  sa  juridicUon, 
comme  souverain  pontife ,  s'étend  aux  Kalmoucks  et  aux 
Mongols,  Son  palais ,  situé  sur  la  Montagne  sainte ,  à  sept 
milles  de  Lassa ,  est  couronné  d'un  dôme  doré  à  soixante- 
deuxbrasses  de  haut;  l'extérieur  est  décoré  d'innombrables 
pyramides  d'or  et  d'argent  ;  les  dix  mille  chambres  intérieu- 
res contiennent  un  nombre  immense  d'idoles  de  même 
matière.  Le  monastère  Teshou-Lombou ,  qui  sert  de  rési- 
dence au  second  Lama ,  contient  trois  à  quatre  cents  appar- 
temens  habités  par  des  moines.  Les  bâtimens  sont  princi- 
palement construits  en  pierres  brutes  et  ont  plusieurs  étages. 
Dans  les  grandes  maisons ,  l'intérieur  est  orné  de  sculptu- 
res. Le  bas  peuple  et  les  habitans  des  campagnes  bâtissent 
ordinairement  leurs  cabanes  sur  le  penchant  des  montagnes, 
afin  d'être  plus  près  du  bois  et  de  l'eau.  Les  tribus  nomades 
habitent  en  grande  partie  dans  des  tentes  de  feutre  noir. 
Les  gens  du  peuple  portent  un  liabit  à  grand  collet ,  et  un 
chapeau  en  laine  fine  ou  en  camelot  ;  ils  tiennent  un  cha- 
pelet à  la  main  et  se  ceignent  avec  une  courroie  ou  un 
mouchoir  en  colon ,  auxquel  ils  attachent  un  coutelas,  une 
j)etite  tasse,  un  briquet,  etc.  Les  femmes  et  les  filles  ont 
les  cheveux  partagés  depuis  le  sommet  de  la  tête  et  ti'essés 
comme  des  cordes  en  deux  queues  nattées;  plus  il  y  a  d'art 
dans  les  coiffures ,  plus  on  les  trouve  belles.  Les  filles  qui  ne 
sont  pas  encore  mariées  ajoutent  par  derrière  une  troisième 
queue.  Toutes  les  femmes  ont  un  petit  bonnet  de  velours 
rouge  ou  vert  et  pointu  par  le  haut  ;  elles  portent  des  botti- 
nes ,  des  jupes  d'étamine  noire  ou  rouge,  un  tablier  d'étoffe 
de  soie  de  diverses  couleurs  et  garni  d'une  bordure  de 
fleurs  brodées.  Elles  parent  leurs  doigts  d'anneaux  de  co- 
rail ,  montés  en  argent.  Dès  leur  naissance ,  elles  ont  au 
poignet  gauche  nn  bracelet  d'argent ,  et  au  droit  un  autre 
en  coquillages,  qu'elles  n'ôlent  que  lorsqu'ils  s'usent  d'eux- 
mêmes  ou  se  brisent.  Les  femmes  de  toutes  conditions  por- 
tent un  ou  deux  chapelets  en  corail  ou  en  ambre  jaune; 
elles  suspendent  à  leur  cou  une  pietite  boîte  d'argent  conte- 
nant leur  dieu  protecteur;  elles  portent  sur  la  poitrine  un 
anneau  en  argent ,  au  bout  duquel  il  y  a  de  petites  chaînes 
avec  lesquelles  elles  attachent  leur  schall  par  devant.  Les 
chapeaux  des  femmes  riches  sont  couverts  de  perles  ;  ils 
sont  faits  de  bois,  verni  et  enduit  d'une  couche  de  vermillon. 
Toute  femme  ou  fille  (lui  doit  se  présenter  devant  un  Lama 
se  barbouille  la  figure  avec  du  sucre  rouge  ou  avec  les 
feuilles  de  thé  qui  restent  dans  la  théière.  Si  elle  ne  le  fait 
pas ,  on  dit  que  par  sa  beauté  elle  veut  séduire  un  prêtre , 
et  c'est  une  chose  qu'on  ne  lui  pardonne  jamais. 

Les  mœurs  tliibétaines  offrent  une  foule  de  singularités; 
le  journal  asiatique  a  plusieurs  fois  donné  des  détails  curieux 
sur  ce  pays  encore  aujourd'hui  presqu'inconnu.  Lorsqu'un 
maître  de  maison  donne  un  festin  ,  il  s'assied  à  la  place  la 
plus  distinguée;  il  ne  va  pas  à  la  rencontre  du  convive  et 
ne  le  reconduit  pas  ;  si  le  convié  est  d'un  plus  haut  rang  que 
l'autre ,  on  lui  offre  le  vin  avant  les  autres ,  et  pour  comble 
d'honneur,  on  lui  présente  du  beurre-  Les  riches  donnent 
des  repas  deux  ou  trois  fois ,  et  les  pauvres  au  moins  une 
fois  par  mois.  Les  tables  sont  garnie^  de  jujube ,  d'abricots, 
de  bœuf  et  de  mouton. 

Les  trois  grandes  époques  de  la  vie ,  la  naissance ,  le 
mariage  et  la  mort ,  sont  accompagnées  de  pratiques  et  de 
cérémonies  singulières.  Lorsqu'un  enfant  vient  de  naître  on 
ne  le  lave  point,  et  trois  jours  après  on  lui  frotte  le  corps 
avec  du  beurre  et  on  l'expose  au  soleil.  Sa  mère  ne  le  nour- 


rit que  quelques  jours ,  et  lui  donne  à  boire  une  espèce  de 
bouillie  faite  de  farine  grillée.  Quand  l'enfant  est  devenu 
grand ,  on  lui  apprend  à  écrire ,  à  compter,  ou  à  exercer 
un  métier  (luelconque,  si  c'est  un  garçon;  et  si  c'est  une 
fille ,  on  lui  enseigne  à  connaître  les  poids ,  à  faire  le  cora-  ; 
merce ,  à  filer,  mais  non  pas  à  coudre.  On  regarde  la  nais-  ' 
sauce  d'une  fille  comme  un  grand  bonheur;  comme  les 
prêtres  sont  très  respectés,  la  plus  grande  partie  des  jeunes 
gens  se  consacrent  à  l'état  monastique,  et  c'est  la  principale 
cause  de  la  faible  population  du  Thibet. 

Les  mariages  se  font  en  considérant  l'importance  de  la 
maison  à  laquelle  on  s'allie.  Dans  un  homme ,  on  estime  ses 
connaissances  littéraires,  et  dans  une  fille  son  aptitude 
pour  le  commerce  et  la  connaissance  qu'elle  a  du  ménage. 
Entre  les  familles  nobles  et  riches ,  les  mariages  s'arrangent 
par  l'entremise  d'une  amie;  dans  les  autres,  après  qite  le 
jeune  homme  et  la  jeune  fille  sont  d'accord,  le  premier, 
pour  en  venir  aux  fiançailles,  fait  inviter  une  ou  deux 
parentes  ou  amies ,  auxquelles  sa  famille  donne  des  mou- 
choirs ;  ensuite  ses  parens  leur  disent  :  «  Dans  notre  famille 
se  trouve  un  beau  et  brave  jeune  homme  qui  désire  s'allier 
par  mariage  avec  la  fille  de  telle  autre  famille.  »  Les  entre- 
metteuses prennent  les  mouchoirs ,  se  rendent  à  la  maison 
de  la  jeune  fille  et  la  demandent  en  mariage  ;  si  la  famille 
y  consent,  elle  fixe  le  jour  des  fiançailles ,  qui  ont  lieu  dans 
la  maison  des  parens  de  la  femme  et  auxquelles  on  invite 
tous  les  parens  et  les  amis  des  deux  familles.  Alors  les  entre- 
metteuses apportent ,  de  la  part  du  prétendu ,  du  vin  et  des 
mouchoirs,  et  déclarent  l'âge  du  jeune  homme.  Si  les 
parens  de  la  fille  sont  d'accord  sur  ce  mariage ,  on  boit  le 
vin  et  on  se  partage  les  mouchoirs ,  et  l'entremetteuse  atta- 
che l'ornement  en  turquoise ,  appelé  sedziCi,  sur  la  tête  de 
la  jeune  fille ,  à  laquelle  on  fait  des  présens  de  thé ,  d'habils, 
d'or,  d'argent,  de  bétail  et  de  moutons.  Quand  le  temps 
d'aller  chercher  la  fiancée  est  arrivé ,  les  deux  familles  font 
leurs  invitations,  les  conviés  arrivent  avec  des  présens,  et 
les  parens  de  la  fiancée  lui  donnent  pour  dot  des  terres  et 
du  bétail.  Le  jour  des  noces ,  on  dresse  devant  la  maison  de 
celle-ci  une  tente ,  au  milieu  de  laquelle  on  étale  trois  ou 
quatre  matelas  carrés ,  puis  on  prend  un  plat  de  blé  dont 
on  répand  les  grains  par  terre.  La  fiancée  s'assied  à  la  place 
la  plus  élevée,  le  père  et  la  mère  se  mettent  près  d'elle; 
les  autres  parens  des  deux  côtés  d'après  leur  rang.  On  pose 
devant  eux  de  petites  tables  couvertes  de  fruits.  Le  repas 
fini ,  on  conduit  la  fiancée  à  pied  à  la  maison  du  futur;  on 
la  place  près  de  lui  et  on  leur  présente  à  tous  deux  du  vin 
et  du  thé. 

Un  quart-d'heure  après ,  les  nouveaux  époux  s'asseyent 
à  part ,  et  tous  les  parens  leurs  donnent  des  mouchoirs , 
qu'ils  disposent  devant  eux;  les  gens  les  plus  distingués  les 
leur  passent  autour  du  cou.  Le  lendemain  la  famille  des 
mariés ,  revêtue  de  ses  plus  beaux  habits ,  parcourt  la  ville 
ou  fait  des  visites  aux  plus  proches  parens ,  qui  viennent  à 
leur  rencontre  à  la  porte  de  la  maison  et  leur  offrent  do  thé 
et  du  vin.  Après  avoir  bu  ,  on  s'assied  en  cercle ,  les  jambes' 
croisées,  et  on  chante.  On  passe  ainsi  trois  jours,  et  le' 
mariage  est  consommé. 

Dans  le  Thibet ,  les  femmes  sont  plus  robustes  que  les 
hommes  ;  ceux-ci  sont  toujours  d'une  constitution  délicate. 
Les  femmes  sont  chargées  de  travailler  à  la  terre ,  les  villa- 
geoises font  tous  les  travaux  qui  chez  nous  sont  le  partage 
des  hommes.  La  polygamie  est  permise ,  mais  en  sens  in- 
verse des  autres  contrées  de  l'Orient;  ici  ce  sont  les  femmes 
qui  peuvent  avoir  plusieurs  maris,  et  souvent  tro's  ou 
quatre  frères  de  la  même  famille  prennent  la  même  femme. 
Seulement  l'aîné  a  le  privilège  du  choix.  Ils  se  partagent 
entr'eux,  à  leur  gré,  les  garçons  et  les  filles  qtii  naissent 
de  cette  union  ,  et  lorsqu'une  femme  vit  en  bonne  intelli- 
gence avec  tous  ses  maris ,  elle  reçoit  l'épithète  û'acconi' 
plie ,  parce  qu'elle  gouverne  bien  la  maison. 

Ce  sont  en  général  les  femmes  «pii  font  le  conmierce  ; 
celle  qui  ne  sait  ni  labourer,  ni  semer,  ui  filer,  ni  lisser 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


A^ 


des  camelots,  ni  faire  d'autres  travaux  domestiques ,  devient 
un  objet  de  dérision  pour  tout  le  monde.  Les  mariages  sont 
indissolubles ,  mais  l'adultère  n'est  point  considéré  comme 
honteux.  Si  une  femme  mariée  se  lie  avec  un  étranger,  elle 
dit  sans  cérémonie  à  son  mari,  qu'un  tel  est  son  amant 
(yngdou).  Le  mari  n'en  est  aucunement  affecté,  et  si  les 
deux  époux  sont  d'ailleurs  contens  l'un  de  l'autre,  ils  con- 
tinuent de  vivre  en  bonne  harmonie. 

Quand  un  homme  meurt,  on  rapproche  sa  tôte  des 
genoux ,  on  lui  place  les  mains  entre  les  jambes  et  on  le 
maintient  ainsi  avec  des  cordes  ;  puis  on  le  revêt  de  ses 
habits  ordinaires ,  et  on  le  met  dans  un  sac  de  cuir  ou  dans 
un  panier,  qu'on  suspend  à  une  poutre.  On  le  pleure ,  on 
invite  des  lamas  à  dire  des  prières;  on  porte  aux  temples  du 
beurre  qu'on  fait  brûler  devant  les  images  divines  ;  tous  les 
effets  du  défunt  sont  donnés  aux  lamas  ;  quelques  jours  après 
la  mort ,  on  porte  le  corps  sur  les  épaules  à  la  place  des 
découpeurs,  qui ,  l'ayant  attaché  à  une  colonne  en  pierre , 
le  coupent  en  petits  morceaux  qu'ils  donnent  à  manger  aux 
chiens ,  ce  qui  s'appelle  enterrement  terrestre.  Quant  aux 
os ,  on  les  pile  dans  un  mortier ,  on  les  mêle  avec  de  la 
farine  grillée ,  et  on  fait  des  boulettes  qu'on  donne  encore 
aux  chiens  ou  aux  vautours:  c'est  alors  Yenterrement 
céleste.  On  regarde  ces  deux  manières  d'être  enterré  comme 
très-heureuses. 

Les  découpeurs  de  morts  ont  pour  chef  un  dheha  ;  les 
frais  se  montent  à  quelques  dizaines  de  pièces  d'argent 
monnayé.  Les  cadavres  de  ceux  qui  n'ont  pas  d'argent  sont 
jetés  à  l'eau  ;  c'est  ce  qu'on  appelle  la  sépu  Iture  aquatique; 
on  la  regarde  comme  un  malheur.  Quand  un  lama  meurt , 
on  brûle  son  corps  et  on  lui  élève  un  obélisque.  Quand  un 
pauvre  meurt ,  ses  parens  et  ses  amis  se  cotisent  pour  venir 
au  secours  de  sa  famille.  Alamort  d'un  riche,  on  apporte 
des  mouchoirs  et  on  console  ses  parens  et  les  gens  de  la 
maison  ;  de  plus ,  on  leur  envoie  du  thé  et  du  vin. 

Le  deuil  consiste  en  ce  que  l'on  ne  se  montre  pas  en 
habits  parés  pendant  cent  jours.  On  ne  se  peigne  pas  les 
cheveux  ,  on  ne  se  lave  pas  ,  et  de  plus ,  les  femmes  ne 
portent  pas  de  boucles  d'oreilles ,  ni  de  chapelets  au  cou. 
Les  riches  font  venir  quelquefois  des  lamas  pour  réciter  des 
prières;  mais  tout  cela  se  termine  au  bout  d'un  an.  En 
général ,  on  respecte ,  dans  le  Thibet ,  les  jeunes  gens ,  et 
l'on  ne  fait  aucun  cas  des  vieillards.  On  évite  les  malades , 
et  mourir  à  la  guerre  est  un  sujet  de  gloire  pour  toute  la 
famille. 


SINGULARITES  HISTORIQUES. 

MŒURS  ET  USAGES  AU  MOYEN-AGE. 

De  toutes  les  parties  de  notre  histoire ,  il  n'en  est  pas  de 
plus  intéressante  que  celle  qui  nous  retrace  les  mœurs  et  les 
usages  de  nos  pères  ;  la  bizarrerie  du  costume ,  l'étrangeté 
de  l'habillement ,  le  maintien  raide  et  empesé,  nous  parais- 
sent chose  plaisante ,  et  nous  ne  pouvons  manquer  de  sou- 
rire du  mauvais  goût  de  nos  ancêtres.  On  lit  dans  divers 
auteurs  contemporains  de  ces  siècles  encore  si  peu  connus , . 
quelques  faits  assez  piquans  que  nous  nous  contenterons  de 
rapporter  avec  cette  naïveté  de  langage  qui  a  pour  nous  tant 
d'attraits. 

Ainsi  messire  Juvénaldes  Ursins,  le  grave  historien  du 
règne  de  Charles  VI ,  passe  en  revue ,  dans  un  des  chapitres 
rie  son  ouvrage ,  la  manière  dont  les  dames  se  coiffaient 
alors  :  «Icelles  dames  et  damoiselles  faisaient  de  grands 
excès  en  parures ,  et  portaient  des  cornes  hautes  et  larges , 
ayant  de  chaque  côté  deux  grandes  oreilles  si  larges  que 
quand  elles  voulaient  passer  par  un  huis  (porte),  il  leur  était 
impossible  de  le  faire.  »  Ces  coiffures  bizarres  étaient  nées 
en  Flandre  comme  nous  l'apprend  Thomas  Couai  e ,  moine 
célèbre  du  xv"  siècle  ;  dans  de  longues  et  fulminantes  pré- 
dications ,  il  s'éleva  contre  ces  cornes  :  «  Ce  sont  choses 
paillardes ,  indécentes  et  damnables  s'écriait-il  avec  force 


devant  les  assemblées  nombreuses  de  dames  et  damoisel> 
les.  »  Toutefois  ses  sermons  ne  produisirent  aucun  effet,  les 
anciennes  tapisseries  de  Flandre  nous  ont  conservé  ces 
coiffures  gigantesques  qui  allaient  jusqu'à  trois  et  quatre 
pieds  de  hauteur. 

C'est  surtout  sous  le  règne  de  Louis  XI  que  l'on  vit  les; 
coiffures  des  nobles  dames ,  prendre  un  essor  prodigieux  i 
«Les  femmes,  dit  Monstrelet,  mirent  sur  leur  tête  des 
bourrelets  à  manière  de  bonnets  ronds  qui  s'amenuisaient 
par  dessus  de  la  hauteur  d'une  demi-aune;  »  et  Erasme  dans 
son  dialogue  intitulé  :  Senatulus,  vient  encore  confirmer  ce 
témoignage  :  «  Il  s'élevait  autrefois ,  écrit  le  savant  docteur,, 
des  cornes  sur  le  haut.de  la  tête  des  femmes,  auxquelles 
elles  attachaient  des  espèces  de  voiles  (linteamina);  ces  coif- 
fures distinguaient  les  femmes  de  premier  rang.  »  Sous^ 
Louis  XII,  les  petites  maîtresses  apportèrent  quelques  mo- 
difications à  ce  singulier  accoutrement  :  «  Les  dames,  dit 
un  chroniqueur ,  abaissèrent  un  peu  les  coiffes  dont  elles: 
se  paraient,  et  se  contentèrent  de  longs  voiles  noirs  ornés; 
de  franges  rouge  ou  pour|)re.  »  C'était  la  coiffure  d'Anne 
de  Bretagne  depuis  la  mort  de  Charles  VIII;  on  la  voili 
ainsi  représentée  sur  quelques  gravures  du  temps. 

Si  nous  examinons  maintenant  certains  usages  en  vigueur 
chez  nos  pères,  nous  rencontrons  une  foule  de  détails  d'une 
assez  piquante  curiosité.  La  manière  déporter  la  barbe,, 
par  exemple,  peut  être  l'objet  de  toute  une  histoire  qui 
n'est  pas  sans  quelque  intérêt. 

Il  est  de  principe  certain  que  tout  Français  était  soldat  ; 
s'il  embrassait  tout  autre  état,  il  cessait  d'être  Français;  pour 
marquer  qu'il  n'était  plus  de  la  nation  on  l'obligeait  à  se 
couper  la  barbe  et  les  cheveux,  signe  qui  servait  à  distin- 
guer le  Français  d'avec  le  peuple  subjugué.  Alaric ,  roi  des- 
Visigoths,  craignant  d'être  attaqué  par  Clovis  et  cherchant 
à  l'amuser  par  de  belles  espérances,  lui  fit  demander  une 
entrevue  pour  lui  toucher  la  barbe ,  c'est-à-dire  pour  l'a- 
dopter, car  on  prenait  par  la  barbe  celui  qu'on  voulait  pla- 
cer sous  sa  protection.  Eginard,  secrétaire  de  Charlemagne, 
en  parlant  des  derniers  rois  de  la  première  race ,  dit  :  «  Ils 
venaient  aux  assemblées  du  Champ  de  Mars ,  dans  un  cha- 
riot tiré  par  des  bœufs  ;  puis  ils  s'asseyaient  sur  le  trône 
avec  de  longs  cheveux  épars  et  une  barbe  qui  leur  pendait 
jusques  à  la  poitrine.  » 

Robert,  grand-père  de  Hugues  Capet,  que  Charles-le- 
Simple  à  qui  il  voulait  enlever  la  couronne  ,  tua  de  sa  pro- 
pre main ,  avait  passé ,  au  commencement  de  la  bataille ,, 
écrit  Mézerai ,  sa  grande  barbe  blanche  par  dessous  la  vi- 
sière de  son  casque ,  pbur  se  faire  reconnaître  des  siens. 
Ainsi  sous  la  seconde  race  on  portait  une  longue  barbe,  et 
cet  usage  continua  sous  les  premiers  rois  de  la  troisième. 
Hugues,  comte  de  Châlons,  ayant  été  vaincu  par  Richard, 
duc  de  Normandie,  alla  se  jeter  à  ses  pieds,  avec  une  selle  de 
cheval  sur  le  dos,  pour  marquer  qu'il  se  soumettait  entière- 
ment à  lui  :  «  dans  cet  accoutrement  et  avec  sa  longue  barbe, 
rapporte  la  chronique,  il  avait  plutôt  l'air  d'une  chèvre  que 
d'un  cheval.  » 

Vers  la  fin  du  xi''  siècle,  Guillaume,  archevêque  de 
Rouen ,  déclara  la  guerre  aux  longues  chevelures;  plusieurs 
gens  du  clergé  se  joignirent  à  lui,  et  dans  un  concile  tenu 
l'an  4096 ,  ils  statuèrent  «  que  ceux  qui  porteraient  de  longs 
cheveux  seraient  exclus  de  l'église  pendant  leur  vie,  et 
qu'on  ne  prierait  point  pour  eux  après  leur  mort.  » 


ÉPHÉMÉRIDES. 

12  décembre  1 572.  —  Henri  III,  effrayé  de  la  puissance  de  U 
Li"-ite catholique,  s'en  déclare  le  chef  aux  états  de  Blois. —  18 16. 
Le  roi  des  Deux-Siciles ,  Ferdinand  IV  ,  reconnaît  la  constitution 
donnée  provisoirement  en  1012  à  la  Sicile  parles  Anglais. 

i^  décembre  i Sis. — Ouverturedu  concile  deTretne.  Ce  concile 
fut  le  plus  long  et  le  plus  paisible  de  tous;  on  y  réd  igea  des  canons  pour 
fixer  d'une  manière  invariable  le  dogme  catholique.  L'une  des  princi- 


104 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


nales  missions  de  ce  concile ,  la  réunion  des  prolestans  et  des  ca- 
Iholiques,  ne  put  être  remplie. —  i553.  Naissance  de  Henri  IV, 
roi  de  France.  On  sait  que  son  grand-père,  Henri  d'Albret ,  prince 
de  Béam,  frotta  les  petites  lèvres  de  l'enfant  avec  une  gousse  d'ail 
«t  lui  Ct  sucer  une  goutte  de  vin  rieux,  pour  lui  donner  un  tempé- 
rament mâle  et  vigoureux.  —  1799-  Adoption  de  la  constitution 
consulaire  en  l'an  vin  de  la  république  française.  —  Dans  chaque 
icommune,  les  Français  majeurs,  de  vingt-un  ans,  choisissaient 
parmi  eux  des  électeurs  du  deuxième  degré  ;  les  élus  de  toutes 
les  communes  d'un  même  département ,  élisaient  entre  eux 
les  électeurs  du  troisième  degré  j  enfin  ce»:  électeurs  de  tous 
ces  départemens  formaient  une  liste  nationale  dans  laquelle  le 
Sénat  conservateur  devait  choisir  les  tro's  consuls  ,  les  membres  du 
Tribunatet  ceux  du  Corp  s- Législatif.  Le  Sénat,  composé  dequatre- 
"vingts  membres  inamovibles  et  à  vie ,  incapables  de  toute  autre 
ifonction  publique,  prononçait  sur  les  actes  que  le  Tribunat  ou  les 
Consuls  lui  déféraient  comme  inconstitutionnels.  —  Le  Corps-Lé- 
gislatif, composé  de  trois  cenls  membres  rééligibles  par  cinquième 
et  après  un  an,  faisait  les  lois  au  scrutin  secret  et  sans  discussion, 
après  avoir  entendu  en  pui)lic  les  orateurs  du  gouvernement  et 
ceux  du  Tribunat.  Le  Tribunat,  composé  de  cent  membres,  réé- 
ligibles par  cinquième,  chaque  année,  discutait  en  public  les  projets 
de  loi  présentés  par  le  gouvernement,  et  faisait  soutenir  sa  décision 
devant  le  Corps-Législatif.  Il  dénonçait  les  actes  inconstitutiounels 
au  Sénat  conservateur.  Les  Consuls  étaient  nommés  pour  dix  ans, 
et  indéfiniment  rééligibles.  Le  premier  d'entre  eux  exerçait  le  pou- 
voir. Les  deux  collègues  de  Bonaparte,  Sieyes  et  DucoSi,  cédèrent 


bientôt  la  place  à  Cambacérès  et  à  Lebrun ,  agens  dociles  du  géné- 
ral. Quatre  ans  plus  tard  cette  constitution  éphémère  fit  place  à 
l'organisation  impériale. 

it^  décembre  1799.  —  Mort  de  Washington  (George),  le  prin- 
cipal fondateur  des  républiques  américaines. 

16  décembre  1794.  —  Carrier,  le  bourreau  de  Nantes,  l'inven- 
teur des  noyades  collectives ,  au  moyen  de  bateaux  à  soupape  où 
il  entassait  des  masses  de  suspects ,  est  envoyé  à  l'échafaud 
par  le  tribunal  révolutionnaire ,  après  la  chute  de  Robespierre. 
La  férocité  de  ce  proconsul  avait  révolté  la  Convention  elle-même. 

17  décembre  548.  —  Prise  de  Rome  par  Totila,  chef  des  Os- 
trogoths.—  i83o.  Mort  de  Simon  Bolivar,  général,  puis  dictateur 
et  président  à  vie  de  la  république  de  Colombie ,  formée  par  ses 
soins  le  17  décembre  i8ig.  Il  s'était  démis  de  ses  fonctions  quel 
ques  mois  avant  sa  mort ,  pour  répondre  disait-il ,  à  ceux  qui  le 
soupçonnaient  d'aspirer  au  pouvoir  absolu. 

LQ  décembre  1789.  —  Création  des  assignats  en  France.  — 
1793.  Toulon,  livré  aux  Anglais  le  29  août,  est  repris  par  les 
Français  commandés  par  Dugonimier. 

2  5  déccmbra  (an  de  Rome  749). —  Naissance  de  Jésus-Christ. 
—  49<>.  Baptême  de  Clovis.  — 1440.  Exécution  du  maréchal  de 
Retz.  Un  grand  nombre  de  jeunes  victimes  avaient  trouvé  la  mort 
dans  ses  châteaux ,  à  la  suite  des  affreux  désordres  auxquels  il  se 
livrait  depuis  un  grand  nombre  d'années. 
•  3o  décembre  1790.  —  L'Assemblée  constituante  rend  un  décret 
qui  as,sure  à  tout  Français  la  propriété  de  ses  découvertes  et  in- 
ventions nouvelles. 


LE  NOUVEAU  POAT  DE  LONDRES. 


MiiirrjcK':cw 


(  Vue  du  nouveau  Pont  de  Londres.  ) 


Nous  avons  donné,  dans  le  n°  54  de  noire  première  an- 
née, une  vue  du  magnifique  pont  de  Londres,  commencé 
en  4824,  et  qui  porte  le  nom  de  cette  cité.  Dans  cette  gra- 
vure, le  pont  él;iil  représenté  pendant  sa  construction  !^  et, 
âgauclie,  on  apercevait  ce  vieux  ponlde  Londres  si  incom- 
mode, si  faligné  par  le  temps,  qu'il  devait  remplacer.  Au- 


jourd'hui, nous  mettons  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  le 
dessin  de  celte  œuvre  monumentale  entièrement  achevée. 
Le  vieux  pont  de  Londres  a  disparu ,  et  depuis  long* 
temps  déjà,  la  nouvelle  voie  est  livrée  à  cette  foule  de 
Piétons  et  de  voilures  qui  la  traverse  incessamment 


(l 


MAGASIN  U.NIVERSEL. 


405 


INDE. 
Division  des  indiens  en  castes.  —  Professions  industrielles. 


(Bijoutier  ambulant.) 


Nous  désignons  en  Europe  par  la  dénomination  de  castes, 
mot  emprunté  du  portugais,  les  différentes  tribus  qui  com- 
posent les  peuples  de  l'Inde. 

Tome  II.  —Janvier  i835. 


La  division  la  plus  ordinaire,  et  en  même  temps  la  plus 
ancienne,  est  celle  qui  les  classe  en  quatre  tiibus  principa- 
les. La  première  et  la  plus  disliuguce  de  toutes  est  celle  des 

44. 


406 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Brahmes  :  viennent  ensuite  celle  des  Rajahs ,  celle  des 
Veissiahs  ou  directeurs  de  l'agriculture  et  do  commerce,  et 
celle  des  Sudras  ou  laboureurs  et  esclaves. 

Les  aitribiilions  propres  à  chacune  de  ces  quatre  tribus 
sont ,  pour  les  Brahmes ,  le  sacerdoce  et  ses  diverses  fonc- 
tions ;  pour  les  Rajahs ,  la  profession  militaire  dans  toutes 
ses  branches  ;  pour  les  Veissiahs ,  l'agriculture ,  le  com- 
merce et  le  soin  d'élever  les  troupeaux  ;  le  partage  des  Su- 
dras est  une  sorte  de  servitude. 

Chacune  de  ces  quatre  castes  principales  se  subdivise  en 
beaucoup  d'autres  ;  mais  la  tribu  où  les  catégories  sont  le 
plus  multipliées  et  le  plus  nombreuses  de  toutes,  est  celle 
des  Sudras;  elle  forme  en  quelque  sorte  la  masse  de  la  po- 
pulation, et,  jointe  à  la  caste  despariahs,  elle  équivaut  aux 
neuf  dixièmes  des  habilans. 

Comme  c'est  aux  Sudras  que  sont  dévolus  la  plupart  des 
prof(  ssions  mécaniqcies  et  presque  tous  les  travaux  manuels, 
et  que ,  d'après  les  préjuges  du  pays ,  aucun  Indien  ne  peut 
exercer  deux  professions  à  la  fois ,  il  ne  paraîtra  pas  surpre- 
nant que  les  nombreux  individus  qui  composent  cette  tribu 
soient  répartis  en  tant  de  branches  distinctes. 

On  voit  en  outre ,  dans  quehjues  districts ,  des  castes 
qu'on  ne  retrouve  nidle  part,  et  qui  se  font  dislinguer  par 
des  pratiques  singulières  qui  leur  sont  tout  à  fait  propres; 
ainsi  à  l'est  du  Meissour,  il  existe  une  tribu  désignée  sous  le 
nom  de  Monsa-Hokeula-Makulou ,  dans  laquelle,  lorsqu'une 
mère  de  famille  marie  sa  fille  aînée ,  elle  est  obligée  de  su- 
bir l'amputation  de  deux  phalanges  au  doigt  du  milieu  et  à 
l'aimulaire  tle  la  main  droite.  Si  la  mère  de  la  fille  est 
morte,  celle  du  marié,  ou  à  son  défaut  une  des  plus  pro- 
ches parentes,  doit  se  soumettre  à ceae  cruelle  mutilation. 

Il  existe  encore  dans  les  divers  pays  un  grand  nombre 
d'autres  castes  qui  se  distinguent  par  des  pratiques  non  moins 
insensées  que  celle  qu'on  vient  de  faire  connaître. 

On  a  avancé  que  c'est  à  celte  ilivisiou  des  castes  que  les  arts 
sont  retlevables  de  s'être  conservés  dans  l'Inde ,  et  que  par 
cette  même  raison,  ils  prendraient  le  même  essor  qu'en  Eu- 
rope sans  les  entraves  appo.  tées  à  leur  exercice. 

Celte  perfection  dans  les  arts  aurait  été  atteinte  par  un 
peuple  aussi  industrieux  que  les  Indiens ,  dit  le  savant  mis- 
sionnaire Dubois,  si  la  cupidité  de  ceux  qui  les  gouvernent 
ne  s'y  opposait  pas.  En  effet,  dès  qu'on  sait  qu'il  existe  quel- 
que part  un  ouvrier  qui  excelle  dans  sa  profession ,  il  est 
aussitôt  enlevé  par  ordre  du  prince,  transporté  dans  son  pa- 
lais, où  il  est  enfermé  quelquefois  pour  le  reste  de  ses  jours, 
forcé  de  travailler  sans  relâche  et  très  mal  payé.  Une  telle 
conduite  adoptée  dans  toutes  les  parties  de  l'Inde  soumise 
à  des  princes  indigènes,  ne  peut  qu'éteindre  toute  industrie 
et  amortir  toute  émulation.  C'est  au^i  la  principale  et  peul- 
êire  la  seule  cause  qui  ait  ralenti  les  progrès  des  arts  chez 
les  Intlieus,  bien  en  arrière ,  à  cet  égard ,  des  peuples  qu'ils 
ont  précédés  de  tant  de  siècles  dans  la  civUisation.  Ce  n'est 
ni  l'industrie  ni  l'adresse  qui  manquent  à  leurs  travailleurs. 
Dans  les  établisseuiens  européens ,  où  ils  sont  payés  selon 
leur  mérite,  on  en  voit  beaucoup  dont  les  ouvrages  feraient 
honneur  aux  meilleurs  ouvriers  de  l'Europe,  sans  qu'il  soit 
nécessaire  pour  eux  d'avoir  recours  à  ce  grand  nombre 
d'outils  dont  la  nomenclature  seule  exige  une  étude  parti- 
culière. Ui>e  ou  deux  haches,  autant  de  scies  et  de  rabots, 
le  tout  d'une  espèce  si  grossière  qu'un  Européen  n'en  sau- 
rait tirer  aucun  parti,  sont  presque  les  seuls  instrumens 
qu'on  voie  »  ntre  les  mains  des  menuisiers  de  l'Inde.  La 
boutique  amlHilante  d'un  orfèvre  est  ordhiairement  com- 
posée d'une  petite  enclume ,  d'un  creuset,  de  deux  ou  trois 
petits  marteaux,  et  d'autant  de  limes;  avec  d'aussi  simples 
ustensiles,  la  patience  des  Indiens ,  jointe  à  leur  industrie, 
sait  produire  des  ouvrages  que  souvent  on  ne  distinguerait 
pas  de  ceux  qu'on  apporte  à  grands  frais  des  pays  les  plus 
éloignes.  A  quel  degré  de  perfection  ne  seraient  pas  par- 
venus ces  hommes  si ,  au  lieu  d'être  pour  ainsi  dire  les 
élèves  de  la  simple  nature,  ils  avaient  été  dès  leur  enfance 
sous  la  conduite  de  maîtres  habiles  ! 


Pour  nous  former  une  idée  de  ce  que  pourraient  les  In- 
diens dans  les  arts  et  les  manufactures,  si  leur  industrie 
naturelle  était  convenablement  encouragée,  H  ne  faut  que 
nous  transporter  à  l'atelier  d'un  de  leurs  tisserands  ou  de 
leurs  peintres  sur  toile,  et  considérer  avec  attention  le 
genre  d'instrumens  avec  lesquels  ils  produisent  cesschalls, 
ces  superbes  mousselines ,  ces  toiles  superlines ,  ces  belles 
étoffes  peintes  qu'on  admire  partout  et  qui  en  Europe  oc- 
cupent le  premier  rang  parmi  les  principaux  articles  de  la 
parure.  En  faisant  ces  magnifiques  ouvrages,  l'ariisan  se 
sert  de  ses  pieds  presque  autant  que  de  ses  mains  ;  en  outre, 
le  métier  de  ti«iage ,  et  tout  l'appareil  nécessaire  pour  our- 
dir et  travailler  son  fil  avant  de  le  tendre  sur  le  métier, 
ainsi  que  les  autres  ustensiles  dont  il  se  sert  en  travaillant , 
sont  si  simples  et  en  si  petit  nombre ,  que  le  tout  réuni  for- 
merait à  peine  la  charge  d'un  homme.  Il  n'est  pas  rare  de 
voir  un  de  ces  ouvriers ,  changeant  de  domicile ,  porter 
sur  son  dos  tout  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  commencer 
à  se  mettre  à  l'ouvrage ,  au  moment  où  il  arrivera  au  lieu 
de  son  nouveau  séjour. 

Les  peintures  sur  toile ,  qui  ne  sont  pas  moins  admirées, 
s'exécutent  par  des  moyens  tout  au.ssi  simples.  Trois  ou 
quatre  bâtons  de  bambou  pour  tendre  la  toile  ,  autant  de 
pinceaux  pour  appliquer  les  couleurs ,  quehpies  morceaux 
de  pot  lie  terre  cassé  pour  les  contenir,  une  pierre  creuse 
pour  les  broyer  ;  tel  est  à  peu  près  tout  ce  qui  constitue 
l'atelier  de  cette  classe  d'artistes. 

«  J'ai  entendu  (dit  le  missionnaire  Dubois)  des  gens  très 
sensés  d'ailleurs,  mais  encore  imbus  de  tous  les  préjuges 
qu'ils  avaient  apportés  d'Europe ,  prononcer,  selon  moi , 
un  jugement  erroné  au  sujet  de  la  divisiim  multipliée  des 
castes  parmi  les  Indiens.  Cette  division  leur  paraissait,  non- 
seulement  inutile  au  bien  commun  ,  mais  encore  ridicule, 
et  uniqueiuent  faite  pour  gêner  les  peuples  et  les  désunir. 
Quant  à  moi,  qui  ai  vécu  tant  d'années  au  milieu  des  Indiens 
comme  un  ami,  et  me  suis  trouvé  par  là  à  portée  d'obser- 
ver de  près  le  génie  et  le  caractère  de  ces  peuples ,  j'ai  porté 
sur  le  sujet  dont  il  est  ici  question,  un  jugement  tout  op- 
posé. Je  considère  la  division  des  castes  comme  le  chef- 
d'œuvre  de  la  législation  indienne  sous  plusieurs  rapports  , 
et  je  suis  persuadé  que  si  les  peuples  de  l'Inde  ne  sont  jamais 
tombés  dans  un  état  de  barbarie,  si,  dans  le  temps  que  la 
plupart  des  autres  nations  qui  peuplent  la  terre  y  étaient 
plongées ,  l'Inde  conserva  et  perfectionna  les  arts ,  les  scien- 
ces et  la  civilisation ,  c'est  uniquement  à  la  distribution  de 
ses  habitans  en  castes,  qu'elle  est  redevable  de  ces  précieux 
avantages. 

«  Je  ne  suis  pas  moins  convaincu  que ,  si  les  Indiens  n'é- 
taient pas  contenus  dans  les  bornes  du  devoir  et  de  la  subor- 
dination par  le  système  de  la  division  des  castes  et  par  les 
réglemens  de  police  propres  ù  chaque  tribu ,  ces  peuples 
deviendraient  dans  peu  de  temps  ce  que  sont  les  pariahs,  et 
peut-être  pire  encore  ;  toute  la  nation  tomberait  nécessai- 
rement dans  la  plus  déplorable  anarchie ,  et  avant  l'extinc- 
tion de  la  génération  actuelle ,  ce  peuple  si  policé  serait 
compté  au  nombre  des  plus  barbares  qui  existent  sur  la 
terre.  » 

AFFRANCHISSEMENT  DU  PORTUGAL  EN  1640. 

nlBEIRO   PINTO. 

Depuis  soixante  ans ,  le  Portugal  subissait  le  jong  espa- 
gnol. Pour  rendre  la  vie  au  Portugal,  il  fallait  une  révolu- 
tion :  de  longues  souffrances ,  de  longues  humiliations  la 
préparèrent;  l'année  4640  la  vit  éclater. 

Lorsqu'en  1627,  quelques  nobles  Portugais,  voulant  met- 
tre la  main  à  l'œuvre  du  salut  national,  allèrent  trouver  le 
duc  de  Bragance  à  Villa-Viciosa,  et  lui  proposèrent  d'être 
leur  chef,  le  duc  leur  répondit  qu'il  n'était  pas  né  pour  de 
si  grandes  entreprises.  En  retardant  l'explosion  du  complot, 
il  en  assura  le  succès  :  grâce  aux  hésitations  du  duc ,  la  ré- 
volution se  trouva  coïncider  avec  le  soulèvement  de  la  Ca- 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


m 


talogne  el  les  disposilions  hostiles  de  la  France  contre  l'Es- 
pagne ;  plus  tôt ,  elle  eût  été  prématurée. 

Une  femme  et  un  homme  paitagent  la  gloire  d'avoir  tra- 
vaillé de  concert  à  l'affranchissement  de  ce  royaume;  celte 
femme,  c'est  Louise  de  Gusman,  duchesse  de  Bragance, 
qui  d'Espagnole  s'était  fiiite  Portugaise  par  amour  et  par  in- 
térêt pour  son  époux  ;  cet  homme,  c'est  Ribeiro  Pmto,  in- 
tendant de  la  maison  du  duc,  doué  d'ambition ,  d'activiié , 
de  génie,  l'une  de  ces  causes  secondes  dont,  en  politique,  les 
causes  premières  ne  peuvent  se  passer.  Leurs  conseils,  leurs 
exhoriations,  agirent  enfin  sur  les  résolutions  du  duc.  La 
duchesse  de  Mantoue ,  vice-reine  du  Portugal ,  s'aperçut 
qu'il  se  traniait  quelque  chose  ,  et  fit  passer  des  avis  au  mi- 
nistre de  Philippe  IV,  à  Olivarès  ;  ce  dernier  saisit  tous  les 
prétextes  d'attirer  le  duc  de  Bragance  hors  du  Portugal ,  le 
duc  usa  de  tous  les  subterfuges  pour  ne  pas  le  quitter  :  dé- 
sormais il  avait  juré  de  n'en  plus  sortir  qu'avec  la  couronne 
ou  dans  le  cercueil. 

Pendant  dix  mois ,  le  complot  marcha  dans  l'ombre  avec 
autant  de  bonheur  que  d'adresse  ;  aucun  des  conjurés  ne 
faillit  à  ses  sermens  ni  à  la  prudence  :  les  principaux  étaient 
l'archevêque  de  Lisbonne,  Rodrigue  d'Acunha,  Pierre  de 
Mendoza  et  Hurtada  de  3Iendoza,  ses  parens;  Antoine  et 
Michel  d'Alméida,  Francisco  de  Mello  et  son  frère;  don 
Rodrigue  de  Saa,  grand -chambellan,  et  plusieurs  autres 
seigneurs  titulaires  de  charges  aujourd'hui  détruites.  Le 
samedi  \"  décembre  4640,  fut  le  jour  choisi  pour  l'exécu- 
tion. Peu  de  sang  devait  être  versé  ;  la  seule  victime  qu'on 
résolut  d'avance  d'immoler,  ce  fut  le  secrétaire  du  conseil, 
le  véritable  arbitre  de  l'auiorité  confiée  à  la  vice-reine,  Por- 
tugais de  naissance,  abhorré  du  peuple,  Michel  de  Vascon- 
cellos.  Trois  jours  avant  celui  fixé ,  le  27  novembre ,  les 
conjurés  ayant  tenu  une  assemblée  nocturne,  l'un  d'eux, 
Jean  d'Acosla,  fra|)pé  des  difficultés  de  l'entreprise,  pro- 
nonça un  discours  dans  lequel  il  proposait  d'attendre  en- 
core :  «  Nos  maux  sont  gi  ands  sans  doute ,  disait-il  ;  la  ty- 
«  rannie  castillane  est  exécrable;  les  droits  du  duc  de  Bra- 
«  gance  sont  incontestables;  les  vœux  de  la  nation  sont  à 
«  lui;  il  mérite  la  couronne;  vous  jiouvez  la  lui  mettre  au- 
ct  jourd'hui  sur  la  tête,  mais  comment  la  garantirez-vous 
«  demain?  Sans  argent,  sans  armes  et  sans  soldats,  com- 
«  ment  défend rez-vous  ce  misérable  peuple  des  dernières 
«  fureurs  d'une  tyraraiie  à  qui  vous  aurez  donné  de  si  justes 
«  motifs  de  colère?  »  Ce  discours,  qui  contenait  assez  de 
raisons  solides  pour  ébranler  plusieurs  conjurés,  fut  inter- 
rompu par  des  murmures  et  des  cris  de  fureur.  «  Sei- 
«  gneurs,  dit  d'Acosla  d'une  voix  forte ,  pour  le  succès,  il 
«  faudrait  compter  sur  des  miracles  ;  mais  n'y  comptons 
«  pas,  car,  au  fond ,  nous  n'en  méritons  guère.  »  Le  résul- 
tat de  celte  délibération  orageuse  fut  qu'on  aviserait  le  duc 
de  Bragance  d'un  nouveau  retard  jugé  nécessaire. 

Leduc  reçut  à  la  fois  un  courrier  de  Pinto,  qui  se  trou- 
vait à  l'assemblée,  et  un  autre  de  Madrid ,  portant  injonc- 
tion formelle  de  partir  sur-le-champ.  Chancelant ,  efirayé , 
le  duc  consulta  sa  courageuse  épouse  ;  «  Poursuivez  et  hà- 
«  tez  vos  coups ,  lui  dit  celle-ci ,  il  n'est  plus  temps  de  re- 
«  culer;  à  Madrid,  vous  êtes  un  traître,  à  Lisbonne,  vous 
«  serez  un  roi.  Ecrivez  à  vos  amis  qu'en  différant  d'un  seul 
«  jour,  ils  vous  perdent,  et  eux  et  vous.  »  Le  duc  se  rendit 
à  ce  conseil,  et  en  instruisit  les  conjurés,  que  déjà  Pinto, 
par  ses  efforts,  avait  ramenés  à  des  dispositions  plus  fermes. 
Le  jour  venu,  tous  les  conjurés,  au  nombre  de  quarante, 
dont  l'histoire  conserve  religieusement  les  noms,  se  confes- 
sèrent et  communièrent ,  puis  se  pourvurent  d'armes  : 
quelques  bourgeois,  chargés  de  soulever  le  peuple ,  avaient 
pour  mission  de  le  tenir  en  haleine  ;  mais  le  peuple  même 
ne  se  doutait  encore  de  rien.  Tous  se  rendirent  au  palais  , 
la  plupart  en  litière,  pour  cacher  leurs  armes  ;  de  là,  cha- 
cun alla  prendre  le  poste  qui  lui  était  assigné  :  des  mères , 
des  épouses ,  initiées  au  complot ,  ne  montrèrent  point  les 
terreurs  ordinaires  aux  femmes;  la  magnanime  comtesse 
d'Atongia,  aidant  ses  deux  fils  à  s'armer,  don  Jérôme  d'A- 


tayde  et  François  Coutinha  leur  dit  :  «  Allez ,  mes  fils,  et 
délivrez  votre  pays;  si  l'âge  et  le  sexe  me  le  permettaient, 
j'irais  partager  vos  efforts  et  voire  gloire.  »  Marianne  de 
Lancastre  adressa  les  mêmes  exhortations  à  ses  deux  fils. 
Tout  étant  prêt,  un  coup  de  pistolet,  tiré  par  Pinto  d'une 
des  fenêtres  du  palais,  donna  le  signal  :  don  Michel  d'Al- 
méida tomba  brusquement  sur  la  garde  allemande,  en 
criant  :  «  Liberté  !  liberté  !  Vive  le  roi  don  Juan  IV  !  »  Cette 
garde,  surprise,  résista  peu  :  d'Alméida  pénétra  dans  le 
palais.  Alors,  se  montrant  à  une  fenêtre  qui  donnait  sur  la 
filace  :  (c  Aux  armes  !  s'écria-t-il ,  braves  Portugais;  le  duc 
de  Bragance  est  votre  légitime  roi  ;  joignez  vos  armes  aux 
nôtres;    rendons -lui  la  couronne,   et  reprenez  vos  li- 
bertés. »  Un  immense  cri  de  liberté  s'éleva  de  la  foule;  en 
un  instant ,  plus  de  dix  mille  hommes  eurent  pris  les  ar- 
mes, prêts  à  massacrer  tout  ce  qu'ils  renconlreruient  d'Es- 
|)agnols  en  humeur  de  résister.  George  et  Antoine  de  Mello, 
Etienne  d'Acunha,  s'étaient  jetés  sur  la  garde  castillane  j 
un  prêtre  marchait  à  leur  tête ,  tenant  un  crucifix  d'une 
main  et  de  l'autre  une  épée,doni  il  portait  de  grands 
coups.  Dans  le  palais  se  consommait  la  tragédie  '  Vascou- 
cellos,  dont  une  vieille  esclave,  menacée  de  mort,  avait 
Irahi  l'asile,  tombait  percé  de  coups,  et  son  corps  était  jeté 
au  peuple.  La  vice-reine,  prenant  d'abord  la  révolution 
pour  une  émeute  populaire,  voulut  essayer  de  la  calmer; 
elle,  qui  ne  devait  la  vie ,  ainsi  (jue  l'archevêque  de  Brague, 
qu'au  respect  de  quelques  conjurés,  les  engageait  fièrement 
à  rentrer  dans  le  devoir,  disant  que  c'était  assez  d'avoir 
tué  Vasconcellos.  «  Madame ,  lui  répondit  don  Juan  de  Mé- 
«  nézes ,  Vasconcellos  ne  méi  ilait  de  périr  que  par  la  main 
«  du  bourreau,  et  ce  n'est  pas  pour  frapper  une  aussi  vile  vic- 
«  time  que  tant  de  gens  de  cœur  ont  pris  les  armes  ;  c'est 
«  pour  rétablir  le  duc  de  Bragance  dans  ses  droits.  »  Celte 
explication  n'ayant  pas  satisfait  la  vice-reine,  qui  continuait 
à  endoctriner  le  peuple,  don  Carlos  de  Nozonha,  moins 
poh  que  Ménézez,  lui  dit  :  «  Rentrez,  Madame,  et  n'irri- 
«  tez  pas  le  peuple   contre  vous.  —  Contre  moi  !  reprit- 
«  elle  avec  fierté  ;  et  que  peut-il  me  faire ,  à  moi  ?  —  Ma- 
«  dame,  si  vous  ne  passez  par  celle  porte,  ajouta  Nozonha, 
«  il  peut  vous  obliger  à  passer  par  cette  fenêtre.  » 

Bientôt  la  vice-reine  fut  foicée  designer  des  ordres  en- 
joignant au  gouverneur  du  château  el  aux  commanda ns  des 
diverses  citadelles  de  livrer  leurs  postes,  ce  à  quoi  tous  se 
soumirent. 

La  révolution  se  fit  à  Lisbonne  avec  tant  de  promptitude 
et  d'unanimité,  qu'au  Palais-de-Justice  les  magistraii;,  qui 
venaient  de  prononcer  un  arrêt  au  nom  du  roi  Piiili|>pe  ï  V, 
sans  lever  la  séance ,  jugèrent  une  autre  cause  au  nom  du 
roi  Jean  IV.  De  son  côté ,  ce  prince  s'était  fait  proclamer  à 
Evora  :  dès  qu'il  eut  appris  le  succès  obtenu  à  Lisbonne, 
il  partit,  et  vint  débarquer  en  présence  de  tout  le  peuple, 
ivre  de  joie,  qui,  depuis  deux  jours,  l'attendait  sur  le  port. 
Le  reste  du  royaume  imita  rapidement  la  capitale ,  et  les 
châteaux-forls  se  rendirent  sans  que  nul  commandant  osât 
seulement  se  défendre.  «  Celle  révolution,  a  dit  un  judi- 
a  cieux  écrivain,  fut  légitime  dans  son  firincipe,  rapide  dans 
«  sa  marche ,  peu  sanglante  dans  ses  développemens ,  déci- 
«  sive  et  durable  dans  ses  effets.  Le  Portugal  recouvra  son 
«  indépendance,  et  a  su  la  conserver;  mais  il  ne  recouvra 
«  pas  ses  forces ,  qui  avaient  été  attaquées  et  énervées  dans 
«  son  principe  :  soixante  ans  de  servitude  et  de  fers  avaient 
a  laissé  des  traces  profondes,  que  le  temps  n'a  pu  entière- 
«  ment  effacer.  » 

Tous  les  souverains  de  l'Europe  accueillirent  les  ambassa- 
deurs de  Jean  IV,  et  reconnurent  ce  prince;  un  seul  se 
montra  récalcitrant;  ce  fut  Urbain  VIII,  qui,  malgré  toutes 
les  négociations  et  tous  les  mémoires  présentés  en  faveur 
du  nouveau  roi,  refusa  l'investiture.  Les  Indes  et  l'Amé- 
rique s'affranchirent  avec  empressement  de  la  domination 
castillane.  De  tous  les  pays  qui  avaient  suivi  la  destinée  da 
Portugal ,  l'Espagne  ne  conserva  que  la  ville  de  Ceuta  en 
1  Afrique. 


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L'YACK  OU  BOEUF  A  QUEUE  DE  CHEVAL. 

'  Nous  avons  fait  connaître  à  nos  lecteurs  (i)  une  espèce 
parliciilière  de  bœufs,  devenue  aujourd'hui  fort  rare,  aussi 
remarquable  par  sa  longue  crinière  qui  descend  quelquefois 
jusqu'à  mi-jambe,  que  par  sa  force  extraordinaire  et  ses 
dimensions  gigantesques.  Il  est  encore  dans  la  même  famille 
d'autres  espèces  qui  s'éloignent  assez  des  bœufs  communs 
de  l'Europe,  par  leur  aspect  singulier  et  par  leurs  mœurs , 
pour  que  leur  histoire  doive  trouver  place  dans  notre 
Magasin.  De  ce  nombre  est  le  Yack,  auquel  on  a  aussi 
donné  le  nom  de  hœufà  queue  de  cheval,  de  bœuf  du  Thi- 
het ,  de  vache  grognante  ou  de  Tartarie. 

Les  Yacks  se  rencontrent,  surtout  dans  la  chaîne  qui 
sépare  le  Thibet  du  Boutan.  Les  Tartares  nomades  se 
nourrissent  de  leur  lait ,  dont  ils  font  aussi  un  excellent 
beurre  qui  s'envoie ,  dans  des  sacs  de  peau ,  par  toute  la 
Tartarie.  On  emploie  l'Yack ,  suivant  les  lieux  ,  à  porter 
des  fardeaux  et  à  tirer,  ou  les  charriots ,  ou  la  charrue. 
La  queue  de  ces  animaux  est  dans  tout  l'Orient  un  objet  de 
luxe  et  de  parure.  Les  Chinois,  avec  ses  crins  teints  en  rouge, 
font  les  houppes  de  leurs  bonnets  d'été,  et  elle  est  employée 
comme  signe  de  dignité  militaire  chez  les  Turcs.  Le  natu- 
raliste Pennant  en  a  vu  une  de  six  pieds  de  long  au  musée 
britannique. 

L'Yack  habite  l'Asie  centrale;  il  vit  encore  à  l'état 
sauvage  dans  les  chaînes  du  Thibet ,  dont  il  recherche  les 
sommités  à  cause  de  leur  froide  température.  Réduit  à  l'état 


domestique ,  il  rend  aux  habitans  de  l'Asie  des  services  non 
moins  grands  que  le  bœuf  commun  aux  Européens. 

L'Yack  se  distingue  de  tous  les  autres  bœufs  par  sa  queue 
dont  les  crins  réunissent  souvent  la  longueur  et  l'élasticité 
de  ceux  du  cheval ,  à  la  finesse  et  au  lustre  de  la  soie. 
L'Yack  a  sur  les  épaules  une  proéminence  recouverte  d'une 
touffe  de  poils  beaucoup  plus  longs  et  plus  épais  que  ceux 
de  l'épine;  cette  touffe  s'allonge  sur  le  cou  en  forme  de 
crinière,  et  s'étend  jusqu'à  la  nuque  ;  les  épaules,  les  reins 
et  la  croupe  sont  couverts  d'une  sorte  de  laine  épaisse  et 
douce;  des  flancs,  du  dessous  du  corps  et  du  gros  des 
membres  pendent  jusqu'à  mi-jambe ,  et  quelquefois  jusqu'à 
terre ,  des  poils  très-droits  et  touffus ,  qui  font  paraître  les 
jambes  de  l'animal  très-courtes  ,  et  lui  donnent  un  aspect 
tout  particulier.  Sur  le  bas  des  jambes ,  le  poil  est  lisse  et 
roide  ;  les  sabots ,  surtout  ceux  de  devant ,  sont  très-gi  ands 
et  semblables  à  ceux  du  buffle.  La  forme  des  cornes  et  des 
oreilles  varie  suivant  les  races  d'Yacks;  celle  du  Thibet  a 
des  cornes  longues,  minces,  rondes  et  pointues,  peu 
arquées  en  dedans  et  repliées  un  peu  en  arrière;  elles  ne 
présentent  ni  arêtes,  ni  aplatissement;  celle  variété  a  aussi 
les  oreilles  petites.  En  Daourie,  au  contraire,  les  Yacks 
mâles  portent  de  très-grandes  cornes,  aplaties  et  courbées 
en  demi-cercle.  Les  individus  vus  et  décrits  par  le  fameux 
naturaliste  Pallas ,  étaient  sans  cornes ,  de  la  taille  d'une 
petite  vache ,  le  front  très-bombé  et  couronné  d'un  épi  de 
poils  rayonnans.  Ils  étaient  bossus  au  garrot  comme  ceux 
de  Thibet.  Ils  venaient  de  la  Mongolie.  Les  oreilles  étaient 


(L'Yack.) 


gi'andes ,  larges ,  hérissées  de  poils ,  dirigées  en  bas  sans 
être  pendantes.  A  trois  mois,  dit  Pallas,  le  vean  a  le  poil 
crépu ,  noir  et  rude  comme  un  chien  barbet ,  et  les  longs 
crins  commencent  à  poiisser  partout  sous  le  corps ,  depuis 
]a  queue  jusqu'au  menton  :  tout  le  corps  est  noir.  L'été  de 
la  Sil)érie  est  encore  trop  chaud  pour  eux  ;  dans  le  milieu 
du  jour,  ils  cherchent  l'ombre  ou  se  plongent  dans  l'eau. 
Les  Chinois,  qui  en  ont  introduit  chez  eux ,  les  appellent 

"(i)  Toy.  page  368.  x^*  Année.  (Aurocli.) 


Si  nijou  (vache  qui  se  lave) ,  à  canse  de  leur  tendance  à, 
se  plonger  dans  l'eau  dont  la  fraîcheur  leur  plaît.  ' 

Les  deux  sexes  ont  un  grognement  grave  et  monotone 
comme  celui  du  cochon.  Les  mâles  le  répètent  moins  sou- 
vent que  les  vaches,  et  les  veaux  encore  plus  rarement,  On 
dit  qu'ils  ne  grognent  ainsi  que  quand  ils  sont  inquiétés  ou 
en  colère.  Les  Thibétains  ont  pour  le  Yack  un  respect  reli-.' 
gieux  (1). 

(i)  Parmi  les  auteurs  anciens ,  ^lien  seul  a  parlé  du  Yack;  il 


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J.  D'ALEMBERT. 

Le  46  novembre  474T,  les  vagissemens  d'un  enfant  ex- 
posé sur  les  marches  de  Saint-Jean-le-Rond ,  église  située 
près  de  Notre-Dame  et  maintenant  détruite ,  attirèrent ,  au 
point  du  jour,  quelques  habitans  de  la  Cité  ;  il  était  d'une 
constitution  si  déli- 
cate que  le  commis- 
saire de  police  qu'on 
avait  appelé  pour  con- 
stater la  naissance  du 
malheureux  orphe- 
lin, crut  devoir  lui 
faire  donner  des  soins 
particuliers,  au  lieu 
de  l'envoyer  aux  En- 
fans-Trouvés ,  et  le 
confia  à  la  femme 
d'un  pauvre  vitrier. 
Cet  enfant  délaissé 
par  sa  famille,  de- 
vait être  un  jour  l'un 
des  hommes  les  plus 
marquans  de  son  siè- 
cle ;  c'était  D'Alem- 
bert.  —  Ses  parens 
ne  poussèrent  ce[ien- 
dant  pas  l'inhuma- 
nité au  point  de  l'abandonner  entièrement  à  la  charité  pu- 
blique; son  père  lui  assura  douze  cents  livres  de  rente,  re- 
venu plus  que  suffisant  alors  pour  le  mettre  au-dessus  du 
besoin;  mais  en  lui  donnant  des  moyens  d'existence  ils  re- 
fusèrent de  le  reconnaître ,  et  ce  ne  fut  que  long-temps 
après  sa  naissance  qu'on  apprit  que  d'Alembert  était  fils  de 
madame  de  Tencin,  femme  célèbre  par  son  esprit  et  sa 
beauté ,  et  de  Deslouches ,  commissaire  provincial  d'artil- 
lerie. 

D'Alembert  annonça  de  bonne  heure  de  grandes  disposi- 
tions et  beaucoup  d'application.  Il  n'avait  encore  que  dix 
ans ,  que  son  maître  de  pension ,  homme  de  mérite ,  décla- 
rait n'avoir  plus  rien  à  lui  apprendre.  A  douze  ans  d'Alem- 
bert passa  au  collège  Mazarin  où  il  entra  en  seconde  ;  ses 
maîtres  crurent  pouvoir  en  faire  un  autre  Pascal  pour  le 
soutien  de  la  cause  du  jansénisme  à  laquelle  ils  étaient  for- 
tement attachés;  mais  lorsque  le  jeune  écolier  eut  été  ini- 
tié aux  mathématiques,  il  se  sentit  pour  cette  éiude  une 
vocation  décidée  et  renonça  pour  elle  à  toutes  les  discussions 
Ihéologiques. 

En  sortant  du  collège,  D'Alembert  étudia  le  droit  et  se 
fit  recevoir  avocat  ;  mais  les  mathématiques  absorbèrent 
presque  tous  ses  instans.  Ce  fut  en  vain  qu'il  essaya  plus 
tard  de  se  livrer  exclusivement  à  l'étude  de  la  médecine, 
sur  les  instances  de  ses  amis  qui  l'engageaient  à  adopter 
un  état  qui  pût  le  mener  à  quelque  aisance;  et  cependant 
la  profession  de  médecin  était  une  de  celles  qui  était  le  plus 
-en  rapport  avec  le  goût  de  D'Alembert  pour  les  sciences  abs- 
traites. 

Poursuivi  par  ses  idées,  D'Alembert  reprit  ses  livres  de 
mathématiques  qu'il  s'était  résigné  à  éloigner  de  lui  pen- 
dant quelque  temps,  et  en  1759  il  remit  à  l'académie  des 
Sciences  un  mémoire  fort  remarquable  sur  une  question  de 
mécanique.  A  celte  première  publication  en  succéda  une 
autre  l'année  suivante  et  l'académie  s'empressa  de  le  rece- 
voir dans  son  sein.  La  nature  de  notre  recueil  ne  nous  permet 
pas  de  dérouler  ici  la  longue  liste  des  travaux  que  D'Alem- 
bert a  publiés  sur  les  maihémaiiques  pures  et  sur  leur  ap- 
plication à  la  mécanique,  à  la  physique  et  à  l'astronomie. 
Le  talent  de  leur  auteur  fut  apprécié  à  l'étranger  comme 

dit  que  les  Iiidiens  ont  deux  espèces  de  bœufs  ;  l'une  rapide  à  la 
course  ,  noire ,  et  dont  la  queue  blanche  sert  à  faire  des  chasse- 
mjuches. 


(  Médaille  de  D'Alembert.  ) 


en  France.  En  1746,  l'académie  de  Berlin  lui  décerna  un 
prix,  l'adopta  par  acclamation,  au  nombre  de  ses  membres 
et  plus  lard  lui  offrit  le  fauteuil  de  président.  Vainement 
le  roi  de  Prusse  laissa-t-il  pendant  long-temps  vacante  cette 
place  honorable ,  DA'lembert  préféra  le  séjour  de  la  France 
aux  honneurs  que  voulait  lui  rendre  l'étranger.  L'impéra- 
trice de  Russie,  Ca- 
therine II,  ne  fut  pas 
plus  heureuse  auprès 
de  lui ,  lorsqu'elle  le 
sollicita  de  se  charger 
de  l'éducation  de  son 
fils.  Le  roi  de  Prusse 
voulut  du  moins  faire 
quelque  chose  pour 
le  bien-être  de  D'A- 
lembert, et  lui  en- 
voya pension,  alors 
que,  par  des  motifs 
que  nous  explique- 
rons, D'Alembertfut 
privé  de  celle  qu'il 
devait  toucher  en 
France ,  comme  aca- 
démicien. Une  cor- 
respondance fort  sui- 
vie s'établit  entre  le 
monarque  et  le  géo- 
mètre, et  après  la  paix  de  1765,  ce  dernier  fit  le  voyage 
de  Prusse  pour  aller  remercier  le  prince. 

Les  travaux  scientifiques  de  D'Alembert  ne  lui  avaient 
pas  valu  seuls  la  grande  réputation  dont  il  jouissait ,  et  les 
égards  que  lui  monfiaient  toutes  les  notabililés  du  monde 
savant  et  du  monde  politique.  Esprit  fait  pour  tout  embras- 
ser, les  lettres  comme  les  mathématiques,  l'histoire  et  la 
philosophie  comme  la  religion  et  les  arts,  D'Alembert,  après 
avoir  satisfait  par  tant  de  découvertes  scientifiques  la  pas- 
sion dominante  de  son  esprit ,  avait  senti  le  besoin  de  se  li- 
vrer à  des  travaux  d'une  nature  moins  abstraite ,  et  il  s'é- 
tait associé  aux  auteurs  de  ce  grand  Dictionnaire  des  arts, 
'  (les  sciences  et  des  lettres  qui  a  aussi  reçu  le  nom  d'Ency- 
clopédie. Atteint  par  la  procription  qui  enveloppa  les  ency- 
clopédistes, D'Alembert  ne  put  toucher  son  traitement  d'aca- 
I  démicien.  Celte  œuvre  gigantesque  dont  il  n'a  été  donné 
qu'à  noire  siècle  de  voir  publier  la  fin  ,  était  une  sorte  de 
manifesledans  leqne  les philosophesdecelteépoque, fixaient 
le  degré  auquel  étaient  parvenues  les  connaissances  humai - 
I  nés,  et,  pour  parler  le  langage  du  temps,  proclamaient 
l'affranchissement  de  l'esprit  humain  long-temps  com- 
primé par  les  superstitions  pelitiqiies  et  religieuses.  D'A- 
lembert fit  lie  discours  préliminaire  de  cette  grande  pu- 
blication, discours  qui  est  à  lui  seul  un  ouvrage ,  el  auquel 
on  ne  saurait  refuser  le  double  mérite  de  résumer  les  con- 
naissances mathématiques  et  l'esprit  de  son  siècle,  et  d'être 
écrit  avec  autant  de  clarté  que  de  précision.  Il  rédigea  aussi 
les  articles  mathématiques  de  ce  dictionnaire. 
j  II  ne  saurait  entrer  dans  notre  plan  de  discuter  ici  les 
opinions  philosophiques  de  D'Alembert  et  de  ses  collabora- 
'  teurs  de  l'Encyclopédie.  Les  croyances  religieuses  dont  ils 
avaient  prédit  l'affaiblissement  progressif,  ont  repris ,  dans 
notre  pays,  un  nouvel  empire,  à  la  suite  des  sanglans  excès 
de  la  révolution  de  95;  et  des  hommes  dont  tout  le  monde 
aujourd'hui  reconnaît  le  génie  et  la  haute  influence,  Cha- 
teaubriand ,  Lamartine ,  Lamennais  et  d'autres  encore,  ont 
fait  entendre  de  nouveau  les  hymnes  de  la  foi,  en  leur  prê- 
tant tout  le  prestige  de  la  poésie  el  de  l'éloquence  les  plus 
nobles.  Ce  retour  aux  idées  religieuses  a  eu  sur  la  littéra- 
ture ,  et  même  sur  la  scène  et  sur  les  arts,  une  influence 
■  marquée,  et  cette  lutte  de  la  foi  contre  la  philosophie  se 
continue  de  nos  jours  encore,  dans  les  journaux  toiit 
comme  dans  le  sein  des  familles  et  dans  le  monde  politique. 
I      Tout  ce  que  nous  avons  a^ouIu  voir  dans  D'Alembert,  c'est 


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MAGASIN  UNIVERSEL. 


le  savant  et  récrivain,  et,  nous  dirons  aussi,  l'homme  lion- 
nête  ei  ami  de  ses  semblables.  Son  esprit  vif  et  son  carac- 
tère indépendant  se  traduisaient  dans  les  relations  privées 
par  une  conversation  vive  et  enjouée,  caustique  parfois, 
et  dans  ses  écrits  par  une  grande  vérité  d'expression  et  par 
ces  traits  piquans  dont  sont  remplies  même  les  productions 
de  sa  vieillesse.  Il  eut  beaucoup  d'ennemis ,  fut  en  butte  à 
de  nombreuses  et  violentes  attaques ,  et  crut  ne  devoir  ja- 
mais répondre.  Il  se  défiait  de  son  extrême  vivacité  qui  dé- 
générait quelquefois  en  emportemens  qu'il  chetchait  aussi- 
tôt à  réparer.  Ces  mouveraens  étaient  souvent  amenés  par 
les  souffrances  cruelles  que  lui  causait  la  maladie  de  la 
pierre.  Malgré  le  faible  état  de  sa  santé,  il  demeura  pendant 
plus  de  trente  années  chez  la  pauvre  femme  du  vitrier  qui 
l'avait  élevé  dans  sa  première  enfance ,  vivant  de  la  vie  la 
plus  modeste,  ennemi  du  faste  et  des  exigences  du  monde. 
II  fallut  que  les  médecins  lui  ordonnassent  de  quitter  cette 
demeure  insalubre  pour  qu'il  pût  se  résigner  à  s'en  éloi- 
gner. D'Alembert  succomba  à  son  mal,  sans  s'être  fait  opé- 
rer, le  29  octobre  4785 ,  âgé  de  soixante-six  ans.  Parmi  ses 
amis,  il  faut  citer  mademoiselle  de  l'Espinasse  à  laquelle  il 
témoigna  constamment  une  affection  aussi  délicate  que  so- 
lide, et  Voltaire  pour  qui  il  professa  toujours  la  même 
sympathie. 

D'Alembert ,  dit  M.  Lacroix  dans  la  Biographie  univer- 
selle, doit  être  mis  au  premier  rang  parmi  les  géomètres, 
et  au  second  parmi  les  littérateurs. 


SINGULARITES  HISTORIQUES. 

MŒURS     ET     USAGES     AU     MOYEN  -  AGE, 

Nous  avons  rappelé  dans  notre  premier  article  (i)  l'in- 
jonction faite  aux  hommes  d'église,  par  le  concile  de  4096, 
de  ne  plus  porter  de  longs  cheveux  à  l'avenir. 

Ce  mandement  produisit  son  effet  ;  en  4  4  46  Louis  VII,  sur 
les  représentations  de  P.  Lombart,  le  célèbre  évêque  de  Pa- 
ris, jugea  que  sa  conscience  était  intéressée  à  donner  à  ses 
sujets  à  lonijues  chevelures  l'exemple  de  la  soumission  aux 
ordres  des  évêques;  non  seulement  il  raccourcit  ses  cheveux, 
mais  encore  il  se  fit  couper  la  barbe.  Eléonore  d'Aquitaine 
qu'il  avait  épousée ,  princesse  vive,  légère,  le  railla  sur  ses 
cheveux  courts  et  son  menton  rasé  :  «  Ne  plaisantons  en 
rien  sur  pareille  matière ,  répondit  dévotement  le  monar- 
que. »  On  sait  que  cette  princesse  proposa  le  divorce  à  son 
mari ,  lui  disant  avec  hauteur,  écrit  Mézerai ,  «  qu'elle  avait 
cru  se  marier  à  un  prince ,  et  qu'elle  voyait  bien  n'avoir 
épousé  qu'un  moineton.  »  Eléonore  s'unit  à  Henri,  duc  de 
Normandie,  lequel  dans  la  suite  devint  roi  d'Angleterre  , 
et  à  qui  elle  porta  en  dot  le  Poitou  et  la  Guyenne.  Et  ici  il 
y  aurait  une  remarque  curieuse  à  faire;  car  de  ce  mariage 
naquirent  ces  guerres  interminables  qui  ont  désolé  la  France 
pendant  plus  de  trois  siècles;  elles  eurent  lieu  parce  qu'un 
archevêque  avait  pris  colère  contre  les  longues  chevelures , 
et  qu'un  roi  pieux  avait  raccourci  la  sienne  et  s'était  fait  ra- 
ser en  signe  de  soumission  et  d'obéissance.  Cette  manière 
d'expliquer  les  causes  des  grandes  guerres  de  la  monar- 
chie, en  s'appuyant  sur  des  faits  historiques ,  a  au  moins  le 
mérite  de  la  nouveauté. 

Nous  emprunterons  au  sire  de  Joinville  ce  qu'il  raconte 
d'une  particularité  distinctive  des  chevaliers,  lesquels  avaient 
l'habitude  de  se  raser  le  devant  de  la  tête ,  soit  crainte  d'être 
saisis  par  les  cheveux  s'ils  perdaient  leur  casque  dans  le 
combat,  soit  qu'ils  les  trouvassent  incommodes  sous  la  coiffe 
de  fer  et  sous  le  heaume  dont  ils  étaient  continuellement 
armés  :  «  Quand  nous  fûmes  à  Poitiers,  écrit  l'historien  du 
règne  de  Saint -Louis,  je  vis  un  chevalier  qui  avait  nom 
messire  Gioffroi  de  Rançon,  qui  pour  un  grand  outrage 
que  le  comte  de  la  Marche  lui  avait  fait,  avait  juré  ses 

(i)  Voyez  page  xo3. 


saints  qu'il  ne  serait  jamais  rogné  à  guise  de  chevalerie  y 
mais  porterait  queue  comme  les  femmes  les  portaient,  jus- 
qu'à tant  qu'il  se  verrait  vengé  du  comte  de  la  Marche; 
quelque  temps  après  ledit  comte ,  lui ,  sa  femme  et  ses  en- 
fans  vinrent  s'agenouiller  à  ses  pieds  et  lui  crier  :  merci  ! 
aussitôt ,  messire  Geoffroy  fît  apporter  un  tréteau  et  se  fit 
ôter  sa  queue  et  rogner  tout-à-coup.  » 

En  4524 ,  François  I"  ayant  été  blessé  à  la  tète ,  fut  obligé 
de  faire  couper  ses  cheveux;  redoutant  sur  toute  chose  d'a- 
voir l'air  moinet  on  avec  le  chaperon  de  ce  temps-là,  il  ima- 
gina de  porter  un  chapeau  et  de  laisser  croître  sa  barbe.  La 
longue  barbe  redevint  donc  à  la  mode  et  continua  jusqu'à 
Henri  IV.  François  Olivier  qui  fut  depuis  chancelier ,  ne 
put  être  reçu  au  parlement  maître  des  requêtes ,  qu'après 
s'être  fait  bien  et  dûment  raser;  et  en  4556,  Pierre  Lescot 
ayant  été  pourvu  d'un  canonicat  à  Notre-Dame ,  le  chapitre 
insista  long -temps  contre  sa  longue  barbe,  il  consentit 
pourtant  à  ce  qu'il  fût  reçu  avec  icelle  «  dérogeant  en  ce 
aux  statuts  de  notre  mère  sainte  Eglise.  » 

Ces  exemples  prouvent  qu'excepté  les  ecclésiastiques  et 
les  magistrats ,  tout  le  monde  en  France  portait  à  cette 
époque  une  longue  barbe  ;  sous  Henri  IV  on  en  diminua 
de  beaucoup  la  longueur ,  et  le  maréchal  de  Bassompierre 
sortant  de  prison  où  il  était  enfermé  depuis  douze  ans ,  di- 
sait naïvement  à  qui  voulait  l'entendre  :  «  Tout  le  change- 
ment que  j'ai  trouvé  dans  le  monde,  c'est  que  les  hommes 
n'ont  plus  de  barbe  et  les  chevaux  plus  de  queue.  » 


ÉPHÉMÉRIDES. 

i^''  janvier  i3o8.  —  Les  Suisses  s'emparent  des  cliâl eaux-fort» 
occupés  par  les  seigneurs  partisans  de  l'Auti  iche ,  et  proclament 
l'indépendance  de  leur  pays. —  i554.  Gharles-Quint  est  forcé  de 
lever  le  siège  de  Metz ,  après  avoir  perdu  près  de  vingt  mille  hom- 
mes devant  cette  place.  Metz  n'était  au  pouvoir  des  Français  que 
depuis  deux  ans.  —  i8oo.  Mort  de  Daubenton,  Tun  de  nus  pre- 
miers naturalistes  ;  il  fut  long  temps  le  collaborateur  de  Buft'un,  au- 
quel l'exactilude  et  la  patience  de  cet  observateur  furent  biea 
précieuses. —  i8oi.  tiazzi ,  célèbre  astronome  sicilien ,  découvre 
une  nouvelle  planète,  à  laquelle  il  donne  le  nom  de  C'érès.  —  x8o4. 
Saint-Domingue,  après  la  capitulation  du  général  français  Ro- 
chambeau,  reprend  son  ancien  nom  à' Haïti  (terre  monlagneuse). 

2  janvier  1492.  — Prise  de  Grenade  par  les  Espagnols;  fin  de 
la  domination  des  Maures.  —  i536.  Supplice  de  Jean  de  Leyde , 
chef  des  Anabaptistes  ou  Rebaptiseurs.  Celle  secte ,  formée  peu  de 
temps  après  la  révolte  religieuse  de  Luther,  proclamait  la  nécessité 
d'un  second  baptême,  rejetait  l'Ancien  Testament,  n'admettait  que 
l'Évangile,  et  établissait  une  liberté  politique  indéfinie.  On  compte 
maintenant  près  de  180  subdivisions  d'anabaptistes.  Bonaparte  les 
avait  exemptés  de  la  conscription.  (Voyez  l'Histoire  de  Luther, 
pages  81  et  91).  —  1579.  Institution  de  l'ordre  du  Saint-Esprit, 
par  Henri  III. —  iSaS.  L'Angleterre  reconnaît  les  républiques 
de  l'Amérique  espagnole. 

3  janvier  lygS.  — Catherine,  impératrice  de  Russie,  annonce 
à  l'Europe  le  partage  total  de  la  Pologne  entre  l'Autriche,  la  Rus- 
sie et  la  Prusse. 

li  janvier  1378.  —  Charles  IV,  empereur  d'Allemagne  accom- 
plit le  pèlerinage  qu'il  avait  promis  de  faire  à  Saiut-Maur-des- 
Fossès  pour  se  guérir  de  la  goutte.  —  1788.  Le  Parlement  de 
Paris  se  prononce  contre  les  lettres  de  cachet.  —  1 798.  Le  Direc- 
toire fait  saisir  sur  tous  les  points  de  la  France  à  la  fois  les  mar- 
chandises anglaises  désormais  prohibées. 

5  janvier  1720.  —  Law  est  nommé  contrôleur  des  finances 
(Voyez  page  100).  —  i8or.  Cent  trente-trois  suspects,  républi- 
cains pour  la  plupart ,  sont  transportés  à  la  Guyane,  après  l'at- 
tentat du  3  nivôse  contre  les  jours  de  Bonaparte,  premier  consul. 

6  janvier  1649.  —  Efirayée  par  la  fermentation  des  esprits,  la 
reine  Anne,  remplissant  les  fonctions  de  régente,  pendant  la  mi- 
norité de  Louis  XIV,  se  relire  à  Saint-Germain  avec  son  fils  et 
le  cardinal  Mazarin;  le  peuple  prend  les  armes  et  s'empare  des 
portes  de  Pari» ,  que  la  cour  voulait  réduire  par  les  armes  ou  par 


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la  famine. —  1740.  Déjà  réduit  à  la  honteuse  condition  de  fou  de 
la  cour  par  l'impcralrice  de  Russie,  pour  avoir  quitté  la  religion 
grecque  et  embrassé  le  catholicisme,  le  prince  Calitxin  est  con- 
traint, par  cette  princesse,  à  épouser  une  lavaudière,  après  la  mort 
de  sa  première  femme.  L'impératrice  voulut  que  la  première  nuit 
des  noces  fût  passée  dans  un  palais  de  glace,  sur  un  lit  de  la  même 
matière.  L'hiver  était  des  plus  rigoureux  ;  les  deux  époux  furent 
promenés  par  la  ville  dans  une  cage  portée  par  un  éléphant;  des 
députations  de  toutes  les  parties  de  la  Russie  et  des  peuples  con- 
quis, marchaient  à  leur  suite,  revêtues  de  leurs  costumes  natio- 
naux, et  portées  par  des  chameaux  ou  traînées  par  des  bœufs, 
des  chiens,  des  boucs  et  même  par  des  cochons.  Sous  le  même 
règne  un  autre  seigneur  fut  brûlé  vif  avec  un  juif  qui  l'avait  con- 
verti à  sa  religion. —  1786.  Mort  de  Poivre,  missionnaire  français, 
intendant  de  l'île  Bourbon  ,  auquel  nos  colonies  doivent  la  culture 
des  épiceries.  —  18 14.  Abaniluniiant  la  cause  de  Napoléon, 
auquel  il  devait  la  couronne  de  Naples,  Murât  signe  un  traité 
d'alliance  avec  l'Angleterre. 


VARIETES. 

DE    l'origine    des    ÉTRENNES. 

La  coutume  de  donner  des  étrennes  est  fort  ancienne  ;  on 
a  prétendu  qu'elle  remontait  au  temps  des  premiers  rois  de 
Rome  :  on  lit  dans  quelques  auteurs  que  Taiiiis  ayant  reçu, 
]e  ^^^  janvier,  comme  un  bon  augure,  quelques  branches 
de  palmier  coupées  dans  un  bois  consacré  à  la  déesse 
Sirenua,  cetie  coutume  fut  dès  lors  autorisée,  et  porta  le 
nom  de  strenœ  (étrennes),  à  cause  de  la  divinité  qui  présida 
depuis  à  ces  sortes  de  cérémonies. 

Les  Romains  firent  de  ce  jour-là  un  jour  de  fête,  qu'ils 
dédièrent  au  dieu  Janus,  représenté  avec  deux  visages,  l'un 
devant ,  l'autre  derrière  ;  symbole  du  passé  et  de  l'avenir, 
et  qui  semble  regarder  en  même  temps  une  année  qui  finit 
et  l'autre  qui  commence.  Le  mois  de  Janvier  était  dédié  à 
Janus  ;  ce  fut  Numa  Pompilius,  deuxième  roi  de  Rome,  qui 
l'ajouta  au  calendrier.  Le  premier  jour  de  janvier,  on  re- 
vêtait ses  habits  les  plus  beaux ,  on  se  souhaitait  une  heu- 
reuse année  les  uns  aux  autres,  et  il  n'était  pas  permis  de 
prononcer  aucune  parole  de  celles  qu'on  croyait  être  de 
mauvais  augure.  Les  présens  ordinaires  étaient  des  figues , 
des  dattes  de  palmier  et  du  miel ,  et  chacun  envoyait  ces 
douceurs  à  ses  amis,  pour  témoigner  qu'on  leur  souhaitait 
une  vie  douce  et  agréable.  Les  clieiis  offraient  en  outre  à 
leurs  patrons  une  pièce  de  monnaie.  Avec  le  temps,  l'or  finit 
par  remplacer  la  modeste  pièce  d'airain.  Sous  le  règne 
d'Auguste,  le  peuple,  les  chevaliers  et  les  sénateurs,  ve- 
naient offrir  des  étrennes  à  l'empereur. 

Tibère  avait  désapprouvé  cette  coutume,  et  de  son  auto- 
rité despotique ,  il  avait  défendu ,  sous  des  peines  sévères , 
l'usage  de  faire  des  présens  ;  cette  défense  ne  subsista  pas 
long-temps;  car,  sous  Caligula,  unédit  spécial  fit  savoir  au 
peuple  et  aux  chevaliers  que  l'Empereur  recevrait  à  l'ave- 
nir tous  les  cadeaux  qu'on  voudrait  bien  lui  faire ,  suivant 
les  usages  anciens. 

Dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise,  on  continua  à  offrir 
des  présens  non-seulement  à  l'empereur,  mais  aux  magis- 
trats ;  les  pères  et  les  conciles  s'élevèrent  contre  cet 
abus,  qui  a  fini  par  disparaître.  Mais  du  moment  où  les 
étrennes  n'ont  plus  été  que  des  témoignages  réciproques  de 
bienveillance  et  d'amitié,  et  qu'elles  ont  été  purgées  de 
toutes  les  cérémonies  païennes,  l'Eglise  a  révoqué  sa  sen- 
tence de  proscription. 

Tous  les  anciens  historiens  de  la  monarchie  de  France , 
Grégoire  de  Tours ,  le  moine  de  Saint  -  Denis ,  Monstrelet , 
Froissart,  Alain  Chartier,  Juvénal  des  Ursins,  détaillent 
avec  un  soin  particulier  les  divers  présens  que  faisait  le  sei- 
gneiu'  au  roi ,  les  somptueuses  étoffes  qu'il  envoyait  à  ses  al- 
liés et  confédérés  :  «  Le  roi  Charles  sixième  surtout  ne  man- 
qua jamais  l'observance  d'icelle  cérémonie,  et,  suivant  l'an- 
cienne coutume  de  donner  une  marque  de  son  affection , 
mandait  une  fois  chacun  an  de  riches  étrennes,  soit  joyaux 


et  pierreries,  soit  certaines  pièces  de  velours  cramoisi,  au 
roi  et  à  la  reine  d'Angleterre.  » 

Et  (juels  beaux  présens  ne  faisait  pas  la  reine  Margue- 
rite, sœur  de  François  I"!  Au  commencement  de  chaque 
année ,  eût-elle  jamais  manqué  d'envoyer  pour  étrennes  à 
son  frère  une  épîire  gentiment  tournée  en  vers  gracieux  et 
élégans?  Rien  n'égala  sa  générosité  à  l'égard  des  seigneurs 
de  la  cour  :  Brantôme,  avec  son  style  louangeur  pour  tous 
les  personnages  dont  il  nous  a  décrit  la  vie ,  raconte  que 
«Madame  Marguerite  était  tou  le  bonne,  toute  splendideel 
libérale,,  n'ayant  rien  à  soi,  donnant  à  tout  le  monde j  tant 
charitable,  tant  auraônière  à  l'endroit  des  pauvres!  Aux 
plus  grands,  elle  faisait  honte  en  libéralités,  comme  je  l'ai 
vue,  au  jour  des  étrennes,  faire  de  si  riches  présens  à  toute 
la  cour,  que  le  roi ,  son  frère,  s'en  étonnait  et  n'en  faisait 
jamais  de  pareils.  » 

Peu  de  personnes  ignorent  que,  sous  le  règne  de 
Henri  IV,  le  ministre  Sully  ne  manquait  jamais,  à  chaque 
renouvellement  d'année,  d'apporter  au  roi  pour  ses  étren- 
nes deux  bonnes  bourses  de  jetons  d'or  «  et  le  félicitait  et 
complimentait  gracieusement  sur  l'année  qui  allait  se  com- 
mencer. » 

Cet  usage  des  cours  se  reproduisait  dans  les  villes  :  le 
<"  janvier,  les  bons  bourgeois  enchaperonnés  se  rendaient 
des  visites  en  grande  cérémonie  ;  chacun  portait  son  petit 
cadeau ,  lequel  consistait  souvent  en  dragées  et  confitures 
sèches  ;  ils  se  faisaient  muluellement  de  belles  harangues , 
se  souhaitant  bonheur  et  prospérité.  De  nos  jours,  l'époque 
des  étrennes  est,  en  quelque  sorte ,  un  moment  de  ci  ise  so- 
ciale; toutes  les  populations  s'agiient;  le  monde  est  en 
mouvement;  et  ce  qui  est  encore  un  plaisir  pour  quelques-uns, 
est  devenu  pour  le  plus  grand  nombre  un  rigoureux  devoir. 

Voltaire  se  fit  une  réputation  précoce  par  une  pièce  de 
vers  qu'il  composa  pour  un  invalide  du  régiment  Dauphin. 
Ce  vieux  soldat  avait  servi  sous  le  fils  de  Louis  XIV,  le  père 
de  l'élève  de  Féné.'on ,  et  les  récita  à  ce  prince  à  l'époque  du 
jour  de  l'an.  «  Celte  bagatelle  d'un  jeune  écolier,  dit  Vol- 
taire, dans  son  Commentaire  historique,  fit  quelque  bruit 
à  Versailles  et  ù  Paris.  »  Ninon  voulut  le  voir  et  lui  fit  peu 
de  temps  après  un  legs  de  deux  mille  livres. 

Parmi  les  traits  plaisans  auxquels  le  jourde  l'an  a  donné 
naissance ,  on  a  souvent  cité  celui-ci  :  le  cardinal  Dubois 
avait  un  intendant  dont  les  friponneries  lui  étaient  connues. 
Au  jour  de  l'an  ,  cet  intendant  venait  rendre  ses  devoirs  à 
son  maître  :  au  lieu  de  lui  donner  ses  étrennes,  comme  aux 
autres  personnes  attachées  à  son  service,  le  cardinal  se 
contentait  de  lui  dire  :  «  Monsieur  je  vous  donne  ce  que 
vous  m'aves  volé.  »  Et  l'intendant  se  retirait  après  avoir 
salué  bien  respectueusement  son  maître ,  comme  un  péni- 
tent que  la  parole  du  prêtre  a  lavé  de  ses  péchés. 

En  Angleterre  les  étrennes  se  donnent  au  25  décembre, 
jour  commémoratif  de  la  naissance  de  Jésus-Christ,  et 
époque  à  laquelle  plusieurs  peuples  de  l'Europe  commen- 
çaient l'année ,  dans  le  moyen-âge.  En  Russie  les  cadeaux 
se  font  plus  particulièrement  à  Pâques. 

L'INSTITUT.  —  LE  PONT  DES  ARTS. 

Le  palais  de  l'Institut  de  France  était  autrefois  le  col- 
lège des  Quatre-Nations.  Le  cardinal  Mazarin  avait  ordonné 
par  son  testament  (  6  mars  ^66l  ),  qu'il  serait  fondé  un  col- 
lège ,  sous  le  titre  de  Mazarini,  destiné  à  soixante  gentils- 
hommes ou  principaux  bourgeois  de  Pignerol  et  de  son  ler- 
ritoire ,  d'Alsace ,  de  Flandre  et  de  Roussillon ,  pays  alors 
nouvellement  conquis  ou  réunis  à  la  couronne.  Comme  il 
fallait  être  originaire  de  l'une  de  ces  quatre  contrées  pour 
être  admis  dans  cet  établissement,  on  le  nomma  Collège 
des  Quatre-Nations. 

Ces  soixante  jeunes  gens  devaient  y  être  gratuitement 
lo^és ,  nourris ,  instruits  dans  la  religion  et  les  belles-lettres  ; 
on  devait  leur  apprendre  en  outre  res(rime,  l'équitationet 
la  danse.  Pour  subvenir  à  cette  éducation ,  Mazarin  laissa 


412 


MAGASIN  UNIVERSEL 


une  somme  de  deux  millions  et  sa  riche  bibliothèque.  Par 
lettres-patentes  du  mois  de  juin  1665 ,  Louis  XIV  ordonna 
l'exécution  de  ce  testament ,  et  voulut  que  ce  collège  fût 
réputé  de  fondation  royale. 
Les  exécuteurs  testamentaires ,  ayant  acheté  une  partie 


) 


des  bàlimens  de  Vhôtel  et  séjour  de  Nesle ,  ainsi  que  plu- 
sieurs maisons  voisines,  firent  jeter  les  fondations  de  l'édi- 
fice ,  destiné  à  ce  collège ,  qui  fut  élevé  sur  les  dessins  de 
Leveau. 
La  façade  est  située  sur  le  Quai  Conti ,  et  forme  une  por- 


( L'Institut.  —  Le  Pont  des  Aris.  ) 


tion  de  cercle  ,  terminée  à  l'une  et  à  l'autre  extrémité  par 
un  pavillon.  Au  centre  est  le  portail  de  l'église ,  faisant 
avant-corps ,  composé  d'une  ordonnance  corinthienne  et 
couronné  d'un  fronton.  Au-dessus  s'élève  un  dôme  ,  dont 
une  lanterne  forme  l'amortissement.  Dans  l'intérieur  du 
dôme  sont  pratiqués  des  escaliers  à  vis  ,  conduisant  à  des 
tribunes.  Cette  église  était  décorée  avec  soin  de  statues  et 
de  tableaux  remarquables,  A  droite  du  sanctuaire  était  placé 
le  tombeau  du  cardinal  fondateur.  Sur  un  sarcophage  de 
marl)re  noir,  orné  de  supports  de  bronze  doré,  on  voyait 
la  figure  de  Mazarin  en  marbre  blanc  :  il  était  représenté 
les  mains  jointes  et  dans  l'attitude  d'un  homme  en  prière. 
Le  monument  s'élevait  sur  deux  marches ,  aussi  de  marbre 
blanc  :  trois  figures  allégoriques  en  bronze ,  la  Prudence , 
l'Abondance  et  la  Fidélité ,  reposaient  sur  ces  marches.  Ce 
tombeau ,  l'un  des  beaux  ouvrages  de  Coizevox ,  fut  trans- 
féré, lors  de  la  suppression  de  l'église,  au  Musée  des 
Monumens  français  ,  rue  des  Petits-Augustins. 

La  bibliothèque  du  Colléae  des  Quatre-^'ations  avait  été 
composée  par  le  savant  Gabriel  Naudé.  Située  d'abord  au 
palais  Mazarin ,  où  est  actuellement  la  bibliothèque  du  roi , 
elle  fut  dispersée ,  pillée  ou  vendue  pendant  la  Fronde.  On 
la  recomposa  dans  ce  collège.  On  y  compte  cent  quatre- 
vingt-quinze  mille  volumes ,  dont  trois  mille  quatre  cent 
trente-sept  manuscrits ,  disposés  dans  les  trois  étages  de  ses 
galeries.  Dès  l'an  1688,  elle  fut  ouverte  au  public. 
I  Outre  cette  bibliothèque ,  il  en  existe  une  autre  dans  le 
.  même  édifice  ;  c'est  celle  de  l'Institut ,  placée  au  dessous 
du  local  de  la  première.  Quoique  moins  nombreuse ,  elle 
est  précieuse,  surtout  à  cause  des  ouvrages  modernes 
qu'elle  renferme. 

En  1806,  les  bâtimens  du  collège  furent  destinés  aux 
séances  de  l'Institut ,  et  reçurent  le  titre  de  Palais  des 
Beaux-Arts.  On  transforma  à  cette  époque  l'église  en  une 
salle ,  propre  aux  séances  publiques.  Plusieurs  autres  parties 


de  l'édifice  durent  recevoir  des  changemcns ,  qu'il  serait 
inutile  de  détailler  ici. 

Deux  fontaines  furent  établies  aux  deux  côtés  de  l'avant- 
corps  placé  au  centre  de  la  façade  :  chacune  est  composée 
de  deux  lions  en  fer  fondu  et  de  grandeur  colossale ,  qui 
jettent  de  l'eau  dans  un  même  bassin. 

Il  est  à  remarquer  que  le  plan  du  Louvre  est  en  harmo- 
nie parfaite  avec  l'Institut ,  et  que  l'axe  de  l'ancienne  église 
des  Quatre-Nations  est  le  même  que  celui  qui  traverse  les 
portes  latérales  du  Louvre.  Cette  correspondance  n'est 
point  l'effet  du  hasard  :  elle  a  été  combinée.  Ou  a  voulu 
donner  à  ces  deux  édifices,  séparés  par  le  cours  de  la  Seine, 
une  perspective  agréable,  et  en  effet  ils  se  prêtent  un  mu- 
tuel secours.  Du  reste ,  cette  correspondance  a  été  d'autant 
plus  facile  à  établir,  que  les  deux  monumens  ont  été  com- 
mencés en  même  temps  et  sur  les  dessins  du  même  archi- 
tecte (Leveau).  On  a  complété  celte  harmonie  en  établissant 
le  pont  des  Arts ,  qui  met  les  deux  façades  en  communica- 
tion. Ce  pont ,  qui  ne  sert  qu'aux  piétons ,  fut  commencé 
en  1802  et  terminé  en  1804.  Il  a  été  construit  aux  frais 
d'une  compagnie,  à  laquelle  le  gouvernement  a  donné  le 
droit  d'y  percevoir  un  péage.  Ses  culées  et  ses  piles  sont 
fondées  sur  pilotis.  Il  a  neuf  arches  en  fer  fondu ,  suppor- 
tant le  plancher,  (jui  sert  de  route  et  qui  est  horde  par  une 
balustrade  également  en  fer.  Le  coup-d'œil  dont  on  jouit 
sur  ce  point ,  est  vraiment  magnifiijue  :  la  vue  embrasse 
d'un  côté  la  pointe  de  l'île  de  la  Cité,  le  môle  du  Pont-Neuf, 
et  les  deux  bras  de  la  Seine  (1)  :  de  l'autre  rôté,  elle  s'étend 
le  long  des  quais,  embellis  de  somptueux  édifices,  jusqu'aux 
hauteurs  verdoyantes  de  Chaillot.  Il  est  difficile  de  troiivc 
un  plus  ])eau  pr.norama. 

(i)  Voyez  la  figure  qui  représente  celte  vue,  page  i6r,  pre- 
mière pnnée. 


15) 


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MORT  DE  FREDERIC  DE  MERODE.  —  SA  STATUE  PAR  CLEEFS  D'ANVERS. 


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Quelque  désireux  que  nous  soyons  de  nous  tenir  éloignés 
de  l'arène  où  s'agitent  les  partis  politiques  et  d'écarter 
jusqu'au  soupçon  d'une  tendance  à  la  propagande ,  nous 
ne  saurions  éviter  tout  contact  avec  les  sujets  même  les 
plus  délicats  et  les  plus  irrilans  de  l'hisloire  contempo- 
raine. Tantôt  le  noble  caractère  d'un  des  principaux  per- 
TOMEII.  — Janvier  .ia3< 


sonnages  de  la  scène  politique ,  les  grands  services  qu'il 
aura  rendus  à  la  société,  lui  assigneront  une  place  dans 
ce  recueil  où  ne  sauraient  trop  souvent  revenir  les  leçons 
de  vertu  et  de  dévouement  à  l'humanité;  tantôt  l'apparition 
de  quelque  chef-d'œuvre  de  sculpture  ou  de  peiuture  con- 
sacré à  perpétuer  le  souvenir  d'im  'io:;:meoud'un  évène- 
.  -  13 


•H 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


ment ,  amèneront  avec  la  description  de  cette  création  des 
arts  un  rapide  narré  du  fait  qui  lui  aura  donné  lieu. 

Le  sujet  que  nous  allons  aborder  doit  à  ce  double  titre 
prendre  rang  dans  nos  colonnes.  La  gravure  placée  en  tête 
de  ce  numéro  représente  un  des  plus  beaux  morceaux  qui 
soient  sortis  des  mains  de  Geefs  d'Anvers,  sculpteur  dont 
le  nom  est  bien  haut  placé  déjà  par  les  vrais  connaisseurs; 
ce  personnage  revêtu  de  la  blouse  des  volontaires  Belges, 
qui  git  sur  le  champ  de  batajile  atteint  d'une  blessure  à  la 
jambe  droite ,  c'est  le  comte  Frédéric  de  Mérode  qu'un 
religieux  amour  de  son  pays  a  jeté  au  milieu  des  balles 
eimemies,  lui  jeune  encore  et  qui  pouvait,  loin  des  hasards 
de  la  guerre ,  vivre  de  cette  vie  si  douce  et  si  pleine  que  lui 
avaient  faite  la  fortune  et  la  haute  position  de  sa  famille. 

Louis-Frédéric,  comte  de  Mérode ,  descendant  d'une  des 
plus  illustres  maisons  de  la  Belgique,  naquit  à  Bruxelles  le 
9  juin  4792.  L'alliance  qu'il  contracta,  en  48H,  avec  une 
famille  marquante  du  département  d'Eure-et-Loire ,  celle 
du  comte  Ducluzel,  dont  il  épousa  la  fille  unique,  le  fixa 
dans  cette  partie  de  la  France.  Quand  Bonaparte  revint  de 
l'ile  d'Elbe,  Frédéric  de  Mérode  ne  vit  dans  son  retour 
qu'une  restauration  du  despotisme  militaire ,  et  il  s'engagea 
comme  volontaire  dans  les  grenadiers  à  cheval  de  la  maison 
du  roi,  que  commandait  Louis  de  La  Roche-Jacquelin  ; 
mais,  contre  son  espérance ,  la  campagne  se  réduisit  à  es- 
corter les  princes  jusqu'à  Béthune,  et  le  corps  auquel  il 
s'était  joint  fut  abandonné  à  lui-même  et  obligé  de  se  dis- 
soudre. 

La  révolution  de  4830  trouva  Frédéric  de  Mérode  exer- 
çant les  modestes  fonctions  de  maire  de  sa  commune  avec 
tout  le  zèle  que  peut  inspirer  un  véritable  amour  du  bien. 
Il  comprenait  l'importance  de  cette  magistrature  munici- 
pale pour  l'amélioration  de  l'état  moral  et  physique  du 
peuple,  et  pour  le  développement  des  ressources  du  pays. 
Il  devançait  de  ses  vœux  le  moment  où,  délivrée  des  que- 
relles dfc  partis,  la  France  pourrait  appliquer  à  l'étaulisse- 
ment  de  ses  routes,  au  développement  de  son  industrie 
agricole,  source  de  bonheur  pour  le  plus  grand  nombre, 
celte  activité  et  cette  intelligence  qu'elle  a  si  long -temps 
gaspillées  dans  des  luttes  intestines  et  dans  des  guerres  rui- 
neuses. 

La  patrie  ad©ptive  do  comte  de  Mérode  ne  hù  avait  pas 
fait  oublier  son  pays  natal  :  il  souffrait  de  le  voir  soumis  aux 
■princes  d'Orange,  et  se  plaignait,  avec  les  mécontens  de  la 
Belgique,  de  cette  tendance  du  roi  Guillaume  à  humi- 
lier la  religion  catholique ,  à  proscrire  l'usage  de  la  langue 
française ,  et  à  annihiler  les  droits  politiques  des  Belges. 
'Aussi,  quand  éclata  le  mouvement  de  Bruxelles,  il  ne  se 
borna  pas  à  le  saluer  de  ses  applaudissemens,  et  il  partit 
aussitôt  pour  son  pays  natal;  et,  rencontrant  en  route 
les  volontaires  belges  venus  de  Paris ,  il  les  encouragea  en 
leur  remettant  de  ses  propres  fonds  3,000  fr.  pour  acheter 
des  armes  et  subvenir  aux  frais  de  leur  voyage.  Arrivé  à 
Bruxelles ,  il  prit  de  suite  la  blouse  et  le  fusil  de  chasse,  et 
se  mit  comme  simple  volontaire  dans  les  rangs  du  corps  de 
chasseurs  formé  par  le  marquis  de  Chasteler,  et  fit  avec 
eux  plusieurs  sorties  pour  inquiéter  l'ennemi  retiré  à  Vil- 
vorde. 

Le  gouvernement  provisoire  le  nomma  membre  d'une 
commission  chargée  de  l'organisation  de  l'armée  ;  mais  son 
impatiente  ardeur  ne  lui  permettait  pas  de  s'occuper  des 
détails  que  comportait  une  organisation  aussi  longue  et 
aussi  difficile  r  il  voulut  marcher  contre  l'ennemi,  et,  ayant 
appris  que  les  habitans  de  la  Campine,  pays  situé  sur  les 
derrières  de  l'armée  hollandaise,  ne  demandaient  que  des 
armes  pour*  faire  cause  commune  avec  les  vainqueurs  des 
quatre  journées,  il  proposa  au  gouvernement  provisoire  de 
diriger  un  corps  de  volontaires  sur  Turnhout ,  viile  de  la 
Campine ,  de  couper  la  retraite  à  l'ennemi,  et  de  s'emparer 
du  matériel  et  des  chevaux  qui  se  trouvaient  dans  cette  ville. 

Le  plan  de  Frédéric  de  Mérode  fut  approuvé  par  le  gou- 
Tcrnement  provisoire,  et  on  dopii^  j['gr^e  au  commissaire 


chargé  du  déparlement  de  la  guerre  de  fournir  des  armes 
pour  l'exécution  de  ce  projet;  mais  ces  armes,  long-temps 
attendues,  ne  furent  pas  livrées. 

Fatigué  de  ces  délais ,  Frédéric  de  Mérode  partit  avec 
Jenneval ,  volontaire  au  corps  des  chasseurs  de  Chasteler , 
et  auteur  de  la  fameuse  chanson  patriotique  la  Braban- 
çonne,  pour  rejoindre  le  corps  franc  commandé  par  M.  JNiel- 
lon,  aujourd'hui  général  de  brigade.  Cet  officier  demandait 
du  renfort,  afin  de  tenter  un  coup  de  main  sur  Lierre,  pe- 
tite vîUe  de  la  Campine ,  occupé  par  un  corps  hollandais. 
Niellon  avait  avec  lui  huit  cents  volontaires  mal  armés,  mal 
équipés,  et  quatre  petites  pièces  d'artillerie,  mais  pas  un 
cavalier,  tandis  qu'à  trois  lieues  de  Lierre ,  vers  Malines, 
se  trouvait  le  gros  de  l'armée  hollandaise,  d'environ  dix 
mille  hommes  et  que  du  côté  d'Anvers  étaient  campés 
six  mille  hommes,  dont  la  garnison  de  Lierre  formait  l'avant- 
garde. 

Le  commandant  Niellon  plaça  les  deux  arrivans  en  tête 
de  sa  colonne.  A  une  demi-lieue  de  la  ville,  les  tirailleurs 
rencontrèrent  les  avant-postes  ennemis,  qui  se  replièrent 
aussitôt.  Quelques  volontaires,  dirigés  par  Frédéric  de  Mé- 
rode, poursuivirent  les  fuyards  et  arrivèrent  à  la  porte  de 
la  ville.  Frédéric  n'était  accompagné  que  d'une  dixaiiie  de 
braves;  ils  étaient  à  trente  pas  de  l'ennemi,  et  séparés  seule- 
ment par  la  rivière  la  Nèihe,  qui,  en  cet  endroit,  sert  de 
fossé  à  la  ville.  Les  Hollandais,  surpris  d'une  telle  hardiesse, 
n'osèrent  tirer  un  seul  coup  de  fusil.  Des  négociations  fu- 
rent entamées  sur-le-champ.  Un  quart-d'heure  après,  les 
troupes  hollandaises  évacuaient  la  ville.  Les  volontaires  bel- 
ges, ayant  à  leur  tête  le  comte  Frédéric  et  Jenneval ,  y 
tirent  leur  entrée  triomphante  aux  acclamations  de  tous  les 
habitans. 

Le  lendemain  la  ville  attaquée  sur  trois  points  différens 
par  l'ennemi,  au  nombre  de  huit  mille  hommes,  fut  vigou- 
reusement défendue  par  les  volontaires  aidés  de  la  bour- 
geoisie de  Lierre.  Frédéric  de  Mérode  se  battait  à  la  porte 
d'Anvers;  suivi  d'une  trentaine  de  ses  compagnons,  il 
franchit  les  barricades  pour  se  rapprocher  de  l'ennemi,  et 
cette  poignée  de  braves  avait  déjà  (ait  reculer  deux  batail- 
lons hollandais  jusqu'à  une  lieue  de  la  ville,  lorsqu'un 
morceau  de  mitraille  tua  Jenneval  à  côté  de  Frédéric.  Les 
tirailleurs  rentrèrent  en  ville ,  emportant  ce  malheureux 
jeune  homme  dont  la  perle  fut  vivement  ressentie  par 
Mérode ,  qui  en  avait  fait  son  frère  d'armes. 

Pendant  plusieurs  jours ,  l'ennemi  essaya  de  nouvelles 
attaques  et  fut  toujours  repoussé  avec  vigueur.  Le  49  octo- 
bre ,  Frédéric  de  Mérode  se  mit  à  la  tête  de  plusieurs  pay- 
sans de  la  Campine ,  qui  étaient  venus  le  rejoindre ,  et  re- 
poussa l'ennemi  du  village  de  Lisp,  où  il  s'était  fortifié.  II 
escalada  le  premier  les  barricades,  en  criant  à  sa  petite 
troupe  :  En  avant,  mes  amis,  les  braves  ne  meurent  pas  !  » 

L'armée  ennemie  ayant  commencé  la  retraite  sur  Anvers, 
on  résolut  de  marcher  sur  les  Hollandais.  l>es  avis  étaient 
survenus  de  l'arrivée  du  général  Mellinet  par  la  route  de 
Bruxelles  à  Anvers.  Le  commandant  Niellon  devait  opérer 
sa  jonction  avec  lui  à  la  réunion  des  deux  routes  et  tenter 
de  s'emparer  d'Anvers  par  surprise. 

Frédéric  de  Mérode  parut  dès-lors  avoir  une  sorte  de 
pressentiment  du  malheur  qui  devait  lui  arriver ,  car  l'un 
de  ses  camarades  lui  exposant  toute  la  difficulté  de  l'entre- 
prise qu'ils  allaient  tenter  :  «Si  je  suis  blessé  ,  lui  dit-il ,  je 
crois  que  je  le  serai  grièvement.  »  Les  deux  corps  de  volon- 
taires effectuèrent  leur  jonction  et  marchèrent  au  pas  de 
course  jusqu'au  village  de  Berchem.  L'action  s'engagea  de- 
vant ce  village  entre  les  Hollandais  et  les  Belges.  Le  comte 
Frédéric  se  battit  toute  la  journée  à  l'avant-garde,  et  vit 
tomber  à  ses  côtés  un  grand  nombre  de  ses  compagnons.  Il 
était  à  trente  pas  de  l'ennemi  lorsqu'il  reçut  au  haut  de  la 
cuisse  droite  une  balle  qui  lui  cassa  le  fémur.  Il  tombe  et 
néanmoins  conserve  encore  la  force  de  tirer  deux  coups  de 
fnsil  ;  puis  voyant  les  Hollandais  s'avancer  sur  lui ,  il  s'arme 
d'un  pistolef  fit  ç'amrêtp  à  vendre  chèrement  sa  vi«,  lors- 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


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que  les  volontaires  accourent  et ,  grâce  à  des  prodiges  de 
valeur ,  repoussent  les  Hollandais  pendant  que  quatre  de  ses 
compagnons  le  transportent  à  une  petite  maison  de  campa- 
gne près  du  champ  de  bataille.  On  voulut  conduire  Mé- 
rode  à  Lierre  ou  à  Malines,  mais  il  s'y  opposa  avec  fermeté 
en  disant  :  «Ce  déplacement  va  décourager  nos  volontaires; 
je  resterai ,  dussé-je  tomber  entre  les  mains  des  Hollan- 
dais. » 

Le  lendemain  l'amputation  de  la  cuisse  fut  résolue.  Fré- 
déric (pli  avait  supporté  les  douleurs  de  sa  blessure  avec  un 
courage  admirable ,  ne  proféra  pas  la  moindre  plainte  pen- 
dant celte  cruelle  opération.  Le  même  soir,  25  octobre ,  il 
fut  transporté  à  Malines ,  conservant  pendant  toute  la  route 
son  fusil  à  ses  côtés.  Il  vécut  quelques  jours  encore  et 
rendit  le  dernier  soupir  après  une  longue  agonie ,  le  4  no- 
vembre suivant.  Pendant  tout  le  lenips  que  ses  restes 
furent  déposés  dans  la  maison  mortuaire  ,  ce  fut  une  lon- 
gue et  triste  piocession  de  tous  les  habitans  de  Malines  et 
de  phisieurs  lieues  à  la  ronde  qui  venaient  prier  auprès  de 
ce  corfis  inanimé  dont  la  belle  figure  semblait  exprimer 
encore  les  nobles  sentimens  qui  l'avaient  animée  eu  face  de 
l'ennemi. 


EMBAUMEMENT  ET  CONSERVATION  DES  CORPS. 

Le  contact  de  l'air ,  l'humidité  et  un  degré  moyen  de 
tempéraluie  sont  les  conditions  sous  l'influence  desquelles 
se  développe  avec  le  plus  de  facilité  la  fermentation  des 
matières  animales.  Ainsi ,  dans  les  ré;jions  glacées  qui  avoi- 
sinent  le  pôle  nord ,  on  a  vu  des  cadavres  se  conserver 
intacts  sous  la  neige ,  pendant  un  temps  illimité  ;  des  corps 
parfaitement  desséchés  ont  été  trouvés ,  au  contraire,  enfouis 
dans  les  sables  brûlans  de  l'Afrique  et  de  l'Asie  j  dans  nos 
climats  tempérés  enfin,  où  les  circonstances  sont  pourtant 
bien  moins  favorables ,  le  contact  ou  le  voisinage  de  cer- 
taines matières  absorbantes,  l'absence  presque  complète 
de  l'air,  ou  quelques  autres  causes  pariicuUères,  donnent 
quelquefois  naissance  à  de  véritables  momies  naturelles  ou 
en  favorisent  la  formation. 

L'art  de  conserver  les  corps  organisés ,  et  notanmient  les 
matières  animales ,  bien  plus  facilement  altérables  que  les 
végétaux ,  consiste  donc  en  grande  partie  à  empêcher  le 
concours  des  trois  circonstances  dont  nous  avons  parlé. 

—  Momies  égyptiennes.  Les  Egyptiens  sont  les  premiers 
chez  qui  l'art  des  eaibaumemens ,  aujourd'hui  tout-à-fait 
inconnu  dans  les  lieux  même  où  il  a  pris  naissance ,  ait  été 
cultivé  avec  succès;  il  paraît  avoir  été  généralement  prati- 
qué parmi  eux.  Leurs  momies  et  celles  des  Guanches, 
peuple  d'origine  égyptienne,  selon  quelques  historiens,  sont 
presque  les  seules  qui  aient  traversé ,  et  en  quelque  sorte 
l)ravé  impunément  une  longue  série  de  siècles.  Il  ne  nous 
reste  plus  rien ,  en  effet,  de  celles  des  Ethiopiens ,  des  Scy- 
thes, des  premiers  Juifs,  des  Grecs,  des  Romains,  etc., 
quoique  ces  peuples  aient  tous  pratiqué ,  au  moins  dans 
quelques  circonstances,   l'art  difficile  des , embaumemens. 

La  haute  antiquité  de  cette  pratique  en  Egypte  est  prou- 
vée par  le  texte  même  de  nos  livres  sacrés.  On  lit  effecti- 
vement dans  le  chapitre  P"^  de  la  Genèse  le  passage  suivant, 
cité  par  Daubenton  dans  son  Mémoire  sur  les  momies  : 
«  Joseph  voyant  son  père  expiré il  commanda  aux  mé- 
decins qu'il  avait  à  son  service  d'embaumer  le  corps  de 
son  père ,  ei  ils  exécutèrent  l'ordre  qui  leur  avait  été  donné, 
ce  qui  dura  quarante  jours ,  parce  que  c'était  la  coutume 
d'employer  ce  temps  pour  embaumer  les  corps  morts.  » 

Avant  l'expédition  française,  on  n'avait  pas  en  Europe 
«ne  juste  idée  de  l'embaumement  des  Egyptiens,  et  surtout 
du  degré  de  perfection  auquel  avaiiélé  portée  cette  pratique. 
M.  Jomard ,  dans  sa  description  des  hypogées  de  la  Thé- 
baïde,  de  ces  villes  des  morts  si  extraordinaires  à  nos  yeux, 
et  qui  rivalisent  d'étendue  et  de  luxe  avec  les  cités  dont  elles 
n'étaient  pourtant  que  les  chnelières ,  entre  dans  beaucoup  I 
de  dtiiails  sur  rananjjeinent  induslrieiu  des  bandelettes , 


dont  chaque  partie  du  corps  de  ces  momies  est  entourée,  iktT 
les  masques  qui  recouvrent  leur  visage,  sur  les  signes  tracés 
sur  les  toiles ,  les  peintures  qui  ornent  les  enveloppes,  sur 
les  sarcophages ,  sur  l'art  avec  lequel  sont  dorés  les  ongles 
et  quelquefois  le  corps  tout  entier,  eic;  mais  ces  détails, 
quoique  remplis  d'intérêt,  seraient  ici  déplacés.  Ce  qu'il 
importe  d'observer,  c'est  qu'il  est  rare  de  trouver  aujour- 
d'hui des  momies  dans  leur  état  d'intégrité;  la  plupart  ont 
été  dépouillées  ou  mutiléts  par  les  Arabes,  et  au  lieu  de 
reposer  dans  les  caveaux  ou  dans  les  niches  qui  leur  avaient 
été  préparées,  elles  gisent  éparses  sur  le  sol  ou  amoncelées 
par  centaines  dans  les  galeries  des  catacombes ,  dont  elles 
obstruent  les  passages. 

Les  Egyptiens  ont  pratiqué  plusieurs  sortes  d'embaume- 
mens;  delà,  sans  doute  les  nombreuses  variétés  que  pré- 
sente aujourd'hui  l'état  des  momies. 

On  s'accorde  à  penser  que,  pour  les  personnes  riches,  ils 
employaient  la  myrrhe,  l'aloès,  la  canelle,  le  cassia  lignea,  et 
pour  les  pauvres,  le  cedria,  le  bitume  de  Judée  et  lenairum; 
ce  que  prouve  l'examen  des  diverses  momies.  Avant  de  pro- 
céder à  l'embaumement ,  les  Egyptiens  opéraient  constam- 
ment l'extraction  des  intestins ,  soit  en  incisant  les  parois 
de  l'abdomen,  soit  en  hijeciant  dans  le  bas- ventre  une  li- 
queur corrosive.  La  déchirure  des  parois  du  nez ,  et  la  frac- 
ture de  l'os  etmoïde  qu'on  observe  chez  la  plupart  de  ces 
momies  attestent  aussi  que  les  Egyptiens  retiraient  ordi- 
nairement le  cerveau  par  cette  voie ,  tandis  que  l'état  d'in- 
tégrité de  ces  mêmes  parties ,  chez  plusieurs  autres ,  paraît 
démontrer  que  l'extraction  de  cet  organe  n'était  pas  consi- 
dérée comme  indispensable.  ' 
C'est  surtout  à  conserver  intacts  les  traits  du  visage  que 
ce  peuple  semble  s'être  particulièrement  attaché.  Effective- 
ment, tandis  que  le  reste  du  corps  des  momies,  réduit  à 
un  état  presque  squélettique ,  ne  doit  qu'aux  nombreuses 
bandelettes  dont  il  est  arlistement  entouré ,  la  conservation 
apparente  de  son  volume  et  de  ses  formes ,  le  visage  pré- 
sente encore  une  conformation  presque  naturelle  et.  des 
traits  reconnaissables. 

Observons,  au  reste,  que,  pour  la  préparation  des  momies 
comme  pour  leur  conservation  ultérieure ,  les  Égyptiens 
ont  été  favorisés  par  le  climat  et  par  la  température  élevée 
et  uniforme  (22  à  23")  qui  règne  dans  l'intérieur  des 
chambres  sépulcrales ,  inaccessibles  d'ailleurs  à  l'humidité. 
Ce  qui  le  prouve ,  c'est  que  plusieurs  espèces  de  momies , 
qui  se  conservent  fort  bien  dans  les  catacombes ,  s'allèrent 
dès  qu'elles  sont  exposées  à  l'air  humide  ou  transportées 
dans  d'autres  contrées  :  c'est  ce  qui  arrive  dans  njs  musées 
à  la  plupart  des  momies  qu'on  y  renferme  comme  objet 
d'étude  ou  de  curiosité. 

—  Momies  des  îles  Fortunées  on  Xaxos.  Les  Guanches 
sont ,  avec  les  Egyptiens ,  les  seuls  f>euples  chez  lesquels  la 
pratique  des  embaumemens ,  regardée  sans  doute  connne 
un  devoir  religieux ,  paraisse  avoir  été  généralen>ent  adop- 
tée; ces  anciens  habitans  des  lies  Fortunées,  aujourd'hui 
les  Canaries ,  après  avoir  long-temps  résisté  aux  Européens, 
furent  presque  tous  détruits  en  i49G.  On  assure  qu'on  ne 
saurait  trouver  maintenant  à  Ténériffe  d'autres  Guanches 
que  leurs  momies  (1). 

De  nombreuses  et  assez  vastes  catacombes  existent  aux 
Canaries  ;  mais  elles  sont  loin  d'èlre  toutes  connues ,  parce 
que  l'accès  en  est  difficile.  Aussi  en  découvre-t-on  chaque 
jour  de  nouvelles.  Il  y  en  a  (îUisieurs  à  Ténériffe  :  la  plus 
célèbre  est  celle  de  Baranco  de  Ilerque,  qui ,  lorsqu'elle  fut 
ouverte,  renfermait  plus  de  mille  cadavres.  C'est  d'elle  que 
sont  venues  les  deux  uîomies  que  M.  de  Chastenel-Pnységur 
envoya,  en  1776 ,  au  Jardin  des  Plantes,  et  qu'on  y  voit 
encore  dans  le  cabinet  d'analomie  comparée.  Les  momies 
des  rois  et  des  grands  étaient ,  dit-on  ,  renfermées  dans  un 
cercueil  d'unseul  morceau  creusé  dansle  tronc  d'une  sabhie.  ' 


(i)  Yoyez  l'article  sur  les  lies  Canaiies  dans  l'un  des  numéros 
\  suivani« 


446 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


Celles  des  particuliers  sont  placées  dans  les  catacombes  sur 
des  espèces  de  tréteaux  en  bois  parfaitement  conservés  ; 
elles  ne  sont  enveloppées  que  dans  des  peaux  de  chèvre  j 
cousues  ensemble  ;  le  poil  de  ces  peaux  est  tantôt  en  dedans , 
tantôt  en  dehors ,  parfois  même  elles  en  sont  complètement 
dépourvues.  Cinq  ou  six  momies  sont  ordinairement  atta- 
chées ensemble ,  la  première  se  trouvant  cousue ,  par  la 
peau  qui  lui  enveloppe  les  pieds ,  aux  peaux  qui  entourent 
la  tête  de  la  seconde  ,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  dernière. 

Dépouillées  de  leurs  enveloppes,  ces  momies  sont  sèches, 
légères ,  d'une  couleur  tannée  et  d'une  odeur  aromatique 
agréable.  Plusieurs  sont  parfaitement  conservées:  les  ongles 
manquent  souvent;  les  traits  du  visage  sont  distincts, 
quoique  retirés  j  le  ventre  est  affaissé ,  et  présente  quelque- 
fois, mais  non  pas  d'une  manière  constante,  des  traces 
d'une  incision  vers  le  flanc;  exposées  à  l'air,  elles  tombent 
peu  à  peu  en  poussière  ;  détruites  alors  par  l'action  de  divers 
insectes,  elles  sont  piquées  en  plusieurs  endroits  et  souvent 
pleines  de  larves  et  de  chrysalides  desséchées ,  qui  ont  vécu 
après  l'embaumenient ,  mais  qui  n'ont  pu  altérer  ces  mo- 
mies, avec  lesquelles  elles  se  sont  assez  bien  conservées;  il 
est  impossible  de  déterminer  au  juste  leur  âge  :  ce  qui  est 
constant ,  c'est  qu'il  y  a  plus  de  deux  mille  ans  que  les 
Guanches  embaumaient ,  et  que  leurs  momies  les  plus  ré- 
centes n'ont  pas  moins  de  trois  à  quatre  cents  ans ,  puisque 
la  destruction  de  ce  peuple  remonte  à  l'année  i49G. 

On  ne  possèJe  que  des  données  incertaines  sur  la  manière 
dont  les  Guanches  procédaient  à  l'embaumement  des  cada- 
vres. Toutefois,  il  paraît  qu'après  avoir  vidé  le  bas-ventre 
en  incisant  ses  parois ,  ou  en  faisant  par  l'anus  des  injections 
corrosives ,  et  avoir  rempli  les  diverses  cavités  de  poudres 
aromatiques ,  on  pratiquait  sur  tout  le  corps  des  onctions 
avec  une  espèce  de  pommade  composée  ;  après  quoi  on  le 
desséchait  en  l'exposant  au  soleil  ou  en  le  plaçant  dans  une 
étuve.  Le  quinzième  jour,  on  le  cousait  dans  les  peaux  de 
chèvre  que  le  Guanche  avait  préparées  de  son  vivant;  on  le 
ceignait  avec  des  courroies ,  retenues  avec  des  nœuds  cou- 
lans,  et  on  le  transportait  enfin  dans  les  catacombes. 
(La  suite  à  un  prochain  numéro.) 


ARABIE  PETREE. 
Voyage  de  m.  Léon  Delaborde. 


(Costume  arabe  d'après  Decamps.) 

Le  pays  le  plus  célèbre  de  l'antiquité ,  celui  dont  l'hîstoire 
remonte  à  l'origine  même  du  monde ,  était  il  y  a  peu  d'an- 
nées encore  à  peu  près  inconnu  ;  desmonumens  gigantesques 
et  d'une  rare  perfection  gisaient  cachés  au  milieu  de  rochers 
énormes ,  qui  ont  fait  donner  à  la  partie  septentrionale  de 


l'Arabie  le  nom  de  Pétrée.  Des  traditions  vagues  avaient 
seulement  appris  que  là  existait  une  ville  qui  surpassait  en 
étendue  et  en  magnificence  la  reine  des  déserts ,  la  fameuse 
Palmyre;  mais  les  ignorans  habitans  des  environs,  sous 
l'influence  d'absurdes  préjuges,  en  défendaient  l'approche, 
et  semblaient  sur  cette  terre  biblique  avoir  hérité  de  la 
défiance  de  leurs  pères ,  en  disant  aux  voyageurs  comme 
autrefois  Edom  à  Israël  :  Tu  ne  passeras  pas  ! 

Cette  contrée  est  pourtant  encore  l'une  des  plus  intéres- 
sâmes du  monde,  car  c'est  là  que  les  anciennes  coutumes 
de  l'Orient  se  sont  conservées  pures  et  immuables.  Toujours 
des  tribus  errantes,  soumises  à  quelques  chefs  de  famille  ; 
toujours  les  campemens  auprès  des  sources,  les  pierres 
consacrées  sur  les  hauts  lieux,  les  guerres  et  les  vengeances 
héréditaires  entre  les  peuplades ,  la  vie  pauvre  et  inquiète 
du  désert,  le  brigandage ,  l'hospitalité! 

Le  voyageur  qui  accomplit  un  vœu  est  plus  respecté  qu'un 
autre,  et  la  meilleure  recommandation  est  le  titre  de  pèle- 
rin. Voilà  une  partie  du  monde  qu'il  sera  difficile,  même  à 
notre  civilisation  puissante ,  de  reconstruire  et  de  renou- 
veler ;  car  sous  des  influences  non  moins  efficaces  sans  doute, 
devant  les  aigles  de  Rome ,  et  malgré  l'ébranlement  des 
croisades ,  elle  est  resiée  la  même. 

M.  Léon  Delaborde  vient  joindre  aujourd'hui  de  pré- 
cieuses notions  à  celles  qu'on  avait  syr  ces  contrées;  il  en  a 
exploré  un  point  presque  oublié  depuis  dix-sept  siècles. 
Après  avoir  traversé  l'Asie-Mineure ,  franchi  le  mont  Tau- 
rus,  visité  la  Syrie,  Alep  ,  le  Liban ,  Damas,  Palmyre  ,  ce 
jeune  voyageur  entreprit  de  pénétrer  jusqu'à  l'antique  ville 
de  Pétra.  Pendant  une  année  de  séjour  au  Caire ,  il  travailla 
â  se  perfectionner  dans  la  langue  arabe ,  et  à  tout  disposer 
pour  l'exécution  de  ce  hardi  projet;  et  en  1828,  à  la  tète 
d'une  caravane  nombreuse ,  il  s'aventura  dans  les  déserts 
sablonneux  de  l'est  de  l'Egypte. 

Tout  dans  ces  lieux ,  dit  M.  Delaborde,  dans  le  récit  qu'il 
a  publié  de  son  voyage ,  rappelle  les  temps  de  Moïse ,  et  les 
mœurs  pastorales  de  la  Bible.  Au  fond  de  la  vallée  étroite 
et  pittoresque ,  d'où  l'on  commence  à  apercevoir  la  cime 
neigeuse  du  mont  Sinaï,  on  arrive  à  une  pierre  isolée  de 
sept  pieds  de  hauteur.  Aussitôt  les  Arabes  descendent  si- 
lencieusement de  leurs  cliameaux,  s'approchent  de  la  pierre 
sacrée ,  passent  la  main  sur  ce  roc  usé  par  le  frottement,  et 
la  reportent  à  leur  visage,  en  criant  :  El  fatha  !  (invoca- 
tion ordinaire  dans  les  dangers  des  pèlerinages).  Les  voya- 
geurs font  comme  leurs  guides,  et  ils  crient  fort  sérieu- 
sement: El  fatha!  —  Moïse,  disent  les  Arabes,  s'est 
reposé  sur  cette  pierre. 

Non  loin  de  là ,  un  autre  rocher  sert  de  limite  entre  les 
Arabes  du  nord  et  les  Bédouins  de  la  presqu'île  de  Sinaï. 
On  y  voit  amassée  une  quantité  prodigieuse  de  petites  pierres 
que  chacun  y  jette  en  passant  :  usage  religieux  qui  a  formé 
une  grande  partie  de  ces  tumulus  épars  dans  l'ancien 
monde.  Ils  sont  plus  nombreux  sur  les  routes  suivies  par  les 
pèlerins ,  comme  ici  sur  celle  de  la  Mecque.  C'est  encore 
un  souvenir  biblique ,  mais  un  souvenir  superstitieux.  Les 
Mahométans  prétendent  qu'Abraham,  conduisant  Isaac , 
son  fils ,  au  lieu  du  sacrifice ,  jeta  ainsi  des  pierres  à  Satan, 
qui  voulait  le  détourner  d'obéir  aux  ordres  du  ciel. 

Au  sommet  du  mont  Har,  le  plus  haut  rocher  de  la  con- 
trée ,  s'élève  un  amas  de  décombres  autour  de  quelques 
restes  d'une  chambre  sépulcrale  :  c'est  le  tombeau  du  pro- 
phète Aaron. 

Mais  la  partie  la  plus  attachante  de  la  narration  de 
M.  Delaborde ,  est  celle  où  il  nous  donne  la  description  de 
Pétra  :  il  a ,  comme  disaient  les  Arabes ,  rapporté  Pétra 
dans  ses  cartons. 

Renfermée  dans  tm  labyrinthe  de  montagnes  escarpées , 
cette  capitale  des  Arabes  nabalhéens,  ville  riche  et  floris- 
sante ,  que  se  disputèrent  les  conquérans ,  nous  apparaît 
enfin,  ou  du  moins  ce  qui  reste  de  ses  ruines.  Elle  avait 
transformé  en  séitulcres  presque  tous  les  rochers  du  voisi- 
nage ;  mais  une  de  ses  merveilles ,  c'est  un  tombeau  ma- 


MAGASIN  UNIVERSEL. 


iir 


gnifique ,  sculpté  tout  entier,  avec  ses  hantes  co- 
lonnes corinthiennes,  dans  le  roc  de  la  montagne, 
et  appelé  aujourd'hui  le  Khnsné  ou  Trésor  de 
Pharaon  :  un  bloc  énorme  et  compact  de  grès  , 
légèrement  teint  d'oxide  de  fer,  a  été  creusé, 
taillé,  façonné  en  statues,  en  piédestaux,  en  fûts, 
en  chapiteaux ,  en  chambres  funéraires  ;  et  le 
même  bloc ,  environné  de  toutes  parts  de  rochers 
grossiers  et  sauvages ,  qui  contrastent  avec  cette 
régularité  savante,  se  termine  par  un  fronton 
surmonté  de  l'urne  sépulcrale,  qui  s'élève  à  cent 
vingt  pieds  du  sol. 

Une  autre  tombe  monolithe ,  qui  se  fait  re- 
marquer par  l'énormité  de  ses  dimensions,  est 
taillée  en  relief  an  sommet  d'un  rocher;  on  y 
arrive  par  un  escalier  de  plus  de  quinze  cents 
pieds.  M.  Delaborde  y  est  monté,  et  ce  monu- 
ment gigantesque  fait  parti  de  ses  dessins.  Non 
loin  de  là,  un  arc  detriomphe  réunit  deux  parois 
immenses  de  rochers. 

Voilà  donc,  dr.ns  ces  montagnes  lointaines  et 
sauvages,  une  ville  longtemps  ignorée,  avec 
ses  temples,  ses  théâtres,  ses  aqueducs,  ses  forts, 
ses  arcs  de  triomphe,  ses  tombeaux  !  Les  tem- 
ples, les  théâtres  sont  déserts;  les  ruines  des 
aqueducs ,  des  forts  ,  ne  servent  plus  à  rien  ; 
l'arc  de  triomphe  ne  nous  transmet  pas  même 
le  souvenir  d'un  conquérant;  les  tombeaux  seuls 
sont  utiles  encore  :  ils  servent  quelquefois  d'éta- 
bles  aux  troupeaux. 

Une  inscription  latine ,  la  seule  qu'on  trouve 
à  Pétra,  donne  le  nom  de  0.  Prœtextus  (ou 
peut-être  Prœtextatus)  Florentinus,  gouverneur 
de  cette  province  de  l'Arabie,  et  semble  appar- 
tenir au  temps  d'Adrien  ou  d'Antonin-le-Pieux. 

Le  voyage  de  M.  Delaborde  n'a  pas  eu  seulement  pour 
but  la  contemplation  des  monumens  ;  ce  voyageur  a  rap- 
porté des  notes  fort  utiles  sur  les  plantes  et  les  animaux  de 
l'Arabie,  et  une  grande  carte,  résumé  complet  des  connais- 
sances géographiques  sur  ce  point  du  monde.  La  publication 
de  son  grand  ouvrage(4),  qu'enrichissaient  des  dessins  exacts, 
est  sans  contredit  un  grand  service  rendu  à  la  science;  mais 
il  est  un  autre  service  non  moins  important  auquel  les 
voyageurs  ne  songent  pas  toujours  assez.  M.  Delaborde  en 
se  dévouant  pour  cette  longue  expédition  aux  plus  nobles 
sacrifices ,  et  en  se  conduisant  en  homme  de  courage  et 
d'honneur  avec  les  Torath  et  les  Alaouins ,  qui  furent  ses 
guides,  en  a  fait  autant  d'amis  pour  les  Européens.  C'est 
ainsi  qu'il  faut  songer  à  ceux  qui  vie;idront  après  soi,  et 
leur  préparer  un  bon  accueil ,  une  route  sûre  et  facile.  Le 
récit  qu'il  fait  du  départ  de  son  escorte ,  après  tant  de  fati- 
gues et  de  périls  partagés ,  est  empreint  d'une  candeur  naïve, 
qui  ne  permet  de  soupçonner  ni  exagération ,  ni  combinai- 
son théâtrale  :  «  Il  fallut  me  séparer  de  ces  braves  gens  qui, 
pendant  tout  mon  long  voyage ,  avaient  eu  pour  moi  une 
attention  si  constante ,  des  soins  si  assidus;  Hussein  surtout 
semblait  s'être  attaché  à  moi  ;  il  pleurait  en  me  quittant:  il 
me  faisait  promettre  de  revenir  plus  tard  manger  de  ses 
dattes  et  boire  de  son  lait  sous  sa  tente;  il  me  disait  que 
Dieu  est  grand,  que  peut-être  un  jour  je  serais  malheureux , 
proscrit  de  mon  pays ,  et  qu'alors  je  devrais  me  souvenir 
d'Hussein;  qu'il  aurait  toujours  pour  moi ,  sa  tente  pour  me 
reposer ,  ses  chevreaux  pour  me  nourrir  et  ses  dromadaires 
pour  aller  visiter  les  vieilles  pierres.  » 

Nous  n'avons  fait  qu'esquisser  rapidement  dans  cet  ar- 
ticle, l'importante  expédition  de  M.  L.  Delaborde.  La  nar- 
ration qu'il  en  a  publiée  est  assez  riche  en  faits  curieux  et 
instructifs  pour  que  nous  devions  en  présenter  plus  tard 
quelques  extraits  à  nos  lecteurs. 

(i)  Un  grand  in-folio  ayant  pour  titre,  Voyage  de  l'Àralie 
Pétrée,  publié  par  L.  Delaborde.  Chez  Giard,  éditeur,  à  Paris. 


(Costume  des  liabitans  d'Alep.) 


Nous  avons  joint  à  celte  notice  le  dessin  du  costume  des 
liabitans  d'Alep  en  Syrie,  costume  que  M.  Delaborde,  at- 
tentif à  s'identifier  autant  qu'il  était  en  lui,  avec  les  popu- 
lations qu'il  observait ,  a  revêtu  dans  son  voyage. 


LES  PERLES.  —  origine  et  piïche  des  perles 

NATURELLES.    —    FABRICATION     DES     PERLES     FAUSSES. 

Tout  le  monde  connaît  ces  corps  calcaires  et  nacrés  dont 
la  valeur  varie  selon  leur  éclat ,  leur  régularité ,  et  souvent 
même  la  bizarrerie  de  leur  forme ,  et  qui  ont  reçu  le  nom 
de  perles.  Ils  se  forment  non  seulement  dans  les  coquilles 
d'un  mollusque  marin,  appelé  par  Bruguière  avicule  per- 
Hère ,  et  par  le  savant  Laniack,  pintadvie  marrjariiifére , 
mais  encore  dans  celle  de  l'huître  commune ,  dans  celle  du 
jamboneau ,  connu  par  son  tissus  soyeux,  et  même  dans 
certaines  coquilles  à  une  seule  valve ,  appelées  patelles  et 
haliotides,  enfin,  'dans  plusieurs  moules  d'eau  douce. 

On  ne  connaît  pas  encore  bien  la  cause  qui  produit  les 
perles  ;  mais  plusieurs  faits  s'accordent  pour  prouver  que 
leur  formation  est  tout  à  fait  accidentelle,  bien  qu'elle 
puisse  être  le  produit  d'une  maladie  de  l'animal  ou  de  la 
coquille.  Depuis  Linné ,  qui  en  fit  l'essai  sur  les  mulettes 
des  rivières  de  la  Suède ,  on  sait  que  l'on  excite  ces  mollus-  ' 
ques  à  produire  des  perles  en  perçant  leur  coquille;  J'ani-  ' 
mal  sentant  le  besoin  de  réparer  le  dommage  fait  à  sa  de- 
meure ,  accumule ,  à  l'endroit  où  elle  est  percée ,  la  matière 
calcaire  que  secrète  son  manteau.  L'abondance  de  cette 
matière  produit  alors  une  callosité  qui  devient  une  véritable 
perle,  lorsqu'elle  prend  la  forme  d'un  corps  arrondi  qui  ne 
tient  à  la  coquille  que  par  un  pédicule.  Il  paraîtrait  même 
que  les  Indiens  connaissent  ce  moyen  factice  de  produire 
des  perles ,  puisque  l'on  voit  dans  quelques  collections  des 
pintadines  margaritifères  traversées  par  un  fil  de  cuivre. 
Quelques  naturalistes  ont  remarqué  un  petit  grain  de  sable 
au  centre  des  perles;  l'Introduction  d'un  corps  de  cette  na-  ^ 


UB 


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lure  expliquerait  leur  mode  de  formation.  En  effet,  l'irrita- 
tion qu'il  produit  sur  le  manteau  du  mollusque,  doit  porter 
celui-ci  à  sécréter  en  abondance  la  matière  calcaire ,  qui  se 
dépose  alors  par  couches  sur  ce  petit  grain  de  sable;  comme 
il  n'y  a  pas  de  pédicule  à  cette  espèce  de  perle ,  on  conçoit 
qu'elle  doive  être  plus  régulière  et  plus  ronde  que  les 
autres.  Au  surplus,  les  Indiens  sont  fort  adroits  à  rendre 
une  perle  régulière,  quelle  que  soit  la  grosseur  de  son  pédi- 
cule, en  l'arrondissant  et  en  la  polissant  à  l'aide  d'une 
poudre  qu'ils  obtiennent  des  perles  pulvérisées. 

Les  perles  sont  susceptibles  de  s'altérer  avec  le  temps,  et 
quelquefois  même  par  les  émanations  qui  s'exhalent  du 
corps  de  certaines  personnes ,  elles  se  ternissent ,  perdent 
leur  blancheur ,  et  l'on  dit  alors  qu'elles  meurent.  Cepen- 
dant on  en  trouve  qui  sont  naturellement  jaunâtres  ou  ver- 
dàtres,  et  même  de  noirâtres,  s'il  faut  en  croire  quelques 
voyageurs.  Malgré  la  facilité  qu'elles  ont  à  s'altérer,  il  faut 
encore  un  acide  assez  fort  pour  les  décomposer  ;  aussi  doit- 
on  regarder ,  comme  un  conte  l'anecdoie  de  Cléopâtre,  qui 
fît  dissoudre  une  perle  dans  un  verre  de  vinaigre ,  qu'elle 
but  ensuite  pour  prouver  à  Antoine  qu'elle  le  surpassait  en 
proiligalité.  Les  perles  rondes  et  les  perles  en  poires  sont 
les  plus  estimées  ;  quehjues  unes  atteignent  une  grosseur 
remarquable.  En  1370,  on  en  recueillit  une  dans  les  pêche- 
ries de  Panama ,  qui  était  de  la  grosseur  d'un  œuf  de  pigeon, 
et  qui  avait  la  forme  d'une  poire  ;  elle  fut  offerte  à  Philippe  II. 

Les  pêcheries  de  l'Amérique  sont  beaucoup  moins  renom- 
mées que  celles  de  l'Inde  ;  c'est  sur  les  côies  de  l'ile  de 
Ceylan  que  l'art  de  pêcher  les  perles  est  connu  depuis  la 
plus  haute  antiquité.  Cette  occupation  commence  en  février 
et  finit  en  avril  ;  chaque  pêcheur ,  muni  d'un  filet  en  forme 
de  sac ,  d'une  corde  à  laquelle  est  attachée  une  pierre ,  et 
d'une  autre  corde  dont  une  extrémité  reste  entre  les  mains 
d'un  des  rameurs;  s'élance  de  la  barque  qui  porte  ordinai- 
rement dix  rameurs  et  dix  plongeurs  ;  il  reste  sous  l'eau 
pendant  deux  à  quatre  minutes ,  et  quelcjuefois  même  plus 
long  temps,  remplit  de  coquilles  sa  gibecière ,  agile  la  corde 
qui  le  tient ,  au  moyen  de  laquelle  on  l'aide  à  remonter,  et 
reparait  à  la  lumière ,  mais  quelquef  )is  en  rendant  le  sang 
par  le  nez  et  les  oreilles.  Chaque  plongeur  peut  répéter  cette 
opération  jusqu'à  cinquante  fois  dans  un  jonr.  Les  coquilles 
que  l'on  a  pêchées  sont  rassemblées  dans  des  fosses  ou  sur 
des  nattes  entourées  de  palissades,  et  lorsque  les  animaux 
sont  morts,  quelquefois  même  en  putréfaction,  on  se  met  à 
la  recherche  des  perles. 

Le  prix  excessif  des  perles  régulières  a  fait  naître  l'art  de 
les  imiter  :  cet  art  a  été  porté  fort  loin  dans  quelques  pays 
de  l'Europe ,  et  a  tiré  parti  de  l'écaillé  d'un  poisson  d'eau 
douce  dont  la  chair  est  peu  estimée  :  c'est  celle  de  Table. 
Lorsqu'on  a  enlevé  les  écailles  de  ce  petit  cyprin ,  qu'on  les 
a  lavées  à  grande  eau  dans  un  tamis  clair,  à  travers  lequel 
passe  la  substance  qui  leur  donne  leur  brillant  nacré  ;  lors- 
qu'on a  frotté  deux  ou  trois  fois  les  écailles ,  pour  en  reliier 
toute  cette  substance ,  la  première  opération  est  terminée , 
il  ne  s'agit  plus  que  de  suspendre  la  matière  nacrée  dans 
une  dissolution  clarifiée  de  colle  de  poisson ,  et  d'en  mettre 
une  goutte  dans  la  bulle  de  verre  qui  doit  lui  servir  de 
moule  ;  on  la  fait  ensuite  sécher  rapidement  au-dessus  d'un 
poêle  ;  puis  on  remplit  la  bulle  avec  de  la  cire  fondue ,  qui 
fixe  la  matière  nacrée  contre  la  paroi  intérieiu-e  de  la  perle, 
et  qui  lui  donne  de  la  solidité.  Le  verre  de  ces  bulles  est 
tellement  mince  que,  lorsque  les  perles  fausses  sont  faites 
avec  soin ,  elles  acquièrent  le  brillant  des  véritables  perles , 
et  produisent  une  illusion  complète. 

CHRONIQUE  DE  LA  CORSE. 

LE  BARON    DE   NEUHOF. 

A  l'époque  où  les  Corses  luttaient  pour  leur  indépendance 
contre  les  Génois ,  il  se  présenta  un  homme  qui  se  fil  fort 
d'intéresser  les  puissances  de  l'Europe  à  leur  cause,  de  leur 
fournir  tous  les  moyens  d'affranchissement,  de  sûreté,  de 


prospérité.  Pour  cela  il  ne  demandait  que  le  trône ,  et  il 
l'obtint. 

Né  à  Metz  vers  4690,  fils  d'un  noble  Westphalien  qui  s'é- 
tait brouillé  avec  toute  sa  famille,  il  vint  en  France  récla- 
mer la  protection  de  la  duchesse  d'Oiléans.  Elevé  par  les 
soins  de  cette  princesse ,  Théodore  de  Neuhof  fit  partie  de 
ses  pages,  et  entra  an  service  de  France,  qu'il  quitta  pour 
celui  de  Suède.  Plus  intrigant  que  soldat,  il  reçut  du  baron 
de  Gœrlz  une  mission  secrète  pour  Albéroni,  et  la  remplit 
à  la  satisfaction  des  deux  ministres.  Mais  la  mort  de  l'un  ,  la 
disgrâce  de  l'autre ,  ayant  trompé  son  espoir ,  ne  sachant 
comment  fuir  les  créanciers  que  lui  avaient  fait  ses  spécu- 
lations malheureuses  sur  le  système  de  Law ,  il  se  rendit  à 
Florence,  avec  le  caractère  de  résident  pour  l'empereur 
Charles  VI.  C'est  alors  que  la  royauté  lui  apparut  comme 
dernière  ressource;  il  séduisit,  éblouit  les  Corses,  qui,  en 
retour  de  ses  promesses  magnifiques,  lui  promirent  tout  ce 
qu'il  voulût.  Rebuté  par  les  cours  d'Europe,  dont  il  sollicita 
l'appui  ;  mieux  accueilli  en  Turquie ,  il  réussit  bien  mieux 
encore  à  Tunis ,  dont  la  régence  lui  accorda  un  vaisseau , 
des  armes,  des  munitions  et  de  l'argent. 

Les  Corses  venaient  de  placer  leur  île  sous  l'égide  de  la 
Sainte-Vierge ,  lorsque  Théodore  Neuhof  débarqua  au  port 
d'Aléria  (15  mars  1736),  vêtu  à  la  turque  et  coiffé  d'un  tur- 
ban ,  s'iniilulant  grand  d'Espagne  ,  pair  de  France,  baron 
d'Angleterre ,  chevalier  de  l'ordre  teulonique  et  prince  de 
l'état  de  l'église.  «  Il  débuta,  dit  Voltaire,  par  déclarer  qu'il 
«  arrivait  avec  des  trésors  immenses ,  et ,  pour  preuve ,  il 
«  répandit  parmi  le  peuple  une  cinquantaine  de  séquins  en 
«  moimaie  de  billon.  Les  fusils,  la  poudre  qu'il  distribua , 
<t  furent  les  preuves  de  sa  puissance.  Il  doima  des  souliers 
«  de  bon  cuir,  magnificence  ignorée  en  Corse  ;  Il  aposta  des 
«  courriers  qui  venaient  de  Livourne  sur  des  barques  ,  et 
«  qui  lui  apportaient  de  prétendus  paquets  des  puissances 
«  d'Europe  et  d'Afrique.  »  Peu  de  jours  après  (13  avril  1756) 
il  fut  proclamé  roi  dans  une  assemblée  générale  tenue  à 
Alezani.  Une  armée  nombreuse  se  leva,  et  Théodore  rem- 
porta d'abord  (pieUpies  avantages  :  mais  bientôt  les  Génois 
le  repoussèrent  au-delà  des  monts ,  et  il  s'établit  à  Sarlène , 
où  le  baron  de  Drosth ,  son  parent ,  le  rejoignit  avec  de 
l'argent  et  des  munitions.  Huit  mois  ne  s'étaient  pas  écou- 
lés que  des  murmures  se  faisaient  entendre ,  que  l'autorité 
du  nouveau  roi  était  méconnue  et  sa  vie  menacée.  Théo- 
dore convoqua  les  députés  de  toules  les  pièces  (paroisses), 
et  leur  déclara  (ju'il  allait  se  séparer  d'eux  pour  hâter  les 
secours  fastueusement  annoncés;  il  désigna  vingt-huit  ci- 
toyens pour  former  un  conseil  de  régence ,  et  partit  pour 
Livourne,  cherchant  partout  des  dupes;  il  en  trouva  quel- 
ques unes  à  Rome,  à  Turin;  à  Paris  la  police  voulut  le  jeter 
au  For-l'Evêque  ;  à  Amsterdam,  un  de  ses  créanciers  le  fit 
mettre  en  prison,  et  plusieurs  autres  l'y  écroiièrent;  mais 
un  juif  paya  ses  dettes,  et  lui  avança  cinq  millions  pour 
équiper  trois  vaisseaux  marchands  et  une  frégate.  Ce  juif 
convoitait  le  monopole  du  commerce  avec  l'Ile  de  Corse; 
on  soupçonna  d'ailleurs  les  états  généraux  d'être  de  moitié 
dans  le  marché- 
Théodore  reparut  en  vue  de  son  royaume  ;  mais  contenus 
par  la  présence  des  troupes  françaises,  ses  sujets  restèrent 
dans  l'inaction  ;  un  coup  de  vent  poussa  le  baron-roi  dans 
le  port  de  Naples  ;  on  l'arrêta ,  et  la  forteresse  de  Gaëte  lui 
servit  de  palais.  Mis  en  Uberté ,  il  recommença  sa  vie  er- 
rante :  son  parti  n'existait  plus  qu'à  peine;  en  1742,  il  re- 
vint encore,  amené  par  un  vaisseau  anglais;  aucune piéve 
ne  répondit  à  son  appel  :  néanmoins  les  Génois  mirent  sa 
tête  à  prix.  «Un  dernier  revers,  dit  un  biographe,  atten- 
dait à  Londres  ce  jouet  de  la  fortune.  Lorsqu'il  se  flattait 
de  provoquer  encore  un  armement  en  sa  faveur,  ses  créan- 
ciers lui  firent  subir  le  même  sort  qu'en  Hollande.  Il  sortit 
enfin  de  prison,  où  il  avait  langui  pendant  sept  ans  dans  la 
misère  et  le  mépris,  et  déclara  pi éalablement  qu'il  aban- 
donnait son  royaume  pour  hypothèque  à  ses  créanciers. 
Horace  VValpole  ouvrit  en  sa  faveur  une  souscription  qui 


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ïui  assura  les  moyens  de  subsister  jusqu'à  sa  mort.  Théodore 
fut  enterré  sans  distinction  dans  le  cimetière  commun  de 
Sainte-Anne  de  Westminster,  et  Walpole  chargea  sa  toml)e 
d'une  épitaphe  qui  finissait  par  ces  mots  :  la  fortune  lui 
donna  un  royaume ,  et  lui  refusa  du  pain.  » 


LES  PONTONS  DE  CADIX  ET  DE  PORTSMOUTII. 

On  connaît  sous  le  nom  de  pontons  des  bateaux  très- 
solidement  construits  et  de  f  »rmes  différentes,  suivant  les 
usages  auxquels  ils  sont  destinés,  mais  qui  sont  ordinaiie- 
mejità  fond  plat.  On  les  emploie  à  toutes  It  s  opérations  qui 
exige: it  une  grande  force  mécanique  dont  le  point  d'appui 
soit  sur  la  mer  :  ils  portent  les  canons  et  les  boulets,  et  le  lest 
en  fer  des  vaisseaux  en  armement  -ou  en  désarmement ,  et 
servent  au  carénage  et  à  l'amarrage  de  ces  mêmes  vaisseaux. 
Dans  quelques  ports,  en  France  et  à  l'étranger,  la  machine 
à  muter  les  vaisseaux  est  établie  sur  un  ponton.  Les  pon- 
tons, ne  devant  servir  que  dans  les  ports  et  rades,  ne  sont 
point  disposés  pour  aller  à  la  voile  ;  cependant  ils  ne  sont 
pas  tous  dépourvus  de  mâture ,  comme  on  pourrait  le  croit  e 
d'iiprès  l'expression,  rasé  ou  ras  comme  im  ponton  ,  appli- 
quée à  un  vaisseau  qui  a  perdu  tous  ses  mâts  dans  un  com- 
bat ou  une  tempête.  La  plupart  des  pontons  n'ont  qu'un 
seul  mât  court  et  fort  pour  gréer  leurs  apparaux ,  consis- 
tant en  cordages  et  en  poulies  ;  ceux  destines  spécialement 
au  carénage  ont  deux  mâts,  qu'on  appelle  mâts  de  redresse. 
Tous  ont  des  cabestans,  machines  indispensables  pour  les 
manœuvres  de  force  ;  ce  sont  ordinairement  des  forçais  qui 
travaillent  sur  les  pontons. 

Il  est  d'autres  pontons  qui  ont  acquis  une  malheureuse 
célébrité;  ce  sont  ceux  sur  lesquels  les  Anglais  entassaient 
et  accablaient  de  traitemens  inhinnains  nos  infortunés  ma- 
rins et  les  militaires  français  prisonniers  de  guerre. 

G  est  avec  raison  qu'un  Anglais,  célèbre  par  sa  philan- 
tr)pie,  a  dit  :  «  Les  pontons  devraient  être  le  chàiiment 
«  réservé  aux  plus  atroces  de  tous  les  crimes.  »  Qu'on  se  fi- 
g(n-e,  en  effet,  le  supplice  de  huit  à  neuf  cents  prisonniers 
confinés,  nuit  et  jour,  pendant  des  années  entières ,  dans 
une  partie  des  entre-fonds  d'un  vaisseau ,  où  chacun  n'a 
pour  se  mouvoir  et  se  coucher  (|u'un  espace  de  cinq  ou  six 
pieds  de  long  sur  deux  de  large  ;  où  il  ne  peut  respirer 
qu'une  petite  quantité  d'un  air  infecté  non-seulement  par 
|les  émanations  de  tant  d'hommes  réunis,  mais  encore  par 
les  exhalaisons  méphitiques  des  latrines  j  où  il  n'a  pour  se 
substanter  qu'une  nourriture  grossière,  peu  abondante  et 
presque  toujours  de  mauvaise  qualité.  Qu'on  ajoute  à  tout 
cela  les  souffrances  morales  de  la  captivité  elle-même  et  de 
la  privation  de  toute  espèce  de  relations  avec  l'extérieur,  et 
enfin  toutes  les  vexations  de  détail  que  les  agens  subalter- 
nes sont  toujours  si  ingénieux  à  inventer  pour  ajouter  aux 
rigueurs  ordonnées  par  leurs  maîtres,  et  on  aura  une  fai- 
ble idée  de  ce  que  les  Français  eurent  à  souffrir  dans  ces 
prisons  infectes.  Non  contens  d'employer  les  pontons  eux- 
mêmes,  les  Anglais  en  avaient  suggéré  l'usage  aux  Espa- 
gnols dans  la  guerre  de  4808  à  4814  ;  et,  il  faut  le  dire,  in- 
dépendamment du  caractère  national ,  qui  conserve  toujours 
chez  les  classes  inférieures  de  ce  pays  une  teinte  de  férocité, 
la  disposiiion  où  se  trouvait  alors  le  peuple  en  Espagne  était 
éminemment  propre  à  lui  faire  adopter  ces  infernales  pri- 
sons ;  et  dès  que  les  armées  espagnoles  nous  eurent  fait  une 
certaine  quantité  de  prisonniers,  la  rade  de  Cadix  eut  ses 
pontons,  comme  celles  de  Porlsmoulh  et  de  Plymouth. 
Cette  imitation  d'un  des  actes  les  plus  odieux  de  la  poliii- 
que  anglaise  donna  lieu  à  un  trait  d'intrépidité  bien  digne 
du  caractère  français ,  et  que  nous  croyons  devoir  rappeler 
succinctement. 

Six  cents  prisonniers  français,  parmi  lesquels  se  trou- 
vaient cinq  cents  officiers,  ayant  en  grande  partie  appartenu 
au  corps  du  général  Dupont ,  dont  la  capitulation  avait  été 
si  indignement  violée,  étaient  détenus  sur  le  ponton  la 


CasttUe.  Ce  vieux  vaîssean  se  troirvait  mouillé  à  environ  un 
quart  de  lieue  des  murs  de  Cadix,  et  à  une  lieue  de  la  côte 
occupée  par  les  Français  qui  assiégeaient  la  place.  Les  pri- 
sonniers, à  qui  une  captivité  de  près  de  deux  ans  était  de- 
venue insupportable ,  avaient  maintes  fois  formé  le  projet 
d'enlever  le  ponton ,  et  de  profiler  d'une  occasion  où  lèvent 
et  la  marée  seraient  favorables  pour  gagner  la  rive  oîi 
étaient  campés  leurs  compatriotes.  Quelques  caractères  ti- 
mides avaient  blâmé  ce  projet,  et  en  avaient,  à  diverses  re- 
prises, empêché  l'exécution.  Cependant  les  plus  audacieux, 
et  c'était  la  très  grande  majorité,  l'emportèrent  :  l'occasion 
tant  désirée  se  présenta  de  nouveau  ;  une  tempête  d'équi- 
noxe,  qui  avait  déjà  fait  périr  plusieurs  liâliuiens  anglais 
et  espagnols ,  devait  pousser  promptement  les  pontons  vers 
la  côte  française.  En  un  instant ,  les  prisonniers  se  soulè- 
vent, désarment  leurs  gardes;  les  câbles  sont  coupés,  et  le 
ponlon  dérive  avec  rapidité.  La  nuit  étant  lrès-soud)re,  ce 
mouvement  échappa  aux  ennemis,  et  le  trajet  se  fit  sans 
autre  obstacle  que  quelques  coups  de  canon  tirés  par  la 
chaloupe  qui  avait  été  placée  en  vedettp  auprès  de  la  Cas- 
tille. 

Vers  le  milieu  de  la  nuit,  le  ponton  échoua  à  environ 
quatre  cents  toises  du  fort  de  Malagorda,  occupé  par  les 
Français;  mais  comme  la  Casiille  lirait  quinze  pieds  d'eau, 
elle  éehoua  à  une  grande  diï.tance  du  rivage,  et  il  fut  im- 
possible aux  Français  de  gagner  la  côte,  d'aulant  plus  que 
la  violence  des  flt)ts  rendait  très  dangereux  le  trajet  à  la 
nage.  Un  d'entre  eux  cependant  se  dévoua  pour  le  salut  de 
tous;  il  parvint  jusqu'à  lerre,  en  passant  au  travers  des 
chaloupes  ennemies,  alla  demander  du  secours  à  l'expédi- 
tion française,  et  regagna  le  ponlon.  Dès  que  le  joiir  parut, 
la  Castille  fut  aperçue  par  les  Espagnols,  et  une  grêle  de 
boulets  partis  de  leurs  forts  et  de  leurs  bàtimens  coumença 
au  même  instant  à  tomber  sur  le  ponlon,  où  ils  tuèrent  un 
grand  nombre  de  Français,  et  qu'ils  mirent  en  feu.  Les 
prisonniers  réussirent  chaipie  fois  à  éteindre  l'inceuMie. 
Cette  position  terrible  se  prolongea  jusqu'à  près  de  onze 
heures  du  matin;  alors  des  embarcations  françaises  arrivè- 
rent, et  débarquèrent  tous  les  prisonniers,  à  la  réserve 
d'ime  vingtaine  qui  avaient  été  tués  ou  (|ui  s'étaient  noyés. 
Comme  le  débarquement  une  fois  commencé ,  on  ne  s'était 
plus  occupé  d'éteindre  le  feu  ,  la  Castille  devint  bientôt  la 
proie  des  flammes ,  et  ne  tarda  pas  à  être  consumée. 


CROMWELL 

CHASSANT  LES  MEMBRES  DU   PARLEMENT. 

La  dissolution  violenle  du  parlement  par  Cromwell,  après 
la  bataille  de  Worcester,  est  sans  contredit  l'un  des  acles 
les  plus  importaus  de  la  vie  de  cet  homme  extraordinaire, 
puisqu'elle  servit  de  prélude  à  la  tyrannie,  qu'il  exerça  en- 
suite sur  l'Angleterre  sous  le  nom  de  lord  Protecteur.  Ce 
grand  acte  d'usurpation,  cette  violation  brutale  de  la  re- 
présentation nationale,  est  décrite  dans  les  mémoires  de 
Ludiow  d'une  manière  si  animée  et  si  intéressante,  que  nous 
avons  cru  devoir  mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  celte 
scène  dramatique. 

Le  parlement,  voyant  chaque  Jour  augmenter  l'orgueil 
et  les  prétentions  ambitieuses  de  Cromwell,  qui  avait  réussi 
à  s'assurer  le  dévouement  de  l'armée,  songeait  à  créer  une 
république  gouvernée  par  les  vrais  représentans  du  peuple. 
Cromwell ,  en  ayant  eu  avis ,  se  rendit  promptement  à  la 
Chambre,  où  il  prit  séance,  et  écouta  pendant  quelque 
temps  la  discussion;  puis  il  prit  à  part  le  major-général 
Harrison,  et  lui  dit  «  qu'il  croyait  que  le  parlement  était 
mûr  pour  la  dissolution,  et  qu'il  était  temps  de  l'accom- 
plir. »  Le  major-général  répondit  :  a  C'est  un  grand  et  dan- 
gereux ouvrage.  Monsieur;  il  faut  y  songer  sérieusement 
avant  de  vous  y  engager.  »  —  «  Vous  avez  raison,  »  reprit 
Cromwell,  et  il  garda  le  silence  pendant  quelques  minutes  ; 
bientôt  il  s'écria  de  nouveau  :  «  C'est  le  moment,  agis-» 


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sons  !  »  Alors  il  se  lève,  et  prononce  un  discours  véhément, 
où  il  accable  le  parlement  des  plus  odieux  reproches ,  l'ac- 
cusant de  compromettre  le  salut  public ,  et  d'avoir  épousé 
les  sales  intérêts  des  presbytériens  et  des  jurisconsultes,  et 


(  Cromwel  chassant  les  membres  du  Farlemeal.  ) 

disant  que  le  Seigneur  en  avait  fini  avec  eux ,  et  qu'il  avait 
choisi  d'autres  inslriimens  plus  dignes  de  son  œuvre. 

Tout  cela  fut  débité  avec  la  passion  et  le  trouble  d'un 
homme  en  délire. 

Sir  Peler  Wentworlh  se  leva  pour  y  répondre,  et  dit  que 
c'était  la  première  fois  qu'il  entendait  parler  à  la  chambre 
d'une  manière  si  inconvenante,  et  que  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  horrible,  c'était  qu'un  lel  discours  sortit  de  la  bouche 
d'un  serviteur  du  parlement,  et  d'un  serviteur  auquel  on 
avait  marqué  tant  de  faveur  et  de  confiance.  Il  allait  conti- 
nuer, lorsque  le  général  s'avança  au  milieu  de  la  chambre , 
en  s'écriant  :  «  Je  saurai  faire  finir  tout  ce  bavardage  ;  » 
et,  après  s'être  promené  à  grands  pas,  il  frappa  du  pied  avec 
colère,  et  dit  :  «  Vous  n'êtes  plus  un  parlement  ;  je  vous  dis 
qu'il  n'y  a  plus  de  parlement;  je  mettrai  fin  à  vos  séances  : 
qu'on  les  fasse  entrer.  »  A  ces  mots ,  le  sergent  du  parle- 
ment ouvrit  les  portes  ,  et  le  lieutenant-colonel  Worsley,  à 
la  tête  de  deux  files  de  mousquetaires ,  entra  dans  la  cham- 
bre. Sir  Henri  Vane  ne  put  s'empêcher  de  dire  alors  : 
«  Ceci  est  infâme;  c'est  contre  toute  morale  et  toute 
loyauté.  »  Mais  Cromwel  l'apostropha,  en  lui  disant  :  «  Sir 
Henri  Vane ,  que  le  Seigneur  me  délivre  de  vous  !  »  Puis 
il  se  mit  à  injurier  tous  les  membres,  en  leur  prodiguant  les 
épiihètes  les  plus  ignobles  :  ensuite  il  saisit  violemment  la 
masse  d'armes  déposée  sur  le  bureau  lorsque  le  pailement 
est  en  séance  :  «  Qu'avons-nous  à  faire  de  cette  babiole? 
dit-il;  qu'on  l^emporte.  »  Tout  était  dans  la  plus  grande 
confusion.  Harrison  s'approcha  de  l'orateur,  et  lui  déclara 
qu'au  point  où  en  étaient  les  choses ,  il  fallait  qu'il  quittât 
son  fauteuil.  Celui-ci  répondit  qu'il  n'en  descendrait  que  par 
la  force  :  «  Eh  bien  !  je  vous  donnerai  la  main ,  dit  Harri- 
son,  et  il  l'arracha  de  sa  place.  Pciidant  ce  temps-là , 
Oromwell  disait  à  plusieurs  membres  qu'il  connaissait  pour 
ses  ennemis  :  «  C'est  vous  qui  m'avez  forcé  à  en  agir  ainsi , 
car  j'avais  prié  le  Seigneur  nuit  et  jour  de  m'ôter  la  vie 
plutôt  que  de  m' employer  à  cette  œuvre.  »  L'alderman  Al- 
len voulut  lui  faire  entendre  que  les  choses  pouvaient  en- 
core s'arranger;  que  s'il  ordonnait  à  ses  soldats  de  se  reti- 
rer, et  qu'il  fit  rapporter  la  masse,  la  discussion  des  affaires 
publiques  pouvait  reprendre  son  cours.  Cromwell  rejeta  cet 
avis  ;  il  n'avait  pas  été  si  loin  pour  revenir  sur  ses  pas. 
Comme  l'alderman  avait  été  long-temps  trésorier  de  J'ar- 
raée,  il  l'accusa  d'avoir  détourné  plusieurs  centaines  de 
mille  livres  sterling,  et,  dans  les  transports  de  sa  rage,  il 
le  fit  appréhender  sur-le-champ  par  un  de  ses  mousquetai- 
res. Après  quoi,  il  ordonna  à  ses  gardes  de  déblayer  la 


chambre ,  s'empara  de  tous  les  documens  et  de  tous  les  pa- 
piers  qu'il  trouva  sous  sa  main,  fit  fermer  les  portes,  en 
prit  les  clefs,  et  se  relira  ensuite  à  White-Hall. 

VOYAGE  SUR  UN  GLAÇON. 
Un  Cosaque  de  la  mer  Noire ,  nommé  Jean  Potapenko, 
du  village  de  Grivennhoe ,  se  trouvait  dans  un  établisse- 
ment de  pêcheurs  situé  près  d' Archouwie.  Le  23  décembre, 
la  glace,  à  la  suite  de  grandes  gelées ,  paraissant  très-ferme, 
il  alla  examiner  ses  filets  tendus  dans  des  crevasses  à  un 
quart  de  lieue  de  distance  de  la  côte.  En  s'occupant  de  son 
travail ,  il  s'aperçut  que  le  glaçon  sur  lequel  il  se  trouvait 
s'était  détaché ,  et  voguait  avec  rapidité  sur  la  surface  de 
la  mer.  Ne  voyant  aucun  moyen  de  salut,  il  se  résigna  ù 
son  sort  ;  il  passa  six  jours  dans  la  cruelle  attente  de  la 
mort,  et,  quoiqu'il  eût  avec  lui  un  petit  morceau  de  pain, 
sentant  une  répugnance  invincible  à  prendre  de  la  nourri- 
ture, il  n'en  mangea  point,  et  ne  fit  qu'étancher  la  soif 
qui  le  dévorait,  en  buvant  de  l'eau  de  pluie ,  qui  remplis- 
sait les  crevasses  du  glaçon  qui  l'entraînait.  Il  était  chaude- 
ment habillé,  dans  un  temps  de  dégel,  et  ne  souffrit  pres- 
que pas  du  froid.  Il  dormit  peu ,  et  cela,  assis  sur  la  glace. 
Le  septième  jour,  il  aperçut  une  côte  escaipée  et  s'en  ap- 
procha ;  mais ,  à  chaque  pas ,  la  fatigue  et  l'épuisement  Je 
faisaient  tomber  en  défaillance,  et  ce  ne  fut  que  le  neuvième 
jour  qu'il  pût  descendre  sur  le  rivage.  Il  se  trouvait  près  du 
cap  de  Casan-dif,  entre  Kertch  et  Arabat.  On  le  conduisit 
à  Théodosie,  où  il  se  remit  facilement,  et  ensuite  à  Kertch. 
Il  avait  traversé  en  huit  jours  trente-neuf  lieues  de  France. 


NORMANDIE.  —  COUTUMES  RELIGIEUSES. 

Nous  mettons  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  un  dessin 
dont  le  sujet  est  emprunté  aux  mœurs  de  la  Haute-Nor- 
mandie. Un  ancien  usage  religieux ,  fréquemment  observé 
de  nos  jours  encore  dans  plus  d'une  paroisse  de  cette  con- 
trée ,  veut  que  les  enfans  malades  soient  conduits  à  l'église 
et  présentés  au  prêtre ,  qui ,  étendant  son  élole  au-dessus 
d'eux ,  invoque  en  leur  faveur  la  miséricorde  du  ciel.  Cette 
lecture  des  saints  Evangiles  sur  la  tête  de  son  faible  enfant, 
ranime  le  courage  de  la  pauvie  mère,  qui,  de  retour  dans 


sa  modeste  demeure ,  redouble  ses  soins  et  ses  sacrifices 
pour  obtenir  une  guérison  dont  elle  attend  avec  confiance 
l'époque  prochaine. 

Les  croyances  religieuses ,  la  vie  politique ,  les  progrès 
des  arts  industriels  ,  fournissent  au  voyageur  qui  observe 
attentivement  celte  riche  province ,  plus  d'un  sujet  d'éludé, 
instruclif  et  curieux  tout  à  la  fois. 


16) 


MACxASIN  UNIVERSEL. 


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AUTRICHE.  —  VIENNE. 


Vienne  (men) ,  capitale  de  la  monarchie  autrichienne ,  • 
est  située  sur  la  rive  droite  du  Danube  et  sur  une  petite 
rivière  du  même  nom ,  qui  la  traverse  et  se  jette  dans  ce 
fleuve.  Des  fortifications  régulières  séparent  la  ville  des 
faubourgs,  au  nombre  de  trente  quatre;  quelques  uns  sont 
arrosés  par  les  petites  rivières  de  Wien  et  d'Alserbach  ; 
deux  autres  sont  traversés  par  un  bras  du  Danube ,  sur 
lequel  on  a  construit  trois  ponts.  Sa  circonférence  est  à  peu 
Tome  II. —Janvier  i835. 


près  celle  de  Paris  ;  mais  sa  population  et  l'étendue  de  ses 
constructions  sont  de  beaucoup  moins  importantes.  Elle 
compte ,  en  effet ,  moins  de  300,000  habitans ,  en  compre-  1 
nant  dans  cette  évaluation  la  population  de  ses  faubourgs.  ? 
La  situation  de  Vienne  est  délicieuse  ;  placée  au  milieu 
d'une  plaine  que  varient  des  collines  pittoresques ,  et  près 
d'un  des  grands  fleuves  de  l'Europe ,  entourée  de  prome- 
nades charmantes  et  déterres  fertiles,  elle  offrirait  un  sé- 


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MAGASIN  UNIVERSEL 


jour  enchanté,  si  un  climat  variable  et  un  ciel  souvent 
brumeux  ne  donnaient  à  ses  monumens  comme  à  ses  cam- 
pagnes im  aspect  monotone  :  l'avantage  d'étie  baignée  par 
la  Danube  est  racheté  par  quelques  inconvéniens  ;  la  fonie 
des  neiges  grossissant  les  petites  rivières  que  reçoit  ce  fleuve, 
le  fait  déborder  de  telle  sorte  qu'une  partie  des  faubourgs 
est  souvent  inondée  à  une  grande  hauteur. 

Tout  est  entassé ,  dans  la  ville  ;  les  rues ,  qui  se  croisent 
irrégulièrement ,  ne  sont  ni  alignées  ni  bien  nivelées  ; 
quoique  pavées  et  bordées  de  trottoirs  en  granit,  elles  ne 
sont  ni  propres  ni  commodes ,  les  trottoirs  étant  de  niveau 
avec  la  chaussée.  Une  rue  passe ,  en  forme  de  pont ,  au- 
dessus  d'une  autre,  par  suite  de  l'inégalité  du  terrain.  La 
seule  belle  rue  est  le  Herrenstrasse.  Les  places  publiques , 
étroites  et  irrégulières ,  sont  encombrées  de  monumens 
généralement  de  mauvais  goût.  La  statue  équestre  en 
bronze  de  dimension  colossale  de  Joseph  II ,  placée  sur  la 
Place  Joseph ,  fait  au  contraire  honneur  au  talent  de  Sau- 
ner, qui  l'a  exécutée. 

La  population  qui  habite  la  cité  semble  y  être  à  l'étroit 
dans  ses  habitations  hautes  et  resserrées.  Il  n'y  a  dans  son 
enceinte  d'autre  promenade  que  le  Graben  (voyez  la  gra- 
vure jointe  à  cet  article) ,  où  se  trouvent  les  principaux 
magasins  de  modes  et  de  nouveautés,  et  ou  se  rassemblent 
tous  les  soirs  les  désœuvrés  et  les  étrangers. 

Dès  que  la  saison  le  permet,  les  Viennois  quittent  la 
cité  ;  les  habitans  aisés  se  retirent  en  été  dans  les  faubourgs 
qui  sont  éloignés  de  600  toises.  L'esplanade  intermédiaire 
est  bordée  de  beaux  hôtels  et  de  couvens  transformés  en 
casernes  ;  des  allées  d'arbres  la  coupent  en  diverses  direc- 
tions; mais  n'étant  pomt  pavées,  elles  sont  comme  les  rues 
des  faubourgs,  très  incommodes  en  été  à  cause  de  la  pous- 
sière, en  hiver  à  cause  de  la  boue.  Du  reste,  les  faubourgs, 
beaucoup  mieux  percés  que  la  ville,  ont  plusieurs  rues 
larges  et  régulières.  On  y  remarque  quelques  palais  d'été , 
appartenant  à  de  grandes  familles ,  et  beaucoup  de  maisons 
qui ,  sans  être  d'une  architecture  riche ,  ne  sont  pas  dépour- 
vues d'une  certaine  élégance ,  et  sont  entourées  de  nom- 
breux et  vastes  jardins.  Ce  serait  un  séjour  des  plus  agréa- 
bles si  les  rues  étaient  pavées.  Dans  le  faubourg  appelé 
Landstrasse,  est  situé  le  Belvéder,  bàli  par  le  prince  Eugène , 
et  appartenant  aujourd'hui  à  l'empereur  :  c'est  le  plus 
beau  bâtiment  de  la  capitale  j  il  renferme  la  galerie  impé- 
riale des  tableaux. 

On  a  remarqué  que  la  consommation  des  denrées  est,  à 
proportion ,  plus  considérable  à  Vienne  que  dans  les  autres 
grandes  villes ,  à  cause  du  penchant  décidé  de  ses  habitans 
pour  la  bonne  chère.  Il  est  peu  de  pays  où  l'on  mange 
autant.  L'aisance  générale  donne  aux  Viennois  la  facilité 
de  satisfaire  leur  passion  gastronomique;  un  autre  goût 
non  moins  vif  chez  eux,  est  celui  de  la  danse  et  de  la 
promenade.  Ils  vont  se  livrer  à  ces  plaisirs  dans  les  jardins 
de  VAugarten  et  au  Prater,  vaste  prairie  couverte  d'un 
bois  de  chênes  et  de  hêtres ,  que  partage  une  belle  allée 
d'une  heue  de  long.  Pendant  qu'on  s'abandonne  à  la  joie; 
sous  l'ombrage  des  arbres,  qui  sont  entremêlés  de  mai- 
sons ,  de  cafés  et  de  guinguettes ,  des  milliers  de  voitures 
de  toute  espèce  et  de  chevaux  parcourent  en  tout  sens 
la  grande  allée  qui  aboutit  à  un  pavillon  qui  est  le  but 
des  courses;  on  trouve  là  le  Danube,  et  sur  ses  bords  un 
cours  planté  d'arbres.  C'est  dans  cette  promenade  que 
l'on  voit  le   carrosse  de   l'empereur  d'Autriche  suivre 
modestement  les  antres  voitures  à  la  file ,  sans  que  le  prince 
se  permette  jamais  de  les  faire  arrêter  pour  s'ouvrir  un 
libre  passage.  Dans  la  plupart  des  capitales  de  l'Europe , 
les  simples  laquais  du  souverain ,  comme  ceux  qui  les  ap- 
prochent, ont  un  air  d'importance  aussi  gauche  que  ridi- 
cule; à  Vienne  ils  sont  simples  et  modestes  ;  et,  chose  bien 
plus  rare  dans  des  gens  qui  approchent  les  grands,  ils  sont 
honnêtes. 

Un  médecin  anglais,  Adam  Néale.  disaitdans  la  relation 
de  son  Voyage  en  Allemagne  :  Depuis  4768,  la  population 


de  Vienne  a  éprouvé  une  augmen